B. UNE PRIORITÉ DU SÉNAT
Le Sénat entend jouer un rôle moteur dans la politique de simplification du droit . La logique même des institutions l'incite en effet à occuper une place particulière dans ce domaine.
En premier lieu, le Sénat, qui a reçu de l'article 24 de la Constitution la mission spécifique d'assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, a vocation à mettre au jour les difficultés relatives à la définition et à l'application des normes que les collectivités et les élus locaux rencontrent sur les territoires. Le Sénat souhaite les aider à identifier précisément les noeuds de complexité qui bloquent leurs projets et proposer des réponses adaptées, que ce soit directement par voie d'initiative législative ou, indirectement, en invitant le Gouvernement à agir dans le champ règlementaire. L'effort doit porter à la fois sur la réduction du stock des normes applicables aux collectivités et sur la régulation du flux des normes nouvelles.
Ceci est d'autant plus nécessaire que, jusqu'à présent, la politique de simplification du Gouvernement a davantage ciblé les entreprises et les citoyens que les collectivités territoriales. Certes, de nombreuses mesures en droit de l'urbanisme et des sols - que nous détaillerons plus loin dans ce rapport - ont déjà touché les collectivités, mais il est temps que celles-ci, porteuses de l'intérêt public local et pourvoyeuses de nombreux services aux citoyens, se voient reconnaître comme bénéficiaires à part entière de cette politique, ce à quoi le Sénat doit contribuer.
Par ailleurs, au-delà du cas spécifique des normes applicables aux collectivités territoriales, le Sénat, du fait de son histoire, de son mode d'élection et de fonctionnement, incline assez naturellement à s'emparer de l'enjeu de la simplification des normes. En effet, il s'agit là d'un enjeu stratégique, qui transcende les clivages partisans et exige une continuité du travail sur le long terme. Aussi, vos rapporteurs estiment que le Sénat a tout intérêt à affirmer la spécificité de son rôle institutionnel en la matière, chambre de la sagesse et de la prospective, capable de travailler avec pragmatisme et ouverture à l'intérêt général, selon une temporalité moins immédiatement en prise avec les péripéties de la vie démocratique et médiatique.
C. UN DOMAINE DANS LEQUEL LE SÉNAT A DÉJÀ PRIS DES INITIATIVES FORTES
Depuis le rapport du Conseil d'État de 1992, consacré à la sécurité juridique, dans lequel ce dernier exprimait sa préoccupation quant à « la multiplication des normes [et] leurs raffinements byzantins » 1 ( * ) , la maîtrise de l'inflation normative s'est affirmée au Sénat comme un élément récurrent du débat parlementaire et un axe structurant des travaux législatifs et de contrôle.
Plusieurs initiatives y ont ainsi été prises au tournant des années 2000.
Dès 2000, la mission commune d'information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation et de proposer des améliorations de nature à faciliter l'exercice des compétences locales , a préconisé de rénover l'environnement juridique des collectivités territoriales en favorisant la codification du droit, en généralisant les études d'impact, et en associant davantage les collectivités à l'élaboration des normes, notamment techniques 2 ( * ) .
Dans cette perspective, un amendement sénatorial 3 ( * ) est venu créer en 2007 une Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) , faisant ainsi suite à l'une des préconisations formulées par le groupe de travail sur les relations entre l'État et les collectivités territoriales 4 ( * ) , présidé par notre ancien collègue Alain Lambert. Cette commission était chargée d'examiner pour avis les projets de textes règlementaires et communautaires applicables aux collectivités territoriales. À l'initiative de Jean-Pierre Sueur et de Jacqueline Gourault, qui présidaient alors respectivement la commission des Lois et la délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation, le Sénat, suivi ensuite par l'Assemblée nationale, a adopté en 2013 une proposition de loi 5 ( * ) substituant à cette instance le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) , dont le champ de compétences a été doublement étendu : aux projets de loi, d'une part, et au stock de normes règlementaires, d'autre part.
Parallèlement à ces initiatives destinées à mieux réguler la production des normes, le Sénat s'est attaché à identifier et simplifier les secteurs législatifs et règlementaires les plus complexes. En collaboration avec cinq commissions permanentes 6 ( * ) , le rapport de Claude Belot, ancien président de la délégation aux collectivités territoriales, a permis de déterminer en février 2011 les pans de notre droit posant localement le plus de difficultés 7 ( * ) . Ces travaux ont été menés conjointement avec ceux de notre collègue Éric Doligé, qui a déposé une proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales en août 2011 8 ( * ) , à l'issue de la mission qui lui avait été confiée sur ce thème 9 ( * ) par le président de la République.
La volonté du Sénat de maîtriser l'inflation normative a été confirmée à l'occasion des États généraux de la démocratie territoriale 10 ( * ) , en 2011, lorsque le président Bel a insisté sur la nécessité de réduire le flux normatif,
Confortant l'engagement du Sénat en faveur de la simplification normative, de nouveaux chantiers ont été entrepris depuis 2014 .
