B. UNE APPRÉCIATION PRUDENTE DE LA SITUATION STRUCTURELLE DES FINANCES PUBLIQUES
1. Une « normalisation » bienvenue des hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle en début de quinquennat
Dans un précédent rapport 2 ( * ) , votre rapporteur général avait rappelé l'importance des hypothèses de croissance potentielle et d'écart de production dans l'appréciation de la situation structurelle des finances publiques.
En effet, la notion de solde structurel , qui correspond au solde public effectif corrigé du cycle économique, soit de la conjoncture, de même que des mesures exceptionnelles et temporaires, a acquis une position centrale au sein de la gouvernance budgétaire nationale et européenne .
Or, son calcul est extrêmement sensible à l'estimation de l'écart de production , qui mesure l'écart entre le PIB effectif et le niveau d'activité « soutenable » sur longue période sans provoquer de déséquilibre sur les marchés des biens et du travail, appelé PIB potentiel. Schématiquement, il s'agit donc d'une estimation du « potentiel de rebond » de l'économie. Ainsi, plus le PIB effectif est considéré comme étant éloigné de son potentiel, plus la part du déficit effectif attribuée au cycle économique est importante .
Chaque année, l'évolution de l'écart de production dépend de l'écart entre la croissance effective et la croissance potentielle 3 ( * ) : si la croissance effective est inférieure à la croissance potentielle, l'écart de production se creuse ; inversement, si la croissance effective est supérieure à la croissance potentielle, le « potentiel de rebond » de l'économie diminue.
Pour le Gouvernement, il existe donc une incitation à surestimer l'écart de production et la croissance potentielle, afin de diminuer artificiellement le déficit structurel .
Cette tentation est d'autant plus forte que ces deux grandeurs ne sont pas directement observables et sont dès lors difficiles à estimer . En période de crise, les estimations sont susceptibles de diverger plus fortement, l'identification en temps réel des ruptures structurelles étant particulièrement malaisée. Entre 2004 et 2014, les estimations de l'écart de production ont ainsi fait l'objet d'importantes révisions, à hauteur en moyenne de 0,9 point pour la Commission européenne, de 1,3 point pour le Fonds monétaire international et de 2 points pour l'OCDE 4 ( * ) .
Dans ce contexte, comme l'a relevé à plusieurs reprises votre rapporteur général, si le précédent Gouvernement avait initialement « retenu des hypothèses de croissance potentielle conformes à celles avancées par la Commission européenne, probablement en vue de faciliter l'octroi d'un report du délai de correction du déficit excessif, une fois celui-ci acquis, en vertu de la recommandation du Conseil de l'Union européenne du 10 mars 2015, l'estimation de la croissance potentielle a été revue de + 0,2 point à partir de 2016, et ce jusqu'à la fin de la période » 5 ( * ) .
Cette révision opportune de la croissance potentielle a conduit non seulement à minorer artificiellement le déficit structurel de la France mais également à « neutraliser » le rôle de vigie du Haut Conseil des finances publiques - ce dernier étant contraint par la loi organique 6 ( * ) de calculer le solde structurel avec la trajectoire de PIB potentiel gouvernementale lorsqu'il évalue s'il existe un « écart important » avec les objectifs fixés dans la loi de programmation des finances publiques.
À cet égard, votre rapporteur général tient à saluer la « normalisation » des hypothèses d'écart de production et de croissance potentielle retenues par le Gouvernement dans le cadre du rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques.
Pour 2016, l' écart de production est désormais évalué à 1,5 point de PIB potentiel, soit un niveau deux fois inférieur à l'estimation du précédent Gouvernement (3,1 points de PIB potentiel).
De ce fait, l'appréciation par le Gouvernement de la situation structurelle des finances publiques française est désormais identique à celle de la Commission européenne : le déficit structurel est évalué à 2,5 % du PIB potentiel en 2016, contre 1,6 % précédemment .
Estimations de l'écart de production et du solde structurel en 2016
(en % du PIB potentiel)
Source : commission des finances du Sénat (d'après : Commission européenne, Prévisions économiques du printemps 2017 ; OCDE, Perspectives économiques de décembre 2016 ; FMI, Perspectives de l'économie mondiale d'avril 2017)
De même, la croissance potentielle est estimée à 1,25 % en 2017 et en 2018, contre respectivement 1,5 % et 1,4 % dans le programme de stabilité 2017.
