B. UNE INSUFFISANTE MAÎTRISE DES RISQUES PSYCHOSOCIAUX AU SEIN DES FORCES DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE

Les suicides constituent l'un des révélateurs les plus édifiants du malaise que connaissent la police et la gendarmerie nationales, car ils témoignent de l'importance des risques psychosociaux (RPS) en leur sein, mais également des difficultés objectives auxquelles ils sont confrontés. La commission d'enquête estime que la réponse passe tant par une évolution des dispositifs spécifiques de prise en charge que par une amélioration réelle des conditions de travail.

1. Un taux de suicide plus élevé que la moyenne nationale, même en tenant compte des spécificités de la population policière

L'année 2017 aura malheureusement été particulièrement marquante sur ce plan, puisque 50 agents de la police nationale se sont suicidés 1 ( * ) .

Au cours des années 2000, les deux institutions ont connu d'autres années sombres : 54 suicides en 2000, 50 en 2005, 49 en 2008, 55 en 2014 pour la police, 33 en 2009, 32 en 2011 et 2012 pour la gendarmerie.

Nombre de suicides dans la police et la gendarmerie nationales

Source : commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure (d'après les auditions et les réponses aux questionnaires)

Le constat de l'existence d'un taux de suicide plus élevé au sein des deux forces que dans le reste de la population est sans appel. Ainsi, alors qu'il oscille autour de 14 suicides pour 100 000 habitants pour l'ensemble de la population 2 ( * ) , ce taux s'élève en moyenne, sur les dix dernières années, à 25 pour la gendarmerie nationale et à 29 pour la police nationale.

La comparaison brute de ces deux taux se révèle toutefois insuffisante pour évaluer l'état moral de l'institution policière. Le suicide constitue en effet un geste éminemment masculin, puisque le taux de décès standardisé par suicide est de 23,1 pour 100 000 pour les hommes contre 6,8 pour 100 000 pour les femmes en 2014 dans l'ensemble de la population, or les femmes constituent moins d'un tiers des effectifs de l'institution. De même, l'accès à l'arme de service a sans nul doute pour effet de favoriser le passage à l'acte. Ainsi, en 2008, plus de la moitié des policiers morts par suicide avaient utilisé leur arme de service 3 ( * ) .

Toutefois, ainsi que l'a rappelé devant la commission d'enquête l'un des auteurs de la principale enquête sur le suicide policier 4 ( * ) , le docteur Gaëlle Encrenaz, même « en tenant compte des différences de structures sociodémographiques par âge et sexe, on estime [...] que le taux de suicide dans la police est supérieur de 36 % à celui de la population générale ».

Par ailleurs, cette étude, menée sur les 49 suicides qu'avait connus l'institution en 2008, a montré que « toutes trajectoires confondues, l'ensemble des fonctionnaires ayant mis fin à leurs jours présentait les signes d'une détresse psychologique. À l'exception d'un cas, les symptômes observés permettaient d'établir un diagnostic de trouble psychiatrique, notamment de dépression ». Outre la présence d'un trouble mental et d'une tentative de suicide antérieure, les autres facteurs associés sont l'alcool, certains traits de personnalité, le stress professionnel, le manque de soutien affectif, la survenue d'un deuil, d'une séparation, la précarité ou encore la fréquentation du milieu carcéral.

En ce sens, il n'existe pas de séparation stricte entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Si le facteur déclenchant du suicide peut être d'ordre personnel, comme l'existence d'une vie familiale déstructurée, une déception affective, des problèmes financiers, une addiction, une maladie grave, ces éléments interviennent dans un contexte professionnel qui est décisif. Les dimensions personnelle et professionnelle ne sont d'ailleurs pas hermétiques, puisqu'une vie familiale dégradée aura tendance à diminuer le bien-être au travail, et réciproquement .

Cette étude, menée en 2010 par différents médecins de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) répondait à un appel d'offres de l'inspection générale de la police nationale (IGPN) et n'a pas été réactualisée depuis, même si l'évolution du taux de suicide au sein de l'institution n'a pas réellement évolué (cf. graphique supra ).

