ANNEXE II : RÉUNIONS EN DÉLÉGATION
3. Compte rendu de la réunion du 9 juillet 2015 (adoption du rapport)
M. Jean-Marie Bockel , président . - En novembre dernier, le premier tome de notre rapport d'information sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017 mettait en évidence l'impasse que la baisse des dotations de l'État risquait de constituer pour les collectivités. Ce travail a été jugé très utile par les acteurs de terrain qui s'en sont emparés. Le deuxième tome, que nous examinons ce matin, traite des conséquences concrètes de la baisse des dotations et de la manière dont les collectivités s'y adaptent. Ce travail s'appuie sur une consultation des élus locaux, dont les résultats nous ont été présentés par l'Institut français d'opinion publique (Ifop) le 25 juin dernier. À l'automne, un troisième tome présentera des propositions pour améliorer l'efficacité et l'équité de nos finances locales.
M. Charles Guené , rapporteur . - En effet, les projections que nous vous avons présentées en novembre mettaient en évidence qu'avec la baisse de 12,5 milliards de la DGF par rapport à 2013, jusqu'à deux tiers des collectivités territoriales seraient dans le rouge d'ici 2018, l'impasse financière devenant la norme. Les communes de plus de 10 000 habitants et les départements seront les plus touchés. Sans ajustement, les collectivités devraient diminuer leurs dépenses d'investissement de 30 % pour rétablir leur situation.
Nous avons souhaité consulter les élus locaux - maires, présidents d'EPCI, de conseils départementaux et régionaux - sur les mesures qu'ils envisageaient pour s'adapter aux évolutions du contexte financier. Les services du Sénat ont mis en ligne un questionnaire auquel ils étaient invités à répondre entre le 5 mai et le 1 er juin. Sur plus de 5 000 connexions, 3 057 questionnaires ont été validés et traités par l'Ifop. Compte tenu du délai très court dont nous disposions, et des nombreuses sollicitations dont les élus ont fait l'objet ces derniers mois sur le sujet des finances locales, ces résultats sont un succès. Le taux de participation hebdomadaire est 2,5 fois plus élevé que celui observé sur la simplification des normes.
Les réponses des 2 859 communes, 132 EPCI, 54 départements et 12 régions ont validé les conclusions des simulations réalisées dans le tome I, et exprimé le désarroi des collectivités territoriales. Les témoignages parfois édifiants des associations d'élus locaux que nous avons entendues lors de la table ronde du 17 juin ont confirmé l'hypothèse d'un calendrier difficilement soutenable.
M. Jacques Mézard , rapporteur . - Notre troïka a tiré la sonnette d'alarme lors de la publication du tome I de notre rapport, et l'Association des maires de France (AMF) nous a entendus. Plusieurs missions et enquêtes sont venues confirmer ce que nous avions tous dit lors de la séance de questions cribles thématiques du 11 juin dernier : la DGF est injuste et doit être réformée. Mme Pires-Beaune l'a bien compris, puisque dans le cadre de la mission parlementaire que lui a confiée le Premier ministre, ainsi qu'à notre regretté collègue Jean Germain, elle donne la priorité à la réforme de la DGF pour le bloc communal. L'effet de ciseaux entre la baisse des recettes et la hausse des dépenses sociales place pourtant les départements dans une situation que risque encore d'aggraver la baisse de la contribution à la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), annoncée par Mme Lebranchu : la moitié de la CVAE ira au financement des régions, contre 23 % actuellement. Comment vont-ils faire pour s'en sortir ?
L'on nous dit que la réforme de la DGF se fera par étapes, sans préciser pourtant comment elle s'organisera, ce qui augmente la complexité de la tâche pour les élus locaux déjà très inquiets de ne pouvoir évaluer les conséquences de la baisse de leurs dotations ou le renforcement de la péréquation en pourcentage de fiscalité. Dans sa note de synthèse, l'Ifop indique : « La difficulté à se positionner de manière affirmée sur ces indicateurs les plus précis de l'enquête révèle un point de vigilance important à prendre en considération pour les décideurs, à savoir que les élus locaux font montre d'un certain «décrochage» face à un système complexe dont ils semblent avoir des difficultés à se saisir pleinement ».
Le fait que les élus se sentent aussi démunis et sous-estiment certainement l'ampleur du choc financier qui les attend ne peut que nous inquiéter. Les associations d'élus que nous avons auditionnées partagent ce constat. Il est du devoir de l'État de mieux communiquer et informer les collectivités territoriales, et nous demandons que les préfets envoient d'urgence à chacune d'entre elles le rappel des baisses de dotations qui les concerne et des indicateurs pour en évaluer l'impact financier, afin qu'elles puissent prendre toutes les mesures nécessaires. La situation, évidemment anxiogène, fait naître un sentiment de rejet chez les élus locaux, qui estiment les conséquences insurmontables. Si rien n'est fait pour les informer correctement dans les plus brefs délais, nous irons à coup sûr « droit dans le mur ».
