C. UN PLAFONNEMENT DES RÉSULTATS
1. La maîtrise médicalisée, outil des relations conventionnelles
Depuis 2005, où ce processus a été inscrit dans la convention médicale, avec un engagement du corps médical « dans un effort collectif visant au bon usage des soins et au respect des règles de la prise en charge collective », les actions de maîtrise médicalisée conduites par l'assurance maladie représentent en moyenne 500 millions d'euros par an .
Ces actions concernent essentiellement les soins de ville : elles comportent un volet principal portant sur la prescription de médicaments ; la prescription d'arrêts de travail et celle de transports sanitaires en constituent d'autres axes importants, dans un contexte de croissance dynamique ; les actions portant sur les actes diagnostiques et thérapeutiques forment un volet à la fois plus récent et plus restreint.
Exemples d'actions de pertinence
820 millions d'actes (côtés B) ont été remboursés en 2013, soit un montant de 3,5 milliards d'euros. Une grande variabilité des pratiques est observée, sans corrélation avec les différences de patientèle : alors qu'en moyenne un médecin généraliste prescrit de la biologie à 45 % de sa patientèle, pour un montant moyen de 74 euros, ces mêmes résultats s'élèvent, pour les 10 % plus gros prescripteurs, à 55 % des patients pour un montant moyen de 116 euros. Le rapport « charges et produits » pour 2016 évaluait la diminution potentielle des redondances d'examens et des tests non pertinents à 200 millions d'euros sur trois ans. Les actions de maîtrise médicalisée ont été ciblées sur trois actes à compter de 2015 : les dosages de vitamine D, les groupes sanguins et les dosages thyroïdiens . Concernant le dosage de la vitamine D, la révision de la nomenclature et la diffusion d'un mémo sur les indications validées par la HAS a conduit à une baisse importante du nombre de dosages (de plus de moitié entre 2010 et 2015). La Cour des Comptes, dans son rapport sur la biologie médicale établi en 2013, avait constaté une multiplication par 7 du coût de cet acte entre 2007 et 2011. Une autre campagne a concerné les dosages biologiques pour le dépistage du cancer de la prostate : en 2016, des échanges confraternels ont concerné plus de 10 000 médecins généralistes ; ces visites se sont traduites par une légère diminution des dosages prescrits ; elles ont été suivies d'une enquête d'évaluation sur la mémorisation et l'adhésion aux messages délivrés, montrant que les arguments avaient convaincu 73 % des médecins, dont 26 % déclarent avoir changé leur pratique après l'échange.
Une action à destination des prescripteurs d'examens a été engagée à partir de 2015 en collaboration avec la Société française d'anesthésie-réanimation (SFAR), à la suite du référentiel publié en 2012 par cette société savante. Cette action porte sur quatre situations dans lesquelles la réalisation systématique de certains examens pouvait être jugée inappropriée (car étant justifiée uniquement en cas de facteurs de risque particuliers) : hémostase chez l'adulte, hémostase et groupe sanguin avant l'ablation des amygdales et des végétations chez l'enfant, groupe sanguin avant quatre gestes chirurgicaux et ionogramme sanguin. Sur la base des actes réalisés en 2014, l'évaluation des actes non pertinents au regard des recommandations de la SFAR représente un coût évitable pour l'assurance maladie de 17 millions d'euros , soit 3,5 millions d'examens. Pour le seul bilan d'hémostase chez l'adulte, le taux de recours inapproprié est évalué à 22 % (avec d'importantes disparités territoriales), soit 1,4 million d'examens représentant un montant de 6,3 millions d'euros. Les actions engagées ont porté sur : - des communications scientifiques (congrès SFAR en septembre 2015) ; - une information adressée aux établissements de santé ciblés, comportant leur profil d'activité et des affiches pour les patients : ces informations ont été adressées aux établissements début 2017, en proposant aux établissements volontaires un accompagnement par des pairs, experts de la SFAR. Source : Cnamts - rapports « charges et produits » |
2. Le volet « pertinence » du plan Ondam 2015-2017 : un contenu disparate, un objectif de visibilité renforcée, une faible valeur ajoutée
Afin d'assurer le respect de l'objectif de progression de l'Ondam 12 ( * ) , fixé à 2,1 % pour 2015, 1,75 % pour 2016 et 2,1 % pour 2017, le précédent gouvernement a engagé plusieurs mesures visant à maîtriser l'évolution des dépenses par rapport à leur croissance tendancielle.
À partir de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, les mesures d'économies ont été formalisées dans un plan triennal - le plan Ondam 2015-2017 - structuré en quatre axes correspondant aux orientations du plan national de gestion du risque entre l'État et l'Uncam :
- le renforcement de l'efficacité de la dépense hospitalière, à travers la poursuite des mutualisations et l'optimisation des achats hospitaliers ;
- le virage ambulatoire et le développement d'une meilleure adéquation de la prise en charge en établissement ;
- les économies en matière de produits de santé, avec notamment la promotion des médicaments génériques ;
- l' amélioration de la pertinence et du bon usage des soins .
Volet « Pertinence et bon usage des soins » du plan Ondam 2015-2017
( en millions d'euros )
2015 |
2016 |
2017 |
|
Total |
1 155 |
1210 |
1 135 |
dont : |
|||
Baisse des tarifs des professionnels libéraux |
150 |
125 |
165 |
Action de maîtrise des volumes
|
400 |
400 |
380 |
Lutte contre les iatrogénies médicamenteuses |
100 |
100 |
- |
Maîtrise médicalisée hors médicaments |
375 |
315 |
220 |
Mise en oeuvre des réévaluations de la HAS |
130 |
- |
- |
Réforme des cotisations des professionnels de santé |
- |
270 |
270 |
Source : Commission des affaires sociales, d'après rapport économique, social et financier annexé aux PLF pour 2015, 2016 et 2017
Comme le montre le tableau ci-dessus, le champ de l'axe de « pertinence et bon usage des soins » a dépassé le strict champ de la pertinence.
Votre commission des affaires sociales avait ainsi noté le caractère contestable de la comptabilisation, pour 2016 comme pour 2017, d'une « économie » de 270 millions d'euros au titre de la modification du taux de cotisation maladie des personnels de santé exerçant en ville, réduisant certes les dépenses comptabilisées dans l'Ondam, mais également les recettes de cotisations enregistrées par la Cnamts. Ce poste « d'économies » n'avait de surcroît que peu à voir avec la pertinence.
Comme l'a relevé la direction de la sécurité sociale, le plan Ondam 2015-2017 a eu comme objectif de renforcer la portée des actions d'amélioration de la pertinence des soins, en donnant une plus forte visibilité aux objectifs d'économies corrélés.
Faute d'outils d'évaluation associés, le bilan de ces différentes mesures d'économies, globalisées sur différents sous-objectifs de l'Ondam, ne peut être réalisé précisément.
D'après les informations communiquées par la direction de la sécurité sociale , les actions menées au titre de la pertinence des soins ne sont chiffrées qu'en ce qui concerne le champ des actions de maîtrise médicalisée de l'assurance maladie 13 ( * ) .
Au-delà de la visibilité particulière donnée à cet item, le plan Ondam n'aura donc pas constitué l'outil de pilotage nécessaire à une diffusion plus large de l'objectif de renforcement de la pertinence. Il aura en revanche contribué à une moindre visibilité des actions de maîtrise médicalisée, qui figurent pour partie dans le volet pertinence mais aussi dans d'autres volets du plan d'économies.
3. Des résultats mitigés
Le bilan à ce jour des actions de maîtrise médicalisée, seule composante véritablement évaluable et évaluée du plan Ondam, révèle un certain plafonnement des résultats.
L'annexe 9 au PLFSS et les données complémentaires transmises pour 2016 permettent de confronter les objectifs initiaux aux résultats effectifs des actions.
En 2015 et 2016, les résultats des actions de maîtrise médicalisée ont représenté 85 % puis 65 % de l'objectif fixé (700 millions d'euros pour chaque année, soit 0,37 % de l'Ondam), soit 598 millions d'euros en 2015, et 456 millions d'euros en 2016.
Réalisation de l'objectif de maîtrise médicalisée en 2015 et 2016
(en millions d'euros)
Actions |
2015 |
2016 |
||||
Objectif |
Réalisation |
Taux d'atteinte |
Objectif |
Réalisation |
Taux d'atteinte |
|
Médicaments |
385 |
349 |
91 % |
390 |
317 |
81 % |
Dispositifs médicaux |
50 |
25 |
50 % |
40 |
75 |
188 % |
Indemnités journalières |
100 |
54 |
54 % |
100 |
24 |
24 % |
Transports |
75 |
47 |
63 % |
75 |
11 |
15 % |
Kinésithérapie |
30 |
65 |
217 % |
40 |
26 |
65 % |
Biologie |
30 |
56 |
187 % |
30 |
4 |
13 % |
Actes |
30 |
1 |
3 % |
25 |
0 |
1 % |
Total |
700 |
597 |
85 % |
700 |
457 |
65 % |
Source : Commission des affaires sociales d'après rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2016 et 2017
Comme cela a été souligné lors des auditions, l'efficacité des actions conduites est variable selon les thématiques, pour des raisons diverses (acceptabilité pour les professionnels et les patients, disponibilité de référentiels, alternatives à la prescription, conjoncture économique ou épidémiologique...) et variable selon les années. Ainsi, la diffusion par l'assurance maladie, fin 2014, auprès des médecins généralistes et biologistes médicaux des recommandations de bonne pratique de la HAS concernant le dosage de la vitamine D ont induit de fortes économies sur les actes de biologie en 2015, mais l'action s'est essoufflée en 2016.
