B. LES TERRITOIRES D'INDUSTRIE : UNE ÉBAUCHE D'APPROCHE TERRITORIALE QUI DEVRA FAIRE SES PREUVES
1. Un programme visant à accompagner les projets émanant des territoires industriels prioritaires
Dans son discours du 22 novembre 2018 devant le Conseil national de l'Industrie, le Premier ministre M. Édouard Philippe annonçait le lancement du programme « Territoires d'Industrie ». Celui-ci faisait suite à la mission de cadrage conduite par M. Harold Huwart, vice-président de la Région Centre-Val de Loire ; Mme Clémentine Gallet, dirigeante de Coriolis Composites ; M. Olivier Lluansi, associé chez EY ; Mme Virginie Carolo, maire de Port-Jérôme-sur-Seine ; M. Bruno Bonnell, député du Rhône ; et appuyée par le CGET et la direction générale des entreprises.
Dispositifs inclus dans le programme « Territoires d'industrie »
Source : Gouvernement, 2019
Localisation des 141 « Territoires d'industrie »
Source : Gouvernement, 2019
« Territoires d'Industrie » est conçu comme le volet territorial de la politique industrielle du Gouvernement, là où la stratégie de filières représente le volet sectoriel, et des programmes comme « Industrie du Futur » le volet thématique. M. Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d'Industrie, a décrit le programme comme : « une nouvelle brique de politique industrielle » . 375 ( * ) Le principe est celui d'un ciblage vers 141 « Territoires d'Industrie » de plusieurs dispositifs existants de soutien aux entreprises industrielles, qu'ils soient budgétaires, financiers ou d'accompagnement. Les bassins visés, comptant entre 50 000 et 150 000 habitants et une ou deux villes de taille moyenne, souvent conçus à l'échelle de plusieurs intercommunalités, ont été choisis à la suite d'une étude, en fonction des besoins prioritaires et de la mobilisation des acteurs locaux, des ajustements ayant conduit à retenir plusieurs territoires supplémentaires aux 124 initialement identifiés. 17 dispositifs de soutien, représentant plus de 1,3 milliards d'euros de fonds publics, devraient être « orientés prioritairement » vers ces projets de territoire.
La gouvernance de « Territoires d'Industrie » se veut un modèle décentralisé, laissé à la main des acteurs locaux et des industriels. Ainsi, le Premier ministre a insisté sur la singularité du pilotage régional : « Les projets devront d'abord être gérés et animés par les acteurs locaux : industriels, maires, présidents d'EPCI. Car c'est par là que tout commence. Mais, le pilote du dispositif, ce sera le président de région. Parce que la région est désormais devenue le principal acteur du développement économique territorial. J'entends souvent dire que nous aurions des difficultés à travailler avec les collectivités locales. La preuve que non : nous avons très bien travaillé avec celles et ceux qui ont bien voulu s'impliquer. » 376 ( * ) En réalité, trois niveaux de pilotage sont mis en place :
• Au niveau territorial, des binômes entre des industriels et des élus forment une instance locale chargée du suivi du projet et de son animation locale. Un référent territorial au sein des services déconcentrés de l'État est également désigné pour chaque Territoire identifié.
• Au niveau régional, les conseils régionaux sont chargés de mettre en place des comités de pilotage régionaux ;
• Au niveau central, les différents acteurs nationaux - opérateurs, administrations ministérielles - se réunissent au sein d'un comité de pilotage national, qui associe également Régions de France et l'Assemblée des Communautés de France. De surcroît, en janvier 2019, le poste de délégué aux Territoires d'industrie a été créé et confié à Olivier Lluansi, placé auprès du CGET et de la DGE, afin de coordonner le déploiement du programme.
Durant le premier semestre de l'année 2019, 13 premiers protocoles « Territoires d'Industrie » ont été signés par les intercommunalités, les industriels, les régions, les préfets, les opérateurs tels que Bpifrance, Pôle emploi, l'ADEME ou la Caisse des dépôts et consignations, et les différents partenaires publics et privés. Ces contrats portant sur la période 2019-2022 contiennent les déclinaisons locales des quatre priorités nationales du programme - attirer, recruter, innover, simplifier - ainsi qu'un plan d'action et les modalités de son évaluation. Il doit également préciser l'articulation du plan d'action avec les outils de planification locaux déjà existants, comme le SRDEII.
2. Une démarche à encourager, mais sans moyens dédiés et à l'articulation insuffisante
Votre rapporteure salue la démarche entreprise par le Gouvernement. Les meilleures solutions pour soutenir les bassins industriels se trouvent souvent à l'échelon local, les élus connaissant les problématiques spécifiques à leurs territoires. L'association des industriels à la définition des principales orientations des politiques locales représente également un signal très positif.