M. Philippe Dallier , rapporteur . - Lors de l'annonce de la baisse des dotations, notre intuition d'élus locaux a immédiatement été qu'elle se répercuterait sur les dépenses d'investissement. Nous avions raison, puisque 44 % des élus consultés ont choisi en priorité de diminuer leurs investissements pour compenser la perte de recettes. Plus généralement, 62 % des collectivités ont joué de ce levier, dont un tiers ont voté une baisse d'au moins 10 %.
Ces chiffres se retrouvent dans l'exécution du budget 2014. Si le déficit public a été réduit à 1,6 milliard en 2014, la Cour des comptes pointe que les collectivités locales ont porté l'effort, en réduisant leurs dépenses d'investissement. Ce phénomène s'amplifiera, car lorsqu'ils se projettent à l'horizon 2017, les élus envisagent une baisse encore plus forte qu'entre 2014 et 2015, ce qui confirme les projections du cabinet Klopfer comme les études de La Banque Postale ou de l'AMF.
Les dépenses de fonctionnement constituent le deuxième levier prioritaire, pour 32 % des élus. Au total, 63 % d'entre eux les ont diminuées dans le cadre de leur budget pour 2015. Certes, certains n'ont fait que réduire la hausse de la dépense. La baisse devrait néanmoins s'accentuer d'ici 2017 pour 36 % des collectivités. Il serait faux de dire que les élus locaux dépensent trop. Certaines collectivités ont des marges de manoeuvre, quand d'autres n'en ont déjà plus. Celles qui dépensent le plus en fonctionnement sont celles qui bénéficient de la plus grosse recette fiscale. De manière générale, les élus sont sensibilisés à la nécessité de dépenser moins.
Si des facteurs exogènes comme le glissement vieillissement technicité (GVT) ou le taux de cotisation patronale contribuent à faire évoluer les dépenses de personnel, des marges de progression restent possibles, et il est du devoir des élus locaux de les envisager avec rigueur et détermination. Nous voudrions tirer la sonnette d'alarme, car le Gouvernement a évoqué une majoration du point d'indice, qui est bloqué depuis 2010. Cela ne concernera pas seulement les fonctionnaires ou le personnel des hôpitaux, mais aussi celui des collectivités...
M. Jean-Marie Bockel , président . - Fin juin, le maire de Mulhouse et moi-même avons signé un accord avec la quasi-totalité des syndicats, hormis la CGT qui s'est prononcée par une abstention positive, pour le passage aux 35 heures.
M. Philippe Dallier , rapporteur . - Effectives ?
M. Jean-Marie Bockel , président . - Oui. Nous ne sommes pas les seuls à le faire. Une partie des économies améliorera le pouvoir d'achat des plus modestes, tandis que le reste s'imputera sur les dépenses de fonctionnement.
M. Philippe Dallier , rapporteur . - Aucun élu n'est de mauvaise volonté. Il ne faut pas pour autant sous-estimer la difficulté. Toutes les mesures que prend l'État se répercutent sur les collectivités. Lorsqu'il donne un coup d'accélérateur au point d'indice, les collectivités doivent en assumer le coût ; quand on parle de mutualisation ou de fusion, c'est toujours sous le régime le plus favorable. Il est assez rare de constater des diminutions de dépenses.
Le troisième levier possible, celui de l'endettement, semble écarté des mesures de compensation. Heureusement, car l'endettement national atteint cette année 2 100 milliards d'euros. Même si la situation varie selon les communes, d'une manière générale, elles y ont peu recours. Si la hausse de la fiscalité n'est une priorité que pour une minorité de collectivités, il semble difficile qu'elles ne soient pas plus nombreuses dans les années à venir à accroître les taux pour compenser la baisse de leurs ressources.
Ces résultats sont en phase avec les intuitions que nous avions. Nous avions bien anticipé la réaction des élus locaux. Globalement, la situation sera difficile.
Mme Françoise Gatel . - Je félicite les rapporteurs de la qualité de leur vision. Des études commandées par l'AMF confirment leurs résultats. Les élus locaux sont souvent ramenés au rang de sous-traitants, chargés en bout de chaîne d'exécuter les décisions de l'État et de faire face à l'alourdissement des charges. Même si nous cherchons à réduire nos dépenses, il nous reste toujours à gérer les dépenses obligatoires, en intégrant au budget par exemple le milliard d'euros que coûte la réforme des rythmes scolaires. L'État supprimera, le 1 er juin, l'instruction gratuite du droit des sols dont bénéficiaient la plupart des intercommunalités. Cette remarquable marque de confiance ne coûtera pas moins de 175 000 € par an à mon intercommunalité. Il faut mettre fin au principe de strangulation qui consiste à diminuer les dotations tout en augmentant les charges. Selon l'AMF, les investissements devraient baisser de 25 % d'ici 2017. Un terrain de foot en moins, cela peut paraître négligeable, mais cela se traduit par des emplois en moins. La réduction de 13 % de l'investissement du bloc local constatée en 2014, c'est 4,3 milliards d'euros qui n'ont pas été injectés dans les entreprises. Malgré toute notre bonne volonté, l'équation n'est pas tenable.
M. Michel Le Scouarnec . - Pourquoi demander tant d'efforts aux collectivités locales qui ne représentent que 9 % de l'endettement de notre pays ? Je ne crois pas à l'effet positif des baisses de dotation. On créera moins de postes, on mutualisera. L'effet sur l'investissement n'en sera pas moins dramatique. Je ne cesse de le répéter.
