EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 28 juin 2017, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a entendu une communication de M. Jean Pierre Vogel, rapporteur spécial, sur le système d'alerte et d'information des populations (SAIP).

M. Jean Pierre Vogel , rapporteur spécial . - Le système d'alerte et d'information des populations, ou SAIP, initié en 2009, constitue un projet de modernisation piloté par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, la DGSCGC, visant à mettre en place un système moderne d'alerte et d'information des populations et mettant en réseau les différents vecteurs d'alerte disponibles.

L'alerte a vocation à être donnée en cas de risques exigeant un comportement-réflexe de la part des populations en cas de danger. Le SAIP doit permettre, dans son principe, aux acteurs de la gestion de crise, c'est-à-dire principalement les préfets, les maires et les SDIS, de lancer l'alerte sur un territoire donné en une unique opération, en utilisant un logiciel permettant d'activer différents vecteurs de diffusion. Il s'appuie aujourd'hui sur un réseau de 2 830 sirènes qui devrait en compter plus de 5 000 d'ici à 2020 et constituer, selon la doctrine de la DGSCGC, le « principal vecteur de l'alerte ». D'ici à 2020, il doit être connecté à d'autres vecteurs, tels que la téléphonie mobile, mais aussi aux panneaux à messages variables des différentes collectivités ou encore aux radios, la redondance des moyens d'alerte étant, à juste titre, considérée par la DGSCGC comme un facteur d'efficacité.

Ce projet découle du constat dressé par plusieurs rapports qui ont relevé la nécessité de remanier l'ancien réseau de sirènes, le réseau national d'alerte, ou RNA, construit après-guerre, qui visait à prévenir le risque d'attaque aérienne.

Ce projet, d'un montant total de 81,5 millions d'euros, est donc financé par le programme « Sécurité civile » de la mission « Sécurités ». Il comporte deux phases. La première, qui a été lancée en 2010 et court jusqu'en 2019, porte principalement sur la réalisation du logiciel central et sur l'installation des sirènes dans des « bassins à risques », pour un montant d'un peu moins de 45 millions d'euros. Elle comprend également un volet téléphonie mobile, qui s'appuie aujourd'hui sur une application smartphone , portant le nom SAIP, en libre téléchargement. La seconde phase, qui commencera en 2020, devrait, selon la DGSCGC, porter sur la poursuite de l'installation des sirènes et sur la connexion d'autres moyens d'alerte au logiciel central.

Même si le projet SAIP était rendu nécessaire par l'obsolescence du RNA, il est marqué par des choix stratégiques contestables.

Le choix de conserver les sirènes comme principal vecteur de l'alerte apparaît en effet comme une importante erreur stratégique. Le volet « sirènes » concentre 78 % des 81,5 millions d'euros consacrés au SAIP, alors même que leur impact apparaît beaucoup plus faible que celui de la téléphonie mobile, lequel bénéficie pourtant seulement de 11 % des crédits consommés ou prévus pour ce projet.

Les sirènes ne sont quasiment jamais utilisées dans d'autres contextes que ceux des essais hebdomadaires. Les sondages montrent que seule une infime minorité de Français sait comment réagir lorsque les sirènes se déclenchent. Par ailleurs, de nouveaux vecteurs plus efficaces, comme la téléphonie mobile, ont émergé ; ils permettent non seulement d'assurer la fonction d'alerte, mais peuvent également informer les populations concernées en délivrant un message clair. La nature des risques a également changé, et aurait justifié une réflexion plus globale sur la stratégie d'alerte et d'information, qui n'a pas été suffisamment menée.

De même, le volet téléphonie mobile est également marqué par des revirements qui ont conduit à revoir fortement à la baisse ses ambitions initiales. Alors que le ministère de l'intérieur privilégiait initialement le recours à la technologie dite du Cell Broadcast , qui devait permettre de diffuser un message sur l'ensemble des téléphones mobiles présents sur une zone d'alerte, cette dernière a été a été remplacée en 2015 par le développement d'une application smartphone , dénommée SAIP, en libre téléchargement sur Apple Store et sur Google Play , pour des raisons principalement budgétaires. L'application smartphone apparaît pourtant beaucoup moins efficace, notamment car elle ne fonctionne que si l'utilisateur a effectivement téléchargé l'application, qui n'est elle-même disponible que sur des types précis d'appareils, contrairement au Cell Broadcast , qui est fiable et utilisé aujourd'hui dans divers pays - c'est le cas aux États-Unis, aux Pays-Bas, au Japon, en Corée... - et peut être reçu sur tous les appareils correctement paramétrés.

