II. CINQ AXES DE RÉFLEXION POUR REFONDER LE PRONONCÉ ET L'EXÉCUTION DES PEINES

Face au constat d'une procédure d'exécution des peines illisible, lente et trop souvent inefficace, vos rapporteurs proposent cinq axes de réflexion pour refonder, et non pas ajuster, le prononcé et l'exécution des peines.

A. REMETTRE LES JURIDICTIONS DE JUGEMENT AU CoeUR DU PRONONCÉ DES PEINES

Vos rapporteurs jugent indispensable de restaurer la lisibilité et la crédibilité de notre système judiciaire pénal , ce qui implique tout d'abord de remettre en question la déconnexion actuelle entre le prononcé des peines par les juridictions de jugement et leur exécution effective des peines aménagées. Pour y parvenir, les juridictions de jugement doivent s'efforcer d'individualiser les peines qu'elles prononcent.

1. Mettre fin à la confusion des fonctions

Vos rapporteurs insistent sur la nécessité de distinguer le temps de la sanction , qui doit être vécu par le condamné, comme la victime, comme le temps de la déclaration de culpabilité et d'édiction d'une peine adaptée, et le temps de l'exécution des peines, temps qui vise à la réinsertion des condamnés.

Au cours de leur mission, ils ont pu constater la grande confusion qui existait, en droit et en pratique, concernant les prérogatives de chacun.

Ainsi, le ministère public est à la fois l'autorité chargé de l'engagement des poursuites et l'autorité de mise à exécution des peines prononcées par le tribunal correctionnel. Alors que les juges correctionnels sont censés statuer sur la culpabilité et la peine sanctionnant le comportement fautif, ils abandonnent sans regret cette seconde mission au juge de l'application des peines, devenu ainsi le juge de la détermination de la peine qui sera réellement exécutée et du suivi de son exécution. L'essentiel de l'activité du juge de l'application des peines n'est désormais plus consacrée au suivi des condamnés, détenus ou probationnaires, mais à l'examen de la mise à exécution, sous une forme aménagée ou non, de la peine prononcée par le tribunal correctionnel.

Cette confusion des missions semble préjudiciable à l'efficacité du système pénal.

Alors que les principes devraient conduire à faire des juges correctionnels la pierre angulaire du système pénal, l'examen systématique des peines d'une durée inférieure à deux ans d'emprisonnement par le juge de l'application des peines en vue d'un aménagement a déplacé le centre de gravité du système.

De plus, il n'existe pas de politique de juridiction quant aux réponses pénales souhaitées : la séparation entre la politique pénale locale du ministère public et la politique de juridiction, telle qu'elle résulte des peines prononcées, apparaît incompréhensible alors même que le ministère public est le principal pilote de la réponse pénale (poursuites, procédures alternatives aux poursuites...).

Aujourd'hui, les procédures sont détournées en permanence de leur objectif initial pour s'adapter à la pénurie des moyens.

Pour s'assurer de l'exécution d'une peine d'emprisonnement ferme, le tribunal correctionnel est obligé de prononcer soit un mandat de dépôt, soit une peine d'une durée au moins supérieure à deux ans pour éviter la procédure d'examen obligatoire en vue d'un aménagement : il est ainsi logique que le quantum moyen des peines prononcées augmente. De même, certaines magistrats prononceront sept mois (et non six mois) pour s'assurer que la peine ne sera pas convertie en travail d'intérêt général ou en jours-amende.

Afin de restaurer la lisibilité du système, il convient de refonder l'organisation du prononcé des peines sur ces deux principes essentiels :

- la juridiction de jugement est l'autorité de la sanction : elle prononce la culpabilité et la peine adaptée et notamment, au besoin, une peine d'emprisonnement aménagée ;

- la juridiction de l'application des peines est l'autorité de l'exécution des peines et intervient, en principe, après la mise à exécution de la peine.

Ces principes imposent dès lors de refonder l'organisation de notre système, notamment d'aménagement ab initio des peines d'emprisonnement prononcées d'une durée inférieure à deux ans, pour faire de la peine prononcée la peine exécutée.