Au total, les différentes auditions menées par la commission d'enquête ont permis de confirmer la complexité et le caractère multifactoriel de l'acte suicidaire , qui ne saurait, en tout état de cause, se rattacher à la seule situation professionnelle de l'intéressé. Il convient néanmoins de reconnaître, comme le faisait lui-même le directeur général de la police nationale (DGPN), Éric Morvan, devant la commission d'enquête que « peu d'hommes et de femmes sont exposés dans leur vie quotidienne à autant de stress traumatique que peut l'être un policier ». Les difficultés propres aux forces de sécurité intérieure, comme la proximité avec la mort, les rythmes de travail décalés, ou encore le poids de la hiérarchie constituent indéniablement des facteurs aggravants qui contribuent à expliquer cette prévalence du suicide en leur sein . C'est pourquoi les agents ressentent de manière très négative les déclarations tendant à renvoyer un passage à l'acte à des causes purement personnelles.

La disparité des taux de suicide entre la police et la gendarmerie n'est pas documentée scientifiquement. Les différents interlocuteurs interrogés par la commission, policiers et gendarmes, expliquent l'existence d'un taux de suicide plus faible en gendarmerie par la vie en caserne, permettant de détecter et de prévenir le suicide, et à la plus grande cohésion qui règne au sein de la gendarmerie nationale. Ce constat est d'ailleurs étayé par les différences de taux de suicides entre les différentes directions de la police nationale. Philippe Klayman, directeur central des compagnies républicaines de sécurité (CRS) rappelait ainsi que le taux de suicide plus faible au sein de sa direction qu'au sein de la direction centrale de la sécurité publique pouvait s'expliquer par le fait que les CRS « passent plus de la moitié de l'année en déplacement, connaissent un mode de vie collectif, et ont peut-être plus que d'autres la possibilité de se confier à des collègues ou à la hiérarchie immédiate, gradés ou officiers. » Allant dans le même sens, le DGPN reconnaissait que la cohésion constituait un « facteur évident » influant sur les suicides. Cette dernière « dépend de nombreux éléments comme la qualité du management, à tous les étages de la hiérarchie, la convivialité, qui à certains égards a disparu de nos commissariats, le sport ou encore la capacité à déterminer les stratégies opérationnelles au plus près du terrain en associant étroitement les personnels pour qu'ils aient une parfaite conscience de leur place et de leur valeur dans les politiques publiques » .

L'analyse approfondie du phénomène suicidaire au sein des forces de sécurité intérieure convie donc à la prudence ; il est impossible de parler, pour 2017, d'année « noire » traduisant un malaise policier nouveau. De même, les taux de suicides élevés ne doivent pas conduire à des conclusions hâtives et péremptoires. La commission d'enquête estime toutefois que ces chiffres constituent un révélateur édifiant des difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure et de leur état moral dégradé , dans un contexte opérationnel particulièrement éprouvant.

Proposition n° 1 : Réactualiser l'étude scientifique de 2009 sur le suicide policier, en approfondissant les raisons de la disparité entre la police et la gendarmerie nationales et entre les différentes directions de la police nationale. Cette étude devra notamment déterminer les principaux risques épidémiologiques en matière de suicide propres aux forces de sécurité intérieure et les moyens de les maîtriser.

2. Des risques psychosociaux pris en charge par des dispositifs encore insuffisants
a) Des professions particulièrement exposées aux risques psychosociaux

De nombreux facteurs expliquent l'importance des risques psychosociaux au sein des forces de sécurité intérieure. Le plus emblématique, car spécifique à un nombre limité de professions, dont les policiers et les gendarmes, est sans nul doute la confrontation à la mort .

Ainsi que l'expliquait Catherine Pinson, chef du service de soutien psychologique opérationnel de la police nationale (SSPO), « qu'il s'agisse du danger de mort pour le policier lui-même ou de la mort d'autrui, ou le fait d'être témoin d'événements dramatiques est de nature à entraîner un certain nombre de perturbations au niveau psychologique. Le traumatisme psychologique est un risque auquel sont confrontés les policiers, même si tous les policiers qui vivent ces événements ne présentent pas un traumatisme. On le sait aujourd'hui, les métiers confrontés à la mort, ou impliquant une proximité avec des victimes - policiers, gendarmes, pompiers, services d'urgence - sont des métiers à risques. Une étude réalisée sur les intervenants professionnels par Santé publique France, à la suite des attentats parisiens de 2015 5 ( * ) , révèle que les policiers sont les plus exposés et présentent le plus fort taux d'antécédents traumatiques ». Au contact de la souffrance et de la détresse humaine, le métier de policier ou de gendarme comporte une charge émotionnelle forte qui peut être à l'origine de certaines formes d'épuisement professionnel.

