CONTRIBUTION DE MME ÉLIANE ASSASSI, SÉNATRICE DE SEINE-SAINT-DENIS (GROUPE CRC)
Un constat largement partagé
Le constat dressé par la commission d'enquête ne peut qu'être partagé par l'ensemble de ses membres : nos forces de sécurité intérieure sont en souffrance et ont le sentiment d'être délaissées depuis de nombreuses années par les gouvernements successifs.
Les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE n'ont eu de cesse de dénoncer cette situation, notamment lors des débats budgétaires.
Le décalage est en effet grand entre les priorités nettes des différents gouvernements en matière de sécurité publique qui ont donné lieu à de nombreuses lois globalement répressives, et les moyens concrètement alloués à nos services de police et de gendarmerie.
Leurs conditions de travail se trouvent aujourd'hui extrêmement détériorées, notamment en raison du renouvellement incessant de l'état d'urgence entre 2015 et 2017 et du stress permanent qu'engendrent des relations trop souvent conflictuelles avec la population.
Or, si le régime d'état d'urgence a pris fin le 1er novembre dernier, le Gouvernement a reconnu que la menace revêtait désormais « un caractère durable », et a souhaité doter l'Etat de nouveaux moyens juridiques permanents, de droit commun, avec la loi du 30 octobre 2017. Le surcroît opérationnel ne s'est donc aucunement trouvé diminué par la fin de l'état d'urgence, et se serait même accentué.
Des propositions intéressantes et d'autres en demi-teinte
• Sur la prise en charge psychologique des forces de l'ordre
Les premières propositions du rapport apportent des réponses au mal-être, notamment psychique, de nos forces de l'ordre ; cependant, elles doivent être suivies en urgence et trouver leur concrétisation dans les orientations de politique publique afférentes.
Les conditions de travail déplorables des policiers les rendent structurellement incapables d'accompagner correctement certaines victimes, notamment les plus traumatisées et en état de choc (attentats, violences sexuelles, ...). À cet égard, la souffrance engendrée et l'impact traumatique qu'induit l'écoute de récits souvent violents doit requérir notre plus grande attention. L'accompagnement psychologique défaillant et le manque de supervision dans ces cas-là obligent les agents à y remédier par des techniques inconscientes de distanciation qui peuvent expliquées le comportement parfois inadapté de certains d'entre eux lors de dépôts de plainte.
• Sur le renforcement de la formation
C'est une question fondamentale à laquelle le rapport apporte quelques réponses. Pour notre part, nous n'avons cessé de dénoncer l'insuffisance de la formation de nos forces de l'ordre, nous le déplorons d'autant plus que les lois sécuritaires en matière de sécurité publique tendent vers toujours plus d'armement et pour toujours plus de fonctionnaires (y compris les policiers municipaux). Cela est absolument déraisonnable et dangereux pour nos concitoyens, au premier rang desquels les fonctionnaires de police et de gendarmerie eux-mêmes, ... en témoignent les vagues de suicides d'années en années. L'IGPN vient d'ailleurs d'annoncer une très forte hausse du recours aux armes à feu chez les policiers entre 2016 et 2017 (+54%), chiffre révélateur d'un climat tendu sur le terrain. Les quelque 394 utilisations pouvant raisonnablement être imputées à la loi entrée en vigueur en février 2017 qui élargit les règles de légitime défense notamment dans un but de meilleure prévention du terrorisme.
La formation est, selon nous, la meilleure réponse à apporter pour gérer les ressources humaines. Ainsi, nous nous interrogeons sur la conception managériale qui renvoie à des schémas de gestion d'entreprise. Cela est pour le moins discutable il s'agit ici de proposer un cadre de travail satisfaisant à des agents publics. Aussi, sommes-nous dubitatifs quant à l'usage de « critères de performance » et du « système de reporting » (propositions 18 et 19).
• Sur les conventions de coordination avec la police municipale
Nous rappelons que police municipale et police nationale ne sont pas perméables, et que leurs missions (au-delà du maintien de l'ordre public) sont singulièrement différentes. Après des concours distincts, des formations propres à chacun, rappelons que le policier national agit par exemple en matière judiciaire, ce qui l'habilite notamment à mener des enquêtes lors de la commission d'infractions ; alors que son collègue municipal n'a qu'une compétence très limitée dans ce domaine.
En outre, il y a autant de polices municipales que de communes et donc de maires et que leur rôle doit rester circonscrit à leurs propres missions, à moins de les intégrer à un grand corps de police nationale relevant du pouvoir régalien. Or l'extension de l'usage des armes à feu et le port des caméras mobiles pérennisées récemment pour la police municipale font état d'une convergence inquiétante dans la conception des différents métiers de police.
• Sur la dématérialisation
Les propositions consistant à dématérialiser « totalement » la procédure pénale sont très préoccupantes, tout comme la mise en place d'outils dématérialisés en temps réels entre enquêteurs et magistrats. L'outil numérique doit bien sûr pouvoir améliorer les conditions de travail des forces de l'ordre mais en aucun cas dégrader les relations entre police et administrés et notre procédure pénale qui, en droit français.
• Sur la pénitentiaire
Nous nous félicitons que le rapport ait rajouté une recommandation relative à la situation des personnels de la pénitentiaire qui sont traversés eux-aussi par des malaises et surtout par des doutes quant à l'utilité même de leurs missions rejoignant en cela des problématiques soulevées par les agents de la police nationale.
Nous nous étonnons enfin qu'aucune proposition ne renvoie à la police de sécurité du quotidien qui a le mérite (au moins en apparence) de poser la question du lien entre population et forces de l'ordre qui selon nous ne peut se résumer au « soutien » et au « respect » de nos concitoyens en nos forces de l'ordre. Il est évident que les fonctionnaires de police et de gendarmerie souffrent directement de la dégradation de leur relation avec la population.
Selon nous, la réalisation d'une véritable police de proximité - que nous avons toujours soutenue - suppose une gestion des effectifs adaptée, d'abord en la dotant des moyens nécessaires, mais aussi en créant - sur le mode de la Direction générale de la sécurité intérieure créée le 14 avril 2014 -une direction générale de la police de proximité. Celle-ci disposerait comme toute entité de cette importance, de services administratifs et de soutien nécessaires à son fonctionnement et à sa gestion.
S'attaquer uniquement aux conséquences sans songer aux causes ne constitue pas la solution ; il convient plutôt de donner la priorité à la prévention et à la dissuasion plutôt qu'à la répression.
En ce sens, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE défendent une police plus proche de nos citoyens pour une société plus humaine et confiante en nos forces de l'ordre.
Malgré des réserves, les sénatrices et sénateurs du groupe CRCE notent le sérieux et la rigueur du travail effectué par les membres de la Commission d'enquête. Ils sont ainsi favorables à la publication de ce rapport sur lequel ils s'abstiendront.