C. L'EUROPE EN PANNE DE RÉCIT POLITIQUE SUR L'ESPACE
1. La recherche spatiale au service de tous
Dans sa note scientifique numéro 9 3 ( * ) , l'Office Parlementaire et d'évaluation des choix scientifiques et technologiques relève que « les activités permises par la maitrise de l'espace, essentiellement avec l'envoi de satellites autour de la Terre, prennent de plus en plus d'importance, concernent tous les secteurs économiques et impactent la vie quotidienne » . Les domaines concernés sont aussi divers que centraux et touchent notamment « les télécommunications, la connectivité, la télédiffusion, la météorologie, la géolocalisation, l'observation de la Terre, la prévention, les secours en cas de catastrophes naturelles, la surveillance des infrastructures, la sécurité, la défense, la connaissance scientifique, ainsi que le suivi des évolutions climatiques ».
Une circulation de l'information optimale grâce aux technologies spatiales
Depuis quarante ans et le développement des moyens de télécommunications, l'information n'a jamais circulé aussi vite. Cette évolution est en partie due aux technologies spatiales et notamment aux satellites qui permettent cette transmission. En effet, ces derniers, notamment lorsqu'ils sont placés en orbite géostationnaire, servent de véritables relais pour permettre l'échange d'informations sous différentes formes. Ils sont aussi essentiels pour la téléphonie et l'internet mobiles, notamment pour les applications qui impliquent un positionnement grâce aux satellites. La réception d'une multitude de chaînes de télévision, la transmission de données à vitesse record entre les réseaux bancaires ou encore les places boursières en dépendent entièrement. Ces satellites sont essentiels pour désenclaver les régions reculées et leur permettre d'accéder à l'information.
La conduite assistée, une révolution du transport au quotidien
De nombreux outils technologiques ont fait leur apparition pour aider les automobilistes dans leur conduite. Les régulateurs de vitesse ou encore le contrôle de la trajectoire ont ainsi révolutionné la tenue de route des conducteurs. La prochaine étape vise à créer des véhicules entièrement autonomes guidés à l'aide de satellite. Ces derniers représentent l'avenir de la mobilité dans le monde. Galileo, le système européen de navigation par satellite, est déjà utilisé par les chercheurs travaillant sur les algorithmes pour la conduite autonome.
Une meilleure gestion des catastrophes naturelles
Les technologies spatiales sont aussi essentielles pour l'imagerie satellitaire. La précision des images et leur résolution se sont beaucoup améliorées depuis quarante ans, ce qui permet aujourd'hui de cartographier les territoires de façon plus nette et d'anticiper des phénomènes climatiques comme les inondations, les séismes, les tsunamis ou encore les cyclones. Cette anticipation s'avère décisive pour la sécurité des individus et pour la préservation des territoires.
À titre d'exemple, la mise en oeuvre de la Charte internationale « espace et catastrophes majeurs » montre l'importance de la technologie spatiale dans le secours aux victimes. Cette charte, établie en 1999, engage aujourd'hui 16 agences spatiales dans le monde. En cas de catastrophe naturelle, ces dernières mettent à disposition des organismes de sécurité civile et des Nations Unies, les images qu'elles détiennent, issues de l'observation satellite, afin de permettre une meilleure organisation des secours sur place. Les informations fournies permettent notamment l'identification de groupements de survivants.
Un instrument qui permet une meilleure efficience de l'agriculture
Par ailleurs, l'organisation de l'agriculture bénéficie aussi grandement des technologies du spatial. C'est le cas de l'agriculture de précision qui a pour but de connaître les caractéristiques des sols afin de moduler l'apport d'engrais. Plusieurs programmes ont été lancés dans l'exploitation de données spatiales dans le cadre d'une meilleure efficience de la production agricole : c'est notamment le cas du projet Farmstar, mené entre autres par la société Astrium qui utilise l'imagerie optique fournie par les satellites français et le système GPS afin d'anticiper et de connaitre en amont les récoltes potentielles. Ce service est essentiel, d'une part pour les exploitants agricoles mais aussi, pour des régions entières qui souhaitent assurer leur sécurité alimentaire.
Dans le même registre, le projet Geoglam lancé à la suite du G20 des ministres de l'agriculture en 2011 a pour objectif de fournir aux exploitants agricoles une prédiction sur les différentes récoltes à très grande échelle.
Un outil pour la lutte contre le réchauffement climatique
Le réchauffement climatique peut être aussi mesuré grâce à l'imagerie satellite. D'après le CNES, « sur les 50 variables essentielles du climat, 26 sont en effet observables uniquement depuis l'espace ». Les technologies spatiales sont en capacité de fournir des solutions efficaces pour mesurer les changements climatiques, mais aussi et surtout permettre aux individus d'adapter leur comportement en fonction de ces derniers. Elles permettent ainsi une meilleure gestion des activités humaines et rendent possible le développement d'activités respectueuses de l'environnement. Ces technologies peuvent aussi mesurer le vent en mer et donner des indications importantes pour l'implantation de champs d'éoliennes en mer.
La technologie spatiale sert également pour la gestion de l'eau car elle permet d'estimer divers paramètres des cycles de l'eau. En effet, elle peut anticiper les précipitations, l'humidité des sols, le pompage de l'eau dans les nappes phréatiques ou les variations des volumes d'eau des réservoirs de surface. Cette capacité est absolument essentielle, à la fois pour prévenir des périodes de sécheresse dans les zones à risque mais aussi pour mieux gérer notre consommation d'eau dans des zones moins exposées.