Dès lors, le sens du travail, la cohésion et le soutien de la hiérarchie et des collègues sont autant de valeurs protectrices face aux difficultés du métier. Comme le reconnaissent la plupart des dirigeants de la police nationale, les syndicats et les agents interrogés, ces valeurs, longtemps très fortes au sein de la communauté policière, tendent à s'éroder avec le temps. Ainsi, David Le Bars, secrétaire général du syndicat des commissaires de police estime ainsi que « les raisons du malaise [policier] se situent notamment dans la crise de sens et de reconnaissance de notre travail . Auparavant, les locaux étaient dans un état tout aussi déplorable, mais il y avait une reconnaissance du travail fait par la hiérarchie » . La chef du SSPO a évoqué à cet égard l'existence d'une « souffrance éthique », liée au sentiment d'incapacité, pour le professionnel, à bien faire son travail et à être reconnu comme une autorité.

La gendarmerie nationale a quant à elle recouru à une mesure statistique de l'épuisement professionnel en 2014 6 ( * ) . Ses résultats, semblables à ceux observés dans les professions partageant des contraintes similaires (contact avec une population extérieure, nécessité d'intérioriser ses émotions, exposition à des situations émotionnellement fortes, etc .) confirment une exposition aux risques psychosociaux particulièrement importante au sein des forces de sécurité intérieure.

Les indices de l'épuisement professionnel au sein des personnels de la gendarmerie nationale en 2014 (en pourcentage)

Source : commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure,

d'après les réponses de 25 000 gendarmes au questionnaire sur la qualité de vie au travail en 2014 (72 % de taux de réponse), élaboré d'après le Malasch Burnout Inventory,qui constitue le principal outil de mesure de l'épuisement professionnel.

b) Des dispositifs de prise en charge parfois inadaptés

La police et la gendarmerie nationales se sont mobilisées depuis plusieurs années pour répondre à la spécificité et à l'ampleur des risques psychosociaux auxquels leurs agents sont exposés.

Le ministère de l'intérieur dispose d'un maillage territorial important de professionnels de santé (médecine de prévention), et de psychologues.

En particulier, avec 82 postes de psychologues, le service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) est le dispositif institutionnel d'accompagnement psychologique le plus important existant en France . Créé en 1996 suite aux attentats de Paris, il propose aux responsables un appui technique (notamment dans la gestion des situations internes dramatiques) et à tous les personnels de la police un accès rapide à un psychologue. Ainsi que l'a rappelé la chef de ce service, Catherine Pinson, « ce n'est certes pas optimal, mais c'est le plus gros dispositif interne de cette nature en France. Ses missions sont de trois ordres : d'abord, l'accompagnement post-événementiel - très sollicité ces derniers temps - au moyen de débriefings collectifs ou individuels ; ensuite, l'accompagnement individuel par des consultations offertes au plus près des commissariats, à la demande de l'agent lui-même, de sa propre initiative ou orienté par un collègue de la médecine de prévention, de la médecine statutaire, des services sociaux ou l'un de ses responsables hiérarchiques ; enfin, le travail institutionnel, c'est-à-dire le conseil opéré avec les responsables hiérarchiques, voire auprès d'eux, et la participation à la réflexion institutionnelle sur ces questions ».

La gendarmerie nationale dispose, de son côté, d'un réseau de psychologues remplissant des missions comparables. Différents membres du conseil de la formation militaire de gendarmerie (CFMG) ont estimé que leur nombre, 1 à 2 par région de gendarmerie, était fortement insuffisant. L'un d'eux a par exemple indiqué qu'en Midi-Pyrénées, il n'y avait que « deux psychologues pour plus de 4 000 personnels. » « Ce n'est pas suffisant, il en faut davantage. On se serre les coudes et on se débrouille entre nous. »

Les difficultés d'accès aux psychologues, et leur manque de légitimité du point de vue de certains policiers et gendarmes, constituent toutefois des obstacles à leur pleine efficacité. Évoquant le cas de son unité, un membre de l'Union des policiers nationaux indépendants (UPNI) a ainsi résumé la question : « e n cas de problème, nous avons une psychologue. Mais elle a 23 ans, aucune connaissance du métier de policier, et il faut attendre quinze jours pour un rendez-vous qui a lieu... au sein du service : autant dire que tout le monde est au courant que vous allez mal ! ». La facilitation de l'accès aux psychologues, y compris indépendants, afin de préserver la discrétion des agents concernés, apparaît à cet égard souhaitable.

