C. LES DIFFICULTÉS DE L'ÉVALUATION DES PERSONNES SE PRÉSENTANT COMME MNA
1. La phase d'évaluation est cruciale
a) L'importance de déterminer la réalité de la minorité alléguée
Alors que les conseils départementaux sont confrontés à un afflux auquel leurs capacités d'hébergement ne leur permettent pas de faire face, il apparaît qu'une partie importante des personnes se présentant comme MNA sont finalement évaluées majeures. Dans une moindre mesure, l'évaluation peut faire apparaître que l'intéressé n'est pas isolé.
Les données communiquées à vos rapporteurs par l'agence des services de paiement (ASP), 60 ( * ) font apparaître que, entre le troisième trimestre 2013 et le deuxième trimestre 2016, 39 515 personnes ont fait l'objet d'une évaluation, dont 24 136, soit 61 % ont été déclarées mineures et isolées. Toutefois, on observe un net fléchissement de ce taux, qui est passé de 70 % en 2013 à 49 % au second trimestre 2016.
Il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que la part des évaluations concluant à la minorité et à l'isolement est aujourd'hui proche de 40 % à l'échelle nationale et ne dépasse pas 15 % dans certains départements.
Source : ASP et calculs des rapporteurs
Le droit à l'hébergement est garanti par l'article L. 345-2-2 du CASF 61 ( * ) . Toutefois, s'agissant des personnes majeures, cette responsabilité incombe à l'État. Si cette question juridique de compétence peut paraître déplacée au regard de l'enjeu humanitaire, il n'est pas souhaitable que les dispositifs destinés à la protection des mineurs soient détournés au profit de majeurs. Au demeurant, héberger des jeunes majeurs dans les mêmes structures que des mineurs peut créer une situation de danger pour ces derniers.
b) La nécessité d'une évaluation bienveillante, rapide et rigoureuse
Une évaluation à la fois fiable et rapide est nécessaire pour garantir les droits des mineurs et leur assurer une prise en charge rapide tout en évitant que des majeurs demeurent trop longtemps dans les dispositifs de protection de l'enfance. Le CASF prévoit d'ailleurs une durée de cinq jours, potentiellement prolongée jusqu'à treize.
Le référentiel national fixé par l'arrêté du 17 novembre 2016 souligne à juste titre que l'évaluation doit être « empreinte de bienveillance » Or, il apparaît que l'évaluation se fait trop souvent dans un climat de méfiance entre les différents acteurs amenés à intervenir auprès de l'enfant. Certains acteurs associatifs rencontrés par vos rapporteurs portent ainsi un regard très critique sur la manière dont sont réalisées les évaluations, considérant que les évaluateurs remettent trop systématiquement en cause les déclarations des évalués, qu'ils considéreraient a priori comme des majeurs. Afin d'évaluer la réalité d'un récit parfois enseigné par les passeurs, les évaluateurs se doivent d'en rechercher les incohérences ou les lacunes. Or, les faiblesses du récit peuvent résulter d'une mémoire défaillante au terme d'un périple long et éprouvant. Au demeurant, le fait qu'un récit soit manifestement faux et enseigné par un passeur ne permet pas à lui seul de déterminer que le jeune évalué est majeur.
A l'inverse, les évaluateurs, dont vos rapporteurs ont pu apprécier l'investissement, vivent mal la suspicion dont ils sont l'objet de la part des acteurs associatifs. Les conseils départementaux déplorent en outre une tendance de certaines juridictions à placer presque systématiquement les personnes se présentant comme MNA, y compris en invalidant l'évaluation qu'ils ont menée. La confiance des départements entre eux fait également parfois défaut. Ainsi, il existe des cas dans lesquels un département auquel un jeune a été confié par décision judiciaire suite à son évaluation par un autre département procède à nouveau à son évaluation.
S'il convient de tout mettre en oeuvre pour que les évaluations ne conduisent pas à refuser la prise en charge de mineurs isolés, elles doivent être suffisamment rigoureuses pour éviter l'embolie des dispositifs qui leurs sont destinés.
Vos rapporteurs notent que le nombre croissant d'évaluations concluant à la minorité correspond à la mise en oeuvre des préconisations posées par la circulaire du 31 mai 2013 puis par le décret du 24 juin 2016, qui visent à harmoniser la qualité et donc la fiabilité de ces évaluations.
Les acteurs auditionnés, tant institutionnels qu'associatifs, s'accordent par ailleurs globalement pour considérer que la mise en oeuvre du référentiel national doit permettre une prise en charge satisfaisante. De même, l'application de la circulaire du 25 janvier 2015 et notamment la signature des protocoles qu'elle prévoit doit permettre une meilleure coordination entre les départements et les services de l'Etat.
