III. TABLE RONDE « LES ÉLUS À L'ACTION DANS LES FOYERS ÉPIDÉMIQUES » (30 AVRIL 2020)
M. Jean-Marie Bockel, président . - Le thème de cette table ronde est d'actualité : s'il semble que le pic épidémique soit passé et qu'un plateau ait été atteint, la tension reste forte. Le retour d'expérience est donc utile.
Nous vivons ces jours-ci un moment charnière de l'avant-déconfinement ; le début de la semaine a été extrêmement dense. La réunion qui s'est tenue hier à Matignon avec les présidents des associations d'élus s'est bien passée, dans un esprit constructif. Il n'est donc pas inutile que nous prenions un peu de recul pour apporter notre contribution à la préparation de cette période de déconfinement, en faisant le point avec des élus qui sont particulièrement confrontés à l'épidémie. Je précise à l'intention de nos invités du jour que nous avons déjà reçu, la semaine dernière, les présidents des grandes associations d'élus, maires, départements, régions, ainsi que M. le ministre Lecornu.
Je relève, sous forme de questions, quelques-uns des sujets que je voudrais que nous abordions aujourd'hui.
En tant qu'élus locaux et responsables de territoires, vous avez à la fois les mains dans le cambouis et le recul nécessaire ; quels sont les éléments marquants que vous souhaitez souligner, concernant notamment les difficultés que vous avez rencontrées ? Comment voyez-vous le déconfinement, après les annonces du Premier ministre ? Docteur Jean Rottner, vous avez cosigné avec Philippe Juvin, dans Le Figaro d'hier, une tribune intitulée « Déconfinement : les conditions du succès ne sont pas encore réunies à ce jour » ; pourrions-nous vous entendre sur ce point ?
Cette crise nous livre un certain nombre d'enseignements sur notre système sanitaire et, partant, sur notre système institutionnel, qui sont très centralisés et très concentrés : il n'y a ni déconcentration efficace, ni, encore moins, une véritable décentralisation. La perspective d'un État fédéral n'est certes pas pour demain ; reste que nous pouvons faire mieux en matière de résilience de nos territoires.
M. Jean Rottner, président de la région Grand Est . - Le relais entre les élus locaux que nous sommes et les parlementaires que vous êtes est indispensable ; nous devons l'organiser.
Ici, dans le Grand Est, tout particulièrement dans les territoires alsacien et mosellan, à Mulhouse surtout, nous avons connu un rouleau compresseur viral extrêmement puissant, une véritable bombe à fragmentation. Nos structures hospitalières ont dû passer en gestion de crise du jour au lendemain : les hôpitaux de Mulhouse et de Colmar se sont transformés en hôpitaux spécialisés Covid-19. En même temps, pour ce qui concerne l'établissement de Mulhouse, qui connaissait quelques difficultés, la situation a permis à toutes les équipes de se serrer les coudes ; nous pourrons ainsi, je l'espère, repartir sur de bonnes bases.
Nous avons constaté d'emblée sur le terrain une différence, d'une part, entre l'expérience locale et, d'autre part, le ressenti national et la capacité de réaction de nos autorités sanitaires, y compris régionales. Là où il s'agissait de réagir rapidement et de façon coordonnée, nous avons, dès le départ, pris quinze jours de retard, notamment en termes de matériel : blouses, masques, tests, fournitures médicamenteuses - sujet appelé à devenir chronique.
Le bilan mulhousien est de 122 % de surmortalité au mois de mars 2020 par rapport à mars 2019. Ce chiffre montre l'impact de ce virus : nous avons tous, autour de nous, des gens qui nous ont quittés, foudroyés en quelques jours par la maladie.
Nous en sommes aujourd'hui au stade du déconfinement : la course du rouge et du vert est lancée. Mais aucun titre de champion du déconfinement ne sera décerné, nul podium ne sera organisé. Je ne suis pas pour courir, mais pour déconfiner de manière extrêmement progressive et précautionneuse, zones vertes et rouges confondues.
Les mesures annoncées par le Gouvernement ont pu surprendre. Certains, dans la population, s'attendaient à ce que le 11 mai soit un peu plus libératoire. Mais il faut éviter le rebond ; de ce point de vue, la stratégie annoncée me paraît raisonnable. C'est le sens de la tribune que j'ai signée hier avec Philippe Juvin : il faut prendre toutes les précautions nécessaires pour protéger, tester, isoler. Nous militons pour une généralisation des tests dans toutes les institutions et structures confinées, quelles qu'elles soient. On sait que 50 % de nos concitoyens touchés par le virus sont asymptomatiques et que 45 % d'entre eux le propagent à d'autres personnes. Il est donc nécessaire, pour rechercher des clusters , de tester des publics ciblés et de ne pas réserver les tests aux seules personnes symptomatiques et à leurs cas contact.
Le déconfinement signifie aussi préparer une potentielle deuxième vague. Les sujets que nous n'avons toujours pas résolus - la disponibilité des masques, des blouses, des charlottes, des surchaussures, des médicaments - doivent l'être. Ni nos personnels soignants, ni notre économie ne résisteraient à une deuxième vague, et un reconfinement serait extrêmement difficile à imposer à l'opinion publique. C'était l'un des objets de notre tribune : plaider pour que nos capacités de réanimation ne soient pas trop vite désarmées, afin de nous assurer que la deuxième vague, si elle arrive, soit la plus plane possible.
J'en viens aux enseignements. Je suis dubitatif sur les Agences régionales de santé (ARS). La précédente crise sanitaire, celle de la canicule de 2003, avait touché, déjà, nos personnes âgées. Depuis 2003, l'administration de santé, en France, est essentiellement une administration budgétaire de régulation des dépenses de santé, sur le terrain comme au niveau national. Ces gens-là ne sont pas formés à gérer une crise. Les ARS ont donc tardé par méconnaissance. Un exemple : nous avons rencontré des difficultés pour faire atterrir un hélicoptère de l'armée sur une « drop zone » hospitalière. Les médecins connaissent ce problème par coeur, mais la régulation régionale, elle, est faite par des professionnels qui ne connaissent pas le terrain. On pourrait multiplier les exemples concrets de telles pertes de temps, d'énergie et de moyens, dont la somme produit un dysfonctionnement flagrant.