Par ailleurs, la commission d'enquête a pu se rendre en visite dans l'établissement de soins Le Courbat, établissement sous l'égide de l'Association nationale d'action sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'intérieur (ANAS), qui constitue un établissement de pointe en matière de prise en charge de personnels du ministère de l'intérieur (qui représentent la moitié des personnes accueillies) en situation d'épuisement professionnel, de conduite addictive, de suivi après une hospitalisation ou de blessure en service. Ce centre, financé par l'agence régionale de santé (ARS) via la CPAM 7 ( * ) dispose aujourd'hui de 80 lits 8 ( * ) dont seulement 56 financés par l'ARS. Après le séjour au Courbat, qui ne dure en moyenne que deux mois, les policiers sont suivis par un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAP) et par le SSPO.

La commission d'enquête a pu constater, au cours de ses auditions et de la visite du centre, l'efficacité des traitements proposés au Courbat, y compris pour les situations de stress post-traumatique, même si l'établissement ne peut prendre en charge les cas les plus graves faute de psychiatre à disposition. Le centre ne dispose en effet que de vacations 4 heures par mois de psychiatrie alors qu'un mi-temps au minimum serait nécessaire. En outre, un psychologue supplémentaire serait également souhaitable pour mieux traiter cette problématique. Or, la prise en charge des stress post-traumatiques est malheureusement un sujet d'avenir pour les agents des forces de sécurité intérieure 9 ( * ) , et le développement d'une filière impliquant à la fois l'établissement du Courbat et le centre hospitalier universitaire (CHU) de Tours apparaît très souhaitable dans ce contexte. Actuellement, le Courbat est en effet conduit à refuser des agents et à les orienter vers des établissements de santé mentale dans lesquels ils ne souhaitent pas se rendre en raison du risque d'y croiser des patients qu'ils ont côtoyés.

Par ailleurs, au plan institutionnel, les comités d'hygiène et de sécurité locaux (CHSCT) de la police nationale voient les questions relatives à la prévention des RPS systématiquement inscrites à l'ordre du jour de leurs trois réunions annuelles obligatoires.

En outre, des cellules de veille des RPS , réunies à l'échelon départemental, ont pour rôle d'élaborer un état des lieux des situations collectives en la matière et de proposer des mesures d'accompagnement, d'analyser des situations complexes en termes d'organisation et de conditions de travail, et de recueillir les signalements des policiers en situation de souffrance.

L'efficacité de ces dispositifs semble toutefois limitée. En pratique, les signalements individuels émanent des collègues, et sont donc d'une qualité très inégale en fonction des services, de l'implication et des relations des agents. À cet égard, Noémie Angel, sous-directrice de la prévention, de l'accompagnement et du soutien, a indiqué en audition que la DGPN avait commencé à réfléchir à « un dispositif de signalement plus structuré, afin de mieux inclure l'ensemble des professionnels de santé et de rappeler la conduite à tenir en cas d'urgence ».

Au sein de la gendarmerie nationale, chaque service ou groupement dispose de conseillers concertation, élus par leurs pairs, pour détecter, voire régler les problèmes rencontrés par leurs camarades. Ces « détecteurs de soucis » (Emmanuel Frachet, CFMG) peuvent effectuer leur signalement soit auprès du service de santé de la gendarmerie, soit de la hiérarchie. En cas de détection d'un problème au sein d'une unité, le bureau de l'accompagnement du personnel peut mettre en place un groupe d'entretiens, composé des personnels de la concertation, du chef du bureau des ressources humaines, de l'assistante sociale, du médecin, du psychologue. Cette chaîne de concertation, plus horizontale que celle prévue dans la police nationale, fonctionne, semble-t-il, de manière plus souple et efficace.

Une formation à la prévention des risques psychosociaux est par ailleurs incluse dans la formation initiale des policiers. Une visite du Courbat est en outre possible lors de la formation initiale d'officier 10 ( * ) .

Des « plans » de prévention pour lutter contre les suicides ont été annoncés récemment. En janvier 2015, Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, avait ainsi adopté un ensemble de mesures, à la suite des 55 suicides survenus en 2014. Ce plan comprenait notamment le recrutement de 7 psychologues au sein du SSPO, la création de 6 postes supplémentaires de psychologues cliniciens, dans le cadre de l'accompagnement des élèves policiers de tous grades durant leur scolarité, la diffusion d'une instruction rappelant l'obligation qu'ont les chefs de service de s'assurer que les policiers répondent réellement aux convocations des médecins de prévention, l'identification d'un « référent de l'accompagnement des personnels », agent volontaire spécifiquement formé et susceptible de les assister et de les orienter, le cas échéant, vers les professionnels de soutien.

Gérard Collomb, ministre d'État, ministre de l'intérieur, a également présenté le 29 mai 2018 un nouveau programme de mobilisation contre les suicides dans la police . Comme l'a indiqué Noémie Angel lors de son audition, ce plan s'inscrit dans la lignée du précédent mais vise à « partir du terrain [...] pour remonter vers des politiques plus générales de signalement, de prise en charge, voire d'hospitalisation. »

La commission d'enquête estime que ce nouveau plan, dont la structuration témoigne d'une prise en compte se voulant plus globale de cette problématique, est bienvenu, même si elle reste prudente quant aux traductions concrètes sur le terrain. Si le plan lancé par M. Cazeneuve a été salué par les personnes entendues, le manque de suivi par l'administration dans la durée, après une impulsion initiale positive, avait fait l'objet de certaines critiques. Il importe par conséquent de maintenir cette priorité de la lutte contre les suicides au plus haut niveau de préoccupation de l'institution.

Le nouveau programme de mobilisation contre les suicides dans la police présenté à la commission d'enquête par la DRCPN

Premier axe du plan : mieux répondre à l'urgence. Le précédent plan se fondait principalement sur des remontées hiérarchiques. [...]

Pour mieux repérer au sein des collectifs de travail les agents traversant une crise suicidaire, on a souhaité conforter le dispositif d'alerte. On réfléchit à un dispositif de signalement plus structuré, afin de mieux inclure l'ensemble des professionnels de santé et de rappeler la conduite à tenir en cas d'urgence. Si vous êtes informé qu'une personne va passer à l'acte dans l'heure qui vient, il faut non pas appeler le SSPO, mais être en mesure d'appeler rapidement un service d'urgence et un service de police pour géolocaliser le portable de la personne concernée. [...]

Deuxième axe : améliorer la prise en charge des agents à court terme dans le cadre d'une nouvelle instruction. Un dispositif intéressant existe d'ores et déjà pour les agents traversant des périodes de fragilité, notamment leur retour après une période de maladie. Dans les semaines qui précèdent ou qui suivent un arrêt maladie, une proportion importante de personnes passe à l'acte. Il convient de s'assurer qu'un soutien et un suivi de ces personnes sont mis en place, avec un réarmement progressif.

Troisième axe important, qui ne figurait pas dans les précédents plans : « la postvention » en cas de tentative de suicide ou de suicide. Les tentatives de suicide sont toujours un sujet tabou : lorsque l'on attente à ses jours, on ne souhaite pas que cela soit connu des collègues ou du chef de service. [...] Dès lors, on a décidé de mettre en place des protocoles d'intervention pour garantir la confidentialité de la personne qui se signale ou signale son collègue, avec l'organisation d'un suivi plus structuré. On va expérimenter des conventionnements avec certaines structures psychiatriques, car, à un moment donné, il faut savoir passer le relais à un psychiatre. [...]

Quatrième axe : la prévention secondaire, à savoir prévenir plus efficacement les situations de fragilité. On retrouve là certaines des interrogations concernant les risques psychosociaux, même si ceux-ci englobent une problématique plus large. Toutes les personnes confrontées à des risques psychosociaux ne passent pas à l'acte.

Source : audition de Gérard Clérissi et Noémie Angel

c) Une lutte contre les risques psychosociaux qui passe également par l'amélioration des conditions de travail

L'amélioration des conditions de travail constitue un axe majeur de la lutte contre les RPS au sein des deux institutions. Ainsi, la réforme des cycles de travail a été engagée en 2015 par la DGPN afin de permettre de mieux concilier les impératifs professionnels avec la vie privée et familiale ( cf . infra ), mais se révèle fortement coûteuse en effectifs et de nature à déstabiliser les services.

De même, les mesures de renforcement du collectif constituent des remparts contre les RPS et devraient être renforcées, comme le développement de la pratique du sport, dont l'importance a été maintes fois rappelée tant par les professionnels de santé que par les policiers et gendarmes eux-mêmes, ou des moments de convivialité, notamment au sein de la police nationale. Or, alors que deux heures de sport hebdomadaires sont prévues , comme l'a rappelé Noémie Angel, l'intégralité des agents interrogés à ce sujet a indiqué qu'elles ne pouvaient être effectuées faute d'effectifs disponibles. La mise en pratique de ces deux heures de sport hebdomadaires entraînerait, là encore, une déstabilisation des services, faute d'effectifs suffisants.

De l'avis général, les dispositifs de lutte contre les RPS se révèlent toutefois dépourvus de leur pertinence si les supérieurs hiérarchiques immédiats ne sont pas à l'écoute de leurs subordonnés. Une membre de l'UPNI ayant fait une tentative de suicide a ainsi indiqué à la commission avoir « demandé à être reçue par le commissaire de police, ce qui [lui] avait été refusé, et par le directeur départemental, ce qui [lui] avait été également refusé. Au lieu d'être entendue par [sa] hiérarchie, on a voulu [la] désarmer, en [la] transférant dans une autre unité. D'où le passage à l'acte. »

Cette insuffisance de l'écoute de la part de la hiérarchie se matérialise par le recul de la pratique des débriefings , même dans les cas où le besoin se fait le plus sentir. La même membre de l'UPNI indique ainsi que « Lors de l'intervention à Woippy contre une personne ayant fait une crise de schizophrénie et éventré sa belle-mère et ses deux enfants, les collègues sont arrivés sur place et ont assisté à une scène extrêmement choquante. Après l'intervention, ils ont dû rentrer chez eux, comme si de rien n'était (...) Lorsque je suis entré dans la police, mon chef m'attendait, quelle que soit l'heure à laquelle je rentrais de l'intervention, pour parler avec moi. Nous discutions avec les anciens de la brigade. Cela n'existe plus ». L'UPNI propose à cet effet la réhabilitation du débriefing après les opérations au cours desquelles les agents doivent affronter des scènes ou des situations choquantes. Même s'il s'agit là d'une mesure de portée limitée, elle permettrait en effet de rétablir un moment d'écoute bénéfique de la base par la hiérarchie.

Le malaise policier ne saurait toutefois se limiter à sa seule dimension psychologique. La commission d'enquête a pu constater combien ce dernier était alimenté par les difficultés matérielles et opérationnelles spécifiques qui tendent, du reste, à amplifier les risques psychosociaux.

Proposition n° 2 : Inscrire dans la durée le nouveau programme de mobilisation contre les suicides lancé en mai 2018 afin de maintenir cette action au coeur des priorités de l'administration de la police nationale.

Proposition n° 3 : Faciliter l'accès des policiers à des dispositifs de soutien psychologique extérieurs à l'institution.

Proposition n° 4 : Augmenter le nombre de psychologues dans la gendarmerie nationale.

Proposition n° 5 : Augmenter d'une quinzaine de lits le nombre de places au Courbat, y autoriser la prise en charge de la psychiatrie, financer un ETP de psychiatre et un ETP de psychologue supplémentaire afin de développer une filière de traitement des stress post-traumatiques.

Proposition n° 6 : Généraliser la pratique du débriefing post-intervention avec la hiérarchie après les opérations au cours desquelles les agents doivent affronter des scènes ou des situations choquantes.


* 1 De même, si la gendarmerie n'a connu que dix-sept suicides en 2017, huit suicides et cinq tentatives ont été enregistrés entre le 1 er janvier et le 14 mars 2018, traduisant une tendance potentiellement inquiétante.

* 2 Observatoire national du suicide, février 2018 - troisième rapport, Suicide - Enjeux éthiques de la prévention, singularités du suicide à l'adolescence.

* 3 Encrenaz G, et al. Suicide dans la Police nationale française : trajectoires de vie et facteurs associés. Encéphale (2015), http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2015.08.004.

* 4 Étude-Action relative à la prévention du suicide dans la Police Nationale - Équipe PPCT - INSERM U 897 - juin 2010.

* 5 Vandentorren S, Sanna A, Aubert L, Pirard P, Motreff Y, Dantchev N, Baubet T. Étude de cohorte Impacts. Première étape : juin-octobre 2015. Saint-Maurice : Santé publique France ; 2017.

* 6 Questionnaire sur la qualité de vie au travail en 2014 au sein de la gendarmerie nationale.

* 7 Les patients sont pris en charge par leur régime de sécurité sociale et le cas échéant par les mutuelles.

* 8 Seule la moitié est, en moyenne, occupée par des personnels des forces de sécurité intérieure.

* 9 Les représentants de la mutuelle « Intériale » ont également défendu ce point de vue auprès de votre rapporteur.

* 10 Cette visite, d'une durée de deux jours, n'est effectuée que par 15 % en moyenne des promotions.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page