À l'initiative du président Gérard Larcher, le Bureau du Sénat, par une décision du 12 novembre 2014 11 ( * ) , a ainsi confié à la délégation aux collectivités territoriales et à la délégation aux entreprises la mission de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales , pour la première, et à l'activité économique , pour la seconde.
Après avoir désigné notre collègue Rémy Pointereau premier vice-président délégué, chargé de la simplification des normes, la délégation aux collectivités territoriales a inauguré cette nouvelle mission en consultant les élus locaux sur les secteurs dont ils jugeaient la simplification prioritaire , à l'occasion du Congrès des Maires de novembre 2014. Cette consultation a montré que la préoccupation première des élus concernait le droit de l'urbanisme et de la construction. Ce diagnostic posé, la délégation a orienté ses travaux de simplification dans trois directions :
- elle s'est tout d'abord concentrée sur le flux de normes, en proposant des amendements de simplification au cours de l'examen au Sénat de certains projets de loi. Un rapport d'information a notamment été confié en janvier 2015 à nos collègues Rémy Pointereau et Philippe Mouiller, sur les dispositions applicables aux collectivités territoriales du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte 12 ( * ) . Dans le prolongement de ce rapport, une quinzaine d'amendements de simplification ont été déposés par les rapporteurs : 8 ont été satisfaits en commission, et 2 adoptés en séance publique 13 ( * ) ;
- la délégation s'est également attachée à contribuer à la simplification des normes réglementaires déjà en vigueur. Ainsi, une résolution 14 ( * ) déposée par Jean-Marie Bockel a été adoptée en janvier 2016, par laquelle le Sénat a invité le Gouvernement à simplifier sur 13 points concrets le cadre règlementaire afférent à l'urbanisme et à la construction ;
Les suites données à la résolution
du Sénat (13 janvier 2016)
Le Sénat a adopté, par un large consensus, le 13 janvier 2016, une résolution recensant treize solutions de simplification relatives aux normes règlementaires en matière d'urbanisme. Ces propositions étaient issues d'un premier groupe de travail présidé par Rémy Pointereau, au sein de la délégation aux collectivités territoriales. À l'occasion de son audition par la délégation aux collectivités territoriales le 26 mai dernier, Jean-Vincent Placé, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé de la réforme de l'État et de la simplification, a présenté un premier bilan des suites données par le Gouvernement à cette résolution. Six de ces préconisations ont d'ores et déjà trouvé 15 ( * ) - ou vont prochainement trouver - un début d'application, à la suite notamment des comités interministériels aux ruralités de Vesoul et de Privas de septembre 2015 et mai 2016. Les sept autres suggestions 16 ( * ) vont être instruites par le Secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP) et la Direction générale aux collectivités territoriales (DGCL), dans le but de les intégrer à une prochaine vague de mesures de simplification qui pourrait être annoncée à l'automne 2016, ainsi que le ministre l'a indiqué à la délégation. |
- enfin, la délégation a entendu renforcer les principes et les moyens mobilisés contre l'inflation normative. Tout d'abord, une proposition de loi 17 ( * ) , déposée par Jean-Marie Bockel et Rémy Pointereau, a permis de lever les entraves à la saisine du Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) par les élus locaux : depuis l'adoption de ce texte en mai 2015, le Gouvernement a ouvert à tout maire et tout président de groupement de communes, de conseil départemental ou de conseil régional, la faculté de solliciter cette instance afin qu'elle procède à l'évaluation d'une disposition règlementaire existante 18 ( * ) .
Une proposition de loi constitutionnelle 19 ( * ) a en outre été votée par le Sénat à l'initiative de Rémy Pointereau, en janvier 2016 . Ce texte vise à inscrire dans la Constitution trois principes protecteurs pour les collectivités territoriales : le principe « prescripteur-payeur » 20 ( * ) , le principe « pour une norme créée, une norme supprimée » et la transposition a minima des actes législatifs européens.
De son côté, la délégation sénatoriale aux entreprises a conduit des travaux de simplification dans son champ de compétences , avec le dépôt d'une proposition de loi constitutionnelle visant à favoriser la simplification législative pour les entreprises 21 ( * ) , d'une proposition de résolution tendant à favoriser la simplification réglementaire pour les entreprises 22 ( * ) , et d'une proposition de loi visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite 23 ( * ) . Des amendements de simplification ont également été présentés sur certains textes. Par ailleurs, une matinée d'étude consacrée à la méthodologie comparée de la simplification a été organisée au Sénat le 12 mai dernier, avec le Conseil d'État.
Au-delà de ces initiatives à destination de l'ensemble des collectivités territoriales et des entreprises, la délégation sénatoriale à l'outre-mer a entamé un cycle de travaux de simplification intéressant spécifiquement les outre-mer , dont elle a confié la coordination à notre collègue Éric Doligé : un premier rapport d'information, à paraître prochainement, consacré aux normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture, a pour rapporteurs Jacques Gillot et Catherine Procaccia.