Une vraie réflexion doit en tout cas être menée en matière d'organisation de la santé et de gestion des crises. Je plaide pour un seul patron, de préférence le préfet de région ou le préfet de zone, qui dispose des moyens militaires et logistiques nécessaires. Quand la tête est bicéphale, comme c'est le cas aujourd'hui avec le préfet de zone et le directeur général de l'ARS, on perd du temps à passer de réunion en réunion, d'administration en administration, et le retard des décisions produit l'incompréhension des professionnels de santé comme de nos concitoyens.
L'une des leçons qu'il faudra tirer de cette crise, c'est donc une réforme en profondeur de notre administration de santé, afin de la remettre sous l'autorité manifeste du préfet de zone. C'est à cette condition que l'articulation avec les collectivités pourra se faire. Or l'État n'est jamais faible à s'appuyer sur ses collectivités locales, bien au contraire : c'est un gage d'efficacité. Nous l'avons bien souvent constaté - je le dis non pas dans un esprit de concurrence, mais dans un esprit d'agilité. Nous connaissons parfaitement le terrain et savons sur quels acteurs il est possible de se reposer, sur quelle solidarité citoyenne il est possible de compter. Nous sommes aussi capables de prendre des avances sur nos propres budgets ; en matière de masques, c'est ce que nous avons fait. L'objectif de notre premier appel à la générosité des entreprises et de notre première commande à l'étranger était de mettre fin à une situation où les professionnels de santé qui montaient au front au domicile de leurs patients n'étaient pas protégés - cette situation, bien qu'inadmissible, nous l'avons vécue à partir du 2 mars, date de la première entrée en réanimation au centre hospitalier de Mulhouse.
Mme Brigitte Klinkert, présidente du conseil départemental du Haut-Rhin . - Comme Jean Rottner vient de le rappeler, l'Alsace paie un lourd tribut à cette maladie, avec un nombre très important de décès dans les hôpitaux, dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), mais aussi, très certainement, à domicile. J'ai coutume de dire que c'est un véritable tsunami qui s'est abattu sur l'Alsace, et plus particulièrement sur le Haut-Rhin. Dans ce département, la surmortalité totale est de 128 %, avec un taux qui monte à 175 % pour les personnes âgées de 75 à 84 ans. C'est énorme ! Personne n'a été épargné dans son entourage. À la date d'hier, depuis le début de l'épidémie, nous en étions à 677 décès dans les hôpitaux et 637 dans les Ehpad.
Il en est résulté de très graves conséquences. La population alsacienne dans son ensemble est très touchée par ce qui s'est passé ; elle est consciente, plus qu'ailleurs sans doute, de la gravité de cette épidémie.
Au sein du conseil départemental, je crois pouvoir dire que tout s'est arrêté. La vie normale et les grands projets prioritaires ne comptaient plus. Depuis huit semaines, c'est une bataille quotidienne dans le cadre de la crise sanitaire pour assurer une série de missions, que je vais vous détailler, mais qui n'ont rien à voir avec le fonctionnement normal d'un conseil départemental. J'ai été très touchée par l'extraordinaire chaîne de solidarité qui s'est mise en place entre les différentes collectivités territoriales, quel que soit leur échelon, les services de l'État, les entreprises, les associations et les citoyens.
Le conseil départemental a bien évidemment mis en place un plan de continuité de l'activité. Nos équipes sont restées très mobilisées, plus que d'ordinaire, pour assurer nos missions essentielles, soit sur le terrain, soit en télétravail. Il a fallu changer de logiciel, et je crois pouvoir dire que nous avons fait preuve de beaucoup de réactivité et d'agilité, en toutes circonstances. Cependant, nous avons perdu beaucoup de temps dans les premiers jours de la crise, car nous avions affaire à des autorités sanitaires plus gestionnaires qu'opérationnelles, dans l'incapacité d'appréhender une crise sanitaire d'une telle ampleur. Par exemple, lors des premières cellules de crise autour du préfet et du directeur de l'ARS, nous n'avions pas de bilan humain, donc aucune visibilité sur l'importance de la crise dans le département. Les circuits d'information ont mis beaucoup de temps à se mettre en place. Je pense que nous avons perdu là un temps précieux. Fait symptomatique, nous avions mis en place dans le département une remontée d'informations des Ehpad au quotidien, pour savoir quelle était leur situation. Au bout de deux semaines, les autorités sanitaires nous ont demandé d'y mettre fin pour tout faire remonter vers Paris directement, avant de faire redescendre les chiffres trois jours plus tard.
Par ailleurs, lorsque le manque de masques s'est fait sentir, dès le départ, nous ne disposions d'aucune information sur les livraisons à attendre. Or nos services en avaient également besoin pour intervenir dans les familles en difficulté ou dans les Ehpad. On nous répondait que nous n'étions pas prioritaires. Je peux comprendre la priorité accordée aux hôpitaux, mais j'attends toujours l'appel du DG de l'ARS Grand Est, qui s'était engagé à me recontacter pour m'informer sur les prochaines livraisons...
