B. DES POINTS DE VIGILANCE SUR LES TEXTES EN COURS DE RÉDACTION OU D'ADOPTION : LES PROJETS D'ORDONNANCE

Parallèlement à l'activité du groupe de travail, le Gouvernement a lancé, suite à plusieurs dispositions d'habilitation issues notamment de la « loi Macron », des chantiers destinés à aboutir à la rédaction d'ordonnances. Il n'eut pas été de bonne méthode que d'interférer avec ce processus. Cependant, les textes en gestation ne sont pas sans impact potentiel sur le champ du groupe de travail. Aussi a-t-il souhaité en présenter les linéaments ainsi que les points de vigilance à assurer, notamment dans la perspective de la ratification ultérieure des textes concernés.

1. Les projets d'ordonnance

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a habilité le Gouvernement à légiférer par ordonnances dans le domaine de l'urbanisme, le terme de ces habilitations étant fixé au 6 août 2016.

L' article 103 permet au Gouvernement de généraliser et de codifier les autorisations uniques pour les installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) et pour les installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la loi sur l'eau (1° et 2°).

L' article 106 prévoit, quant à lui, plusieurs textes tendant à :

- accélérer l'instruction et la prise des décisions relatives aux projets de construction et d'aménagement (1°) ;

- modifier les règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes (2°) ;

- réformer les procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de projets, plans et programmes et de certaines décisions (3°) ;

- et accélérer le règlement des litiges relatifs aux projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement (4°).

Plus récemment, deux projets de loi, en cours d'examen au Parlement, sollicite du Parlement l'habilitation du Gouvernement à prendre diverses mesures de simplification dans deux secteurs : le logement, d'une part, et la domanialité publique, d'autre part.

Tout d'abord, le projet de loi n° 3679 « égalité et citoyenneté » , déposé à l'Assemblée nationale le 13 avril dernier, autoriserait le Gouvernement, en son article 33, à légiférer par ordonnances afin de :

- simplifier certaines règles applicables au logement locatif social (1°, 2°,3°) ;

- procéder à une nouvelle rédaction à droit constant du code de la construction et de l'habitation afin d'en clarifier la rédaction, en y intégrant les dispositions propres à l'allocation familiale et à l'allocation de logement social (4°, 5°) ;

- simplifier certaines règles relatives au logement privé (6°, 8°, 9°) ;

- permettre l'émergence d'une autorité unique exerçant l'ensemble des polices spéciales de lutte contre l'habitat indigne (7°) ;

- accompagner les fusions d'établissements publics à fiscalité propre prévues par les schémas départementaux de coopération intercommunale, en facilitant l'exercice de la compétence relative au plan local d'urbanisme, aux documents en tenant lieu et à la carte communale (10° et 11°) ;

- et préciser les règles afférentes à la sécurité des ascenseurs (12°).

De son côté, le projet de loi n° 3623 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique , enregistré à l'Assemblée nationale le 30 mars 2016, comprend, en son article 15, deux habilitations permettant au Gouvernement de simplifier les règles en matière :

- d'occupation et de sous-occupation du domaine public (1°) ;

- et des transferts de propriété réalisés par les personnes publiques (2°).

2. Les points de vigilance

Bien que les mesures de simplification engagées par le Gouvernement en matière d'urbanisme aillent dans le bon sens, le groupe de travail ne peut cependant qu'être vigilant et prudent sur l'abondant recours aux ordonnances prises en application de l'article 38 de la Constitution.

a) Ordonnance prévue par l'article 103 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

S'agissant de l'ordonnance devant être prise sur le fondement de l'article 103 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 , le texte provisoire porté à la connaissance du groupe de travail 67 ( * ) soulève de nombreuses difficultés.

Selon le ministère, il est prévu que cette ordonnance porte création d'un « permis environnemental unique » codifié et harmonisé. Cette initiative est particulièrement intéressante : elle doit permettre, en regroupant des autorisations aujourd'hui distinctes autour d'une procédure commune - avec un dossier d'instruction, un service instructeur, une étude d'impact, et une enquête publique uniques - 68 ( * ) , de passer d'une « approche par procédure » à une « approche par projet » . En outre, il est également envisagé de généraliser la faculté pour les porteurs de projets de recourir à un « certificat de projet » , selon des modalités toutefois simplifiées : le certificat continuerait de fixer à l'administration des délais prescriptifs, mais n'emporterait plus cristallisation du droit.

Ces généralisations intervenant moins de deux ans après les premières expérimentations, alors même que les implications de ces types d'outils sur la sécurité juridique des projets sont encore mal appréhendées, la ratification de ce texte doit être l'occasion d'un débat approfondi au Sénat.