M. Jean-Marie Bockel , président . - Même si le constat est accablant, on ne peut pas en rester au « On nous tue, on nous assassine ! ». Ce n'est pas caresser dans le sens du poil le centralisme parisien que de reconnaître que nous devons faire des efforts et que la structure de notre territoire a besoin d'être réformée. L'opinion publique, aussi schizophrène et versatile soit-elle, ne s'y trompe pas. Je prêche des convaincus.
M. Dominique de Legge . - Le pire est là ; peut-être n'avons-nous pas encore vu le pire du pire. L'éventuelle réforme de la DGF n'aidera pas à clarifier la situation. En engageant une réforme sans moyens, on achève de nous ôter toute marge de manoeuvre. Les difficultés ne manqueront pas de s'accumuler, dans un manque de visibilité total. Sur le terrain, les gens continuent à croire que nous sommes riches et qu'il y a trop de communes. Pourtant, il y aura toujours autant d'élèves à scolariser et de routes à entretenir. Malgré toutes les mutualisations, les économies resteront à la marge.
M. Philippe Dallier , rapporteur . - On a vu ce que donnait la baisse des dotations de 3,6 milliards d'euros. Si on réforme en plus la DGF, comme je l'appelle de mes voeux, l'incertitude sera complète. D'où, l'importance pour les préfets d'expliquer aux élus ce à quoi ils doivent s'attendre dans les deux ans à venir.
M. Charles Guené , rapporteur . - M. Le Scouarnec a raison, les collectivités ne sont pas responsables, mais diminuer leurs dotations est terriblement efficace ! La réduction du déficit de notre pays est essentiellement due aux efforts des collectivités, qui sont obligées d'engager des réformes structurelles, dès qu'on les prive de moyens. Il n'est que plus dommage que l'État puisse recycler nos efforts dans une sorte de laxisme débridé.
M. Philippe Dallier , rapporteur . - L'État annonce déjà 3,5 milliards d'euros de dotations en moins. Il faut s'attendre aux mêmes résultats en 2015. L'État décide ; on s'exécute.
M. Charles Guené , rapporteur . - Réduire l'investissement aura des effets différés, qui obligeront à corriger la trajectoire. Quant à la mutualisation que, comme M. Jourdain, nous pratiquions spontanément, nous n'en voyons les effets qu'à long terme.
Mme Françoise Gatel . - Les incitations financières pour encourager les communes nouvelles ne sont pas très judicieuses. L'heure n'est pas à la carotte. Pour en donner plus aux uns, on diminue la part des autres, alors que l'on baisse aussi la DGF. Cela devient pervers dès que la bonification ne va pas aux plus vertueux. La prime à l'innovation n'a pas sa place en période de grande frugalité.
M. Philippe Dallier , rapporteur . - La deuxième loi Chevènement partait du même principe : « Faites de l'intercommunalité, et vous aurez des dotations ! ». Le mouvement de fusion des communes n'aurait sans doute pas été aussi net sans les bonifications. Dans les Hauts- de-Seine, un collègue souhaitait même créer une commune nouvelle allant de Boulogne à Issy-les-Moulineaux, pour réduire de 40 millions d'euros la baisse des dotations. Le gouvernement a su le freiner. Tout cela n'est pas cohérent. Ce type de dispositif nuit à l'équité.
M. Charles Guené , rapporteur . - S'il n'a pas d'impact sur les petites communes de 1 000 à 10 000 habitants, l'effet d'aubaine existe bel et bien. Sans dénoncer personne, il est clair que certains profitent du système. Nous serions bien inspirés d'y remédier
M. Philippe Dallier , rapporteur . - J'ai entendu parler d'une fusion de communes en Maine-et-Loire, qui regrouperait 100 000 habitants.
M. Jean-Marie Bockel , président . - Il y a toujours eu des effets d'aubaine dans l'histoire des fusions de communes. Il suffit de rappeler la fusion des communes de Lomme et Lille : une commune de 20 000 habitants a soudain été intégrée à un ensemble de 160 000 habitants. Quels qu'en aient été les motifs, l'opération s'est révélée plutôt positive à long terme. Les communes nouvelles évitent l'émiettement des petites communes. En Alsace, Kaysersberg et les communes alentours ont décidé de fusionner. Ils ont bénéficié du système alors que ce ne sont pas les plus pauvres. Tant mieux pour eux.
M. Dominique de Legge . - Ce système tourne tout de même à l'absurde. Pour atteindre les économies que dégage la fusion, voilà que l'on donne des bonifications aux communes qui s'y engagent. Cela ne tient pas debout.
M. Jean-Marie Bockel , président . - Messieurs les rapporteurs, nous vous remercions pour ce travail d'orfèvre. Si vous souhaitez de nouvelles études pour mener vos travaux sur le tome III, il nous faudra saisir la questure pour qu'elle dégage les moyens nécessaires.
M. Charles Guené , rapporteur . - Il serait effectivement intéressant de disposer de projections actualisées et de zoomer sur certains points.
Mme Françoise Gatel . - Vous intéresserez-vous au Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC) sur lequel nous manquons cruellement de visibilité ?