Toutefois, de l'aveu même de M. Olivier Lluansi, délégué aux Territoires d'Industrie : « Cette démarche constitue un objet difficile à appréhender par une administration qui aime bien les catégories claires et carrées. » 377 ( * )
a) Un recyclage de financements existants
On peut toutefois regretter que le programme « Territoires d'Industrie » ne soit accompagné d'aucun financement propre. Dans ses consignes relatives au programme, le Gouvernement note ainsi : « Les parties prenantes aux contrats prennent des engagements en moyens financiers, humains ou techniques. D'autres sources de financement [que celles identifiées par l'État] peuvent être recherchées, notamment de la part des partenaires régionaux et locaux. » 378 ( * ) Or, les dispositifs existants, bien qu'utiles, ne couvrent pas la totalité des besoins des territoires, la pression budgétaire qui pèse sur les collectivités locales ne leur permettant pas toujours de mobiliser les moyens nécessaires. M. Olivier Lluansi a ainsi admis aux membres de la mission : « Ce sont des financements modestes qui, à ce stade, ne permettront pas de réindustrialiser les territoires, j'en suis conscient. » 379 ( * )
Dès lors, « Territoires d'Industrie » s'assimile davantage à un effort de lisibilité de la part de l'État sur les outils déjà mis à disposition, ainsi qu'à un soutien à l'initiative locale.
Proposition n° 30 : S'assurer, dans le cadre des premières évaluations du programme « Territoires d'Industrie », que les dispositifs existants suffisent à répondre aux besoins des industriels, et le cas échéant, les compléter par de nouveaux outils de financement ou d'accompagnement. |
b) L'articulation avec les dispositifs existants est encore incertaine
D'autre part, votre rapporteure a été alertée sur les enjeux d'articulation de ce programme avec d'autres dispositifs existants. Plusieurs bassins retenus parmi les Territoires d'Industrie sont également visés par le plan « Action Coeur de Ville », ou sont engagées dans l'élaboration d'un Contrat de transition énergétique. De nombreuses actions préexistantes des collectivités sont consacrées à la transition énergétique ou au développement économique. Il convient d'être vigilant sur la multiplication des programmes, sous peine de faire peser sur les ressources humaines et administratives des collectivités un poids important : chacun de ces programmes s'accompagne en effet de la mise en place de référents, de comité, et de l'élaboration de documents stratégiques. Ce problème est évoqué dans les fiches techniques relatives aux Territoires d'Industrie : « La mise en cohérence des dispositifs recherchée au niveau de la contractualisation pourra concerner la comitologie en s'appuyant sur les instances existantes afin de créer des synergies [...] », 380 ( * ) sans toutefois offrir de réponse concrète.
Entendu par la mission d'information au sujet de « Territoires d'Industrie », M. Jean Rottner a ainsi indiqué : « Il fait partie des ovnis que nous voyons parfois arriver sans avoir été consultés au préalable. [...] Nous n'avons pas pu anticiper ce dispositif, ni répondre aux questions de nos collègues élus, ce qui est dommage. [...] L'initiative n'est pas mauvaise, mais la manière dont elle a été présentée est contestable. Elle ne comporte aucun moyen supplémentaire. Elle propose des stratégies de bassin d'emploi, des stratégies industrielles. Mais nous avons déjà en Grand Est le dispositif Pacte offensif croissance emploi, une contractualisation entre les intercommunalités et la région. [...] Les Territoires d'Industrie s'ajoutent à tout cela, suscitent de l'incompréhension dans nos territoires, ce qui pose également la question de l'articulation de ces dispositifs. » 381 ( * ) Dans la région Grand Est par exemple, une convention a été signée par tous les acteurs de l'industrie, afin de créer une « Task force pour l'industrie » , dans un objectif de meilleure coordination des diverses initiatives.
D'autres acteurs entendus par la mission d'information ont néanmoins indiqué qu'ils comptaient participer pleinement à l'initiative « Territoires d'Industrie », dans un objectif de complémentarité aux actions locales préexistantes. M. Jackie Couderc, animateur de l'association Metal'Valley, groupement de huit entreprises du secteur de la métallurgie, situé en Côte d'Or, a par exemple indiqué que le programme contribuerait à financer des efforts de formation par les lycées techniques. 382 ( * )
c) Un calendrier à déterminer
Enfin, votre rapporteure estime qu'il faut laisser le temps aux collectivités locales de prendre en main ce dispositif. Il nécessite une large concertation entre les acteurs pour définir les priorités, les outils les plus adaptés, et les modalités d'articulation. Dans ses consignes relatives aux Territoires d'Industrie, le Gouvernement semble toutefois pousser les élus locaux à signer très rapidement des protocoles - au cours du premier semestre de l'année 2019 - même au contenu très limité, quitte à les modifier par la suite. Ce n'est pas une méthode souhaitable : il convient de laisser le temps nécessaire pour que les projets locaux émergent, et de favoriser la stabilité des protocoles « Territoires d'Industrie » pour donner aux acteurs des territoires une vision stable et mûrie de la stratégie de développement économique.
* 375 Audition du 4 juin 2019 par la mission d'information.
* 376 Discours du Premier ministre lors du Conseil national de l'industrie, jeudi 22 novembre 2018.
* 377 Audition du 4 juin 2019 par la mission d'information.
* 378 « Foire aux questions » des Territoires d'Industrie publiée par le Gouvernement.
* 379 Audition du 4 juin 2019 par la mission d'information.
* 380 « Foire aux questions » des Territoires d'Industrie publiée par le Gouvernement.
* 381 Audition du 6 juin 2019 par la mission d'information.
* 382 Audition du 19 juin 2019 par la mission d'information.