Au-delà des choix stratégiques, la mise en oeuvre des deux principaux volets, ceux concernant la téléphonie mobile et celui concernant les sirènes, a connu d'importantes défaillances. La conception de l'application smartphone , tant dans la dimension technique que dans la gestion du projet, a été menée un délai trop contraint eu égard à sa complexité, alors même qu'une plus grande anticipation aurait été possible, la téléphonie mobile étant envisagée comme vecteur de l'alerte depuis 2010. L'abandon tardif du Cell Broadcast et la volonté du Premier ministre de disposer d'un moyen d'alerte par téléphone avant l'Euro 2016 a en effet fortement contraint les délais de conception de l'application, qui continue à pâtir de certaines lacunes, comme la nécessité qu'elle soit ouverte en tâche de fond, ou la forte consommation de batterie. Par ailleurs, l'application, dont le coût s'élève à 300 000 euros, n'a pas pu être déclenchée dans un délai raisonnable lors de l'attentat du 14 juillet 2016 survenu à Nice, en raison de défaillances techniques ; je le rappelle, elle ne s'est déclenchée que deux heures après l'attentat.

Il me paraît nécessaire, en plus d'une correction rapide de ces défaillances, qu'une évaluation indépendante de l'application SAIP soit menée d'ici à la fin 2019, afin d'envisager un éventuel retour à la technologie Cell Broadcast initialement envisagée.

Toutefois, si l'application smartphone devait être maintenue à terme, il me semble également nécessaire qu'elle soit disponible sur tous les types de smartphones et que soit faite une publicité plus grande visant à augmenter le nombre d'utilisateurs, aujourd'hui limités à environ 500 000, pour qu'elle constitue un vecteur efficace de l'alerte.

L'atteinte de cet objectif pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un indicateur de performance du programme « Sécurité civile ».

La mise en oeuvre du volet « sirènes », qui comprend l'installation des sirènes et la conception du logiciel de commande est également marquée par un retard important, de trente-six mois, lié aux difficultés de conception de ce logiciel. Ce retard provient notamment du manque de préparation du projet et de l'absence d'un cahier des charges précis élaboré suffisamment en amont de la notification du marché. Ce raté n'est pas sans rappeler celui d'autres projets informatiques de l'État de plus grande ampleur, comme celui de Louvois au ministère de la défense, celui de Sirhen au ministère de l'éducation nationale, ou encore l'opérateur national de paye.

Il me semblerait donc souhaitable qu'une procédure applicable aux projets informatiques du ministère soit élaborée, exigeant la formulation d'un cahier des charges précis conçu en amont de la notification du marché. Cette procédure pourrait en outre comprendre un éventuel appui de la Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication de l'État, la DINSIC, dont la capacité à appuyer les projets informatiques complexes a été rappelée dans le rapport de notre collègue Michel Canevet au mois d'octobre 2016.

Tous ces constats me conduisent à recommander, plus globalement, de procéder à un changement doctrinal en renonçant aux sirènes comme vecteur principal de diffusion de l'alerte et de favoriser le développement de vecteurs alternatifs.

Je propose en conséquence que les crédits de la seconde phase de déploiement du SAIP - ils s'élèvent à 36,8 millions d'euros -, qui commencera en 2020 portent bien davantage qu'aujourd'hui sur le financement du volet « mobile », et non plus quasi intégralement sur le déploiement des plus de 2 000 sirènes restantes, dont le nombre pourrait être revu à la baisse.

Mme Catherine Troendlé . - Je partage l'analyse de notre collègue sur l'inefficacité du dispositif ; elle a été prouvée de manière dramatique par l'attentat de Nice.

Je souhaite simplement adresser une mise en garde. Le redéploiement des moyens sur le mobile que Jean Pierre Vogel propose a pour préalable indispensable une bonne couverture en réseaux, notamment en milieu rural. Dans mon département, quatre petites communes sont encore en zone blanche ! Il est donc nécessaire de travailler en interministériel, en mobilisant le ministère chargé du numérique pour compléter le maillage.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Le sujet est malheureusement d'une actualité brûlante. Il faut trouver un système qui permette l'alerte des populations dans les meilleurs délais. Cela pose des problèmes techniques.

Qu'en est-il à l'étranger ? Nous voyons les limites des sirènes ou de la téléphonie mobile en France. Des pays confrontés à des événements climatiques ou à des tremblements de terre ont-ils conçu ou mis en oeuvre des dispositifs d'alerte efficaces dont nous pourrions nous inspirer ? Le Japon a-t-il tiré les conséquences des défaillances après l'accident nucléaire ?

Y a-t-il des réflexions à l'échelon européen sur un système d'alerte commun ? Certes, il existe déjà un numéro européen pour l'accès aux services de secours, le 112. Mais, compte tenu de la mobilité au sein de l'Union européenne, il serait utile d'avoir un système standardisé et compréhensible par l'ensemble des populations.

