EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le jeudi 20 juillet 2017, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission entend la communication au nom de la Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, sur la pertinence des soins.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - La thématique du « juste soin » ou de la pertinence, sous l'angle des actes redondants ou sans valeur ajoutée pour la santé, est au coeur des préoccupations de notre commission depuis plusieurs années.

Les enjeux sont majeurs : la dépense de santé représente près de 11 % du PIB ; les dépenses publiques de santé sont supérieures de 27 % en 2015 à leur niveau de 2006 ; cette tendance devrait se poursuivre, nous en connaissons les déterminants : vieillissement de la population, poids des maladies chroniques, technicité croissante des soins...

À côté de cela, plusieurs rapports ou enquêtes ont mis en avant des marges d'efficience globale : dès 1992, le Professeur Beraud de la Caisse nationale d'assurance maladie relevait que le toujours plus n'est pas toujours synonyme de mieux en matière de santé. Plus récemment, l'OCDE a montré que le « gaspillage » - dont les interventions évitables ou « de faible valeur » - représentait près d'un cinquième de la dépense de santé dans la plupart des pays développés, alors que les budgets sont sous tension. Une enquête de la Fédération hospitalière de France (FHF), que j'ai déjà eu l'occasion de citer, révèle que 28 % des actes prescrits sont jugés, par les médecins eux-mêmes, non pleinement justifiés ; rapportés aux dépenses d'assurance maladie, ce sont de l'ordre de 50 milliards d'euros potentiellement concernés.

Face à ces constats, des actions ont été engagées : dans les trois derniers projets de loi de financement de la sécurité sociale, « la pertinence et le bon usage des soins » sont un volet du programme d'économies visant à assurer une croissance maîtrisée de l'Ondam.

Dans le prolongement de ces discussions, j'ai souhaité entendre, au cours des derniers mois, les principales parties prenantes pour dresser un état des lieux des actions menées et en évaluer les résultats.

Un premier constat, positif, est la prise de conscience, par tous les acteurs, de l'enjeu que l'amélioration de la pertinence des soins représente pour la pérennité de notre système de santé. Cet enjeu, c'est de continuer à garantir les meilleurs soins, en préservant les grands équilibres économiques, face aux défis de la médecine de demain.

Un second constat, plus nuancé, est qu'en dépit des actions engagées, les résultats sont réels mais ils plafonnent : de l'avis quasi unanime des personnes entendues, notre système de santé, par son organisation cloisonnée et ses modes de financement insuffisamment incitatifs, constitue un frein à des avancées plus substantielles. Cela me conduira à vous soumettre quelques pistes de réflexion, pour passer d'une logique de rabot à des évolutions plus structurelles.

Qu'entend-on, d'abord, par la « pertinence » des soins ?

Les termes ont leur importance sur ce sujet, qui a un sens médical précis mais aussi une dimension organisationnelle.

L'ancienne présidente de la Haute autorité de santé (HAS), devenue depuis ministre en charge de la santé, a défini lors de son audition un acte de soin pertinent comme « le bon acte, pour le bon patient, au bon moment ». La pertinence fait l'objet de définitions scientifiques internationales : elle renvoie à la balance bénéfice/risque, à ce qui est approprié, adapté aux besoins et préférences des patients, conforme aux recommandations de bonnes pratiques et aux meilleurs standards cliniques. Il s'agit de protéger le patient des risques potentiels de l'intervention inutile ou excessive du système de santé, mais aussi du sous usage ou du mésusage des soins. Cette exigence première de qualité et de sécurité des soins donne à cette notion une légitimité auprès des professionnels de santé.

La recherche de la pertinence est également un levier d'efficience, en évitant, par voie de conséquence, des dépenses inutiles, sans que cela ne porte atteinte à l'amélioration de la santé. Il est à cet égard intéressant de noter que cela nous amène à penser les deux objectifs - l'amélioration de la qualité des soins et celle de l'efficience du système de santé - comme allant de pair, et non de façon antagoniste.

La pertinence des soins recouvre des aspects transverses de l'organisation de notre système de santé que je n'ai pas l'ambition de tous appréhender : la pertinence des prescriptions médicamenteuses, la pertinence des séjours (comme le recours inapproprié aux urgences, sujet sur lequel nos collègues Laurence Cohen, Catherine Génisson et René Paul Savary ont conduit une mission), la pertinence des modes de prise en charge (chirurgie ambulatoire versus hospitalisation complète), enfin la pertinence des actes diagnostiques et thérapeutiques : c'est sur ce dernier sujet que mon propos est davantage ciblé, suivant l'axe principal retenu au titre de la pertinence dans les actions engagées au plan national.

