II. LA DÉMOCRATIE MODERNE.

A. SURFER SUR L'ANTIPARLEMENTARISME

La seule contestation dangereuse pour l'exécutif élyséen qui concentre désormais l'essentiel du pouvoir politique France, ne pouvant venir que du Parlement, quoique déjà affaibli, il conviendra de l'affaiblir encore, de le court-circuiter en développant divers ersatz de démocratie et de lui faire porter le chapeau des échecs des réformes qui se succèdent. D'où encore une fois, les tentatives récurrentes, le dernier projet de réforme constitutionnelle en est de nouveau l'exemple, d'abréger des débats parlementaires désormais inutiles puisque, le résultat est connu d'avance !

Pour faire bonne mesure, à l'inutilité pénalisante du Parlement viendra s'ajouter le soupçon d'immoralité des élus à laquelle des lois de moralisation de la vie publique successives seront censées répondre. Une manière de surfer sur l'antiparlementarisme endémique en France, une forme de populisme chic.

B. LA NOUVELLE « DÉMOCRATIE DIRECTE »

1. Cooptation de représentants « authentiques »

Concurremment se développeront divers succédanés de démocratie directe.

La dépendance des résultats des élections législatives de ceux des présidentielles va favoriser la cooptation par l'exécutif de représentants du peuple plus « authentiques » que les candidats des partis politiques, puisqu'issus d'une mystérieuse « société civile », autrement plus légitime qu'un corps électoral travaillé par des politiciens sans moralité. Ces « vrais représentants du peuple », sont censés « régénérer » l'Assemblée nationale et le Gouvernement, apporter une vision nouvelle aux organismes d'État où ils seront chargés de mission diverses 67 ( * ) .

Comme dit Michel Krinetz : « La société civile a l'avantage qu'on peut la représenter non plus par des élus plus ou moins incompétents, mais par divers experts se cooptant les uns les autres et qui combinent à leur manière les divers intérêts particuliers pour en déduire une représentation de l'intérêt général. » 68 ( * )

2. Faciliter l'expression directe des intérêts privés : le lobbying

Une pratique vieille comme le pouvoir, tenue jusque- là pour l'antithèse de la démocratie, le lobbying, va lui-aussi être élevée au rang de figure de la « démocratie directe ».

Jouant institutionnellement depuis longtemps un rôle essentiel dans le processus de prises de décisions des instances européennes, les lobbyistes, sortant de l'ombre, occuperont de plus en plus de place en France, une place désormais reconnue et bien visible.

Si les lobbyistes étaient tenus à distance c'est que leur rôle est d'influencer les décideurs sans contradicteur et hors de tout contrôle public, alors que la décision démocratique est prise par un vote au terme d'échanges publics argumentés et contradictoires.

Lorsque le pouvoir de décision se concentre entre quelques mains, l'efficacité est du côté des lobbyistes, au point de devenir « des acteurs légitimes de la démocratie » pour reprendre le titre d'un article de deux enseignants chercheurs de la « Toulouse School of Economics » (Haute-Garonne - France) dans Le Monde du 05 septembre 2018. 69 ( * )

Ils favorisent une prise de décision plus démocratique, nous disent les auteurs, en ce qu'ils permettent une information plus complète et plus technique des décideurs, particulièrement s'agissant de questions complexes. L'important est que les intérêts qui s'expriment soient bien identifiés et qu'il n'y ait pas de déséquilibre entre lobbys, déséquilibre « essentiellement dû aux moyens financiers et humains dont disposent les lobbys, les grands groupes ayant une force de frappe bien supérieure aux ONG » .

Et les mêmes de conclure : « Qu'on le veuille ou non, les lobbys font partie de la vie politique. On peut déplorer qu'ils parasitent le débat public en ayant un accès direct aux hautes sphères du pouvoir. Ils sont néanmoins une force de sensibilisation et de mobilisation des citoyens. L'art de la politique consiste à jouer avec les vents contraires des lobbys existants plutôt que de les subir, voire à créer de nouveaux groupes de pressions. »

En résumé, il n'y a pas d'autre alternative à l'obsolescence des procédures de décision démocratique que cette confrontation inégalitaire de porteurs d'intérêts privés et de représentants autoproclamés d'un intérêt général particulier. L'essentiel étant, encore une fois, que la concurrence ne soit pas faussée. Une forme « moderne » de démocratie en quelque sorte.


* 67 -. Le plus célèbre actuellement est Stéphane Bern « chargé de mission pour la préservation du patrimoine local », évidemment sans budget à la hauteur de la tâche.

* 68 Blog 15 janvier 2017

* 69 MM. Claude Crampes (Professeur d'économie) et Stefan Ambec (directeur de recherche)

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