III. L'ÉLOIGNEMENT-DÉSENGAGEMENT DE L'ÉTAT

Les remontées de terrain se concentrent enfin sur un troisième thème majeur : l'éloignement et le désengagement de l'État, qui ne sont nullement contradictoires avec l'interventionnisme rappelé ci-dessus. Ce processus se poursuit depuis de nombreuses années et revêt des aspects divers : fermetures de services publics, transferts aux collectivités de missions de proximité, qui posent aux collectivités territoriales de redoutables problèmes.

A. L'ÉLOIGNEMENT

On a rappelé que 61,7% des élus locaux ayant répondu au questionnaire Internet qui leur a été adressé ont déclaré que leurs communes ou leurs établissements ont été touchés par au moins une réforme des implantations territoriales de l'État, désignant les gendarmeries (14,6%), les services déconcentrés régionaux (13,9%), les hôpitaux (7,9%), les sous-préfectures (7,4%), les écoles (6,4%), les tribunaux (5,6%) ou les sites de défense (2,5%). Ces évolutions, qui englobent aussi des services publics sortis de l'orbite étatique tels que La Poste , ont une forte répercussion sur la France rurale et sur celle des villes petites et moyennes ou, pour reprendre une expression éloquente, la France des périphéries, celle frappée par les déplacements d'activités productives consécutifs à la nouvelle économie mondialisée organisée autour des métropoles. Christophe Guilluy, géographe, estime, dans La France périphérique , que cette partie du territoire regroupe 59% de la population et près de 73% des catégories populaires et fragiles. Il évoque le cas des petites villes, où l'emploi industriel, encore important avant la crise de 2008, est en chute, et où « seule la présence d'un important secteur "administrations publiques, enseignement, santé, action sociale" et le développement des services à la personne ont permis d'atténuer les effets de la crise, sans pour autant empêcher la stagnation, voire la baisse, de l'emploi total dans les moyennes aires. » Le nouveau zonage de la politique de la ville mis en place en juin 2014, qui inclut des petites villes rurales et industrielles, illustre cette prise de conscience de la nécessité de répondre à la situation des territoires les plus à l'écart des zones d'emploi les plus actives.

L'effet stabilisateur de l'emploi public tend à s'effacer à la suite du retrait de l'État des territoires. Un document transmis à vos rapporteurs par Villes de France évoque cette perspective à propos de la dernière vague de déplacement de services déconcentrés de l'État : « la loi de janvier 2015 redécoupant la France en 13 régions a eu aussi des conséquences durables sur la présence de l'État et la reconcentration des préfectures de régions dans les métropoles. On peut craindre que les quelques aménagements consentis par l'État pour ne pas vider les ex capitales (Amiens, Limoges, Châlons-en-Champagne...) au profit de la métropole ne soient que des mesures transitoires. La France ne peut se résumer à ses métropoles (40% de la population française). L'absence de vision stratégique de l'État pour le reste du territoire génère une grande inégalité et une frustration considérable pour les villes petites et moyennes qui maillent le territoire national. Elles vont perdre non seulement aujourd'hui, mais assurément sur le long terme, avec ces réformes une part importante de l'emploi public (1/3 de l'emploi local en moyenne). »

Face à ces problématiques cruciales pour la qualité du vivre ensemble, le thème du « mieux d'État » susceptible de pallier le « moins d'État » , parfois soulevé devant vos rapporteurs, ne peut tenir lieu de solution miracle.

On a vu que des solutions ponctuelles de maintien de services dans les anciens chefs-lieux régionaux ont été mises en place dans le cadre de la réforme de la carte des régions. Elles pourraient, dans une certaine mesure, inspirer d'autres initiatives. C'est ainsi que le document de Villes de France mentionné plus haut propose « de réfléchir à un grand mouvement de relocalisation de services publics avec un objectif d'aménagement ambitieux du territoire. En effet, la réforme régionale avait fait disparaitre 9 postes de préfets de région et de directeurs généraux d'agence régionales de santé et 63 postes de directeurs régionaux des administrations de l'État, ainsi que leurs états-majors. Il avait été alors décidé en 2015 d'implanter les sièges des directions régionales hors chefs-lieux afin de prendre en compte les spécificités de chaque territoire. À l'instar de ces compensations ponctuelles proposées à ces neuf villes qui perdent le statut de capitale régionale, il est certainement utile de généraliser ce type de démarche à l'avenir. Il pourrait être éventuellement prévu de relocaliser les administrations de grandes directions de l'État déconcentré dans des villes n'ayant pas systématiquement le statut de métropole. Concrètement, pourraient être concernés, par exemple, dans ce grand mouvement de redéploiement national des sièges, les services des directions régionales (ou départementales) de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt ; des directions de l'environnement, de l'aménagement et du logement ; des directions régionales de l'INSEE ; des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ; des directions régionales (ou départementales) des affaires culturelles ; des directions régionales et départementales de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, etc. »

Il peut en effet y avoir là une piste à suivre, pour autant que la complexité des circuits administratifs n'en soit pas démultipliée : votre délégation n'estime pas que la lutte contre le « moins d'État » justifie de sacrifier le « mieux d'État » . D'autres outils existent, tels que les contrats de présence postale territoriale, dont la prolongation pour la période 2017-2020 vient d'être acquise.

En tout état de cause, si le présent rapport n'a pas pour objet d'étudier la fracture territoriale et les mesures susceptibles de la réduire, votre délégation ne peut manquer de rappeler à son occasion le caractère central de cette question pour l'organisation territoriale, tant du point de vue de la déconcentration de l'État que de la décentralisation des collectivités.

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