Sur l'ensemble de la période, les hypothèses de croissance potentielle retenues, bien que supérieures à celles de la Commission européenne, restent en ligne avec les principales estimations disponibles , l'écart à la moyenne des prévisions n'étant jamais supérieur à 0,1 point.
Estimations de la croissance potentielle sur la période 2017-2012
(en %)
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
||
Scénario gouvernemental |
1,25 |
1,25 |
1,25 |
1,25 |
1,3 |
1,35 |
|
Commission européenne |
1,2 |
1,2 |
1,2 |
1,1 |
1,0 |
1,0 |
|
FMI |
1,1 |
1,2 |
1,3 |
1,4 |
1,5 |
1,5 |
|
Consensus de la croissance potentielle |
1,2 |
1,3 |
1,3 |
1,3 |
1,3 |
1,3 |
|
OCDE |
1,2 |
1,2 |
|||||
Écart à la moyenne des prévisions |
+ 0,1 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
0,0 |
+ 0,1 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après : Commission européenne, Prévisions économiques du printemps 2017 et « Debt sustainability monitor » de janvier 2017 ; OCDE, Perspectives économiques de décembre 2016 ; FMI, World Economic Outlook Database, avril 2017; consensus de la croissance potentielle de la commission des finances, édition 2016)
S'agissant de l'écart de production, l'estimation gouvernementale apparaît en début de période particulièrement prudente : en 2017, l'estimation du potentiel de rebond de l'économie française est ainsi légèrement supérieure (0,2 point) à celle de la Commission européenne mais très inférieure à celle du FMI et de l'OCDE.
Scénarios d'évolution de l'écart de production sur la période 2017-2012
(en points de PIB potentiel)
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
|
Scénario gouvernemental |
- 1,5 |
- 1,2 |
- 0,7 |
- 0,3 |
0,2 |
0,6 |
1,1 |
Commission européenne |
- 1,3 |
- 1,1 |
- 0,6 |
- 0,3 |
0 |
0,3 |
0,3 |
FMI |
- 2,0 |
- 1,7 |
- 1,2 |
- 0,8 |
- 0,4 |
- 0,1 |
0,3 |
OCDE |
- 2,3 |
- 2,2 |
- 1,8 |
||||
Écart à la moyenne des prévisions |
0,4 |
0,5 |
0,5 |
0,3 |
0,4 |
0,5 |
0,8 |
Note méthodologique : l'évolution de l'écart de production dans le scénario gouvernemental a été calculée à partir des hypothèses de croissance effective et de croissance potentielle figurant dans le rapport préparatoire au débat d'orientation des finances publiques.
Source : commission des finances du Sénat (d'après : Commission européenne, Prévisions économiques du printemps 2017 et « Debt sustainability monitor » de janvier 2017 ; OCDE, Perspectives économiques de décembre 2016 ; FMI, World Economic Outlook Database, avril 2017)
2. Une divergence en fin de période
L'écart se creuse néanmoins tout au long du quinquennat entre l'estimation de la Commission européenne et celle du Gouvernement , en raison principalement de la divergence déjà mentionnée des prévisions de croissance effective.
En 2022, l'écart de production s'établit ainsi à 1,1 % du PIB potentiel dans le scénario gouvernemental, contre 0,3 % dans le scénario de la Commission européenne.
Concrètement, le Gouvernement fait le « pari » que la croissance effective restera durablement supérieure à son potentiel une fois l'écart de production résorbé : si la croissance effective ne peut dépasser durablement la croissance potentielle, une phase haute du cycle économique succéderait temporairement à la phase basse de dix ans (2009-2019) qu'a connu l'économie française.
À l'inverse, pour la Commission européenne, la croissance potentielle agirait immédiatement comme un « limitateur de vitesse » pour l'économie française : une fois l'écart de production résorbé, la croissance effective ralentirait fortement.
* 2 « Pour une programmation budgétaire crédible : les enjeux des hypothèses de croissance potentielle », rapport d'information n° 764 (2015-2016) d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 6 juillet 2016.
* 3 La croissance potentielle est définie comme l'évolution, en volume, du PIB potentiel.
* 4 Commission européenne, « An assessment of the relative quality of the EU outputgap estimates », décembre 2015.
* 5 « Pour une programmation budgétaire crédible : les enjeux des hypothèses de croissance potentielle », rapport d'information n° 764 (2015-2016), précité.
* 6 Article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques.