B. LA RÉFORME DE 2013 A PRÉSERVÉ LES ACQUIS DE LA RÉFORME DE 2008, TOUT EN AYANT POUR OBJECTIF DE REMÉDIER À CERTAINES DIFFICULTÉS OPÉRATIONNELLES

1. Une réforme qui vise à remédier à certaines difficultés opérationnelles

Cinq ans seulement après la réforme de 2008, l'architecture du renseignement intérieur est de nouveau transformée en 2013 afin de remédier à certaines difficultés opérationnelles.

a) Le manque d'autonomie de la DCRI

Un des principaux objectifs de la réforme de 2013 est de remédier au manque d'autonomie autonomie budgétaire et de recrutement de la DCRI.

Le constat est ancien : Jean-Jacques Pascal, ex-directeur de la DST, déplorait déjà, du temps de la DST, « l'absence d'individualisation du budget,  noyé au sein du budget général de la DGPN » et les effets néfastes d'un recrutement inadapté, la réforme des corps et des carrières supposant par exemple que la DST reçoive, « au même titre que les autres corps de police, une dotation de gradés et gardiens supérieure à celle d'autres catégories de personnel » 28 ( * ) .

Surtout, le renseignement intérieur souffrait sur ce point de la comparaison avec la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE ) . À titre d'illustration, Bernard Squarcini, premier directeur de la DCRI, rappelle que « lorsque la DCRI a ciblé des ingénieurs qu'il fallait recruter, les salaires proposés à la DGSE étaient trois fois plus élevés que ceux alignés par la nouvelle direction » 29 ( * ) .

b) L'impossible monopole de la DCRI sur le renseignement en milieu fermé

Un deuxième objectif de la réforme de l'architecture du renseignement intérieur annoncée en 2013 est de remédier aux difficultés liées à une séparation stricte entre renseignement intérieur et renseignement de proximité.

Comme le rappelle le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, il semble difficile d'imaginer que « que la surveillance des mouvements sectaires, du repli identitaire, de l'économie souterraine, qui relève de la SDIG, donne les résultats escomptés dès lors qu'elle exclut tout recours aux sources fermées ». Pour la commission d'enquête, « c'est précisément parce que cette évidence était refusée au moment de la réforme de 2008 que la SDIG vit aujourd'hui un état de marginalisation » 30 ( * ) .

En conséquence, le rapport insistait dès 2012 sur la nécessité de « de rétablir le continuum du renseignement intérieur face au terrorisme » 31 ( * ) .

c) L'absence de structuration de la fonction « renseignement » au sein de la gendarmerie nationale

Enfin, la réforme de 2013 a entendu revenir sur la volonté de rapprochement entre forces de police et de gendarmerie par la centralisation du renseignement de proximité au sein du SDIG . Pour certains gendarmes, la création du SDIG a pu être vécue comme une forme de mise sous tutelle de l'activité de renseignement de la gendarmerie, ce qui a compromis les relations avec les forces de police.

Avec la réforme de 2013, l'objectif était donc de rompre avec « la marginalisation de la Gendarmerie orchestrée depuis 2008 au profit d'une SDIG qui pourtant ne parvint jamais à s'imposer », comme le résume la délégation parlementaire au renseignement (DPR) dans son rapport d'activité pour l'année 2014 32 ( * ) .

2. Une réforme qui préserve les acquis de la réforme de 2008

Tout en s'efforçant de remédier à ces difficultés opérationnelles, force est de constater que la réforme de 2013 préserve l'essentiel des acquis de la réforme de 2008.

a) La mise en place de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), rattachée directement au ministre de l'intérieur

Afin de renforcer son autonomie de recrutement et de fonctionnement, la DCRI devient Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Tandis que la DCRI demeurait un service central dépendant de la DGPN, la DGSI est désormais directement rattachée au ministre .

Toutefois, l'article 1 er du décret n° 2014-454 du 6 mai 2014 confère à la DGSI le statut de service actif de la police nationale , lui permettant ainsi de mutualiser avec la DGPN les fonctions de soutien exercées par la DRCPN en matière de gestion des ressources humaines et d'affaires budgétaires.

b) La création du Service central du renseignement territorial (SCRT) et la réorganisation de la chaîne du renseignement au sein de la gendarmerie

La réforme de 2013 procède également à une nouvelle réorganisation du renseignement de proximité.

S'agissant de l'information générale, le SDIG devient Service central du renseignement territorial (SCRT) 33 ( * ) . Des sections zonales de recherche et d'appui sont mises en place en son sein afin d'appuyer les structures territoriales et le chef du SCRT devient directeur central adjoint de la sécurité publique. Enfin, le monopole de la DGSI en matière de prévention du terrorisme est remis en cause : depuis juin 2014, sur instruction du ministre de l'intérieur, la SCRT contribue également à la mission de prévention du terrorisme par la détection des « signaux faibles » de radicalisation.

S'agissant de la gendarmerie, la réforme de 2013 a abouti à la création de la Sous-direction de l'anticipation opérationnelle (SDAO) 34 ( * ) , qui doit permettre à la gendarmerie de disposer « d'une capacité propre d'appréciation de la situation » 35 ( * ) . Son action vise à l'anticipation opérationnelle, qui consiste à identifier et hiérarchiser les risques et menaces susceptibles de provoquer l'engagement, à court ou moyen terme, des moyens de la gendarmerie. Ainsi, la gendarmerie s'est attachée à :

- mieux identifier les ressources et unités déjà consacrées à l'exercice de cette mission, tant à l'échelon central que territorial ;

- constituer, à partir du regroupement de tout ou partie de bureaux ou sections déjà existantes au sein de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), une sous-direction chargée de l'animation du réseau et du traitement de l'information opérationnelle ;

- préciser les attributions des différentes structures et responsables déjà en place : « bureaux renseignement » dans les régions, « cellules renseignement » dans les groupements et « officiers adjoint renseignement », qui animent l'activité des structures dédiées à la mission de renseignement au niveau départemental, régional et zonal.

Trois aspects décisifs de la réforme de 2008 sont toutefois préservés :

- la participation de la gendarmerie au sein de chaque SDRT ;

- le rattachement du SDRT à la sécurité publique ;

- l'absence de relation bilatérale du SCRT avec les services étrangers - cette mission relevant exclusivement de la DGSI.

c) Le maintien de l'exception parisienne

Enfin, il est important de noter que l'exception parisienne a été préservée tant par la réforme de 2008 que par celle de 2013.

Si les Renseignements généraux de la préfecture de police de Paris (RGPP) sont devenus, en 2008, la Direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), ils ont conservé les mêmes missions 36 ( * ) :

- l'information générale ;

- la lutte contre le terrorisme et les extrémismes à potentialité violente ;

- la lutte contre l'immigration clandestine et le travail illégal des étrangers : en Île-de-France, la Direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) dispose d'une direction interdépartementale qui exerce ses compétences uniquement dans les départements de la grande couronne parisienne.

Le périmètre d'intervention de la DRPP a même été étendu par la réforme de la police d'agglomération de 2009, qui retire à la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) la tutelle sur les trois SDIG de la petite couronne parisienne mis en place en 2008 en remplacement des RG. Dans une logique de continuité territoriale, la tutelle de ces services a été confiée à la DRPP 37 ( * ) .

Cette organisation spécifique, justifiée par les particularismes de la ville capitale, n'a pas été remise en cause par la réforme de 2013.


* 28 « Entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Entretien avec Jean-Jacques Pascal » par Floran Vadillo in Les espions français parlent : Archives et témoignages inédits des services secrets français, précité.

* 29 Bernard Squarcini et Etienne Pellot, Renseignement Français : Nouveaux Enjeux, précité.

* 30 Rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, 2013, p. 24.

* 31 Rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le fonctionnement des services de renseignement français dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés, 2013, p. 25.

* 32 Rapport d'activité de la délégation parlementaire au renseignement pour l'année 2014, p. 121.

* 33 Décret n° 2014-466 du 9 mai 2014 modifiant le décret n° 2008-633 du 27 juin 2008 modifié relatif à l'organisation déconcentrée de la direction centrale de la sécurité publique.

* 34 Arrêté du 6 décembre 2013 modifiant l'arrêté du 12 août 2013 portant organisation de la direction générale de la gendarmerie nationale.

* 35 Source : réponses du SCRT au questionnaire.

* 36 Les missions et l'organisation de la DRPP sont définies par les arrêtés du Préfet de police de Paris des 2 juillet 2008, 7 août 2009 et 5 avril 2012.

* 37 À cette occasion, les SDIG sont renommés « services territoriaux du renseignement ».

Page mise à jour le

Partager cette page