Au cours des auditions qu'il a organisées, le groupe de travail a pu constater l'intérêt de prendre en compte le retour d'expériences des acteurs de terrain, en particulier des services déconcentrés de l'État. Ces derniers ont notamment insisté sur la nécessité, dans le cadre de la généralisation du « permis environnemental unique » , de :

- prévoir une phase de cadrage préalable suffisante pour permettre aux porteurs de projets d'obtenir auprès de l'administration la communication des renseignements utiles à leurs projets ;

- tenir compte des besoins des pétitionnaires pour la définition du périmètre du permis environnemental , une personne auditionnée ayant par exemple suggéré d'intégrer à ce permis, lorsqu'il concerne les projets soumis à la loi sur l'eau, l'autorisation de pêche de sauvegarde prévue à l'article L. 436-9 du code de l'environnement ;

- veiller à la bonne articulation de l'autorisation environnementale unique, délivrée par l'État, avec les autorisations d'urbanisme, qui continueront de relever de la compétence des communes ou de leurs groupements , afin d'éviter que les dossiers et les procédures ne soient redondants ou que leurs effets juridiques soient peu synchrones ;

- et préparer les services déconcentrés de l'État à sa mise en oeuvre , en favorisant une organisation en « mode projet » en leur sein.

Par ailleurs, le projet d'ordonnance pourrait utilement être articulé aux propositions du groupe de travail relatives à la création d'une conférence de conciliation et d'accompagnement des projets locaux et à l'institution d'un référent juridique unique départemental. En effet, la conférence pourrait être le lieu idoine du cadrage préalable, ainsi qu'une instance de dialogue tout au long des procédures concernées.

b) Ordonnances prévues à l'article 106 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques

S'agissant des ordonnances devant être prises en application de l'article 106 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 , celle tendant à accélérer l'instruction et la prise des décisions relatives aux projets de construction et d'aménagement (1°) a déjà été prise 69 ( * ) , au contraire de celle tendant à accélérer le règlement des litiges relatifs aux projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement (4°).

• P rojet d'ordonnance relatif à l'évaluation environnementale

Parmi ces ordonnances, le groupe de travail a eu communication d'une version de travail 70 ( * ) de l'ordonnance destinée à modifier les règles applicables à l'évaluation environnementale des projets, plans et programmes (2°) . Ce texte a pour ambition de simplifier les procédures d'évaluation environnementale, tout en garantissant un niveau constant de protection de l'environnement et un degré accru de compatibilité avec les exigences issues du droit de l'Union européenne.

Fondé sur le principe « un projet, une étude d'impact », le texte intégrerait plusieurs dispositions facilitatrices.

Tout d'abord, le projet d'ordonnance prévoit un allègement des études d'impact et des enquêtes publiques qu'elles impliquent. En l'état actuel du droit, quand bien même une opération d'aménagement aurait donné lieu à étude d'impact, les projets qui en découlent peuvent nécessiter à leur tour une telle étude. Afin d'éviter ces redondances, il est prévu par le texte que l'étude d'impact initiale puisse tenir lieu des suivantes, ou être actualisée après consultation du public, éventuellement par voie électronique.

Dans un même souci de rationalisation, le projet d'ordonnance crée deux procédures, qui visent à permettre la réalisation d'une évaluation environnementale et d'une enquête publique unifiées pour différents projets, plans ou programmes. La procédure est dite « commune » lorsque l'évaluation environnementale d'un projet est menée concomitamment à celle d'un autre projet, d'un plan ou d'un programme. Elle est dite « coordonnée » lorsque l'évaluation environnementale d'un programme ou d'un plan peut valoir étude d'impact pour un projet intervenant postérieurement.

Bien que ces dispositifs soient susceptibles de rationaliser les procédures et d'en renforcer la célérité, il convient d'être attentif :

- à la dualité des procédures communes et coordonnées , qui pourraient être difficiles à distinguer en pratique, et donc à appliquer ;

- et aux restrictions qui pourraient être posées à leur usage : la première procédure a pour condition que l'autorisation du projet et l'élaboration du plan ou du programme soient « menées concomitamment » , et la seconde que l'évaluation environnementale et la participation du public pour le plan ou le programme aient également « porté » sur le projet.

Outre ces considérations techniques, c'est surtout à l'absence de « sur-transposition » des dispositions des directives européennes 71 ( * ) qu'il convient de veiller. Dans cette perspective, le groupe de travail suggère que le Gouvernement s'assure que le projet d'ordonnance n'excède pas les obligations prévues par le droit de l'Union européenne.