M. Philippe Dallier , rapporteur . - Une marche reste à franchir, mais l'horizon devrait bientôt se dégager. Reste à savoir si l'on remet tout à plat : FPIC, dotation de solidarité urbaine (DSU), dotation de solidarité rurale (DSR)... La tâche est d'autant plus difficile que les délais sont serrés. Nous ne pourrons pas voter la réforme sans en avoir des simulations détaillées, commune par commune.
M. Charles Guené , rapporteur . - On attend à l'automne un rapport du gouvernement sur le FPIC, dont le Comité des finances locales revoit les critères.
M. Jean-Marie Bockel , président . - Je vous remercie pour ce rapport d'une grande valeur.
La réunion est levée à 9 h 30.
4. Compte rendu de la réunion du 25 juin 2015 (restitution des résultats de la consultation par l'Ifop)
Jeudi 25 juin 2015, sous la présidence de M. Jean-Marie Bockel, président, réunion de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur « Les conséquences de la baisse des dotations de l'État - Présentation par l'institut de sondage Ifop des résultats de la consultation des élus locaux ».
M. Jean-Marie Bockel, président. - En novembre 2014, Philippe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard ont rédigé un premier rapport d'information sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017, très utile sur le terrain, comme nous le constatons avec les associations de maires. Nos collègues continuent d'évaluer les conséquences des baisses de dotations de l'État, en examinant comment les collectivités s'adapteront. Afin de disposer de bases solides, nous avons appelé les élus locaux à répondre à un questionnaire en ligne dont l'institut de sondage Ifop a exploité les réponses. Nous écoutons ses représentants nous présenter les résultats.
M. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. - Le but de cette enquête était de déterminer la perception de l'impact de la réforme par les élus locaux, les mesures qu'ils prennent pour s'adapter, et leurs anticipations pour l'avenir. Il s'agit d'une consultation - et non d'un sondage - réalisé sur un échantillon représentatif.
La première question posée à propos d'une telle consultation est la suivante : le public visé y a-t-il répondu ? La réponse est clairement oui : plus de 3 000 personnes, 3057 exactement, auxquelles s'ajoutent plus de 1 500 élus ayant rendu des questionnaires incomplets que nous n'avons pas pu utiliser. Ce sont donc près de 5 000 personnes qui ont pris le temps de s'y intéresser. Qui a répondu ? La répartition est homogène, et les pourcentages reflètent bien les nombres respectifs de collectivités : 93,5 % d'élus municipaux, 4,3 % de représentants d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), 1,8 % d'élus des départements - 54 départements représentés, soit un sur deux ! - et 0,4 % d'élus des régions, soit 12 régions sur 23. Quant à la répartition des communes selon leur taille, 43,5 % des réponses représentent des communes de moins de 500 habitants, 34,6 % des communes de 500 à 1 999 habitants, 16,4 % des communes de 2 000 à 9 999 habitants et 5,5 % des communes de plus de 10 000 habitants.
Les élus sont sévères sur la nécessité et l'efficacité de la baisse des dotations : seuls 27 % des élus la jugent nécessaire, dont 5 % seulement « tout à fait nécessaire », contre 63 % « pas nécessaire », dont 30 % « pas du tout ». Un même doute se manifeste sur l'efficacité, puisque seuls 18 % y croient, dont 2 % « tout à fait », contre 68 % qui n'y croient pas, dont 35 % « pas du tout ». Les élus régionaux sont moins sceptiques sur la nécessité des baisses, à laquelle croient 58 % d'entre eux, contre 43 % des élus départementaux, 34 % des représentants des EPCI et 26 % pour les élus communaux, quelle que soit la taille de la commune. Le clivage est moindre en revanche sur l'efficacité des baisses, à laquelle même les élus régionaux et départementaux ne croient guère.
Quid du jugement global sur la réforme territoriale ? Il reflète un très fort scepticisme sur les économies qu'elle pourrait faire réaliser aux collectivités : 16 % y croient, contre 78 % qui n'y croient pas, dont 34 % « pas du tout ». C'est un peu moins vrai pour les régions, avec 33 % de oui, que pour les petites communes, avec seulement 12 %. Ce fait est à relier à l'inquiétude des élus, mesurée par la question : « la baisse des dotations de l'État est-elle une contrainte surmontable ou insurmontable ? » - chacun ressent l'anxiété qui se trouve derrière ce mot. Les élus sont 56 % à la trouver insurmontable, en particulier les élus des départements, qui ne sont que 13 % à la considérer comme surmontable, contre 58 % pour les élus des régions et 39 % pour ceux des communes, où l'on constate un clivage selon la taille : les trois-quarts des élus des villes de plus 10 000 habitants la considèrent comme insurmontable, mais un peu moins pour les plus petites.
Cela ne relève pas tant d'un sentiment que d'une réalité connue : 84 % des élus déclarent connaître la baisse des dotations pour sa collectivité, dont 33 % précisément ; cela est un peu moins vrai pour les régions et les départements que pour les EPCI et les communes. Chez ceux qui la connaissent, la part du budget de la collectivité que représente la baisse des dotations est de plus de 10 % pour un quart des réponses, et de plus de 15 % pour un dixième. Pour une moitié, la baisse se situe entre 5 % et 10 %. Les élus ont eu du mal à répondre sur l'impact de la baisse des dotations en équivalent pourcentage de fiscalité : 57 % ne le savent pas. Pour un cinquième d'entre eux, cela représenterait entre 10 % et 15 %, en particulier pour les régions et les départements.