Je récapitule : solidarité, réactivité, mais aussi proximité et efficacité. Quand on entre dans une crise pareille, très rapidement, la situation devient hors de contrôle. On n'est pas préparé à y faire face, ni en tant qu'élu, ni en tant que responsable de collectivité, ni en tant qu'être humain. Il y a un moment de sidération. À ce moment-là, seule la proximité permet de garantir l'indispensable réactivité et l'impérieuse nécessité de l'efficacité de l'action publique. Cette proximité s'est traduite, par exemple, dans notre capacité à mobiliser tous nos partenaires, y compris nos partenaires frontaliers. Notre maître mot a été : aide-toi et le Ciel t'aidera ! Devant chaque situation, nous nous sommes mobilisés pour trouver des solutions pragmatiques. Nous avons organisé des « opérations éclair », qui nous ont permis de collecter des Équipements de protection individuelle (EPI), puis de les redistribuer aux soignants et aux professionnels prioritaires. Nous avons mis en place un drive dans les sous-sols du conseil départemental, et, une fois par semaine, les professionnels viennent récupérer leurs EPI et les matériels auxquels ils ont droit.
Je souhaite aussi rappeler que les transferts de patients en direction des hôpitaux des pays voisins se sont faits de manière très spontanée. Le 20 mars, je me suis rendu compte que des patients de Colmar et de Mulhouse étaient transférés en avion, puis, par la suite, en TGV, à Marseille, à Bordeaux ou en Bretagne, alors que nous avions des hôpitaux à quelques kilomètres de chez nous, à Bâle, en Suisse, ou à Fribourg, en Allemagne. Je me suis dit : pourquoi ne pas essayer de récupérer des lits de réanimation auprès de nos voisins ? La solidarité transfrontalière a alors joué à plein, puisque, en quelques heures, les autorités du Bade-Wurtemberg, suivies par d'autres Länder , puis par des cantons suisses, ont répondu à notre appel. Nous avons en quelque sorte posé les bases d'un véritable schéma sanitaire de coopération.
Nous arrivons maintenant au jour d'après et au déconfinement. À mon sens, il va falloir veiller à ne pas voir ressurgir les vieux réflexes centralisateurs. Je me réjouis que le Premier ministre et le Gouvernement aient décidé que le déconfinement se fasse par territoire, en l'occurrence par département. Cela me semble le bon niveau. Vous l'avez compris, on ne peut pas comparer la situation du Haut-Rhin avec celle d'autres départements où le Covid-19 a été très peu présent.
Solidarité, proximité, réactivité, efficacité : tels sont les atouts qui ont été essentiels durant la crise et qui doivent nous guider à l'avenir. J'ose espérer que Paris saura tirer tous les enseignements de cet épisode dramatique. À cet égard, j'ai écrit voilà trois semaines à Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu pour leur demander qu'au sortir de cette crise, et pendant une période de six à douze mois, soit mise en place une clause générale de compétence dérogatoire pour mieux répondre aux enjeux de l'après-crise et aux attentes de nos concitoyens.
M. Stéphane Beaudet, maire d'Évry-Courcouronnes, président de l'Association des maires d'Île-de-France. - Je partage la position de Jean Rottner sur l'ARS et le nécessaire pilotage par le préfet de région. Il est plus facile de gérer une telle crise avec un seul interlocuteur au niveau local.
À l'échelle de l'Île-de-France, toutes les collectivités ont aussi marché main dans la main, notamment sur la question des masques.
Je vais parler plus précisément du niveau communal. Les discours récents, notamment celui du Premier ministre, ont d'ailleurs mis en avant le rôle et la responsabilité des maires dans la crise et pour le déconfinement. Le président Larcher rappelle régulièrement que les maires sont les élus « à portée de baffes »...
Je voudrais faire un focus sur un point qui n'a pas été évoqué par les précédents intervenants. Nous sommes certes élus, mais nous sommes aussi chefs de personnel, communal, départemental ou régional. Il a donc également fallu gérer la crise en tant qu'employeurs, organiser le télétravail, trouver le bon dosage avec le présentiel. Il nous a en effet été demandé d'organiser l'accueil des enfants des soignants mobilisés et de prendre toute mesure pour assurer la sécurité des personnels nécessaires pour faire fonctionner les services publics essentiels. Il y a eu des débats dans certaines communes pour déterminer ce qui était strictement nécessaire à la population - je pense bien évidemment à la collecte des ordures ménagères, voire à l'état civil. Or des problèmes budgétaires vont se poser à nous, avec la question du maintien du salaire des agents inactifs et la distribution de primes pour ceux qui ont continué le travail sur le terrain. Aucun dispositif de chômage partiel n'étant prévu pour les collectivités, il faudra être particulièrement vigilant sur la préservation de nos recettes.
À l'instar des élus régionaux et départementaux, les élus municipaux ont été en première ligne pour gérer la crise sur le terrain. Certaines compétences ont pu nous manquer, même si les communes ont une clause générale de compétence. Par exemple, en matière sanitaire et de santé, le maire n'a aucune compétence. Cependant, s'agissant des masques, ce sont bien les collectivités qui ont dû prendre des initiatives pour pallier les carences de l'État, y compris dans certains établissements hospitaliers. À ce sujet, le Premier ministre a déclaré mardi que les masques achetés par les collectivités à la date de son discours seraient remboursés à hauteur de 50%, mais j'ai cru comprendre qu'il y avait eu un changement hier, et que le remboursement serait possible à partir du 13 avril, date du dernier discours du Président de la République. La région Île-de-France, présidée par Valérie Pécresse, et dont je suis vice-président, a d'ores et déjà commandé 15 millions de masques.
Nous gérons aussi la crise sous son aspect social. C'est surtout maintenant que les problèmes vont surgir, puisque, nous le savons, à la crise sanitaire va succéder une crise économique et sociale violente, qui se terminera sans doute par une crise institutionnelle et politique. La question de l'accompagnement social sera bien évidemment cruciale sur la durée. À cet égard, on aurait pu penser que l'on avait progressé sur le suivi des personnes âgées isolées depuis la canicule de 2003 mais, en travaillant avec Jérôme Guedj sur son rapport, nous nous sommes rendu compte qu'il n'en était rien. L'organisation en silos des politiques publiques nous handicape au moment de gérer une crise. Par exemple, à Évry-Courcouronnes, il y a plus de 6 000 personnes de plus de 65 ans ; un peu moins de 300 étaient recensées dans notre plan Canicule. Il a fallu très vite dépasser ces outils et prendre contact par téléphone avec chacune et chacun d'entre eux pour mettre en place des dispositifs de solidarité. Nous avons réussi à en toucher 800. À l'avenir, il faudra réfléchir avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) à la question du partage des fichiers entre les services communaux et départementaux. J'ajoute que l'Association des maires d'Île-de-France (AMIF) a recensé l'ensemble des dispositifs aux niveaux régional, départemental et communal pour créer une base de données à verser au dispositif national mis en place par Jérôme Guedj. Dans une telle période, le partage de bonnes pratiques est évidemment important.
Nous sommes également en première ligne sur l'aspect économique, tant pour les entreprises que pour les familles. Vous avez tous suivi les débats sur les loyers et les charges. À la communauté d'agglomération Grand Paris Sud Seine-Essonne-Sénart, nous travaillons sur la question des factures d'eau - c'est plus facile, car nous sommes en régie -, de chauffage ou de ramassage des ordures ménagères. Dans les quartiers populaires, nous devons mettre en place un accompagnement social pour tenir compte des problèmes d'emploi, qui vont revenir en force. Dans d'autres familles, c'est l'absence de la cantine à 1 euro qui pose des problèmes pour nourrir les enfants.
Avec les moyens qui sont les nôtres et les difficultés créées par la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), puisque la clause générale de compétence n'est pas valable au niveau de l'agglomération, nous avons aussi essayé d'aider nos entreprises, notamment celles de très petite taille, qui, très souvent, passent à travers le tamis des aides. À cet égard, la réouverture des centres commerciaux de plus de 40 000 mètres carrés, qui doit être décidée par chaque préfet, va alimenter le débat ces prochains jours. En effet, il y a des centres commerciaux régionaux qui causent de la transhumance et d'autres, situés en centre-ville, qui ont un impact économique et social particulièrement important pour les habitants.
À notre échelon de proximité, nous menons également deux actions majeures.
Tout d'abord, nous avons une action de communication en direction des habitants. Le maire reste quasiment le seul élu en qui les Français ont encore confiance. En cette période particulièrement anxiogène, on sent bien que nos concitoyens, qui peinent à accorder du crédit au Gouvernement, préfèrent écouter les messages de la collectivité. Nous prenons donc sur nous de rassurer, d'informer et d'agir, même s'il est compliqué de faire de la pédagogie après un discours du Premier ministre qui soulève plus de questions qu'il n'apporte de réponses.
Ensuite, nous nous efforçons de coordonner et d'accompagner l'ensemble des initiatives. Cela peut être des initiatives régionales, comme l'achat de masques : à qui les distribue-t-on ? Comment ? Il y a également les actions sociales entreprises par les départements. Il y a enfin une coordination de l'élan solidaire que l'on voit surgir dans nos villes et nos quartiers. Je pense, par exemple, à la fabrication artisanale de masques par des couturières bénévoles.
Tout cela doit être fait dans un contexte particulièrement mouvant et flou pour nous, d'autant plus depuis mardi. En effet, si nous avons quelques réponses sur la réouverture des écoles à partir du 11 ou du 12 mai, toutes les interrogations ne sont pas levées. Nous ne savons rien encore sur le nombre d'enfants qui viendront effectivement à l'école, ni sur le nombre d'enseignants disponibles. Le maire doit-il prendre sur lui d'autoriser ou d'interdire l'accès à l'école ? Sur quels critères ? Quelle sera la responsabilité civile et pénale des maires si la maladie se diffuse au sein de l'école ? Ce n'est pas un petit sujet. Certains maires refusent d'ailleurs de rouvrir les écoles avant au moins le 25 mai, ce qui va créer encore de l'inégalité.
Je ne porte pas de jugement ; j'ouvre des débats. Je sais que les maires réclament des compétences élargies, encore faut-il que les moyens financiers suivent. De surcroît, les délais que l'on nous impose actuellement sont extrêmement serrés. Nous ne connaîtrons que mardi prochain le nombre d'enseignants disponibles, et nous ne saurons que jeudi si nous nous trouvons en zone rouge ou verte. Suivra un week-end de trois jours avant la réouverture des écoles. Convenez que l'exercice est complexe. J'y insiste, nous attendons les consolidations juridiques qui nous protégeront dans ce cas de figure.
Je ne peux conclure sans évoquer le lourd tribut payé par les maires et les élus municipaux. Par ailleurs, je pense que les circonstances du premier tour des élections municipales entraîneront certainement un problème de confiance. Nous sommes toujours dans l'attente des solutions que le Gouvernement proposera pour mener ce processus électoral à son terme.
Pour terminer sur une note positive, je dirai, comme Jean Rottner et Brigitte Klinkert, que nous devons profiter de cette crise pour recoudre le fil entre les collectivités et l'État après de trop nombreuses années de relations difficiles.
M. Jean-Marie Bockel, président . - C'était très intéressant de recueillir des témoignages d'élus de chaque niveau de collectivité et venant de régions particulièrement touchées. Il y aura beaucoup d'enseignements à en tirer.
M. Mathieu Darnaud . - Je veux particulièrement rebondir sur un propos de Jean Rottner, qui a été, comme les deux autres intervenants, un acteur majeur de cette crise, durant laquelle il a fallu composer avec de nombreuses incertitudes.
Il y a la situation que nous venons de vivre, qui nous amène à faire un certain nombre de constats, et il y a la période qui s'ouvre devant nous, avec le problème épineux du déconfinement, qui placera les élus municipaux, départementaux et régionaux en première ligne. J'insiste sur l'importance de l'articulation entre l'État et les collectivités territoriales avec, comme le disait Jean Rottner, la désignation d'un chef de file identifié, que ce soit au niveau régional ou départemental. Pour avoir participé, comme tous mes collègues, à ces fameuses réunions hebdomadaires avec l'État, j'ai pu mesurer le temps perdu dans la remontée d'information de l'État territorial vers l'État central. On gagnera à réaffirmer la position et le rôle, soit du préfet de région, soit du préfet de département pour coordonner l'ensemble des services de l'État. Trop souvent, les élus locaux n'ont pas de réponses à leurs questions, ce qui entretient un climat anxiogène.
Mme Françoise Gatel . - Je veux témoigner mon amitié, depuis la Bretagne, aux représentants de ces deux régions parmi les plus touchées par ce drame. Je les remercie de leur engagement sans faille. J'interviens aussi en tant que membre du comité de suivi de l'état d'urgence sanitaire pour le compte de la commission des Lois.
Chacun d'entre vous a parlé de cette crise protéiforme - sanitaire, économique, sociale -, qui nécessite de la réactivité et de l'anticipation. J'ai noté la difficulté pour l'État territorial à être un partenaire fiable. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait, au moins en période de crise, que l'État s'organise au niveau départemental sous la forme d'une task force rassemblant, sous un commandement unique, les ARS, les directions départementales des finances publiques, les rectorats afin que tous les élus, tous les acteurs de la crise puissent avoir une unité de relation simplifiée ?
M. Jean-Marie Bockel, président . - J'en profite pour dire qu'à la suite des auditions des présidents des trois grandes associations d'élus, François Baroin pour les maires, Dominique Bussereau pour les départements et Renaud Muselier pour les régions, nous sommes en train de finaliser, en lien avec le président du Sénat, un projet de protocole entre le Sénat des territoires et les grandes associations d'élus sur les principales mesures nécessaires en matière de déconfinement. Ce projet tient compte des déclarations du Premier ministre et de la réunion, très constructive, m'a-t-on dit, qui s'est tenue hier avec le Gouvernement. Je pense que nous pourrons finaliser cela dans la journée.
M. Charles Guené . - On est frappé par le paradoxe qui agite un peu les élus locaux. Une partie d'entre eux oppose une ferme résistance à la répartition des compétences et demeure attachée à la clause générale de compétence pour agir tous azimuts face à la pandémie. D'autres voudraient que l'État reste un chef de file très directif et goûtent assez peu les propositions faites par le Premier ministre mardi de détailler au niveau local la stratégie de déconfinement, ce qui engagera leur responsabilité. Nos concitoyens s'émeuvent d'une certaine cacophonie, surtout qu'ils observent de l'autre côté du Rhin ce que l'on pourrait appeler une « efficacité consensuelle ». Ne pensez-vous pas, comme j'ai cru le déceler dans vos propos, qu'il soit utile de refonder notre pacte républicain à l'aune de cette crise ? Avez-vous des propositions précises à faire en matière de décentralisation et de déconcentration, alors que se profile le projet de loi Décentralisation, différenciation et déconcentration (3D) ?
M. Hervé Gillé . - Dans la perspective du projet de loi 3D, vos retours d'expérience pourraient déboucher sur des propositions. Pourriez-vous faire remonter vos préconisations afin d'améliorer l'agilité de la gouvernance territoriale, notamment dans la perspective d'une deuxième vague de contamination ?
M. Raymond Vall . - Je salue nos collègues de ces régions particulièrement touchées, et les assure de toute notre solidarité. Ils sont bien placés pour nous dire comment améliorer les dispositifs de crise. Dans vos régions, avez-vous pris des mesures de soutien économique, hors conventionnement État-région-EPCI de la loi NOTRe et hors fonds national de solidarité ? Nos collectivités territoriales sont en effet très sollicitées par le tissu économique local. Les petits commerces, les petites entreprises sont en difficulté, et les communautés de communes, notamment les agglomérations, sont désireuses d'intervenir. Ces collectivités peuvent-elles intervenir directement ?
Mme Josiane Costes . - Je m'associe aux propos de mon collègue Raymond Vall. La différenciation du déconfinement ne pourrait-elle pas être encore plus accentuée ? Dans certains départements très peu touchés, comme le Cantal, ne pourrait-on pas aller plus loin dans la levée du déconfinement ?
M. Philippe Dallier . - Dans la première phase de la crise, la question du partage de la responsabilité pénale ne s'est pas posée et elle n'a certainement pas été un frein à l'action. Dans la deuxième phase qui s'ouvre maintenant à l'approche du déconfinement, les choses sont en train de changer. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, certains maires ont annoncé qu'ils ne rouvriraient pas les écoles maternelles, considérant que les conditions sanitaires n'étaient pas toutes réunies et refusant de porter cette responsabilité pénale. Que souhaiteriez-vous que le Parlement fasse, ou ne fasse pas, sur ce sujet ? Certains pensent que cela serait mal perçu - les élus locaux se défausseraient de leur responsabilité -, d'autres estiment que les choses doivent être clarifiées. L'État nous affirme que les responsabilités sont partagées, mais cela n'est pas forcément très clair, ni s'agissant des écoles, ni s'agissant des marchés forains.
M. Jean-Marie Bockel, président . - C'est la question que j'ai posée hier lors des questions d'actualité au Gouvernement. J'avais étendu la question à l'ensemble des employeurs. Ce ne sont pas les élus qui cherchent à se protéger : tous les employeurs vont être concernés ! La réponse de la garde des sceaux était très travaillée et intéressante ; elle a évoqué non une obligation de résultat, mais une obligation de moyens renforcée. Elle n'a cependant pas apporté de solution, car cette prise de position ministérielle ne vaut pas jurisprudence. La question de notre collègue Philippe Dallier reste donc d'actualité.
Mme Sonia de la Provôté . - Je vous remercie de vos contributions, nous avions d'ailleurs pu les suivre tout au long de l'évolution de l'épidémie dans vos territoires respectifs.
