V. AXE 5 - SÉCURISER LE FINANCEMENT, SIMPLIFIER LE DÉPLOIEMENT ET RELOCALISER LA CHAÎNE DE VALEUR DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

La crise a une incidence , tout à la fois financière et administrative, sur les projets d'EnR.

Sur le plan financier, le contexte de crise ne favorise pas l'éclosion de tels projets .

Tout d'abord, la baisse des prix des hydrocarbures pèse sur la rentabilité, et donc sur l'attractivité, des investissements dans les EnR.

C'est pourquoi la présidente du HCC a indiqué aux sénateurs qu'il n'existait plus de « signal-prix » en faveur de la transition énergétique, c'est-à-dire de prix de marché incitant à investir ou consommer dans cette direction.

En outre, la baisse des prix de l'électricité élève le coût pour les pouvoirs publics des dispositifs de soutien (obligations d'achat et complément de rémunération) aux EnR.

En effet, on a déjà indiqué que, plus les prix du marché de gros de l'électricité - actuellement de 21 euros / MWh - sont faibles, plus les CSPE
- estimées entre 122,3 et 172,2 milliards dans la PPE pour un prix de 56 ou 42 euros / MWh - sont importantes.

Aussi des prix durablement faibles éprouveraient-ils la soutenabilité de ces dispositifs.

Enfin, la baisse de la demande d'énergie, et singulièrement de carburants, érode les recettes de la fiscalité énergétique , qui financent largement les EnR.

Pour preuve, avec 6,3 milliards d'euros en 2020, le compte d'affectation spéciale Transition énergétique (CAS TE) est encore à ce jour le premier moyen de financement des EnR.

Or, il est presqu'exclusivement financé par la TICPE, dont les recettes pourraient être globalement fragilisées : en effet, pour la seule part perçue par l'État, elles s'élèveraient à 12,9 milliards d'euros en 2020, contre 14,5 milliards d'euros initialement prévus, en baisse de 1,6 milliard d'euros, soit 11 % 51 ( * ) .

Appelant à la plus grande vigilance, les sénateurs jugent nécessaire de sécuriser le modèle de financement des EnR : la prorogation après le 31 décembre 2020 du CAS TE ... dont l'Assemblée nationale a voté la clôture contre l'avis du Gouvernement à l'occasion de la dernière loi de finances initiale... en est le préalable incontournable.

Complémentairement, ils appellent à revaloriser le Fonds chaleur renouvelable, géré par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), dont le montant demeure insuffisant : la PPE mentionne ainsi 350 millions d'euros prévus à compter de 2020, contre 600 millions d'euros estimés en 2020 dans l'ancienne, en baisse de 42 %.

Outre ces difficultés financières, le contexte de crise engendre une désorganisation administrative préjudiciable aux projets EnR.

En amont, les appels d'offres ou à projets s'en trouvent déstabilisés.

Si le calendrier de plusieurs appels d'offres a été révisé, le 1 er avril dernier, des ajustements complémentaires peuvent lui être apportés : en accord avec les professionnels, certains appels d'offres pourraient être reportés ou fractionnés, des sessions additionnelles devant en outre être organisées afin de s'assurer que l'ensemble des capacités ouvertes ont bien été attribuées malgré le contexte de crise.

Plus encore, les sénateurs appellent le Gouvernement à ne pas relâcher l'effort sur quatre appels à projets dont le calendrier est éprouvé par le contexte de crise : les appels à manifestation d'intérêt (AMI) sur les biocarburants aéronautiques durables dans le transport aérien, la mobilité hydrogène dans le secteur ferroviaire et la production, la conception et l'usage des projets d'hydrogène ainsi que l'appel à projets Biomasse, chaleur, industrie, agriculture, tertiaire (BCIAT).

Dès à présent, les sénateurs invitent le Gouvernement à anticiper les dispositifs de soutien qui pourraient être institués par l'Union européenne.

Compte tenu des annonces faites par la présidente de la Commission européenne, le 27 mai dernier, la transition énergétique pourrait occuper une place centrale dans le Plan de relance européen, de 1 850 milliards d'euros, qui intègre le Pacte vert, avec notamment :

- la création du Fonds Next generation UE, 500 milliards d'euros de subventions et 250 milliards d'euros de prêts aux États membres destinés à financer des investissements publics respectant un « serment vert » de « ne pas nuire » ;

- la revalorisation du Fonds de transition juste, à hauteur de 32,5 milliards d'euros, pour prendre en charge les reconversions induites par la transition énergétique ;

- la mobilisation du programme Horizon Europe - dispositif de subventions en matière de recherche et d'innovation - en direction des investissements dans les « technologies essentielles » à la « transition vers une énergie propre » , et du Plan d'investissement pour l'Europe - dispositif de prêts et de garanties - en faveur de la rénovation du parc immobilier ainsi que des véhicules et des carburants durables.