Un élu sur deux déclare connaître les mesures de renforcement de la péréquation pour sa collectivité, cette proportion étant plus faible dans les régions et plus importante dans les départements, et augmentant spectaculairement dans les communes selon leur taille, de 43 % pour les communes de moins de 500 habitants à 67 % pour les communes de plus de 10 000 habitants. 31 % des élus consultés considèrent leur collectivité comme un « contributeur net » - 52 % pour les communes de plus de 10 000 habitants - et 38 % estiment qu'elle est un « bénéficiaire net ». Un quart d'entre eux ne connaissent pas la réponse et 8 % ne se prononcent pas. Ils sont 77 % à ne pas connaître le pourcentage de fiscalité représenté par les différents fonds de péréquation ; le reste des réponses se disperse autour d'un pourcentage moyen de 6,7 %.
Lorsque nous leur demandons s'ils jugent équitables les critères d'éligibilité et de répartition de la dotation générale de fonctionnement (DGF), seuls 26 % répondent par l'affirmative, avec une part marginale (1 %) qui les trouvent tout à fait équitables. Ce jugement sans ambiguïté présente peu de différences selon les collectivités, ou selon la taille des communes, sinon que les élus départementaux sont particulièrement critiques.
Nous voulions aussi connaître les mesures prises par les collectivités pour faire face à cette baisse. Lorsqu'on leur demande quel est leur choix prioritaire parmi les différentes mesures -une seule réponse étant possible - 5 % des élus choisissent l'endettement, mais cela représente 25 % pour les régions ; 13 % choisissent la hausse de la fiscalité, en particulier pour les communes et les EPCI ; le choix majoritaire concerne la baisse des dépenses d'investissement (44 %) - notamment pour les départements - et de fonctionnement (32 %), notamment pour les régions.
Si nous examinons ces mesures les unes après les autres, les élus déclarent à 62 % que leur collectivité compense la baisse des dotations par une baisse des dépenses d'investissement, notamment dans les communes ; cette baisse est de 10 % et plus pour un tiers des collectivités. Même réponse à 63 % concernant la baisse des dépenses de fonctionnement, avec une baisse de 2 % à 5 % anticipée par 37 % des élus - la baisse est plus faible que pour l'investissement, ce qui n'est pas une surprise. Les élus sont 29 % à déclarer compenser la baisse des dotations par une hausse de la fiscalité, ce qui n'est pas négligeable. Une étude pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol) révèle que la principale inquiétude des Français à propos de l'État et des pouvoirs publics porte sur la hausse des impôts locaux, avant celle de l'impôt sur le revenu. Cette mesure concerne surtout les EPCI et les communes, singulièrement celles de taille intermédiaire, entre 500 et 10 000 habitants, et nettement moins les plus grandes. L'endettement est choisi par moins d'élus, sinon ceux des régions et des départements.
À l'horizon 2017, 45 % des élus envisagent une baisse des dépenses d'investissement plus forte qu'aujourd'hui, et 19 % une baisse identique. Pour le fonctionnement, la baisse serait plus forte pour 36 % des élus, et identique pour 30 %. La hausse de la fiscalité serait équivalente pour 27 % et plus forte pour 22 %, et celle de l'endettement respectivement pour 22 % et 20 %. Notons qu'une forte proportion d'élus déclare ne pas le savoir.
Mme Adeline Merceron, directrice de clientèle à l'Ifop. - Pour l'avenir, les deux risques les plus importants d'ici à 2017 sont une baisse des investissements pour les trois quarts des élus, notamment ceux des communes, mais beaucoup moins pour ceux des départements ; le deuxième risque est le désengagement dans certains secteurs, pour 39 %, là aussi les départements sont en retrait. Ces derniers ainsi que les régions semblent davantage craindre l'érosion du taux d'épargne brute, le déficit et la dégradation de la capacité de désendettement. Les deux tiers des élus craignent des difficultés financières à l'avenir - quelle que soit la taille des communes ; les représentants des régions sont un peu plus optimistes. Les secteurs les plus touchés sont les équipements et l'urbanisme à 71 %, en particulier pour les communes, les subventions aux associations à 45 %, de manière homogène pour toutes les collectivités, les services administratifs et le personnel à 32% - mais 58 % pour les régions et 41 % pour les départements. Viennent ensuite le développement économique, en particulier pour les communes, la culture, l'éducation et les services sociaux.
À partir du verbatim des élus, nous avons constitué un nuage de mots représentant les principales activités affectées par la baisse des dotations. La première occurrence est la voirie, suivie de près par les travaux, puis par l'entretien des bâtiments communaux ou le non-remplacement du personnel. Si nous les classons par grands thèmes, la première activité touchée correspond effectivement aux travaux et à l'entretien de la voirie, la seconde au fonctionnement et au personnel, la troisième à l'entretien et à la rénovation des bâtiments, avant l'urbanisme ou les projets liés à la vie scolaire ; les autres font preuve d'une grande dispersion.
