CONTRIBUTION DE M. JEAN-PIERRE
GIRAN,
MAIRE D'HYÈRES : INSULARITÉ ET
DIFFÉRENCIATION TERRITORIALE - ÎLES D'OR
1) Présentation générale et spécificités des Îles d'Or
A. Le territoire (carte de situation en annexe)
La situation des Iles d'Hyères, partie intégrante du territoire de la commune d'Hyères-les-Palmiers, est très originale. Elle doit être présentée pour tenter d'en saisir les particularités et expliquer en quoi une certaine différenciation territoriale serait bienvenue.
L'île de Port-Cros correspond au coeur historique du Parc national de Port-Cros (PNPC), créé en 1963. D'une superficie de 650 ha, elle est distante du continent d'environ 15 km. L'île compte environ 35 habitants à l'année et accueille 300 000 touristes par an environ.
L'île de Bagaud , voisine, fait également partie du coeur du PNPC, mais elle est, de surcroît, classée en réserve intégrale 1 ( * ) , ce qui signifie que son accès est interdit sauf pour les besoins de la gestion ou de travaux scientifiques.
L'île de Porquerolles , 1 254 ha, située à environ 5 km du port d'Hyères, compte environ 350 habitants à l'année, population multipliée par 50 en été, à laquelle s'ajoutent près de 2 000 bateaux ancrés devant ses plages ou dans les calanques. Les espaces naturels de l'île de Porquerolles appartenant à l'État, constituent le deuxième coeur du PNPC depuis 2012, mais l'île comporte également une aire d'adhésion comprenant sa partie urbanisée et les espaces agricoles.
Enfin, l'île du Levant , 1 000 ha, située à environ 9 km du Cap Benat, et à 20 km d'Hyères, . Elle compte environ 100 habitants civils à l'année dans sa partie privée (village naturiste d'Héliopolis) et sa population peut grimper jusqu'à 1 000 personnes en plein été. L'île fait partie de l'aire d'adhésion du PNPC, mais 95 % de son territoire est occupé par le Centre d'essais en Méditerranée.
Autour des coeurs de parcs terrestres de Port-Cros et Porquerolles (1 700 ha au total), le coeur marin du PNPC s'étend jusqu'à une distance de 600 mètres (2 900 ha marins au total).
Il faut enfin rappeler que sur le littoral, sur tout ou partie du territoire, des communes ont signé la charte d'adhésion : La Garde, Le Pradet, Hyères-les-Palmiers, La Croix Valmer et Ramatuelle. Cette aire d'adhésion « littorale » obéit exactement au même régime que l'aire d'adhésion « ilienne », ce qui mérite réflexion. L'aire d'adhésion du PNPC s'étend également en mer entre les îles et le continent (aire maritime adjacente), couvrant l'espace marin au droit de La Garde à Ramatuelle et étendue jusqu'à 3 milles marins au sud des îles d'Hyères.
Parmi les 11 parcs nationaux français, les îles du parc national de Port-Cros présentent la particularité d'être des territoires « habités ».
Enfin, les îles sont soumises à de nombreux classements (dont la plupart de nature réglementaire) au titre du milieu naturel, du paysage et des sites (Natura 2000, site classé, ZNIEFF, etc.).
B. La gouvernance
Si l'on résume le constat, trois des îles métropolitaines de la commune d'Hyères-les- Palmiers constituent en très large partie le territoire d'un établissement public administratif national, le Parc national de Port-Cros, qui gère et réglemente les coeurs de Parc (compétence du directeur du parc). La quatrième île est pour l'essentiel un terrain militaire. C'est dire que sur l'ensemble de ces îles, c'est la présence et les compétences de l'État qui sont prégnantes..., alors même que, pour des raisons très évidentes, ce sont les élus de la commune et de la métropole qui sont en premier lieu interpellés sur un certain nombre de dossiers difficiles.