Certaines limites réduisent en outre l'efficacité attendue des actions, notamment la capacité à disposer d'une appréciation plus précise et individuelle des pratiques professionnelles. Tel est le cas des actions concernant les prescriptions d'arrêts de travail, qui se traduisent par des résultats insuffisants : celles-ci se heurtent notamment, comme cela a été relevé, à l'absence de recoupement possible avec les motifs de ces arrêts, qui permettrait de mener des campagnes plus ciblées.
Taux d'atteinte des objectifs de maîtrise
médicalisée
des dépenses d'assurance
maladie
(en millions d'euros)
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
|
Total |
606 |
490 |
482 |
523 |
501 |
612 |
592 |
602 |
460 |
598 |
457 |
Objectif |
816 |
683 |
635 |
660 |
590 |
550 |
550 |
550 |
600 |
700 |
700 |
Taux d'atteinte de l'objectif |
74 % |
69 % |
76 % |
79 % |
85 % |
111 % |
108 % |
109 % |
77 % |
85 % |
65 % |
Source : Cnamts
Dix années de processus de maîtrise médicalisée par la voie conventionnelle n'ont pas permis de créer une véritable dynamique : on observe une stagnation des objectifs comme des résultats. Si les pratiques évoluent, force est de constater qu'elles le font selon un rythme encore insuffisant, rapporté à la volumétrie des enjeux.
4. Une nouvelle impulsion en 2018 ?
Nous pouvons noter avec satisfaction que le rapport « charges et produits » de la Cnamts pour 2018, publié le 6 juillet 2017, traduit la volonté d'un engagement plus fort de l'assurance maladie sur le champ de la pertinence des actes.
Hors prescriptions de produits de santé, l'objectif d'économies affiché passe de 290 millions d'euros en 2017 à 510 millions d'euros en 2018 , avec notamment une action sensiblement renforcée sur la pertinence des actes en ville et à l'hôpital et sur les actes paramédicaux.
Économies attendues des actions de l'assurance
maladie en 2017 et 2018
sur le volet « pertinence et bon usage des
soins »
(en millions d'euros)
Actions |
2017 |
2018 |
Maîtrise médicalisée
(produits de santé)
*
|
430 |
500 |
médicaments de médecine générale |
220 |
200 |
médicaments de spécialité |
70 |
100 |
iatrogénie |
100 |
100 |
dispositifs médicaux |
40 |
100 |
Maîtrise médicalisée et
pertinence
(hors produits de
santé)
*
|
290 |
510 |
transports |
75 |
160 |
indemnités journalières |
100 |
100 |
actes en ville |
25 |
120 |
pertinence des actes hospitaliers |
20 |
|
autres prescriptions : |
||
- biologie (hors ajustement des tarifs) |
30 |
30 |
- paramédicaux |
40 |
100 |
TOTAL* |
720 |
1010 |
* Pour 2018, la Cnamts rattache la maîtrise médicalisée des prescriptions de produits de santé au volet « produits de santé et promotion des génériques ». Le total des économies attendues au titre du seul axe « pertinence et bon usage des soins » serait donc de 510 millions d'euros.
Source : Cnamts
Les actions concernant les indemnités journalières et les transports, qui connaissent des croissances dynamiques, supérieures à celles de l'Ondam, sont maintenues ou amplifiées. Il faut notamment noter, comme levier d'action, le lancement à l'automne 2017 par l'assurance maladie d'une campagne sur la lombalgie intégrant la question des arrêts de travail.
Concernant les actes, les leviers des économies attendues pour 2018 sont :
- la poursuite de la diminution des taux de recours supérieurs aux taux cibles sur les dix actes hospitaliers suivis au plan national (économie évaluée à plus de 100 millions d'euros, soit 34 000 séjours évitables) ;
- une action sur les actes en ville ciblée sur la radiologie (amélioration de l'efficience du parc d'IRM ostéo-articulaire, permettant de réaliser une économie sur le montant du forfait technique par acte évaluée à 10 millions d'euros, et tarification forfaitaire de certains actes) ;
- la poursuite des actions engagées sur la pertinence de la prescription de certains actes de biologie.
Il restera à faire le bilan de cette nouvelle impulsion afin de déterminer si, avec les leviers disponibles, elle peut se traduire par des résultats plus substantiels.
* 12 Objectif national de dépenses d'assurance maladie.
* 13 Le suivi d'autres axes, les prescriptions hospitalières exécutées en ville et les transports prescrits en établissements de santé sont suivis en objectifs d'évolution de dépenses.