Dans les départements concernés par la prise en charge de MNA depuis un certain temps, vos rapporteurs ont pu constater la mise en place de dispositifs efficaces permettant une évaluation, comme dans le département du Nord, visité par vos rapporteurs. L'application rigoureuse du référentiel national, élaboré sur la base de ces exemples, doit permettre de proscrire la maltraitance institutionnelle dont peuvent être victimes les personnes évaluées.
Proposition n° 9 : assurer la bonne application de la circulaire du 25 janvier 2016 et du référentiel national fixé par l'arrêté du 17 novembre 2016. |
Le dispositif « Trajet » de Lille
Cette plateforme a mis au point un nouveau dispositif, dénommé « Trajet », qui rationalise en trois grandes étapes le premier accueil et l'évaluation du MNA.
Selon les acteurs de l'évaluation dans le département du Nord, l'efficacité de leur travail tient à sa flexibilité (trois lieux d'évaluation différents, possibilité de mener l'évaluation à l'hôpital ou en garde à vue si nécessaire, disponibilité de 20 interprètes), à sa rapidité (3 à 4 évaluations sont menées par jour, à raison d'entretiens durant de 1 heure et demie à 3 heures) et à sa fiabilité (2 évaluateurs sont présents à chaque entretien, leur formation pluraliste mêle connaissances juridiques, géopolitiques et linguistiques). |
2. Le manque de fiabilité des documents d'identité présentés oblige à une expertise difficile
Lorsque les documents d'identité présentés par la personne évaluée peuvent être considérés comme authentiques et se rapportant bien à l'intéressé, toute autre vérification quant à la minorité est inutile. Toutefois, l'expertise de ces documents est, dans les faits, problématique.
a) Des documents dont l'authenticité ne peut être présumée
L'article 47 du code civil 62 ( * ) pose le principe selon lequel tout acte d'état civil étranger fait foi à condition d'être rédigé dans les formes usitées dans le pays qui l'a émis. Cette présomption peut être écartée s'il existe des éléments de nature à prouver que l'acte est irrégulier ou faux.
Les personnes se présentant comme MNA disposent fréquemment d'un document, bien souvent un acte de naissance. Toutefois, la fiabilité de ces documents est loin d'être absolue. D'une part, ces documents proviennent souvent de pays ou de régions dans lesquels les conditions économiques, technologiques et politiques, a fortiori il y a plus de quinze ans, ne permettent pas la tenue rigoureuse de registres d'état civil. D'autre part, il s'agit de documents qui, de par leur format, sont aisément falsifiables. Il est même souvent possible de se procurer auprès des autorités officielles locales des documents présentant tous les signes d'authenticité mais dont les informations ne sont pas exactes.
b) L'insuffisante assistance des services de l'État
Les professionnels de la protection de l'enfance ne disposent pas des compétences nécessaires pour apprécier la validité des documents d'identité qui leurs sont soumis. Ils peuvent pour cela faire appel à l'assistance des services préfectoraux et, le cas échéant de la police de l'air et des frontières (PAF).
La circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 demande aux services préfectoraux de s'efforcer de répondre aux demandes de vérification dans le délai de cinq jours prévu pour l'évaluation ou, à défaut dans les huit jours suivant la saisine de l'autorité judiciaire. Toutefois, il ressort des auditions menées par vos rapporteurs que les évaluateurs ont beaucoup de difficultés à obtenir une réponse dans ces délais, notamment lorsque le département en question ne dispose pas d'une direction départementale (DDPAF) ou que celle-ci est éloignée du chef-lieu du département 63 ( * ) .
Proposition n° 10 : renforcer l'assistance apportée par les services de l'État aux conseils départementaux en matière d'expertise documentaire et réduire les délais de réponse, notamment en donnant à la PAF les moyens humains et financiers nécessaires. |
Certains départements prennent par ailleurs l'initiative de saisir les services consulaires des États d'origine des personnes qu'ils ont à évaluer. Bien que l'exil des personnes concernées ne soit pas toujours motivé par des raisons politiques, signaler ainsi ces exilés aux autorités de leur pays n'est pas nécessairement pertinent. Au demeurant, les représentants des corps diplomatiques de la République démocratique du Congo et de la Guinée rencontrés par vos rapporteurs ont émis des doutes quant à la capacité de leurs propres services consulaires à authentifier des documents d'identité ou d'état civil supposément émis dans leur pays.
Sur le plus long terme, la coopération avec les États de départ, afin notamment de les aider à développer un système d'état civil fiable, ne peut être que bénéfique.
3. Les difficultés rencontrées par les évaluateurs sont multiples
L'évaluation de la véracité de la minorité alléguée fait appel à des compétences qui ne sont pas traditionnellement celles de professionnels de la protection de l'enfance, ce qui est source de difficultés.
a) La question de la langue
Une telle appréciation suppose de bien comprendre les explications données par le jeune. L'article R. 221-11 du CASF prévoit que les entretiens menés dans le cadre de l'évaluation se déroulent dans une langue comprise par l'intéressé. Or, compte tenu de la diversité des origines des personnes évaluées et des langues ou dialectes qu'ils parlent, les évaluateurs sont contraints d'avoir recours à des interprètes, bien souvent par téléphone. Si cette modalité d'évaluation semble difficilement dépassable, elle n'est pas satisfaisante.
b) La question de la formation des évaluateurs
L'article R. 221-11 du CASF, créé par le décret du 24 juin 2016, mentionne un arrêté interministériel définissant la formation et l'expérience requise pour les évaluateurs. La publication de cet arrêté apparaît nécessaire.
Proposition n° 11 : publier l'arrêté prévu par l'article R. 221-11 du CASF. |
Par ailleurs, afin d'apprécier la cohérence du récit, il est important que les évaluateurs aient une bonne connaissance des pays d'origine des personnes évaluées, notamment de leur situation politique, de leur système scolaire ou encore des groupes ethno-linguistiques qui y sont présents.
De telles compétences sont proches de celles des officiers de protection de l'Ofpra. Dans certains départements, notamment en région parisienne, il a été possible de recruter des spécialistes en géopolitique à même de participer aux évaluations. Dans la majorité des départements, toutefois, il n'est pas envisageable de recruter de tels spécialistes.
Dès lors, le développement de programmes de formation associant notamment l'Ofpra apparaît donc pertinent.
Au-delà de ces formations, il serait souhaitable d'organiser les modalités d'une coopération, au moins documentaire, entre l'Ofpra et les conseils départementaux. Ces propositions reprennent les recommandations n° 12 et 13 du rapport des inspections de juillet 2014.
Proposition n° 12 : développer les formations des évaluateurs des services de protection de l'enfance aux problématiques géopolitiques. |
c) La question de la séparation fonctionnelle des évaluateurs et des éducateurs.
Le droit actuel permet aux départements de réaliser les évaluations en interne ou de déléguer cette mission à une structure associative. Vos rapporteurs ne prennent pas position sur cette question qui relève de la libre administration des collectivités. Toutefois, il apparaît important que les professionnels chargés de l'évaluation ne soient pas les mêmes que ceux qui sont chargés de l'accueil et de la prise en charge, que ce soit dans le cadre du recueil provisoire ou de la prise en charge à plus long terme.
Proposition n° 13 : assurer une distinction fonctionnelle entre les professionnels chargés de l'évaluation des personnes se disant MNA et ceux qui sont chargés de leur prise en charge. |
4. L'expertise osseuse continue d'être un sujet polémique
L'impossibilité de se fier aux documents d'identité ou d'état civil que l'évalué a éventuellement en sa possession est d'autant plus problématique qu'il n'existe pas de méthode scientifique permettant de déterminer avec exactitude l'âge d'un individu ni même de trancher la question de sa minorité.
En cas de doute sur la véracité de l'âge allégué, le président du conseil départemental a la possibilité de saisir l'autorité judiciaire afin que celle-ci requière la réalisation de tests osseux.
a) Une méthode controversée
La question des examens radiologiques de maturité osseuse, utilisés dans le cadre de la détermination de la minorité ou de la majorité d'un individu sont sujet de controverse. L'avis de la communauté scientifique, rappelé par exemple par le Haut-conseil de la santé publique (HCSP) dans un avis du 23 janvier 2014, est qu'il n'existe pas de méthode scientifique de nature à déterminer avec certitude l'âge d'un individu.