Par ailleurs, l'adhésion de la commune à la charte du PNPC, rédigée en collaboration étroite avec les iliens qui y ont inscrit leurs propres objectifs de gestion et de développement du territoire (vie courante comme projets stratégiques à moyen et long terme), engage l'ensemble des acteurs institutionnels, contribue à orienter leurs actions, et exige d'eux que des comptes soit, encore plus qu'ailleurs, rendus à la population. Les iliens portent un regard extrêmement attentif (voire revendicatif) à la mise en oeuvre des mesures de la charte. Ils sont très impliqués dans les actions publiques, très organisés (CIL, association des commerçants, associations socio- économiques et environnementales diverses...), et représentés dans la majorité des assemblées concernant les îles (Conseil économique, social et culturel et Conseil d'administration du PNPC, Small Islands Organisation, collectifs économiques et associatifs divers...). La présence et l'investissement de la municipalité sur les îles sont renforcés par l'existence d'adjoints spéciaux qui assurent un dialogue permanent avec la population.
Il faut aussi rappeler que les hommes et les femmes qui vivent sur ces îles sont habitants de la commune d'Hyères-les-Palmiers, payent des impôts locaux comme les autres habitants de la Commune et de la Métropole, et attendent d'elles très légitimement des prestations et des services identiques.
Un certain nombre de politiques locales relèvent à l'évidence de la compétence communale ou métropolitaine (déchets, transports maritimes, eau et assainissement, pour partie la sécurité publique, etc.), alors que les facteurs qui ont un impact déterminant sur ces politiques échappent très largement à la maîtrise de la commune et de la métropole. Il en va ainsi, par exemple, de l'hyper-fréquentation à terre et sur mer et de ses conséquences sur les transports maritimes, la consommation d'eau et l'assainissement, le ramassage et le traitement des déchets, ou encore des manoeuvres militaires engagées sans qu'à aucun moment les services de la Commune, de la Métropole, voire des autres services de l'État (Parc national, par exemple), ne soient consultés ni même informés.
Enfin, il faut remarquer que certains outils qui existent dans la loi et qui permettraient tout à la fois de faciliter l'engagement des citoyens (et notamment des propriétaires) au service de l'intérêt général, et de développer des liens étroits avec les acteurs locaux pour les mettre en oeuvre sont ignorés et laissés en jachère par l'État, qui n'en assure pas la promotion auprès des élus locaux et ne prend pas les mesures d'incitation nécessaires pour convaincre les propriétaires locaux d'y avoir recours.
C. Les exigences
Les Îles d'Or (terre et mer) sont à la fois des espaces de préservation de la faune, la flore, la biodiversité, le paysage... et des espaces de vie pour les habitants (services publics, activités, emplois, logements, transports, culture...).
Un des objectifs de la mairie et une des missions confiées par l'état au PNPC (commande ministérielle), est de faire de ces petites îles méditerranéennes des territoire pilotes pour des projets innovants en termes de transition écologique et énergétique , de conciliation des multiples intérêts environnementaux et humains, d'autonomie insulaire.
Pourtant, quand il s'agit de promouvoir des projets allant dans ce sens, on se heurte souvent à une contradiction au niveau des services de l'État, qui consiste à nous interdire de faire ce que l'on exige de nous. Deux exemples :
- commande verbale personnalisée du ministre (Ségolène Royal, Nicolas Hulot) de développer sur Porquerolles les énergies renouvelables en vue d'une autonomie énergétique de l'île : le Parc présente donc un projet d'implantation sur le port (ZA) d'une petite éolienne verticale, parfaitement intégrée dans le paysage (conçue par l'architecte du Parc et ratifiée par l'ensemble des acteurs concernés). Cet ouvrage aurait permis d'alimenter en électricité l'ensemble des véhicules électriques de l'île. Le projet a pourtant été « retoqué » par les services de l'État au motif général « pas d'éolienne en site classé » ;
- besoin d'alimenter l'île de Porquerolles en eau potable (assèchement et salinisation de la nappe phréatique qui obligent à fortement diminuer voire cesser les pompages). Eau potable livrée par bateau (une rotation par jour entre le continent et l'île en hiver, deux en été). Proposition du maire (basée sur des études environnementales et technico-économiques poussées) d'implantation d'un sealine entre le continent et l'île de Porquerolles, dimensionné exclusivement pour substitution des prélèvements phréatiques et couverture des besoins existants > douze ans de procédure avec blocage DREAL/DDTM au motif que si l'on apporte de l'eau on va la gaspiller ou encourager l'urbanisation (NB : plus aucun terrain ouvert à la construction sur l'île). Et, depuis douze ans, la ressource en eau locale continue d'être dangereusement sollicitée...