Quels sont les enjeux ?

Personne ne conteste globalement les constats des rapports ou enquêtes que j'ai cités. Pour autant, cela ne signifie pas que le sujet soit simple à aborder, bien au contraire :

- comme l'a relevé la HAS, l'approche scientifique de la pertinence est complexe ; ses recommandations de bonne pratique sont le socle de toute action ; or, elles requièrent un travail d'expertise lourd, une sélection fine des thématiques en amont et doivent s'adapter aux évolutions parfois rapides des techniques et des connaissances ;

- le dialogue patient médecin est lui-même singulier ce qui rend délicat l'appréciation de la pertinence de certaines prescriptions ;

- enfin, les constats globaux traduisent un ressenti général mais ne se déclinent pas en plans d'actions opérationnels. Si les uns et les autres reconnaissent l'existence de « poches d'efficience », elles se situent souvent, selon eux, hors de leur domaine d'action.

Des données ciblées existent toutefois : deux enquêtes de la Cour des comptes sur la biologie et l'imagerie médicales, présentées en 2013 et 2016 par nos collègues Jacky Le Menn et Daniel Chasseing, avaient mis en avant la banalisation de certains actes, comme l'échographie ou le dosage de la vitamine D, sans que la croissance des volumes - un million d'échographies en plus chaque année entre 2007 et 2014, des dosages multipliés par 7 pour la vitamine D entre 2007 et 2011 - corresponde à une utilité médicale avérée.

Il est possible d'agir, en étroite concertation avec les professionnels de santé. La plupart des acteurs ont d'ailleurs estimé qu'il était aujourd'hui indispensable d'aller plus loin sur ce sujet « stratégiquement clé », comme l'a qualifié l'ancienne présidente de la HAS.

Quelles actions sont engagées et avec quels résultats ?

La « pertinence et le bon usage des soins » a émergé comme un axe prioritaire du dernier programme de gestion du risque entre l'assurance maladie et l'État et, parallèlement, comme un volet d'économies du plan Ondam 2015-2017. Les actions sur ce volet englobent la maîtrise médicalisée mise en place par l'assurance maladie depuis plus de dix ans dans le domaine des soins de ville.

Plus récente, une démarche nationale de pertinence, axée sur le secteur hospitalier, est portée depuis 2011 par la Direction générale de l'offre de soins et la Caisse nationale d'assurance maladie, au sein d'un « groupe technique » associant la HAS et l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation. Ces travaux ont conduit à identifier, en 2014, 33 thématiques prioritaires, correspondant à des actes chirurgicaux dont la variation interdépartementale des taux de recours interroge la pertinence. Un premier Atlas des variations des pratiques médicales, ciblé sur dix de ces actes, pour lesquels des référentiels de bonne pratique existent, a été publié en novembre 2016. C'est une avancée à saluer même si l'intérêt résidera surtout dans le suivi des résultats que les prochaines éditions de cet atlas permettront d'assurer.

Les actes ciblés sont : la chirurgie de l'appendicite, la césarienne, la chirurgie bariatrique ou de l'obésité, la chirurgie de la prostate, la chirurgie du syndrome du canal carpien, l'ablation de la vésicule biliaire, celle des amygdales, de la thyroïde et de l'utérus, et la pose d'une prothèse du genou. La part des séjours évitables pour ces actes va jusqu'à 18 % d'après l'assurance maladie.

Un cadre de pilotage en région entre les Agences régionales de santé (ARS) et Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) s'est structuré : la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a prévu l'élaboration par chaque ARS d'un plan d'actions d'amélioration de la pertinence des soins. Ces plans ont été élaborés à l'été 2016, ciblés principalement sur les dix actes mentionnés. En parallèle, l'assurance maladie a développé, comme elle le fait déjà en direction des professionnels de ville, une méthode de ciblage des établissements de santé « atypiques », servant de base à une réponse graduée, en trois temps :

- l'accompagnement des établissements de santé (information, échanges confraternels, mise à disposition d'outils) ;

- la contractualisation tripartite, pour fixer les objectifs à atteindre, selon un cadre qui a été refondu et simplifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, ce qui va dans le bon sens mais a de fait retardé la contractualisation sur le champ de la pertinence ;

- en cas de non-respect des engagements, la mise sous accord préalable de certains actes, déclenchée depuis 2015 par l'ARS alors que l'assurance maladie était jusqu'alors force de proposition. Sur le champ de la pertinence, cette procédure a été appliquée presqu'exclusivement à la chirurgie bariatrique, dès 2010 au titre des actions préalables de l'assurance maladie.

Alors que l'axe « pertinence » du plan Ondam avait vocation à renforcer la portée des actions de maîtrise médicalisée, ses résultats au plan budgétaire révèlent un certain plafonnement.

La maîtrise médicalisée en ville a représenté en moyenne 500 millions d'euros par an depuis 2005, principalement sur les prescriptions de médicaments et d'arrêts de travail, avec des actions ciblées en direction des gros prescripteurs.

En 2015 comme en 2016, les objectifs étaient de 700 millions d'euros : ils ont été atteints à 85 % en 2015 puis à 65 % en 2016. Hors prescriptions médicamenteuses qui représentent plus de 80 % des économies réalisées en 2016, les autres actions présentent des résultats modestes et contrastés (65 millions d'euros, seulement 24 % des objectifs fixés) :

- elles concernent principalement les prescriptions d'arrêt de travail et de transport sanitaire en ville et établissements : les objectifs ne sont atteints qu'à 24 % et 15 % en dépit d'actions ciblées (visites, plateformes de régulation des transports en établissements...) ;

- le volet « actes » (concernant la kinésithérapie, la biologie ou les examens d'IRM) représente de l'ordre de 30 millions d'euros soit moins d'un tiers de l'objectif. A titre d'illustration, l'assurance maladie avait évalué à 200 millions d'euros le potentiel de diminution sur trois ans des tests redondants et non pertinents en biologie.

Le rapport « charges et produits » présentant les propositions de l'assurance maladie pour 2018 marque une volonté d'amplification des actions qu'il faut saluer : hors produits de santé, l'objectif au titre de la pertinence, recentré sur les actes, passerait de 290 millions d'euros en 2017 à 510 millions d'euros en 2018. L'effort soutenu sur les actes en ville et à l'hôpital serait porté sur la diminution des taux de recours sur les dix actes chirurgicaux ciblés au plan national, la poursuite des actions sur les tests biologiques non pertinents et la radiologie. Les actions sur les indemnités journalières seront poursuivies, avec une communication nationale prévue sur la lombalgie. Un effort porterait également sur les actes paramédicaux, pour lesquels la répartition géographique des professionnels de santé pose une question de pertinence : on note en effet une corrélation entre la densité des professionnels de santé et la consommation de soins.

Quels axes de réflexion appellent ces constats ?

Les actions menées ont contribué à donner plus de visibilité à l'enjeu de pertinence des soins. Toutefois, des avancées sont encore possibles et personne ne le conteste. Elles sont aussi nécessaires, alors que notre système de santé est sous tension, pour lui redonner des marges de manoeuvre, notamment pour financer la dépendance.

D'abord, la démarche engagée a besoin, de l'avis des personnes entendues, d'une nouvelle impulsion pour mieux coordonner des acteurs dont les rôles sont imbriqués. L'absence de véritable stratégie donne le sentiment d'un tâtonnement et les initiatives restent dispersées et peu lisibles. La FHF va lancer son programme de pertinence des actes, jugeant les actions nationales lourdes et inefficaces. La finalité des saisines de la HAS est parfois trop peu concertée en amont pour conduire à des résultats opérationnels. Par ailleurs, la construction d'outils de pilotage et de données structurées, par une exploitation optimisée des systèmes d'information, permettrait d'identifier des axes de progression et d'assurer le nécessaire suivi dans le temps des résultats, aux niveaux national et territorial.

De plus, les actions menées demeurent cloisonnées entre la ville et l'hôpital, sans s'attacher à la liaison - pourtant fondamentale - entre les deux. La Cour des comptes avait relevé, pour l'imagerie, que des répétitions inutiles d'examens étaient en partie liées à des carences dans la transmission et le partage des informations. Des outils existent mais leur fonctionnement reste perfectible : pour les syndicats de médecins, le format de la lettre de liaison ville hôpital est à simplifier ; un enjeu sera aussi de convaincre les praticiens de l'intérêt du dossier médical partagé (DMP), alors qu'ils restent pour le moins sceptiques quant à son caractère opérationnel et la réalité de son déploiement, limité à 770 000 aujourd'hui, en phase de test : il est essentiel d'associer les praticiens de terrain au bilan de ces outils pour les ancrer dans les pratiques quotidiennes. Une attention particulière doit être portée en parallèle au déploiement des messageries sécurisées et à l'interopérabilité entre les logiciels.

Une condition de réussite des actions est l'appropriation de la démarche de pertinence par les professionnels de santé. Cela passe par la répétition et la continuité des messages, et donc un travail en réseau entre les acteurs. L'implication des sociétés savantes est, à cet égard, cruciale, suivant le modèle des « leaders cliniques » dans certains pays, en particulier sur les sujets pointus. Plusieurs ont investi cette thématique, comme la Société française de radiologie qui a élaboré un guide de bon usage. Une autre idée avancée serait d'instaurer des rendez-vous réguliers avec l'assurance maladie, ce qui présenterait l'intérêt de renforcer la place de ces sujets dans les relations conventionnelles. Un levier essentiel est enfin de sensibiliser les internes et de former les médecins aux enjeux médico économiques.

Face à la pression consumériste que subissent les praticiens, la sensibilisation des patients est un autre moyen, complémentaire, de changer les comportements. Des initiatives intéressantes, dans le cadre du programme « choosing wisely » (choisir avec soin) ont été développées dans plusieurs pays, notamment au Canada, autour de messages courts. Plusieurs acteurs ont montré un intérêt à approfondir ce champ, dans la continuité des « mémo patients » de l'assurance maladie. Ces actions sont à mener en association étroite avec les professionnels de santé puisqu'ils sont en première ligne dans le dialogue avec les patients.

Les actions d'amélioration de la pertinence des soins gagneraient, enfin, à être accompagnées de modes de financement plus incitatifs. Quasiment toutes les personnes entendues ont relevé les limites de la tarification à l'acte ou à l'activité. Deux leviers seraient intéressants à explorer :

- Le paiement forfaitaire au parcours ou à l'épisode de soins répond à un double objectif : rompre la logique « en silos » de notre système de santé, tout en améliorant la qualité des prises en charge. Le sujet n'est pas nouveau : notre président et Jacky Le Menn préconisaient déjà, dans un rapport de 2012 sur la tarification à l'activité, l'expérimentation de ces modes de financement. Nous avons, depuis, peu avancé : des expérimentations ont été ouvertes par la LFSS pour 2014 mais le cadre se révèle lourd et les actions ne commenceront qu'à l'automne prochain. Passer par des appels à projet auprès des établissements ou professionnels de santé volontaires serait un moyen d'avancer plus efficacement. Les professionnels sont ouverts, même si les questions de répartition de l'enveloppe globale de financement sont complexes à résoudre et que des référentiels bien balisés doivent être disponibles. Une piste a été ouverte par l'assurance maladie, pour appliquer cette rémunération à la pose de prothèse de hanche, en incluant les phases pré et post opératoire, comme cela se pratique en Suède avec succès. Nous serons attentifs aux modalités qui pourraient être proposées dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale.

- Un autre axe de réflexion serait d'associer davantage les professionnels et établissements de santé à la régulation des dépenses de santé par la qualité et la pertinence. Nous vous présentions l'an dernier, avec Yves Daudigny, un rapport sur les soins de ville en Allemagne qui en montrait un exemple très abouti, reflet d'une maturité dans la relation conventionnelle qui n'a pas son équivalent en France. Pour autant, une plus forte valorisation d'autres éléments de rémunération que l'acte (par exemple en s'appuyant sur la rémunération sur objectifs de santé publique, la ROSP) serait un levier pour responsabiliser les professionnels et les intéresser plus encore aux résultats. Le principe d'un accord prix volume a été engagé avec les biologistes, pour une meilleure maîtrise du volume de certains actes. Les discussions avec les professionnels et établissements de santé devraient s'engager plus résolument dans cette logique, selon un cadre pluriannuel. Les représentants de la FHF sont demandeurs, en souhaitant que la valorisation de la qualité, encore embryonnaire pour les établissements de santé, repose sur des indicateurs finaux de résultats - comme les taux de ré hospitalisations évitables, ou basés sur le recueil de l'expérience des patients - et non seulement des indicateurs intermédiaires de processus. Une autre idée en ce sens, avancée par les radiologues, serait de les inciter à réorienter les prescriptions dans un objectif de pertinence. Cette piste mériterait d'être approfondie avec les professionnels.