Les élus municipaux et d'EPCI à 61 % n'envisagent pas de fusion - qui préserverait pourtant leurs dotations - mais cette idée pourrait faire son chemin puisqu'un quart d'entre eux y pensent, en particulier dans les petites communes. Il s'agirait, dans 81 % des cas, de fusionner avec des communes. Les élus sont plus réceptifs à la mutualisation, déjà engagée pour 41 % d'entre eux, dont 34 % envisagent d'y recourir à nouveau, mais 7 % sont restés sur leur faim. Un tiers y réfléchissent ; seuls 18 % d'entre eux ne l'envisagent pas. Les élus régionaux sont 75 % à l'avoir engagée, mais les élus départementaux ne sont que 37 %. Les communes importantes sont plus nombreuses, logiquement, à l'avoir expérimentée.
Les attentes vis-à-vis de l'État sont multiples : un quart des élus veulent un nouveau calendrier pour étaler dans le temps la baisse des dotations, surtout dans les départements et les communes ; un quart réclament une simplification de la fiscalité, notamment dans les régions et les communes ; un quart souhaite une DGF entièrement péréquatrice. La réponse « autre » a permis aux élus de s'exprimer de façon virulente et dans toutes les directions, notamment en réclamant le maintien des dotations actuelles ou la baisse du train de vie de l'État...
M. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. - Nous préparons une typologie des élus, définissant des élus résignés, légitimistes, inquiets -même si l'inquiétude est une caractéristique presque générale - que nous vous fournirons en début de semaine prochaine.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Merci pour ce travail très intéressant. Au-delà du simple ressenti, comment agir sur les dépenses de fonctionnement, notamment sur la masse salariale ? Je suis personnellement engagé sur ce sujet particulièrement brûlant pour les collectivités territoriales, et je finaliserai demain, dans ma collectivité, un dialogue avec les organisations syndicales sur l'application effective des 35 heures. J'ai aussi échangé avec elles sur l'absentéisme. Nous signerons vraisemblablement un accord avec toutes les organisations syndicales sauf une.
Je donne d'abord la parole aux rapporteurs des travaux sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Ces résultats sont intéressants mais peu surprenants. Nous y retrouvons notre préoccupation principale : le risque d'une forte réduction des dépenses d'investissement. On note des différences entre catégories de collectivités, les régions s'inquiétant moins que les communes.
Vous avez regretté que 1 500 questionnaires soient revenus incomplets, mais le taux de réponse, qui dépasse largement les 5 % habituels pour ce type de consultation, peut être considéré comme satisfaisant.
M. Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop. - Oui, c'est un très bon résultat, en particulier en plein mois de mai.
M. Antoine Lefèvre. - En effet, pour cette période, c'est bien !
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Cette consultation confirme mes craintes. Je suis davantage surpris par la connaissance toute relative qu'ont les élus de leur avenir proche. Autant je l'aurais comprise avant la notification de la DGF -même à la commission des Finances, nous avions du mal à l'évaluer-, autant chacun sait désormais ce qui l'attend pour 2016 et 2017, à epsilon près, sauf peut-être dans les petites communes.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Ce questionnaire est une bonne illustration de l'utilité d'interroger les élus locaux ; cette méthode devrait être davantage employée, car la collecte d'expériences personnelles est insuffisante. Nous avons une vraie vision de ce que pensent les élus locaux, pour chaque niveau et taille de collectivité.
Cela nous interpelle, ainsi que les gouvernements successifs : les élus locaux sont de plus en plus perdus en matière de gestion de leurs ressources financières. À leurs yeux, la situation financière des communes est tellement compliquée qu'ils ont du mal à appréhender correctement la situation. Nous devons simplifier et mieux communiquer. Ces résultats prouvent que toute la paperasserie reçue des préfectures, voire de certaines associations d'élus, est mal absorbée, voire ne l'est pas du tout.
Les effets de la diminution des ressources financières des collectivités territoriales sont perçus comme devant se poursuivre après 2017, leurs impacts durables entraîneront d'autres conséquences pour les collectivités et l'économie.
M. Charles Guené, rapporteur. - Je partage l'avis du président et des autres rapporteurs. Nous ne sommes pas surpris par ce qui est ressenti ou pressenti. Le taux de réponse est d'autant plus satisfaisant que l'Association des maires de France (AMF) avait réalisé, dans la même période, une enquête similaire, quoique plus simple, et qu'il est parfois compliqué pour les élus de répondre à de telles enquêtes successivement.
Je suis un peu déçu, car dès que les questions sont plus techniques, les élus ne s'y attardent pas suffisamment. Ce n'est pourtant pas si difficile d'indiquer l'effet de la diminution des dotations ou de la péréquation en points de fiscalité : une règle de trois est à la portée de tous ! Si les élus avaient pleinement connaissance de la situation, les résultats seraient pires.
D'où le troisième volet de nos travaux : que faire ? Une solution simple consisterait à limiter la diminution des dotations. Mais tout tourne autour du système fiscal, actuellement en pleine réforme, qui est sédimenté, sans aucune logique. Nous devrons faire des préconisations de plus en plus ciblées.
M. Michel Le Scouarnec. - Mercredi dernier, lors d'une réunion de parlementaires avec le bureau de l'Association des maires du Morbihan à laquelle je participais, nos interlocuteurs nous ont fait part de leurs difficultés actuelles et de leur peur de l'avenir, de leur besoin de stabilité et surtout d'étaler des baisses de dotations trop dures et trop rapides, pour plus d'équité. Selon le maire de Vannes, qui n'est pas de mon bord politique, la DGF de sa commune s'élèverait à 192 € par habitant, contre 800 € à Levallois-Perret ! Si telle est la vérité, c'est terrible. Il faut donc étaler et retravailler la péréquation pour plus de justice. Je confirme que cette consultation reflète bien les craintes des maires.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - Merci d'avoir précisé - car c'est important - qu'il s'agissait d'une consultation, et non d'un sondage. Notre délégation s'est saisie d'un sujet essentiel. Est-il anxiogène d'avoir mal ? Oui, à l'évidence.
Remettons la situation en perspective : le sentiment diffère selon les collectivités territoriales. D'après votre consultation, ce sont les communes, et les petites communes en particulier, où l'on en arrive « à l'os » et dont les marges de fonctionnement sont déjà très limitées, qui éprouvent le plus de craintes. Les régions ou les départements, du fait de leur taille, n'envisagent pas l'avenir plus sereinement - voyez la dette publique ! - mais disposent encore de marges de manoeuvre.
La vraie question ne porte pas sur la diminution des dotations, mais sur la durée de cette diminution. Quelle solution peut être acceptée par chaque niveau ? Certaines collectivités se trouvent en difficulté en raison du contexte structurel : ainsi, depuis douze ans, les gouvernements successifs ont fait porter aux départements tout le poids de la politique de solidarité nationale. Mais par quel niveau de collectivité celle-ci - revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA), politique de handicap - doit-elle être financée ? Certes, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), consacrée aux investissements, a augmenté substantiellement.
J'en reviens à l'interrogation de notre président. Dans ce contexte si difficile pour les collectivités, qui perdure quel que soit le gouvernement, nous devons poser des questions iconoclastes et difficiles. Longtemps présidente d'un conseil général, j'ai interrogé les syndicats des techniciens, ouvriers et du personnel de service (TOS) sur les raisons de l'absentéisme accru dans cette catégorie par rapport à d'autres. Le métier est difficile, m'ont-ils répondu ; mais n'est-il pas au moins aussi difficile de déneiger les routes ou de recevoir des personnes en difficulté sociale ? Nous avons ensuite défini ensemble certaines règles et la situation s'est améliorée.
La situation du pays nous impose de poser ces questions délicates, de faire ces choix que nous devons étaler dans le temps, en tenant compte des différentes situations, sans pénaliser les collectivités les plus fragiles...
M. Jean-Marie Bockel, président. - D'où l'importance du troisième volet que nous allons engager.
M. Christian Manable. - J'abonde dans le sens de mes collègues : ces résultats m'ont peu surpris ; les réponses seraient aussi prévisibles si l'on demandait à nos concitoyens s'ils préfèrent être en bonne ou en mauvaise santé ou s'ils souhaitent payer plus d'impôts !
Ce qui est fondamental, c'est le sens à donner à la réduction des dotations de l'État. Nous devons nous projeter dans l'avenir, conscients du risque que la dette publique s'accentue pour les générations futures. Des mesures certes dures ont été prises, sur une période trop courte, mais le précédent président de la République avait aussi envisagé, je le rappelle, une diminution des dotations de l'État aux collectivités, sans avoir le temps de la mettre en oeuvre.
Président d'un conseil général pendant sept ans et élu local durant un quart de siècle, j'ai toujours milité pour un fonds de solidarité nationale qui évite les ruptures d'égalité entre les citoyens. Retrouvons le chemin que prit le Conseil national de la résistance dans la France à genoux, meurtrie et décimée de 1945 : celui de la solidarité nationale. Retrouvons cette solidarité, en particulier pour le RSA. Entendons cette demande d'une péréquation plus forte entre les collectivités. Les restrictions financières ont cette vertu d'obliger les élus locaux à réviser chaque ligne budgétaire, à être plus attentifs que lorsque l'argent public abondait.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - J'ai moi-même répondu à cette consultation en tant qu'élu local. À la question sur la nécessité de la réduction des dotations j'ai répondu de façon positive car, en tant que parlementaire, je suis conscient de cette nécessité. Pourquoi avions-nous lancé cette consultation ? Car le gouvernement, lorsqu'on échange avec lui, prétend que la diminution des dotations est soutenable pour tout le monde. Récemment, lors des questions cribles, il a affirmé que cela ne représentait que quelques pourcents des dépenses de fonctionnement, alors que le parlement l'alertait sur la réduction des investissements et ses conséquences sur la croissance et l'emploi.
