B. L'AVIS DE LA COUR DE JUSTICE DE L'UNION EUROPÉENNE DE 2014 : UN COUP D'ARRÊT À L'ADHÉSION

La CJUE, par son avis 2/13 rendu en assemblée plénière le 18 décembre 2014, a jugé que le projet d'accord d'adhésion n'était pas compatible avec le droit de l'Union européenne.

Il convient de noter que, dans sa prise de position , présentée le 13 juin 2014, l'avocat général, Mme Juliane Kokott, avait, quant à elle, estimé que le projet d'accord était compatible avec les traités, assortissant son propos d'un certain nombre de réserves d'interprétation.

Cette décision s'est traduite de facto par un arrêt du processus d'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'Homme, qui avait déjà duré cinq ans - selon certains auteurs, cet avis de la CJUE « renvoie aux calendes grecques toute perspective d'adhésion de l'Union à la CEDH » 17 ( * ) . Elle est d'autant plus notable que les dispositions rendant possible cette adhésion avaient été introduites dans le traité de Lisbonne, comme l'avait requis l'avis de la Cour de 1996.

Dans son avis 2/13, la CJUE a relevé sept motifs d'incompatibilité du projet d'accord d'adhésion avec le droit de l'Union.

En premier lieu , elle a observé que le projet d'accord n'assure pas de coordination entre l'article 53 de la CEDH et l'article 53 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui autorisent tous deux des standards nationaux de protection des droits fondamentaux plus élevés que ceux qu'ils prévoient . Or, la Cour a jugé que la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union pouvaient limiter la faculté des États membres de prévoir des standards nationaux de protection des droits fondamentaux plus élevés que ceux de la Charte, de sorte qu'une coordination entre la mise en oeuvre de ces deux dispositions est nécessaire, en cas de conflit entre les deux niveaux de protection. Alors que la Cour européenne des droits de l'Homme exige dans certains cas qu'un État vérifie le respect des droits fondamentaux par un autre État 18 ( * ) , la CJUE a cherché à éviter le risque de neutralisation de sa jurisprudence Melloni 19 ( * ) , selon laquelle le niveau de protection des droits fondamentaux garanti par le droit interne d'un État membre ne doit pas être supérieur à celui que garantit le droit de l'Union.

Deuxièmement , alors que le principe de confiance mutuelle entre les États membres a une importance fondamentale dans l'Union européenne, ce qui exclut en principe qu'un État membre, plus particulièrement pour ce qui concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice, vérifie le respect des droits fondamentaux par un autre État membre, le projet d'accord d'adhésion ne prend pas en compte cette spécificité de l'ordre juridique de l'Union.

En troisième lieu , le protocole n° 16 à la CEDH, qui permet aux plus hautes juridictions des États membres d'adresser à la Cour européenne des droits de l'Homme des demandes d'avis consultatif, pourrait amener ces juridictions à interroger plutôt la Cour de Strasbourg par cette voie que la Cour de Luxembourg par la voie de la procédure du renvoi préjudiciel classique , prévue à l'article 267 du TFUE, même quand leurs questions sont en relation avec le droit de l'Union. Faute d'une articulation entre les dispositions du protocole n° 16 et celles de l'article 267, la CJUE a écarté le risque de contournement du renvoi préjudiciel .

Le quatrième motif d'incompatibilité tient à ce que la CJUE considère que le projet d'accord d'adhésion porte atteinte à l'article 344 du TFUE, qui interdit aux États membres de régler leurs différends portant sur le droit de l'Union devant d'autres juridictions internationales qu'elle-même. En effet, le projet d'accord d'adhésion n'exclut pas la possibilité pour deux États membres de l'Union de porter devant la Cour européenne des droits de l'Homme un différend relatif au droit de l'Union. La Cour a ainsi cherché à préserver sa compétence exclusive en la matière. Elle a en effet estimé que l'article 33 de la CEDH autoriserait un État membre de l'Union européenne à poursuivre en manquement un autre État membre devant la Cour européenne des droits de l'Homme pour résoudre un litige en droit de l'Union soulevant une question d'application de la CEDH.

En cinquième lieu , la CJUE considère que le mécanisme du codéfendeur , création du projet d'accord permettant, en particulier, à l'Union de se porter également défendeur dans un litige dirigé contre un État membre et mettant en cause le droit de l'Union, pourrait amener la Cour de Strasbourg à se prononcer sur la répartition des compétences entre l'Union et ses États membres . D'une part, le projet d'accord d'adhésion prévoit que la Cour européenne des droits de l'Homme vérifie la « plausibilité » des arguments mis en avant pour démontrer que le droit de l'Union est effectivement en cause. D'autre part, si, en principe, cette Cour doit condamner solidairement l'Union et l'État membre en cause, le projet d'accord d'adhésion permet à la Cour de Strasbourg de décider que seul l'un d'entre eux est responsable de la violation. Pour la CJUE, la Cour de Strasbourg ne saurait pouvoir se substituer à elle pour régler une question relevant de sa compétence exclusive.

