C. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE EN VOIE DE TRANSFORMATION, UNE COMPÉTITIVITÉ À RENFORCER
1. Une compétitivité qui demeure insuffisante
Le modèle économique des ports , qui a occupé une partie importante des débats entre les intervenants de la table ronde, est au coeur de plusieurs annonces récentes du Gouvernement et fait l'objet de dispositions législatives adoptées ou en cours d'examen au Parlement.
Les ports ne sont, en effet, qu'une étape dans le trajet des marchandises. Aussi les coûts du passage portuaire (durée d'immobilisation, rapidité des contrôles douaniers) et la qualité des infrastructures (taille et productivité des terminaux, dessertes) forment les éléments déterminants de la compétitivité-prix et hors-prix des ports.
Fragilisés par la crise économique de 2008 , les ports français ont bénéficié de deux plans de relance (50 millions d'euros sur la période 2007-2010 et plus de 170 millions d'euros sur la période 2009-2013). Pourtant, ainsi que le relevait la Cour des comptes dans son rapport précité de 2017, la compétitivité de la place portuaire demeure insuffisante : entre 2007 et 2015, le trafic dans les grands ports français a ainsi diminué de 13,6 % alors que cette diminution se limitait à 1,4 % à l'échelle européenne 44 ( * ) .
Cette insuffisance pourrait s'expliquer, pour une partie, par le coût élevé de la réforme de 2008 pour les GPM. Sans y parvenir globalement, à défaut d'indicateurs mis en place par le ministère des transports, la Cour avait essayé de dresser le bilan financier de la réforme. À cet égard, elle soulignait l'incomplétude des bilans fournis par les GPM et l'absence de prise en compte de certains surcoûts , notamment liés au volet social.
En outre , l'enjeu de compétitivité diffère selon les ports . Les ports du Havre, de Marseille et de Dunkerque disposent d'atouts pour concurrencer les ports du range Nord , avec un hinterland étendu et des volumes importants, tandis que les GPM de la façade atlantique sont plus isolés les uns des autres, avec des volumes plus faibles et des dessertes moins performantes.
Les écarts avec les ports européens demeurent néanmoins très conséquents. À titre d'exemple, en 2017, le tonnage total du port de Marseille représentait 80,4 millions de tonnes - tonnage le plus important des grands ports maritimes français - alors que celui du port de Rotterdam se chiffrait à 467,4 millions de tonnes .
Source : DGITM.
Pour nuancer ce constat Nicolas Trift et Hervé Martel rappellent que la part de marché des ports français s'est récemment améliorée . Selon ce dernier, le port du Havre a connu une augmentation de 5 % du nombre de ses conteneurs depuis ces dernières années.
Le trafic de fret des GPM métropolitains a progressé de 2 % au premier semestre 2018 par rapport au premier semestre 2017 et représente 134,67 millions de tonnes , un record depuis 7 ans. Les ports situés sur les façades Manche-Mer du Nord et Atlantique ont eu une croissance plus importante de leurs trafics par rapport aux ports européens de leur façade en 2017. Une reprise de la croissance semble donc émerger même si elle reste fragile, rendant nécessaire le renforcement de la stratégie nationale portuaire.
De même, la situation financière des GPM semble assez favorable au début de l'année 2019 , comme l'illustre le tableau ci-dessous, du fait d'une hausse de l'excédent brut d'exploitation et d'une bonne progression du chiffre d'affaires. Ces chiffres voilent cependant de fortes disparités entre les ports : en dehors de La Rochelle, les GPM de la façade atlantique demeurent en difficulté ; Rouen et Dunkerque apparaissent dans une situation financière plutôt favorable tandis que Le Havre et Marseille sont endettés 45 ( * ) .
Au-delà, vos rapporteurs rappellent que la Cour dénonçait une « politique de saupoudrage » 46 ( * ) de la part de l'État.