La méthode des « tests osseux » Cette méthode repose sur une radiographie, généralement du poignet ou de la clavicule et la comparaison de cette radiographie avec une base (atlas de Greulich et Pyle) compilée dans les années 1950 à partir de radiographie de personnes essentiellement caucasiennes. La pertinence de l'atlas de Greulich et Pyle concernant des mineurs africains est remise en cause et, surtout, les tests osseux ne permettent d'estimer l'âge d'un individu qu'avec une marge d'erreur d'environ 18 mois, ce qui est particulièrement imprécis dans le cas de personnes alléguant un âge compris entre 16 et 18 ans. |
b) Une méthode désormais encadrée par la loi
La loi du 14 mars 2016 a été l'occasion de débats sur l'utilisation de ces examens, certains parlementaires ayant proposé leur interdiction. L'article 43 de cette loi a finalement prévu un encadrement des tests osseux, inscrit à l'article 388 du code civil qui définit l'âge de la majorité. Les tests osseux ne peuvent ainsi être utilisés aux fins de détermination de l'âge d'un individu qu'en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable. Ils ne peuvent être réalisés que sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé. Il est précisé que les conclusions de ces examens doivent préciser la marge d'erreur et ne peuvent permettre à elles seules de déterminer si un individu est mineur. Enfin, le doute doit profiter à l'intéressé.
Ce même article prohibe par ailleurs tout évaluation de l'âge à partir d'examens du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires.
La rédaction de l'article 388 issue de la loi du 14 mars 2016 ne fait pas l'unanimité. Ceux qui auraient voulu l'interdiction totale de ces tests regrettent l'inscription dans le code civil et y voient une légitimation du recours à une méthode qu'ils critiquent. De plus, si l'accord de l'intéressé est requis, son refus peut dans les faits être perçu comme un aveu de majorité.
c) La question de l'examen du développement pubertaire
L'interdiction des examens du développement pubertaire des caractères sexuels primaires mais également secondaires pose également question tant il est difficile d'imaginer qu'un évaluateur puisse faire totalement abstraction de l'apparence physique, la pilosité ou de la musculature notamment, d'un individu dont il doit apprécier l'âge et pour lequel il ne dispose d'aucun élément de preuve.
d) Harmoniser les pratiques
On constate une grande hétérogénéité dans l'utilisation de ces tests, certains parquets les exigeant presque systématiquement alors que d'autres s'y refusent de manière tout aussi systématique. De même, certaines cours d'appel refusent de tenir compte du résultat de ces tests alors même qu'ils ont été utilisés à l'occasion de l'évaluation d'un jeune.
Vos rapporteurs estiment que, utilisés en dernier recours, dans le cadre prévu par la loi c'est-à-dire sur réquisition de l'autorité judiciaire et parmi un faisceau d'indices, l'examen radiologique doit demeurer un des outils à la disposition des évaluateurs. En effet, bien qu'imprécise, cette méthode permet d'apprécier la compatibilité de la maturité osseuse avec l'âge allégué.
Néanmoins, les conditions dans lesquelles ces tests osseux sont réalisés pourraient être améliorées.
Le rapport de la mission d'évaluation IGSJ/Igas/IGA soulignait en 2014 l'importance de faire réaliser ces tests exclusivement au sein d'unités médico-judiciaires (UMJ) 64 ( * ) . Ce rapport recommandait en outre que le conseil supérieur de la médecine légale (CSML) soit saisi afin de « dégager une doctrine commune de l'examen médical de l'âge ». Si le CSML a été supprimé en 2015 65 ( * ) , une telle doctrine pourrait néanmoins s'avérer utile.
Sans modifier le droit existant, il semble donc nécessaire que des lignes directrices soient publiées aussi bien à l'attention des services départementaux que des procureurs, afin d'harmoniser les pratiques et de garantir à la fois le respect des droits des personnes évaluées et la fiabilité des évaluations s'appuyant sur de telles expertises.
Proposition n° 14 : établir et diffuser les bonnes pratiques en matière de recours aux tests osseux. |
* 60 L'ASP est chargée du remboursement aux départements des dépenses engagées au titre de cette période d'évaluation, à hauteur de 250 euros par jour, pour une durée maximale de 5 jours.
* 61 Art. L. 345-2-2 : « Toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d'hébergement d'urgence. (...) ».
* 62 Art. 47 du code civil : « Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
* 63 La police de l'air et des frontières est organisée en sept directions zonales, reprenant le découpage des zones de défense, et quarante-cinq directions départementales, situées essentiellement dans les départements disposant d'un point d'entrée en France. En outre, dans les départements qui en disposent, les DDPAF peuvent être situées relativement loin des services départementaux. La DDPAF de Haute-Savoie est par exemple installée à Gaillard, celle de la Manche à Cherbourg.
* 64 Ce rapport notait toutefois qu'il n'existe que 46 UMJ sur le territoire national.
* 65 Décret n° 2015-1469 du 13 novembre 2015 portant suppression de commissions administratives à caractère consultatif.