Sixièmement , la CJUE considère que le mécanisme de l'implication préalable , qui lui permet, lorsqu'elle n'en a pas déjà eu l'occasion, de se prononcer sur la compatibilité d'une disposition du droit de l'Union avec la CEDH avant que la Cour européenne des droits de l'Homme ne statue sur le litige, devrait être étendu . D'une part, le projet d'accord d'adhésion n'exclut pas la possibilité que la Cour de Strasbourg interprète elle-même la jurisprudence de la Cour de Luxembourg afin d'apprécier si cette dernière s'est déjà prononcée sur la compatibilité de la disposition du droit de l'Union en cause avec les droits fondamentaux, et donc s'il convient de faire usage du mécanisme de l'implication préalable. D'autre part, si le projet d'accord d'adhésion prévoit la saisine de la CJUE au moyen de la procédure de l'implication préalable, afin qu'elle se prononce sur une question de validité du droit dérivé ou d'interprétation des traités de l'Union, il n'envisage pas une telle saisine afin qu'elle se prononce sur une question d'interprétation du droit dérivé. Par ailleurs, la CJUE exige une communication automatique de toute affaire pendante devant la Cour européenne des droits de l'Homme afin de pouvoir elle-même apprécier si elle a déjà statué sur la même question.

Enfin, en septième lieu , la CJUE considère que le projet d'accord d'adhésion habiliterait la Cour européenne des droits de l'Homme, qui est un organe externe à l'Union, à contrôler la conformité aux droits fondamentaux de l'ensemble de la PESC, y compris les actes et comportements qui échappent à la compétence de la CJUE en vertu des traités. Celle-ci estime que cela reviendrait à attribuer un contrôle exclusif à la Cour de Strasbourg dans le domaine de la PESC .

Au total, l'avis 2/13 met en avant une vingtaine de fois l'autonomie du droit de l'Union européenne, qui serait mise à mal par le projet d'accord d'adhésion, et que la CJUE cherche à préserver.

Ces motifs d'incompatibilité ont été abondamment commentés et critiqués par la doctrine qui a pu relever le caractère défensif de l'avis de la CJUE, qualifié de « grande déception » par la Cour de Strasbourg. Par exemple, d'aucuns ont pu parler d'une « obsession du contrôle. Car derrière la longue liste de griefs qu'adresse la Cour au projet de la Commission, semble se dissimuler une aversion profonde à l'idée de céder la moindre parcelle de souveraineté juridictionnelle sur le droit de l'Union » 20 ( * ) . D'autres ont reproché à la Cour « embourgeoisement, autosatisfaction ou manque de courage » 21 ( * ) ou ont déploré « une attitude résolument défensive » et « le manque de confiance [de la Cour] dans l'aptitude des juridictions suprêmes nationales à se soumettre pleinement aux obligations des traités », ainsi que « le faible crédit accordé à Strasbourg pour prendre en compte les particularités du système juridictionnel de l'Union » 22 ( * ) . Toutefois, certains auteurs ont aussi soutenu l'avis de la Cour, qui met en évidence « un esprit de cohérence témoignant d'une vision globale » 23 ( * ) .

Pour autant, l'avis 2/13 indique comment le projet d'accord d'adhésion devra être modifié de manière à écarter ces différents motifs d'incompatibilité. Il constitue donc le cadre de référence pour la relance du processus d'adhésion. Mais il met également en évidence des difficultés importantes délicates à surmonter, en particulier sur le mécanisme de codéfendeur et la PESC.


* 17 Nicolas Petit et Joëlle Pilorge-Vrancken, Avis 2/13 de la CJUE : l'obsession du contrôle ? , RAE - LEA 2014/4.

* 18 Cour EDH, arrêt Tarakhel du 4 novembre 2014 ( n° 29217/12 ), portant sur l'application du règlement de Dublin.

* 19 CJUE, arrêt Melloni du 26 février 2013 ( aff. C-399/11 ).

* 20 Nicolas Petit et Joëlle Pilorge-Vrancken, op. cit.

* 21 Henri Labayle, op. cit.

* 22 Jean Paul Jacqué, Non à l'adhésion à la Convention européenne des droits de l'Homme ? , 23 décembre 2014, www.droit-union-europeenne.be

* 23 Fabrice Picod, La Cour de justice a dit non à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention EDH. Le mieux est l'ennemi du bien, selon les sages du plateau de Kirchberg , La Semaine juridique, n° 6, 2015, pages 230-234.

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