En mars 2020, une circulaire a été adressée à tous les établissements hospitaliers pour les informer que, désormais, seul l'État achetait certains produits, comme le curare, en raison d'un risque de pénurie dans les services de réanimation. Cette circulaire a court-circuité les pharmacies hospitalières : le niveau central souhaite désormais tout gérer ! Il me semble que les leçons n'ont pas été tirées et que l'on met des semelles de plomb aux services de réanimation. Quel est votre sentiment à cet égard ?
Le système rouge-vert est assez pervers, car anxiogène pour les territoires rouges. À l'inverse, au vu de ce qui se passe à l'approche du déconfinement, nous risquons d'assister à un important relâchement du comportement des citoyens dans les territoires verts. Que pensez-vous de ce classement ?
Les annonces du ministre de l'Éducation nationale sur l'école ont précédé celles du Premier ministre... Les communes auraient eu besoin d'au moins un mois pour s'organiser, en lien avec les départements et les régions, notamment sur la question des transports publics. Qu'en pensez-vous ?
La question de la responsabilité pénale des élus locaux monte en puissance.
Des inquiétudes sont apparues très récemment quant à l'impact du Covid-19 sur l'état sanitaire des jeunes enfants. Or le conseil scientifique avait émis un avis négatif à la reprise de l'école dans ces conditions. Que pensez-vous du hiatus entre décisions sanitaires, politiques et économiques ? Le confinement a été une décision sanitaire, le déconfinement est une décision économique.
M. Philippe Pemezec . - Il va être urgent de reconsidérer les relations entre l'État et les communes. La crise a montré où se situait l'efficacité. L'État veut tout faire, mais ne fait pas tout bien. Il prend des mesures d'ordre général, comme la fermeture sans discernement des marchés de plein air. Il a aussi montré son incapacité à fournir des masques. Il a interdit à la médecine libérale d'administrer certains traitements qui font certainement défaut - je vous renvoie aux interviews du Professeur Raoult de ce matin. L'État nous impose une densité outrancière, notamment en Ile-de-France. Il est urgent de revenir à une densité plus raisonnée.
J'aimerais pouvoir développer les tests pour les habitants de ma commune. Nous pouvons fabriquer des masques de manière artisanale, mais pas des tests ! Il semblerait que les laboratoires n'aient même pas les produits nécessaires pour les réaliser. L'État est-il capable de nous aider a minima sur cette question ?
Mme Catherine Troendlé . - Je tiens à remercier tout particulièrement Brigitte Klinkert et Jean Rottner pour leur implication au quotidien dans cette crise. Celle-ci n'a pas été anticipée, notamment par la sécurité civile. Nous aurions eu besoin d'une chaîne de remontées efficace avec le préfet qui pilote l'ARS, la sécurité civile, les chambres de métiers, les chambres de commerce et d'industrie, les laboratoires de biologie, etc. La sécurité civile dispose pourtant de protocoles de gestion de crise en cas d'accident nucléaire, radiologique, biologique ou chimique (NRBC). La direction générale de la sécurité civile, sous l'égide du ministère de l'Intérieur, gère ces plans, déclinés aux niveaux régional, départemental et local. Cela permet de déployer des plans d'action avec les élus locaux. S'il existait une véritable coordination entre le ministère de la santé et celui de l'intérieur, nous n'en serions pas là. Pensez-vous que nous arriverons à une gestion de crise similaire à celle organisée par la sécurité civile ?
M. François Bonhomme . - Dans son discours sur le déconfinement, le Premier ministre a évoqué les masques. On assiste à un changement de doctrine. Les collectivités territoriales avaient déjà pris des initiatives pour distribuer des masques à leur population, notamment des masques grand public. Mais la question du financement se pose. Le Premier ministre a annoncé une prise en charge à 50 % par l'État, mais avec deux restrictions : cette prise en charge ne concernerait que les commandes réalisées à compter du jour du discours - quid de ceux qui avaient déjà passé leurs commandes ? - et elle se ferait sur la base d'un prix de référence que l'on ne connaît pas encore. Or les masques que nous avons achetés coûtent entre 5 et 6 euros l'unité et non pas 2 ou 3 euros. Les communes sont confrontées à ces questions très pratiques.
M. Bernard Delcros . - Je remercie nos intervenants. Nous sommes d'accord sur la nécessité d'un chef de filat, mais il faut bien réfléchir à l'échelle adéquate. Je considère qu'il faudrait renforcer le rôle des préfets de département, car on mesure bien dans cette crise l'importance de la proximité. Les préfets de département sont les mieux placés pour faciliter la coordination, l'agilité et l'adaptation au terrain. Qu'en pensez-vous ?
M. Marc Daunis . - Je salue nos invités et les remercie pour leurs interventions. Je partage la question de notre collègue Bernard Delcros. Des pouvoirs XXL ont été donnés aux exécutifs locaux, c'est une bonne chose. Le processus électoral municipal a été interrompu, en maintenant de lourdes tensions issues de la campagne - certains exécutifs sont aujourd'hui minoritaires dans leurs conseils. Or il est peu probable que le deuxième tour des élections municipales ait lieu au mois de juin. En cas de report, ne conviendrait-il pas de procéder rapidement à l'élection des exécutifs afin de refonder leur légitimité et leur efficacité et de redonner confiance et sérénité à la commune ? Cela permettrait par ailleurs de débloquer certaines situations intercommunales.
M. Stéphane Beaudet . - Nous sommes dans un délicat entre-deux : les agglomérations ne sont pas installées, les conseils municipaux non plus. Par exemple, à Chilly-Mazarin, c'est le maire sortant, battu, qui gère la crise. Il m'est difficile de vous répondre tant que l'on ne connaîtra pas la date retenue par le Gouvernement pour organiser la suite de ces élections municipales : juin ? Septembre ? Mars 2021 ? Il va falloir trouver rapidement un mode de fonctionnement, y compris pour les conseils municipaux élus dès le premier tour. Le Premier ministre a annoncé que leurs exécutifs devraient être rapidement installés dès le début du déconfinement, mais les réunions restent limitées à dix personnes... Ces conseils pourront-ils être installés dès le 13 mai ou faudra-t-il attendre le 2 juin ? Nous attendons de connaître la volonté gouvernementale sur les élections municipales. C'est bien évidemment un acte politique dans un calendrier politique très contraint, avec la perspective des élections départementales, régionales, présidentielle et législatives.