Le Gouvernement doit veiller à ce que les entreprises françaises soient pleinement éligibles à ces dispositifs de soutien et bénéficient, pour les plus petites d'entre elles, d'un appui en ingénierie pour s'en saisir 52 ( * ) .

En aval, la mise en oeuvre des projets d'EnR est également perturbée.

La crise a entraîné des retards dans l'instruction des projets, la consultation du public, la conduite des chantiers ; certaines autorisations arrivent à échéance.

Dans ce contexte, les professionnels ont besoin de délais supplémentaires pour la mise en service des installations.

Ils souhaitent le prolongement des autorisations arrivant à échéance , au-delà du champ et du délai de trois mois suivant la fin de l'état d'urgence sanitaire, prévu par une ordonnance 53 ( * ) prise sur le fondement de l'article 11 de la loi « d'urgence sanitaire » .

Ils attendent des services déconcentrés de l'État un appui « facilitateur » : une circulaire de la ministre de la transition écologique et solidaire pourrait sensibiliser les services en charge de la coordination de l'instruction des projets d'EnR aux enjeux de la reprise économique , afin d'identifier les projets en souffrance et de faciliter leur mise en oeuvre.

Au-delà de ces ajustements d'urgence, c'est une relocalisation de la production des EnR qui est attendue par les industriels français et européens.

C'est pourquoi les sénateurs jugent crucial d'appliquer rapidement le critère du « bilan carbone » , introduit à l'initiative du Sénat dans le cadre de la loi « Énergie-Climat », pour l'attribution par appels d'offres des dispositifs publics de soutien aux EnR.

Interrogée par les sénateurs, la présidente du HCC a indiqué que ce critère est « clairement pertinent d'un point de vue commercial et compétitif » mais aussi « du point de vue des émissions » puisque « l'analyse en cycle de vie peut aussi appeler à une certaine retenue dans l'utilisation et le recyclage des matériaux ».

À terme, ce critère doit être étendu aux dispositifs attribués en guichets ouverts.

22. Sanctuariser le financement des EnR en prorogeant le CAS TE après le 31 décembre 2020.

23. Rehausser les crédits du Fonds chaleur renouvelable au niveau des 600 millions d'euros de besoins estimés dans la précédente PPE.

24. Ajuster le calendrier des appels d'offres, en lien avec les professionnels (reports complémentaires, fractionnements éventuels, sessions additionnelles).

25. Mener à bien les appels à projets en cours (biocarburants, hydrogène, BCIAT).

26. Anticiper les dispositifs de soutien envisagés dans le cadre du Plan de relance et du Pacte vert européens en veillant à ce que les entreprises françaises soient pleinement éligibles et disposent, pour les plus petites d'entre elles, d'un appui en ingénierie pour s'en saisir.

27. Accorder des délais supplémentaires pour la mise en service des projets d'EnR.

28. Proroger les autorisations délivrées, au-delà du champ et du délai prévus par l'ordonnance du 25 mars 2020 sur les délais échus.

29. Sensibiliser les services en charge de la coordination de l'instruction des projets d'EnR aux enjeux de la reprise économique, par une circulaire leur demandant d'identifier les projets en souffrance et de faciliter leur mise en oeuvre.

30. Relocaliser la production des EnR, en mettant en place le critère du « bilan carbone » pour les dispositifs publics de soutien attribués par appels d'offres et en envisageant son extension à ceux attribués en guichets ouverts.


* 51 PLFR 3.

* 52 Cet effort pour l'accès des entreprises, notamment des plus petites d'entre elles, aux dispositifs de soutien publics en faveur de la transition énergétique, doit aussi être poursuivi nationalement.

À cet égard, les sénateurs relèvent que, si le Plan d'accélération de la transition écologique des TPE et des PME, présenté par la ministre de la transition écologique et solidaire, le 5 juin dernier, prévoit des dispositifs utiles - optimisation des flux, évaluation des stratégies, « prêts verts », « prêts d'économies d'énergie » - leur dimensionnement est limité, tant au regard :

- du nombre d'entreprises concernées (100 entreprises en 2020 pour le premier, 30 entreprises en 2020 pour le deuxième, 1 000 entreprises d'ici à 2025 pour le dernier) ;

- que des montants engagés (100 millions d'euros pour le troisième, 137,5 millions d'euros pour le dernier).

* 53 Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.

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