M. Daniel Raoul . - Les sommes dépensées en matière de téléphonie mobile pour mettre en place un système qui n'a jamais fonctionné, ou alors avec beaucoup de retard - je vous renvoie à l'attentat du 14 juillet -, sont un véritable scandale !

Pour ma part, j'avais proposé d'appliquer la solution retenue par le Japon. Il n'y avait pas besoin d'une application spécifique. Certes, la Direction de la protection civile voulait son propre logiciel ; nous avons vu à quoi cela menait... C'est du gaspillage !

Il suffisait - malheureusement, l'article 40 de la Constitution a été opposé à mon amendement - d'autoriser la géolocalisation en cas d'alerte. C'est tout simple. Les opérateurs sont capables d'envoyer un signal d'alerte à tout le monde.

Dans le système SAIP téléphonie mobile, il faut d'abord télécharger l'application, qui par ailleurs consomme beaucoup de batterie et ne fonctionne qu'avec un délai.

La technique existe. Il suffit que le ministère donne l'ordre, évidemment avec compensation financière, aux opérateurs de géolocaliser les clients dans une zone donnée. C'est ce qui est utilisé au Japon. Je ne comprends pas pourquoi le ministère s'obstine dans son erreur. C'est absurde !

M. Michel Canevet . - La révolution numérique nous appelle à nous approprier l'ensemble des ressources pour pouvoir développer les dispositifs d'urgence et d'alerte.

Peut-être pourrait-on profiter des possibilités offertes par le déploiement de Galileo - le dispositif est maintenant opérationnel - pour initier un certain nombre d'applications, y compris de géolocalisation, afin d'être plus efficaces en matière de secours.

Je souscris à la proposition du rapporteur spécial sur le recours aux installations téléphoniques. D'ailleurs, cela permettrait peut-être de résorber le problème des zones blanches dans nos départements.

M. Jean Pierre Vogel , rapporteur spécial . - Je recommande non pas de supprimer les sirènes, mais de les concentrer sur les zones à risques. Au SDIS de Rennes, il nous a été indiqué qu'une dizaine ou une quinzaine de sirènes étaient déployées sur la ville de Saint-Malo face aux risques de submersion. Cela peut se comprendre. Mais il faut alors une information suffisante des populations sur les réactions à avoir en cas de déclenchement des sirènes, ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.

Au Japon, c'est le Cell Broadcast qui est développé. Cela fonctionne très bien. De même, aux Pays-Bas, 25 millions d'euros ont été dépensés sur ce système depuis 2012, pour un parc de 17 millions d'abonnés répartis entre trois opérateurs. Ceci est à mettre en perspective avec les 81,5 millions d'euros qui sont dépensés pour la mise en oeuvre du SAIP en France ; ils pourraient aussi permettre de résoudre les problèmes de zone blanche dans notre pays.

Dans mon rapport, j'indique qu'il aurait fallu introduire une disposition législative prévoyant l'obligation pour les opérateurs d'acheminer les communications des pouvoirs publics destinées à l'alerte et l'information des populations.

Les préconisations vont dans le même sens, surtout eu égard aux nouveaux risques, notamment chimiques, bactériologiques, nucléaires, sans parler des attentats et des actes de tuerie de masse.

M. Daniel Raoul . - L'obligation pour les opérateurs existe déjà ; il suffit que le ministère passe commande, moyennant évidemment compensation.

Il faut permettre la géolocalisation sans l'avis abonné. Pour une intervention de ce type, elle devrait être de droit. Inscrivons-le dans la loi.

Mme Catherine Troendlé . - Il faudrait consulter la CNIL, non ?

M. Daniel Raoul . - Non ! En cas de sinistre, on peut géolocaliser les abonnés dans une zone donnée.

M. Philippe Dallier . - Je souhaite obtenir une précision. Permettre à un opérateur de détecter tous les téléphones accrochés à une borne donnée dans un secteur, ce n'est pas la même chose qu'autoriser à géolocaliser l'utilisateur ; on sait ce que Google ou d'autres en font.

M. Jean Pierre Vogel , rapporteur spécial . - La technologie du Cell Broadcast , qui a été retenue dans un certain nombre de pays, repose sur de la diffusion ; l'expéditeur du message ne connaît donc pas les destinataires du message.

Dans ce cadre-là, il n'y a pas besoin de légiférer. Cette technologie ne nécessite pas la mise en place d'un annuaire. Elle ne permet pas non plus à l'émetteur de savoir si le message a été bien reçu, car il n'y a pas d'accusé de réception. Il n'y a donc aucune atteinte à la vie privée. Ce n'est pas le cas des SMS géolocalisés, qui nécessitent un annuaire de diffusion.

La commission a donné acte de sa communication à M. Jean Pierre Vogel , rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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