En conclusion, les réflexions autour de la pertinence des soins émergent, elles sont complexes mais elles sont un levier pour permettre à notre système de santé de faire sa mue et de préserver des marges de manoeuvre pour maintenir une haute qualité. Les acteurs du système de santé semblent disposés à les aborder et y prendre toute leur part, si tant est qu'une volonté politique les conduise en ce sens, en engageant un dialogue de confiance et de responsabilité.

Voici, monsieur le président, mes chers collègues, les principales observations que je souhaitais vous présenter.

Mme Catherine Génisson. - Je remercie le rapporteur général pour sa présentation. Un point relevé est selon moi le pivot du sujet : l'amélioration de la qualité des soins et l'efficience du système de santé vont de pair. Cela doit s'ancrer dans les esprits. En revanche, faisons attention à la corrélation entre la densité en professionnels de santé et la consommation de soins : cela a justifié, dans le passé, la baisse drastique du numerus clausus.

Le DMP est une arlésienne depuis plus de dix ans. Il y a un problème d'adhésion au projet. Il est inimaginable que le bilan soit encore aussi faible, alors que le carnet de santé de l'enfant fonctionne bien. Je souscris également au principe du déploiement des messageries sécurisées, qui s'est heurté au fait que certains médecins ont eu longtemps des réticences à utiliser les nouvelles technologies.

Les leaders cliniques sont importants. Mais la difficulté à laquelle sont exposés les médecins est la pression consumériste des patients. Être capable de refuser la demande d'un patient suppose d'avoir une certaine expérience et une formation à la sémiologie.

Je partage également l'idée d'associer les professionnels à la régulation du système par la qualité et l'efficience. Il y a tout un travail à engager pour sortir de l'organisation en silos, principalement verticale, de notre système de santé. Le rapport avance des pistes importantes. Il est essentiel d'informer nos concitoyens et de les éduquer à un recours pertinent au système de santé, tout en continuant d'appréhender la médecine comme une science avant tout humaine.

M. René-Paul Savary. - Je partage assez largement les propos de ma collègue Catherine Génisson. Pour un médecin, cela prend plus de temps de dire non à un patient que d'accéder à sa demande. Toute décision entraîne une prise de risque à laquelle les nouveaux praticiens ne sont pas formés. Aujourd'hui, les médecins n'ont plus le droit à l'erreur. Or, il y a toujours un jour particulier où ils sont confrontés au risque d'erreur. Cela rend difficile l'appréhension du sujet des actes inutiles. Il en est de même pour les prescriptions d'arrêts de travail non justifiées : les patients n'hésitent pas à placer le médecin face à sa responsabilité. Il est essentiel de changer les habitudes. Or, je doute de la réelle volonté de l'assurance maladie de faire évoluer les choses. Celle-ci dispose d'une source d'informations extraordinaire mais sous exploitée. Des évolutions du pilotage territorial seraient aussi nécessaires. J'ai dû imposer dans le cadre du projet régional de santé Grand Est que l'assurance maladie soit associée.

Sur les modes de tarification, des difficultés se posent également concernant les urgences : le rapport qui sera présenté la semaine prochaine avancera des propositions.

Enfin, il est faux de dire qu'un nombre plus élevé de médecins entraîne un plus grand nombre d'actes. Desserrer le numerus clausus médical est aujourd'hui une nécessité.

M. Daniel Chasseing. - Il n'y a pas de corrélation, en effet, entre le nombre de professionnels de santé et la consommation de soins. Cette considération a conduit à la baisse du numerus clausus dans les années 1990, avec les conséquences que l'on sait.

Les médecins ont une part de responsabilité mais il n'est pas facile de refuser un acte. L'éducation des patients est à faire, en particulier pour l'imagerie. Il faut également former les médecins généralistes au bon usage des prescriptions d'IRM ou de scanner. Les problèmes de transmission d'informations entre la ville et l'hôpital existent dans les deux sens et sont encore fréquents. Pour l'imagerie, il y avait également des problèmes de transmission induisant des redondances d'actes au sein même de l'hôpital.

M. Gérard Roche. - La médecine est une grande école d'humilité. On n'est jamais sûr de rien. Un de mes professeurs de médecine nous enseignait par exemple que l'on ne doit poser un diagnostic de malaise vagal que lorsque toutes les autres causes de malaise ont été éliminées. Ce qui peut paraître anodin peut avoir des conséquences graves. Une des clés de la pertinence me paraît être le DMP à disposition immédiate de tout intervenant, qui permettra un suivi personnalisé et permanent des patients. Je m'étonne que la médecine sportive ne soit pas évoquée comme piste d'économies pour la sécurité sociale. Les sportifs se blessent le week-end, ne sollicitent pas leur assurance et font reposer le coût de leurs soins sur l'assurance maladie. Le développement des sports extrêmes, dont les pratiquants s'exposent volontairement à des risques importants, soulève également des questions.

M. Alain Milon, président. - Le sport est effectivement un sujet. En réponse à certains intervenants, je voudrais dire qu'à titre personnel, je considère que les ARS et l'assurance maladie dépendent du ministère de la santé et que si des engagements contractuels doivent être pris, il revient au ministère de les assumer.

M. Philippe Mouiller. - Je voudrais à mon tour remercier le rapporteur général et les différents intervenants. Je suis atterré par les chiffres évoqués. Le fait que les choses n'évoluent pas traduit l'absence de volonté réelle. Je m'interroge sur les effets de la judiciarisation de notre société dans le domaine qui nous occupe. Le poids de la judiciarisation de la médecine ne conduit elle pas à multiplier les actes ? Pour ce qui concerne le comportement des patients, je m'interroge sur l'impact du tiers payant généralisé. Le sujet des arrêts de travail est complexe. On observe notamment une augmentation à certaines périodes de l'année. Enfin, les cures thermales sont-elles dans le champ de notre sujet ?

Mme Catherine Génisson. - C'est un sujet tabou !

M. Alain Milon, président. - La ministre de la santé a annoncé qu'elle souhaitait rendre onze vaccins obligatoires. Je suis complètement d'accord. Cette obligation devrait se traduire, comme c'est déjà le cas, par un certain nombre d'accidents vaccinaux, dont l'État devra assumer la responsabilité et la réparation. En revanche, quand un enfant contracte une maladie contre laquelle ses parents ont refusé la vaccination, les frais de santé devraient rester à leur charge.

M. Yves Daudigny. - Je salue à mon tour le grand intérêt des interventions. L'idée du « jour particulier » du médecin, au cours duquel il peut commettre une erreur, a été évoquée. Le patient qui consulte souhaite 100 % d'efficacité.

Vous avez évoqué le malaise vagal, je confirme que le diagnostic en est très difficile. Un patient qui a finalement subi 50 jours d'hospitalisation à la suite d'un tel malaise avait consulté trois médecins, dont deux cardiologues, qui, tous, avaient confirmé l'absence de problème cardiaque. Les arrêts de travail sont un poste de dépense très dynamique, qui augmente de 4 % par an. Les lombalgies, mais aussi les difficultés psychologiques, en sont souvent la cause. Pour ce qui concerne les transports sanitaires, il y a une difficulté à transformer certains transports couchés en transports assis et à responsabiliser les établissements de santé.

M. Daniel Chasseing. - Je suis convaincu que le DMP sera généralisé d'ici quelques années. Je voudrais insister sur le fait que dans un département rural, si les patients se présentent aux urgences, c'est que le médecin le plus proche est à 50 ou 80 kilomètres. Or, le manque de médecins va s'accentuer dans les territoires ruraux. Il faut relever le numerus clausus et développer les stages en médecine générale au cours de la formation des médecins.

Mme Catherine Génisson. - L'augmentation des transports sanitaires est aussi liée au développement de la médecine ambulatoire. Il faut souligner que les transports assis par ambulance coûtent moins cher que les transports assis par taxi, dont les tarifs, très divers, relèvent des préfectures. Le métier d'ambulancier doit être préservé.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général. - Je sais pouvoir m'appuyer sur les médecins de notre commission pour faire partager largement cette démarche de pertinence, notamment par le Gouvernement.

Je voudrais apporter quelques précisions.

La corrélation entre la densité de la présence médicale et le nombre d'actes médicaux est un fait. Elle est particulièrement forte pour les soins infirmiers et de kinésithérapie, ainsi que l'a démontré la Cour des comptes.

Le DMP devrait être opérationnel en 2018. Il faut que les médecins s'en saisissent.

M. Gérard Roche. - Le DMP permet une traçabilité de la qualité des soins, c'est aussi ce que peuvent craindre certains médecins.

M. Alain Milon, président. - La commission autorise-t-elle la publication de ce rapport effectué au nom de la Mecss ?

La commission autorise la publication du rapport d'information.

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