Les technologies spatiales au service de la santé des personnes
La médecine a grandement bénéficié des technologies spatiales en ce qu'elle a tiré profit de divers transferts technologiques. L'imagerie médicale s'est beaucoup améliorée et les médecins peuvent établir leurs diagnostics de façon plus efficace et plus rapidement. Par ailleurs, les pompes utilisées pour les coeurs artificiels sont issues initialement des pompes à carburant de la navette spatiale américaine. C'est aussi le cas notamment des prothèses qui ont été conçues grâce à des matériaux initialement destinés à la conception des fusées.
Dans le même domaine, les informations recueillies par les satellites, ont permis de mieux analyser et d'anticiper les épidémies. Plusieurs exemples peuvent illustrer cela, comme au Gabon où plusieurs chercheurs ont déterminé de façon plus précise grâce aux satellites les origines de l'apparition du virus Ebola. Dans d'autres pays d'Afrique, comme au Niger, les technologies spatiales pourront bientôt permettre d'aider les autorités sanitaires à mieux gérer et prévenir les épidémies de méningite.
2. Gagner la bataille du récit et de la communication
Alors que l'Europe est le continent où l'on vit sans doute le mieux sur la Terre, une partie croissante de la population des États membres adhère de moins en moins au projet européen. Celui-ci souffre en grande partie d'incarnation et de récit. La politique spatiale n'y fait pas exception.
Au XX è siècle, on parlait d'aventure spatiale. Le premier pas d'un américain sur la Lune était présenté comme un grand pas pour l'Humanité. L'Homme partait à la conquête de l'espace et de ses horizons inexplorés. Aujourd'hui, le message est moins universel en raison de l'affirmation des nationalismes : la domination américaine rencontre en écho l'ambition chinoise, la fierté indienne et ce qu'il reste de la puissance russe. Et les Européens ? Ils semblent ne pas s'en soucier.
Quand Donald Trump annonce que les États-Unis vont retourner sur la Lune, même si on peut avoir des doutes sur l'intérêt scientifique d'une telle mission, il renvoie le peuple américain à un de ses mythes. Quand il annonce la création d'une force spatiale militaire, il renforce le sentiment d'une nation prête à se défendre sur tous les terrains.
À certains égards, l'enthousiasme d'un Elon Musk et d'un Jeff Bezos à investir une part de leur fortune personnelle dans une aventure spatiale réinventée, certes non sans arrière-pensées commerciales, ne peut laisser indifférent. Enfants de l'épopée spatiale américaine, disposant de fortunes colossales leur permettant de mener une vie plus que confortable, ils décident à leur tour de tenter l'aventure. Que n'ont-ils d'équivalent européen !
La Chine met en scène chaque nouvelle avancée dans son aventure spatiale et affiche son ambition d'aller sur Mars. Après que son pays eut détruit un satellite en orbite, le Premier ministre indien Narendra Modi a évoqué « un moment de fierté pour l'Inde ». L'Union européenne a mis en place deux programmes qui démontrent l'excellence scientifique et technologique européenne : Galileo est plus précis que tous ses concurrents et Copernicus est unique au monde et rencontre un franc succès (l'Australie et la Nouvelle-Zélande ont récemment demandé à bénéficier de ses services). Ces réussites connaissent-elles un écho dans les opinions publiques européennes ? Sont-elles seulement informées que les nouvelles générations de téléphones portables sont toutes équipées pour fonctionner avec Galileo ?
Certes, l'opinion publique s'est amourachée de la sonde Rosetta, qui allait finir son « existence » sur la comète Tchouri. Certes, les Français ont suivi la mission de Thomas Pesquet presque au jour le jour, grâce aux réseaux sociaux et aux magnifiques images transmises. Mais cet engouement a-t-il dépassé nos frontières ? Aurions-nous eu la même attention si le cosmonaute avait été allemand ou roumain ?
Comme on le voit, l'Europe semble en passe de perdre la bataille du récit et de la communication concernant sa politique spatiale . C'est fort dommageable car les évolutions technologiques majeures vont transformer le monde et l'Union européenne renforce ses capacités en ce domaine. Elle propose d'acquérir et de construire des supercalculateurs, de développer l'intelligence artificielle au service de l'homme et envisage de se donner les moyens de le faire avec un budget pour la recherche et l'innovation, pour le numérique et pour le spatial de près de 126 milliards d'euros proposé pour les sept prochaines années.
Cette ambition soutenue par vos rapporteurs doit rencontrer l'adhésion des populations et la politique spatiale peut en être la tête de pont . Elle est la marque de l'excellence de nos talents, qui s'appuie sur le grand projet industriel européen -Airbus- au profit de tous. Il faut trouver le moyen d'y parvenir.
La France a un rôle singulier à jouer . D'une manière générale, c'est souvent d'elle qu'on attend un nouveau souffle européen. Elle est aux commandes des projets spatiaux européens en s'appuyant sur le CNES, les grands acteurs privés comme Airbus, Thalès, Ariane, Dassault Systems et des ingénieurs parmi les mieux formés au monde. Elle doit soutenir la Commission européenne dans la formulation du message politique affirmant l'ambition spatiale de l'Union.
* 3 Note n°9 sur les lanceurs spatiaux réutilisables du 17 janvier 2019 - Rapporteur : Jean-Luc Fugit, député. http://www.senat.fr/fileadmin/Fichiers/Images/opecst/quatre_pages/OPECST_2019_0004_note_lanceurs_spatiaux_reutilisables.pdf