Proposition n° 1 :

Distinguer le temps de la sanction du temps de la réinsertion.

Proposition n° 2 :

Redéfinir les missions des acteurs de la peine afin de mettre fin à la confusion des rôles.

Proposition n° 3 :

Refondre le prononcé et l'aménagement des peines pour que la peine exécutée soit la peine prononcée par la juridiction, sauf circonstance ou évolution particulière de la situation du condamné.

Le rapport de la mission d'information sur le redressement de la justice proposait d'encourager les juridictions à utiliser davantage la procédure de l'ajournement du prononcé de la peine.

Insuffisamment utilisée, cette procédure consiste à statuer, dans un premier temps, sur la culpabilité de l'intéressé et à reporter la décision sur la peine à une audience ultérieure, une fois la juridiction suffisamment éclairée sur la situation personnelle du condamné.

Procédure permettant de redonner aux juridictions de jugement le rôle d'individualisation de la peine, actuellement confié de facto au juge de l'application des peines, la généralisation de celle-ci permettrait d'éviter l'illisibilité actuelle du système où les juridictions de l'application des peines remettent en cause les décisions des juridictions de jugement, pourtant revêtues de l'autorité de la chose jugée.

Les ajournements du procès

L'ajournement simple (article 132-60 du code pénal) permet au juge de reporter la date à laquelle il sera statué sur la peine. Cet ajournement ne peut être prononcé que si « le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, que le dommage causé est en voie d'être réparé et que le trouble résultant de l'infraction va cesser. »

En matière correctionnelle, l'ajournement avec mise à l'épreuve (article 132-63 du code pénal) permet au juge, dans les mêmes conditions que l'ajournement simple, de prononcer une décision de mise à l'épreuve, exécutoire par provision, avec les mêmes mesures de contrôle et d'aide que le sursis avec mise à l'épreuve et une nouvelle date d'audience, au plus tard un an après la première décision d'ajournement pour statuer sur la peine, ou éventuellement une dispense de peine.

Même en l'absence du prévenu à l'audience, l'ajournement du procès avec injonction (assortie ou non d'une astreinte) - article 132-66 du code pénal - peut également être prononcé : si les prescriptions de l'injonction n'ont pas été respectées, l'astreinte peut être liquidée et les peines initialement prévues peuvent être prononcées.

Enfin l'article 132-70-1 du code pénal prévoit l'ajournement du procès aux fins d'investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale et sociale , notamment pour individualiser les peines prononcées. La seconde audience sur la peine ne peut avoir lieu plus de quatre mois après la première décision sur la culpabilité.

Vos rapporteurs ont pu constater au cours de leurs échanges avec les magistrats la réticence de ces derniers à prononcer un ajournement, source, pour eux, de déstabilisation et de désorganisation du planning des audiences. Les magistrats considèrent ne pas avoir suffisamment de moyens pour l'organiser.

Convaincus pourtant de l'utilité de la procédure, pour des raisons de lisibilité et d'adéquation du prononcé des peines, vos rapporteurs encouragent certaines juridictions à mettre en place une organisation expérimentale de leurs audiences reposant sur la césure systématique du procès , avec l'organisation, en parallèle avec les SPIP ou les associations locales d'un dispositif d'enquête de personnalité présentencielle complète de quelques semaines.

L'évaluation d'un tel dispositif devrait permettre de mesurer les difficultés que suscite réellement l'ajournement systématique.

Proposition n° 4 :

Encourager, le cas échéant par la mise en place d'expérimentations locales, la césure systématique du procès entre le prononcé de la culpabilité et le prononcé de la peine.

2. Permettre aux juridictions de prononcer une peine adaptée
a) Moderniser, un préalable indispensable

Actuellement, la consultation des applicatifs numériques ne permette pas de rendre compte de la situation réelle d'un prévenu.

Les délais de mise à jour du casier judiciaire national restent incompatibles avec les phénomènes de réitérations multiples : en 2017, les tribunaux de grande instance et les cours d'appel transmettaient effectivement les décisions au casier judiciaire national dans un délai moyen respectivement de 5, 3 mois et 4,2 mois. Environ 5 semaines supplémentaires sont nécessaires pour leur inscription au casier judiciaire.