2. Une stabilisation attendue du modèle économique des ports
Dans son discours précité du CIMer 2018, le Premier ministre a explicité sa vision du modèle économique des ports : « l'objectif, qui est assez largement partagé, est que nous puissions faire passer les grands ports maritimes d'un modèle de ports aménageurs à un modèle de ports entrepreneurs , qui sont plus tournés vers la préoccupation de conquérir toujours plus de trafic, que vers celle de toujours mieux gérer leur domaine ».
Il a également précisé les trois sujets sur lesquels le Gouvernement entend agir à court et moyen terme : en premier lieu, la stabilisation du régime fiscal s'appliquant aux ports ; en second lieu, le soutien au fonctionnement des ports ; enfin, l'élaboration d'une nouvelle stratégie économique pour le secteur maritime .
S'agissant du régime fiscal des grands ports maritimes, plusieurs événements sont intervenus au cours des derniers mois. L' article 170 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 47 ( * ) vise à exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties les biens appartenant aux grands ports maritimes - et non plus uniquement ceux qui ont été transférés par l'État - et tient compte d'une décision du Conseil constitutionnel du 21 septembre 2018 48 ( * ) . Ainsi que le relevait notre collègue Albéric de Montgolfier dans son rapport général sur le budget pour 2019, « contrairement aux ports autonomes, qui bénéficiaient jusqu'alors d'exonérations de taxes foncières les grands ports maritimes ont été considérés comme redevables de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et non bâties (TFPNB) à compter du transfert de propriétés » 49 ( * ) .
En outre, dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises 50 ( * ) , une dérogation à la proscription de la réévaluation libre des actifs corporels des établissements publics a été introduite. Ce dispositif, inscrit à l'article 70 du projet de loi 51 ( * ) , permettra aux GPM d'une part, d'être en conformité avec le droit de l'Union européenne s'agissant de leurs règles comptables et, d'autre part de bénéficier de dispositifs attachés à la fiscalité des entreprises, en tirant parti des procédures d'amortissement comme ont pu le faire, avant eux, leurs homologues européens, notamment le port de Rotterdam.
S'agissant du soutien au fonctionnement des ports, le Gouvernement s'est tenu, à ce stade, à son engagement de compenser l'intégralité des dépenses de dragage des grands ports maritimes , comme le rappelait votre rapporteur Michel Vaspart dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2019 52 ( * ) . Dans son discours au CIMer, le Premier ministre expliquait qu'en contrepartie « les ports devront aussi faire des efforts, pour mieux maîtriser leurs dépenses dans les matières régaliennes. Nous pourrons discuter, État et ports, de contrats d'objectifs et de moyens pour faire en sorte que cette dépense régalienne soit maîtrisée dans le temps . »
Vos rapporteurs rappellent également que l' article 56 de la loi de finances précitée pour 2019 prévoit un mécanisme de suramortissement fiscal pour les investissements réalisés par les armateurs, afin d'inciter les compagnies maritimes à s'engager dans la transition énergétique de leurs navires, en optant par exemple pour la propulsion au gaz naturel liquéfié (GNL) ou à l'hydrogène, lors de l'achat de navires neufs. Ce mécanisme s'appliquerait également aux biens installés à bord des navires existants pour leur permettre une alimentation électrique à quai, aux moteurs auxiliaires utilisant le GNL ou une énergie décarbonnée, ainsi qu'à certains dispositifs traitant les fumées, afin de diminuer les effets sur la qualité de l'air.
La question de la compétitivité des ports fait également l'objet de dispositions inscrites à l' article 35 du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM). Aussi, notre collègue Didier Mandelli, rapporteur de la LOM au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a interrogé l'Union des ports de France et le Gouvernement sur la nécessité de clarifier le régime des conventions de terminal, sécurisé en 2008 dans le cadre de la loi portant réforme portuaire mais récemment fragilisé par une décision du Conseil d'État du 14 février 2017 concernant le grand port maritime de Bordeaux 53 ( * ) . L'article 35 de la LOM vise ainsi à permettre aux grands ports maritimes de recourir soit à une convention de terminal, soit à une concession de services, pour la mise en oeuvre de leurs missions définies à l'article L. 5312-2 du code des transports 54 ( * ) .