2) Propositions
Ces considérations de terrain conduisent à présenter quelques propositions dont l'objet serait, d'une part, de tenir compte de la spécificité de nos îles métropolitaines, et d'autre part, d'encourager l'innovation dans la gestion des territoires.
A . Trois valeurs majeures sont portées par les îles métropolitaines de la Commune d'Hyères-les-Palmiers : la protection de l'environnement, le tourisme et la défense nationale.
Le moins que l'on puisse dire est que ces trois valeurs sont difficiles à concilier et pourtant elles doivent l'être. Pour y parvenir, l'échange entre les services de l'État, entre ces services et les acteurs locaux du territoire doit être constant et formalisé. Il serait souhaitable que soit inscrite dans la loi la possibilité de constituer un « Conseil insulaire des îles métropolitaines » regroupant, sous une présidence à déterminer mais qui pourrait être celle du maire de la commune, les représentants de l'État à terre et en mer (préfet du département ou son représentant et préfet maritime ou son représentant), la présidente du conseil d'administration du Parc national ou son représentant, le président de la métropole ou son représentant, un représentant des autorités militaires, une personnalité qualifiée choisie pour sa connaissance des spécificités et des milieux insulaires.
Cette structure de gouvernance très ramassée (gage de réactivité et d'efficacité) aurait pour objectif de permettre un échange d'informations et un partage des décisions stratégiques pour le territoire. Elle permettrait, dans le respect des compétences de chacun , de garantir l'échange d'informations, le partage des décisions ou le constat de dissensus et faciliter la déclinaison opérationnelle des décisions.
Le Conseil des îles métropolitaines serait, d'une part, de nature à faciliter la déclinaison dans les services compétents des décisions et orientations stratégiques arrêtées à son niveau . Il permettrait, d'autre part, de faire remonter les besoins et spécificités locales, impliquant parfois des dérogations à des normes nationales , par exemple en matière d'énergie, d'assainissement ou de régulation de la fréquentation. Il s'agirait donc, non pas de bouleverser la répartition des compétences, mais simplement de faciliter leur articulation pour améliorer la gestion de territoires particuliers soumis à des tensions très importantes. Le « Conseil des îles métropolitaines » pourrait se réunir une fois par trimestre pour évoquer les dossiers « courants » d'intérêt commun et à tout moment, à la demande d'un tiers de ses membres au moins, en cas de situation de crise. Par exemple, au titre des dossiers « courants », les services de la métropole négocient avec les exploitants de navettes maritimes un cahier des charges ayant, entre autres finalités, d'assurer la desserte des îles pour les habitants et pour les visiteurs, de réguler les pics de fréquentation en période estivale, d'assurer certains services aux iliens, etc. Il est évident que tous les efforts accomplis peuvent être réduits à néant si parallèlement les mesures ne sont pas prises pour réglementer l'activité des bateaux-taxis, réprimer les accostages illégaux, réguler la plaisance et le mouillage, etc. Des efforts importants sont déjà accomplis en ce sens, mais une instance rapprochée de gouvernance, réactive et susceptible de déboucher sur des décisions rapides améliorerait les processus décisionnels.
Quant aux situations de crise, la pollution par hydrocarbures d'octobre 2019, l'errance d'un grand rorqual blessé dans les eaux du Parc national et la décision de mettre en place une zone de quiétude autour de l'animal, comme les dérogations à cette décision motivées par des considérations scientifiques, le déclenchement de manoeuvres militaires impliquant d'autres îles que celle du Levant, le contre-minage de munitions dans la rade d'Hyères ou dans les eaux du Parc national et de son aire marine adjacente sont des situations qui pourraient motiver en urgence la réunion de cette instance de gouvernance rapprochée. Il s'agirait ici, non de bouleverser la répartition des compétences, mais simplement de faciliter leur articulation pour améliorer la gestion de territoires soumis à des tensions très importantes.
B . Pourrait encore être recommandé le lancement d'une réflexion sur la possible adoption d'une réforme de la loi de 2006 relative aux Parcs nationaux permettant de distinguer deux catégories d'aires d'adhésion selon leur proximité et leur lien « naturel » avec les coeurs.