S'agissant du renforcement des pouvoirs des préfets de département, je considère que tous les départements et toutes les régions ne se ressemblent pas. En Ile-de-France, seul le préfet de région est à même de dialoguer avec la région sur la question de la reprise des transports publics.
L'AMIF s'est battue pour plus de souplesse sur les marchés forains dans les quartiers. Le Premier ministre avait annoncé leur maintien prioritairement dans les territoires ruraux, mais leur disparition dans les quartiers populaires constituait une véritable catastrophe sociale. Nous avons obtenu l'autorisation de les rouvrir, mais des différences d'appréciation sont apparues entre les préfets de département, et la situation n'est pas la même entre les Hauts-de-Seine, les Yvelines et l'Essonne. Le préfet encourt également la mise en cause de sa responsabilité civile personnelle : lui aussi peut être amené à se protéger.
Je partage la remarque de Philippe Pemezec sur la densité en Ile-de-France, où l'on nous contraint à construire 70 000 logements par an. Dans ce type de crise, l'Ile-de-France est dans un paradoxe délicat à résoudre : région la plus dense de France, le déconfinement y est compliqué, avec un risque de retour de l'épidémie ; mais c'est aussi la locomotive économique du pays avec 30 % du PIB national. Le calcul est donc non seulement sanitaire, mais aussi politique et économique.
Je suis plutôt favorable à la sectorisation rouge-vert, car c'est un moyen de prendre en compte les différentes réalités de terrain. L'information sur le code rouge ou vert nous sera toutefois donnée très tardivement, quelques jours à peine avant la réouverture des écoles.
Dans un pays qui fonctionne traditionnellement en entonnoir, nous devons désormais réfléchir en triangulation, en prenant en compte la situation des transports publics, la question de la reprise du travail et celle de la reprise de l'école.
Faut-il aller plus loin dans le déconfinement de certains territoires ? Je n'en suis pas certain. Il y a une anxiété très forte dans le pays. Nous sortirons de cette crise multiple - sanitaire, économique, sociale - par un regain de confiance ; or celle-ci n'est pas encore au rendez-vous.
Les mairies et agglomérations d'Ile-de-France travaillent actuellement sur un projet d'aide aux entreprises, notamment celles de petite taille. C'est un dispositif non pas cumulatif, mais complémentaire de celui de l'État.
Il existe un paradoxe : les maires veulent plus de pouvoir - les maires de France font déjà partie de ceux qui ont le plus de pouvoirs dans le monde -, mais n'en veulent pas lorsqu'on leur en donne. Il y a en effet une rupture de confiance avec le pouvoir central et une attrition des moyens. Il faut résoudre ce paradoxe. La crise actuelle doit nous permettre de rouvrir ce chapitre. Les questions du statut de l'élu et de sa responsabilité sont des sujets que l'on ne pourra pas mettre sous le tapis.
M. Jean Rottner . - Je vous remercie pour la densité de vos questions. Catherine Troendlé a bien cerné le sujet en évoquant le NRBC : avec cette épidémie mondiale, nous sommes dans une guerre bactériologique. Mais nous avons du flou en face de nous, par exemple, sur le lien entre le syndrome de Kawasaki chez les enfants et le Covid-19. Nous devons admettre ce flou et vivre avec tout en poursuivant notre réflexion sur l'organisation. Nous avons aussi dû faire face à de nombreuses indécisions, parfois scientifiques, avec rapport contre rapport, polémique contre polémique.
Avec le déconfinement, nous sommes face à un oxymore : lentement, le plus vite possible. Nous devons tâcher de rectifier et d'anticiper. Dans une crise, pour gagner, il faut toujours avoir un coup d'avance et faire un pas de côté pour prendre des décisions qui gagneront l'épidémie de vitesse.
L'organisation zonale de la sécurité civile existe, avec un préfet de zone chargé de la sécurité qui peut mobiliser l'armée, les forces de sécurité civile, la police, les hôpitaux, etc. Or on n'y a pas toujours fait référence. Il y a une forme d'autorité à reconsidérer en cas de crise majeure. Par rapport au préfet de département, le préfet de région a une vision plus large et les moyens d'apporter du renfort sur une partie du territoire régional. Je crois au rôle essentiel du préfet de zone. Nous avons une organisation militaire, une organisation sanitaire et une organisation civile : ça commence à faire beaucoup ! Nous pourrions au moins simplifier les organisations sanitaire et civile. Si nous donnions un rôle de coordination et des pouvoirs supplémentaires au préfet de zone, cela amènerait plus de cohérence.
En quelques jours, la région, les dix départements et les 169 intercommunalités ont réussi à mettre en place un fonds baptisé « résistance ». Chacun y a mis 2 euros par habitant, y compris la Banque des Territoires, qui s'est décidée en seulement quatre jours. Ce sont ainsi 45 millions d'euros qui sont attribués dans des comités d'engagement locaux à de très petites entreprises, des indépendants, des commerçants, des artisans, des structures culturelles ou sportives - structures qui passaient au travers des mailles du filet des grands dispositifs nationaux. Il s'agit d'avances remboursables et non pas de subventions, ce qui nous permet d'être dans de l'investissement et non dans du fonctionnement.