Sur ce point, le président de l'Union des ports de France, Hervé Martel, a relevé la rigidité du cadre juridique de la gestion du domaine public en droit français et précise qu'un consensus a été trouvé sur cet article entre l'Union des ports de France et l'Union des industries de la manutention en prévoyant cette double solution juridique. Selon lui « il existe une sorte de continuité entre les conventions d'occupation renforcées et les concessions allégées. Chaque cas précis pourra donc trouver la meilleure solution possible ». Dans la même logique, Nicolas Trift a particulièrement insisté sur le risque d'une requalification d'autres conventions de terminal portuaire en concessions de services par le juge administratif.
Les débats qui se dérouleront prochainement au Sénat puis à l'Assemblée nationale sur ces questions permettront de travailler ce dispositif et de mieux cerner la philosophie qui le sous-tend.
Vos rapporteurs rappellent à cet égard que la Cour des comptes a pu relever le caractère particulièrement coûteux du transfert des outillages des établissements publics portuaires , avec des prix de cession inférieurs aux prévisions et leur inadaptation dans certains cas (dimensionnement, obsolescence).
La Cour soulignait par ailleurs que « la définition d'objectifs de trafic ambitieux mais réalistes devrait être systématisée dans les conventions de terminal et les pénalités appliquées en cas de non-atteinte des objectifs . Le point est particulièrement important dans la mesure où la bonne exécution de ces conventions participe de la compétitivité des ports. À titre de comparaison, le port d'Anvers devait, selon son rapport annuel, collecter 4,6 millions d'euros en 2014 auprès des entreprises n'ayant pas atteint leur objectif de trafic » 55 ( * ) . Il conviendrait cependant de tenir compte de l'attractivité propre à chaque port français si un tel dispositif venait à être proposé en France.
En outre, à travers leur projet stratégique 56 ( * ) 2014-2019, chaque GPM s'est engagé à une diversification des activités exercées visant notamment à utiliser les énergies renouvelables.
Vos rapporteurs rappellent à cet égard qu'à l'échelle européenne, la performance environnementale du transport maritime constitue un enjeu prioritaire se traduisant par des programmes tendant à soutenir des investissements verts. Ils soulignent d'ailleurs la nécessité de prendre ces mesures à une échelle supra-nationale pour ne pas pénaliser la compétitivité des places françaises .
Lors de la table ronde, Hervé Martel a ainsi évoqué le smart et green port et précisé que « depuis la COP21, nous avons une démarche qui porte sur le report modal, sur le service aux navires - ravitaillement en GNL, électricité à quai - sur la transition énergétique, sur l'économie circulaire et sur l'entreprise éco-responsable » .
Sur ce volet, le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures relatives à la préservation de l'environnement marin, la mise en place de solutions performantes pour l'avitaillement en carburant alternatif et l'accompagnement de la conversion des flottes à l'occasion du CIMer 2018 57 ( * ) . À cet égard, vos rapporteurs soulignent que l'instauration d'une zone de contrôle des émissions de SOx en mer Méditerranée doit demeurer un objectif.
Enfin, vos rapporteurs considèrent que la stratégie nationale portuaire devra également traiter le volet social de l'économie portuaire et maritime, condition sine qua non pour assurer le bon fonctionnement des ports et par conséquent leur compétitivité.
La loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail 58 ( * ) dans les ports maritimes avait pour objectif d'établir un statut de salarié pour les dockers intermittents employés par des sociétés de manutention en les dotant de contrats de travail relevant du droit commun. Ils étaient auparavant employés à la journée ou à la demi-journée.