Dans le cas des îles métropolitaines de la commune d'Hyères-les-Palmiers, il n'est guère contestable que la situation de l'aire d'adhésion « ilienne » et de l'aire d'adhésion « littorale » du Parc national n'est guère comparable. Tandis que la première est très directement sous l'influence du coeur de Parc et, en retour, peut avoir des conséquences négatives sur ce coeur, l'aire d'adhésion littorale est davantage sous l'influence des politiques de la commune et/ou de la métropole et appelle sans doute des mesures d'une autre nature. Raisonnons sur un exemple : si le propriétaire situé en aire d'adhésion sur les îles souhaite installer chez lui des ruches d'abeilles domestiques, le gestionnaire du Parc n'est pas en mesure de s'y opposer, alors pourtant que de nombreuses études scientifiques démontrent que, particulièrement dans un contexte ilien, les abeilles domestiques vont concurrencer les pollinisateurs sauvages présents, risquer de leur transmettre certaines maladies ou parasites et même de modifier l'état de la flore existante, sans pour autant parvenir à développer une activité liée à la production de miel. Très concrètement, dans un tel schéma, il serait pleinement justifié que le directeur du Parc national puisse s'opposer à l'installation d'une activité en aire d'adhésion lorsqu'il est acquis qu'elle peut avoir un impact sur le coeur de Parc. Une telle évolution serait d'autant plus facile à mettre en oeuvre que l'idée est déjà présente dans la loi pour les espaces maritimes (art. L331-14, III du Code de l'environnement).
C. La loi 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a fait entrer dans notre ordre juridique « l'obligation réelle environnementale » (ORE), aujourd'hui codifiée à l'article L.132-3 du Code de l'environnement.
Cet outil permet à un propriétaire de consentir à « une collectivité publique (par exemple la commune) , un établissement public (par exemple le Parc national) ou une personne morale de droit privé agissant pour la protection de l'environnement » une sorte de « servitude », rattachée au terrain pendant toute la durée de la convention, par laquelle le propriétaire accepte certaines obligations ayant nécessairement pour « finalité le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ». En contrepartie, le bénéficiaire de l'ORE (la commune, l'établissement public) s'engage à aider le propriétaire dans la mise en oeuvre de ses obligations, par des aides qui peuvent être financières, techniques ou de tout autre nature. L'ORE n'est pas un outil règlementaire imposé d'en haut, mais un contrat voulu et négocié sur le terrain par les intéressés et les acteurs locaux du territoire. L'ORE se caractérise par sa souplesse et son adaptabilité aux besoins du terrain.
Elle peut s'appliquer à de grandes surfaces comme à de toutes petites. Elle peut comporter un « bouquet » d'obligations ou seulement quelques-unes, etc. Cet instrument a connu un succès considérable dans les pays où il existe depuis longtemps (aux USA, par exemple, il couvre 10 millions d'hectares par le biais de 140 000 contrats). Son développement en France, notamment dans des territoires comme nos communes littorales et leurs îles métropolitaines - tout spécialement pour les aires d'adhésion - dépend de deux facteurs essentiels : sa réception par les acteurs locaux et les incitations fiscales qui pourraient être associées. Sur ces deux terrains, l'État est totalement défaillant. Quant à la réception par les acteurs locaux (élus, notaires, agriculteurs, propriétaires fonciers, associations, etc.), elle dépend de l'information qu'ils recevront. Or cette information est quasi inexistante (défaillance des DREAL).
Quant aux incitations fiscales, la loi de 1976 (article 73) prévoyait que dans les deux ans du vote de la loi, un rapport devrait être déposé par le Gouvernement sur les Bureaux de 1'Assemblée nationale et du Sénat pour faire un bilan de cet outil et proposer « les moyens de renforcer l'attractivité, notamment au moyen. De dispositifs fiscaux incitatifs, du mécanisme d'obligations réelles environnementales ». La loi est du 8 août 2016, nous serons très bientôt au 8 août 2020... et le rapport n'a toujours pas été déposé ! Il est temps de respecter la loi et de donner aux collectivités locales les moyens de contracter utilement au service de l'intérêt général avec les acteurs de leur territoire !
Carte de situation des Îles d'Or
* 1 Comme les îlots du Rascas et de la Gabinière.