Nous devons vivre avec l'épidémie, y compris dans le Cantal. Dans certains secteurs, nous devons être plus stricts qu'aujourd'hui. Des stratégies locales peuvent être développées, comme l'a évoqué Philippe Pemezec. Je ne souhaite pas revivre avec les tests la situation que nous avons vécue pour les masques. Nous manquons d'écouvillons. Il y a une inégalité entre citoyens sur la capacité à être détecté. C'est pourquoi la région Grand Est a décidé, en concertation avec l'État, de créer une société d'économie mixte chargée d'acquérir des tests virologiques et sérologiques pour les mettre à la disposition des acteurs, laboratoires publics et privés, et éviter ainsi de dépendre d'une flambée des prix ou d'une pénurie. Nous avons anticipé la décision gouvernementale afin d'équiper l'ensemble du territoire régional. Il faudra d'ailleurs renforcer les tests dans les zones rouges par rapport aux zones vertes. En outre, les tests devront être plus systématiques que ce qui est préconisé par l'État. Nous avons vu la transformation de la doctrine de l'État, qui s'est adaptée à la disponibilité des masques...
En termes d'aménagement du territoire, la santé reste une compétence nationale, mais malheureusement trop d'acteurs s'en occupent par défaut : la région, le département, les intercommunalités, les communes. Nous sommes tous présents sur les sujets de santé. Je pense par exemple à la dépendance et aux Ehpad - sujet de santé majeur dont s'occupe le département - ou à la formation des personnels paramédicaux. Chaque année, la région Grand Est consacre 120 millions d'euros à la politique de santé. Malgré cela, il est difficile d'avoir une organisation cohérente : il y a des décisions administratives, des décisions budgétaires, mais pas de véritable construction d'une stratégie de santé à l'échelle de notre territoire. Nous devons changer de modèle et construire des politiques sanitaires de proximité. Il y a une révolution à faire au niveau des ARS.
Quatre sujets sont aujourd'hui majeurs pour nos concitoyens et déterminants pour l'attractivité d'un territoire : le très haut débit, les mobilités, les formations et la santé. La santé ne peut pas être gérée depuis Paris ou avec une vision purement comptable. Je ne revendique pas forcément la compétence santé pour la région, cette politique pourrait parfaitement être gérée par les départements, qui s'occupent déjà de l'enfance en danger et de la dépendance. Dans la refonte de notre pacte républicain, nous devons avancer sur cette question des compétences.
Mme Brigitte Klinkert - Lorsque le tsunami du Covid-19 a déferlé sur le Haut-Rhin, nous n'étions pas préparés, mais nous avons dû faire front. Nous avons la chance d'avoir un préfet avec lequel les relations de travail sont excellentes. Mais tout ne peut dépendre des seuls facteurs humains. Dans cette crise, nous avons vu les failles et les limites de l'organisation de l'État et de l'organisation sanitaire de notre pays. Il me semble indispensable que le préfet de département soit le pilote de l'ensemble des services déconcentrés de l'État sur le territoire, avec a minima une task force à sa disposition, à laquelle les élus locaux seraient associés. Le nouveau périmètre issu de la création des grandes régions ne devait pas entraîner d'alignement systématique des services de l'État ; or nous avons assisté à une harmonisation concernant le rectorat et l'administration sanitaire. Lorsque des patients de réanimation ont été transférés de Mulhouse ou de Colmar vers d'autres régions françaises ou d'autres pays, les décisions ont été prises à l'échelle zonale - et donc à Nancy. Cela a posé de terribles problèmes. Je plaide pour une organisation au niveau local, car le système actuel est inopérant.
Nous nous attendons à ce que le Haut-Rhin soit un département rouge. C'est une bonne chose que nous sortions du confinement département par département. J'appelle à la plus grande prudence. Alors qu'elle se déconfine depuis quelques jours, l'Allemagne assiste déjà à une reprise de l'épidémie de Covid-19. Notre département a connu plus de 128 % de surmortalité : l'État doit adapter ses moyens en fonction des territoires. En matière de dépistage, d'équipements de protection et de mesures de soutien à la reprise économique, il faut une stratégie partagée entre le niveau national et les territoires, avec des indicateurs communs.
S'agissant des écoles, je préconise la prudence et la différenciation. Durant ces deux mois, j'ai pris des décisions sur lesquelles ma direction juridique m'avait mise en garde ; par exemple, sur les tests sérologiques que j'ai fait réaliser dans les Ehpad pour que nos directeurs et médecins coordonnateurs disposent d'une cartographie du passage du virus au sein de leur établissement.
Le couple Länder-Bund fonctionne bien en Allemagne, dans la proximité et le partage de compétences. J'ai écrit à Mme Jacqueline Gourault afin de lui demander de pouvoir sortir du carcan de la loi NOTRe et de bénéficier d'une clause de compétence générale pendant un certain temps, compte tenu de la situation exceptionnelle, et pour répondre aux attentes du monde économique.
Sur les masques textile, nous avons assisté à un revirement : ils sont désormais préconisés, voire obligatoires dans les transports en commun. De nombreux Haut-Rhinois portent déjà de tels masques. Le 16 avril dernier, le département a fait une commande groupée avec les EPCI de 770 000 masques, au prix unitaire de 2,16 euros, auprès de Pôle textile Alsace. Ils seront livrés peu après le 11 mai. Mais les normes évoluent sans cesse : il y a trois jours, Pôle textile Alsace a dû changer de cylindre, ce qui a occasionné quarante-huit heures de retard pour la livraison ! Nos concitoyens nous demandent de leur fournir des masques ; en Allemagne, le maire d'une commune voisine a conseillé à ses concitoyens de fabriquer eux-mêmes leurs masques avec les tutoriels disponibles sur internet.
Pragmatisme, efficacité, proximité, « aide-toi et le ciel t'aidera » sont les conclusions que j'ai tirées de cette crise sanitaire.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Je remercie nos invités. Nous sommes en phase avec les enjeux de la période. Sachez que nous publierons dans la journée le protocole que j'ai mentionné au début de notre téléconférence.