C'est dans la continuité de cette implication affirmée des instances du Sénat en faveur de la simplification normative que s'inscrivent aujourd'hui les travaux du groupe de travail.
* 1 Conseil d'État, Rapport public 1991 , mai 1992.
* 2 Sénat, Rapport d'information n° 166 (1999-2000) de Michel Mercier fait au nom de la mission commune d'information, déposé le 18 janvier 2000, pp. 39 et s.
* 3 Article 97 de la loi n° 2007-1824 de finances rectificative pour 2007 du 20 décembre 2007.
* 4 Groupe de travail présidé par Alain Lambert, Les relations entre les services de l'État et les collectivités territoriales , décembre 2007, p. 12 et s.
* 5 Loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d'un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.
* 6 Commissions des Affaires culturelles, des Affaires économiques, des Affaires sociales, des Finances et des Lois.
* 7 Sénat, Rapport d'information n° 317 (2010-2011) de Claude Belot fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 16 février 2011, p. 11 et s.
* 8 Proposition de loi n° 165 (2013-2013) relative à la simplification du fonctionnement des collectivités territoriales, adoptée en deuxième lecture par le Sénat le 12 juin 2013.
* 9 Éric Doligé, Mission sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales , juin 2011.
* 10 États généraux de la démocratie territoriale, Éléments de conclusion par Jean-Pierre Bel, président du Sénat , octobre 2012.
* 11 Arrêté du Bureau du Sénat n° 2014-280 du 12 novembre 2014.
* 12 Rapport d'information n° 265 (2014-2015) de Rémy Pointereau et Philippe Mouiller fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 28 janvier 2015.
* 13 En outre, des amendements de simplification ont été déposés par le premier vice-président délégué sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.
* 14 Résolution n° 198 rectifiée (2014-2015) présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à limiter le poids de la réglementation applicable aux collectivités territoriales et à simplifier certaines normes réglementaires relatives à l'urbanisme et à la construction, adoptée par le Sénat le 13 janvier 2016.
* 15 Suggestions de la résolution auxquelles le Gouvernement indique avoir apporté une réponse directe ou indirecte : établir une charte nationale harmonisant les niveaux d'exigence des commissions de sécurité et des officiers préventionnistes ; ajuster la périodicité du contrôle des installations électriques dans les ERP ; simplifier la règlementation applicable aux plans locaux d'urbanisme.
Suggestions de la résolution auxquelles le Gouvernement indique être en train d'apporter une réponse directe ou indirecte : établir une charte nationale pour les niveaux d'exigence des architectes des bâtiments de France ; établir une liste des actes d'urbanisme de faible importance exclus du contrôle de légalité ; alléger ou supprimer les normes parasismiques pour les bâtiments de catégorie d'importance III dans les zones de sismicité 2.
* 16 Suggestions de la résolution dont le Gouvernement a demandé l'instruction dans le but de les intégrer à une prochaine vague de mesures de simplification : élaborer des référentiels nationaux pour les agences régionales de santé ; simplifier le formulaire CERFA 13404 ; inciter les communes à mettre en conformité avec la législation européenne leurs équipements d'assainissement collectif ; publier une circulaire clarifiant les régimes de dérogations et mesures compensatoires en matière d'accessibilité ; faciliter l'installation de classes démontables dans les établissements scolaires ou universitaires faisant l'objet de travaux ; regrouper en un dossier unique les dossiers de création et de réalisation des zones d'aménagement concerté ; limiter à un mois la majoration éventuelle des délais d'instruction de droit commun en matière d'urbanisme.
* 17 Proposition de loi n° 101 (2014-2015) simplifiant les conditions de saisine du Conseil national d'évaluation des normes, adoptée en première lecture par le Sénat le 20 mai 2015.
* 18 Décret n° 2016-19 du 14 janvier 2016 modifiant les dispositions réglementaires du code général des collectivités territoriales relatives à la composition et au fonctionnement du Conseil national d'évaluation des normes.
* 19 Proposition de loi constitutionnelle n° 19 (2015-2016) relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales, adoptée en première lecture par le Sénat le 12 janvier 2016.
* 20 Ce principe signifie que le prescripteur d'une norme doit en assumer le coût.
* 21 Proposition de loi constitutionnelle n° 214 (2015-2016) tendant à favoriser la simplification législative pour les entreprises, déposée le 2 décembre 2015.
* 22 Proposition de résolution n° 215 (2015-2016) présentée en application de l'article 34-1 de la Constitution, tendant à simplifier les normes règlementaires applicables aux entreprises, déposée le 2 décembre 2015.
* 23 Proposition de loi n° 394 (2015-2016) visant à développer l'apprentissage comme voie de réussite, déposée le 10 février 2016.