L'article 41 du projet de loi d'orientation des mobilités prévoit la dissolution de la Caisse nationale de garantie des ouvriers dockers et des bureaux centraux de la main d'oeuvre et prévoit le transfert de leurs compétences à la commission paritaire nationale pour l'emploi (CPNE) de branche et aux caisses de compensation des congés payés. Lors de la Table ronde, Nicolas Trift a précisé que cet article avait « été examiné avec les organisations syndicales et il est rendu nécessaire par la forte diminution du nombre d'ouvriers dockers intermittents qui résulte de la réforme de 1992 . Pour garantir le paiement de leurs indemnités de compensation, cette dissolution et ce transfert sont indispensables ».
Le climat social reste cependant incertain dans les ports français . Notre collègue, Didier Mandelli, a rappelé les mouvements de grèves actuels dans les ports face à l'orientation stratégique impulsée par le Premier ministre. En 2016, il y eu 158 mouvements de grève dans les ports contre 44 en 2015. L'année 2017 a connu une importante diminution avec seulement 49 mouvements de grève. Toutefois, le climat social reste détérioré, à l'image du nombre important de préavis déposés dans certains ports. Ainsi, le projet de fusion des ports relevant de l'axe Seine suscite des tensions sociales . Trois journées de grèves ont eu lieu au Havre depuis l'annonce du projet 59 ( * ) .
Dès lors, il est impératif que le Gouvernement favorise le dialogue entre les opérateurs publics et privés pour que l'ensemble des acteurs de l'économie portuaire parviennent collectivement à rehausser la compétitivité des ports français.
Aussi, vos rapporteurs partagent le constat dressé par la Cour des comptes en matière d'organisation du système portuaire : « l'État doit clarifier ses choix stratégiques » 60 ( * ) , porter une vision de long terme et mobiliser des ressources financières cohérentes au regard de l'ambition maritime française et des potentialités de notre territoire. Enfin, il est impératif d' alléger les contraintes administratives et normes qui pèsent sur les ports, lorsqu'elles ne sont pas justifiées par des motifs d'intérêt général suffisants et notamment quand il s'agit de sur-transposition de dispositions du droit de l'Union .
* 44 Cour des comptes, rapport précité p. 249.
* 45 Cour des comptes, rapport précité p. 258.
* 46 Ibid, rapport précité p. 259.
* 47 Loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019.
* 48 Sur ce point, voir le rapport n° 152 (2018-2019) consacré aux crédits des transports maritimes, fait par Michel Vaspart au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, déposé le 22 novembre 2018.
* 49 Voir le rapport général n° 147 (2018-2019) fait par Albéric de Montgolfier, au nom de la commission des finances, déposé le 22 novembre 2018.
* 50 Texte n° 60 (2018-2019) modifié par le Sénat le 12 février 2019.
* 51 Voir le rapport n° 254 (2018-2019) de Michel Canevet, Jean-François Husson et Élisabeth Lamure, fait au nom de la commission spéciale sur la transformation des entreprises, déposé le 17 janvier 2019.
* 52 Rapport n° 152 (2018-2019) précité.
* 53 Conseil d'État, 7 ème et 2 ème chambres réunies, 14 février 2017, 405157, Publié au recueil Lebon.
* 54 Voir également le décret n° 2014-1670 du 30 décembre 2014 et l'article R. 5312-84 du code des transports.
* 55 Cour des comptes, rapport précité p. 244.
* 56 L'article L. 5312-13 du code des transports précise que, pour l'exercice de leurs missions, le projet stratégique de chaque grand port maritime détermine ses grandes orientations, les modalités de son action et les dépenses et recettes prévisionnelles nécessaires.
* 57 Voir en particulier les mesures 36 à 59 annoncées par le Premier ministre.
* 58 Loi n° 92-496 du 9 juin 2012.
* 59 Les Échos, Claire Garnier, Le projet de fusion des ports de l'axe Seine s'installe dans les esprits, 21 janvier 2019.
* 60 Cour des comptes, rapport précité p. 259.