• Projet d'ordonnance relatif à la participation du public

Un dernier projet d'ordonnance dont le groupe de travail a pris connaissance 72 ( * ) est celui visant à réformer les procédures destinées à assurer l'information et la participation du public à l'élaboration de projets, plans et programmes et de certaines décisions (3°). Ce texte a pour objectif de moderniser les modalités du débat public et de renforcer ainsi la légitimité des projets d'urbanisme et des opérations d'aménagement. Pour ce faire, il prévoit la création d'un dispositif de participation du public en amont des projets, ainsi qu'un mécanisme de consultation des électeurs sur des projets locaux.

S'il comporte plusieurs dispositions de nature à simplifier ou sécuriser le cadre juridique existant, ce texte présente néanmoins des points de complexité. Face à ces difficultés, il importe:

- d' alléger le dispositif de participation du public en amont des projets , en veillant à ce que la déclaration d'intention , qui en constitue le point de départ, ne soit pas perçue comme une charge administrative par les porteurs de projets auxquels elle s'applique ;

- de favoriser le recours à l'enquête publique unique , en envisageant par exemple que l'absence de réponse apportée par le représentant de l'État à une demande faite par un porteur de projet dans un délai d'un mois vaille acceptation ;

- d' alléger le formalisme de l'enquête publique , notamment en réduisant ses délais ou en la remplaçant par sa mise à disposition pour le public pour certains projets ayant déjà fait l'objet d'une concertation préalable ;

- de sécuriser le dispositif de l'enquête publique complémentaire , en le distinguant mieux du mécanisme proche de la suspension d'enquête et en l'enserrant éventuellement dans un délai légal ;

- et d' encadrer les délais relatifs à la participation du public , en permettant au porteur d'un projet soumis à enquête publique de bénéficier d'une possibilité de recours, le cas échéant devant le juge des référés.

Aussi le Gouvernement pourrait-il utilement étudier , sur ces points soumis à sa réflexion par le groupe de travail, la possibilité d'ajuster le projet d'ordonnance , de manière à ce que les objectifs de participation du public et de simplification du droit progressent de concert.

c) Ordonnances prévues par le projet de loi n° 3789 « égalité et citoyenneté » et par le projet de loi n° 3623 relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique

Pour ce qui est enfin des nouvelles habilitations prévues par les projets de loi n° 3679 « égalité et citoyenneté » (article 33) et n° 3626 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de l'activité économique (article 15) , elles seront prochainement examinées par le Parlement.

À cette occasion, le groupe de travail souhaite que le Gouvernement précise au Sénat le contenu des projets d'ordonnances qu'il envisage de prendre sur le fondement de ces nouvelles habilitations , afin que le législateur soit pleinement en mesure de juger de l'opportunité de déléguer sa compétence au Gouvernement dans ce domaine.


* 67 Projet de texte en date du 10 mai 2016.

* 68 Le permis environnemental unique regrouperait, pour les projets relevant d'une autorisation au titre des installations classées pour l'environnement (ICPE) ou des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) soumis à la loi sur l'eau, les autorisations accordées par l'État au titre :

- du code de l'environnement (autorisation au titre des ICPE ou des IOTA, autorisation spéciale au titre des réserves naturelles nationales ou des réserves naturelles de Corse, autorisation spéciale au titre des sites classés, dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces et habitats protégés, agrément pour l'utilisation d'organismes génétiquement modifiés, agrément des installations de traitement des déchets) ;

- du code forestier (autorisation de défrichement) ;

- et du code de l'énergie (autorisation d'exploiter et approbation du projet de transport et de distribution de l'énergie).

* 69 Ordonnance n° 2016-354 du 25 mars 2016 relative à l'articulation des procédures d'autorisation d'urbanisme avec diverses procédures relevant du code de l'environnement, complétée par décret n° 2016-355 du 25 mars 2016 relatif à l'articulation des procédures d'autorisation d'urbanisme avec diverses procédures relevant du code de l'environnement.

* 70 Projet de texte en date du 13 février 2016.

* 71 Le projet d'ordonnance transpose la directive 2014/52/UE du 16/04/14 modifiant la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement.

* 72 Projet de texte en date du 26 janvier 2016. Depuis lord, l'une des ordonnances prévues au 3° de l'article 106 de la loi a été déposée (ordonnance n° 2016-488 du 21 avril 2016 relative à la consultation locale sur les projets susceptibles d'avoir une incidence sur l'environnement).

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