De plus, le casier judiciaire ne renseigne pas sur l'exécution ou non de plusieurs peines de travail d'intérêt général, ni sur l'exécution réelle en centre de semi-liberté.

Nombre de magistrats regrettent qu'aucune centralisation des informations contenues dans les différentes applications numériques ne soit possible. Le développement d'un agrégateur de données pourrait être envisagé pour permettre à court terme l'accès rapide et simultané à l'ensemble des données figurant dans le fichier des antécédents judiciaires (TAJ), le logiciel relatif à l'application des peines, la probation et l'insertion (APPI) ou l'applicatif de gestion des établissements pénitentiaires (GENESIS).

Proposition n° 5 :

Garantir des applicatifs numériques efficients permettant d'informer promptement les juridictions.

b) Investir dans les enquêtes présentencielles

Vos rapporteurs estiment que la détermination d'une peine adaptée exige nécessairement une enquête présentencielle sur la personnalité et la situation du prévenu , même si cela implique une adaptation des protocoles actuellement mis en oeuvre par les services pénitentiaires d'insertion et de probation et les associations socio-judiciaires.

Ni l'enquête sociale rapide, adaptée aux procédures de comparution immédiate, ni les délais de l'évaluation réalisée par les services pénitentiaires d'insertion et de probation ne répondent aujourd'hui parfaitement aux besoins des juridictions.

Vos rapporteurs invitent à systématiser le recours à des enquêtes sociales rapides, au contenu renforcé et standardisé au niveau national, qui devraient être réalisés dans un délai moyen de six semaines.

Sur ce point, la flexibilité du secteur associatif devrait être privilégiée : l'ensemble des magistrats du parquet rencontrés ont en effet loué la capacité de réaction du secteur associatif socio-judicaire, même le dimanche, pour fournir des informations pertinentes.

Cette enquête devrait également permettre de déterminer la faisabilité ou non de certaines peines (disponibilités des places en TIG, existence d'un domicile adapté à un placement sous surveillance électronique...)

De même, afin d'encourager le prononcé d'aménagement ab initio , ces enquêtes devraient permettre de vérifier la situation sociale et matérielle du prévenu : s'il travaille, ses horaires, ses obligations parentales, etc .

Proposition n° 6 :

Systématiser les enquêtes présentencielles et de faisabilité pour le prononcé de peines et d'aménagements de peine ab initio adéquats.

c) Repenser l'aménagement des peines à l'audience

Afin que les juges correctionnels prononcent la peine adaptée, vos rapporteurs proposent également de prévoir, autant que possible, la présence d'un juge de l'application des peines dans les formations collégiales du tribunal correctionnel : cette présence permettrait tant de sensibiliser leurs collègues magistrats à l'importance et aux réalités de l'aménagement de peine que d'apporter une expertise technique dans une matière qui reste très complexe.

Dans les juridictions visitées par vos rapporteurs, cette organisation, parfois involontaire et résultant d'une pénurie de magistrats, semble au moins permettre l'organisation d'un débat à l'audience sur l'aménagement des peines.

Proposition n° 7 :

Développer la présence, autant que possible, d'un juge de l'application des peines au sein des formations de jugement des tribunaux correctionnels.

Dans le même esprit, vos rapporteurs encouragent les chefs de juridiction à sensibiliser et à mobiliser le barreau sur l'importance de plaider l'aménagement de peine à l'audience .

Les magistrats du parquet comme les juges correctionnels déplorent que trop souvent les avocats se concentrent sur la culpabilité ou l'innocence de leur client, éventuellement sur le quantum de la peine, trop rarement sur un aménagement adapté à la situation de leur client.

Une liste des pièces utiles aux juridictions pourrait être élaborée, au moins à l'échelle de chaque cour d'appel, et fournie au barreau afin que les avocats puissent venir à l'audience avec les pièces justificatives de domicile ou encore d'horaires de travail.

Proposition n° 8 :

Inciter les avocats à préparer l'aménagement des peines à l'audience.

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