L'intérêt de cette enquête, c'est de montrer que, quels que soient les leviers, l'investissement est le premier touché. Deux tiers des collectivités, et en particulier les communes de plus de 10 000 habitants, seront en-dessous du seuil suffisant d'épargne nette d'ici 2017. Cette consultation nous servira dans les futures négociations du projet de loi de finances et de la réforme de la DGF - de véritables bouteilles à l'encre - qui accroissent l'angoisse des élus locaux. Cette consultation, au lieu d'enfoncer des portes ouvertes, est intéressante et utile. Elle montre que nos inquiétudes sur l'investissement public sont justifiées. Que faire ? Il faut jouer sur la péréquation.
Mme Caroline Cayeux. - Cette étude corrobore celle que nous avons réalisée avec l'association des Villes de France, qui montre que les maires ont le sentiment que l'État leur demande de faire ce qu'il n'a pas fait : les restrictions budgétaires, les coupes dans les services publics... La réduction particulièrement brutale des dotations décidée à partir d'avril 2014, sans avoir été annoncée clairement, concerne beaucoup d'élus locaux qui se sont engagés à ne pas toucher à la pression fiscale et qui se retrouvent particulièrement démunis pour assurer leurs projets d'investissement et de fonctionnement.
Lors d'un déplacement pour l'association dans une autre région, j'ai constaté la diminution de ces dépenses. La presse se fait l'écho de l'arrêt de festivals, de l'interruption de programmes municipaux ou départementaux. C'est la vie économique globale qui sera totalement bousculée, à cause du dogme de Bercy selon lequel un surplus de dotation augmenterait les dépenses de fonctionnement. Mais nous avons le sens des responsabilités !
Certes, réduire la voilure est très difficile. Aller plus loin risquerait de remettre en cause le statut de la fonction publique, alors que toute entreprise privée peut réorienter régulièrement sa politique de personnel. Nos collectivités sont obligées de présenter un budget en équilibre, c'est la quadrature du cercle ! Trimestre après trimestre, j'examine avec ma direction des finances comment parvenir à l'équilibre budgétaire en 2017, qui ne sera probablement atteint qu'en 2020. Mes collègues sont contraints d'arbitrer parmi ces difficultés incommensurables mais croissantes. Merci pour ces informations de grande qualité.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - Nous avons fait réaliser une analyse précise des conséquences de la baisse des dotations par le cabinet Michel Klopfer. Il ne s'agit pas de critiquer le gouvernement ou telle ou telle étude. Le constat est clair : une part importante des collectivités se trouvera dans le mur. Face à cela, il est important de faire le lien avec les élus locaux et de transmettre un certain nombre de messages. Certes, il faut faire des économies, mais on ne peut pas rester sans réagir. La fusion des régions réduira les dépenses de l'État, la DGF sera réformée, mais le pire interviendra après 2017. Il est du devoir du parlement de préparer cela.
M. Jean-Marie Bockel, président. - Je remercie les représentants de l'Ifop, nos rapporteurs et tous nos collègues. Cette démarche est utile. Nous devons, en tant qu'élus locaux, nous remettre en question et explorer ces sujets, comme nous le faisons dans nos collectivités, par le dialogue social, sur les 35 heures ou l'absentéisme.
Cette étude nous servira dans les négociations à venir, dans les réflexions avec les associations d'élus, avec l'AMF, qui doivent se poursuivre. Le combat continue. Cette étude sera d'autant plus utile quand l'ensemble de notre travail sera publié et diffusé, pour consolider les positions des territoires face à une certaine morgue, à l'idée reçue que nous serions laxistes, que nous déciderions au fil de l'eau. Non : nous faisons des efforts, nous innovons et nous nous remettons en question. Le maintien de réductions excessives entraînera des conséquences graves pour notre pays.
5. Extraits de l'audition du 31 mars 2015 (M. Bargeton, adjoint à la Maire de Paris en charge des finances)
Mardi 31 mars 2015, sous la présidence de M. Jean-Marie Bockel, président, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation auditionne M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des questions relatives aux finances, au suivi des sociétés d'économie mixte, aux marchés publics, aux concessions et à la politique des achats.
M. Jean-Marie Bockel, président. - J'ai le plaisir d'accueillir M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris en charge des finances. Je rappelle que les auditions d'aujourd'hui se situent dans le cadre des travaux des trois rapporteurs, MM. Philipe Dallier, Charles Guené et Jacques Mézard. Elles doivent permettre d'analyser l'important relèvement des tarifs de stationnement adopté par le Conseil de Paris en décembre dernier. Cette mesure a eu un fort écho médiatique et est emblématique des situations que doit explorer le deuxième volume du rapport d'information sur l'évolution des finances locales à l'horizon 2017. Le premier volume, publié en novembre 2014, a analysé, à partir d'une étude financière du cabinet Klopfer, l'impact de la baisse des dotations de l'État. La nouvelle étape des travaux est consacrée aux décisions concrètes prises par les élus locaux pour s'adapter à ce nouveau contexte, qu'illustre aujourd'hui la hausse des tarifs de stationnement de la Ville de Paris, même si d'autres motivations - environnementales notamment - existent. Au Sénat, comme dans nos collectivités territoriales, nous sommes d'ailleurs également engagés sur les enjeux de transition énergétique.
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - Je vous remercie de votre invitation. Vous connaissez le contexte financier des collectivités territoriales. Concernant le budget pour 2015 de la Ville de Paris, puisque la mesure visée par les travaux d'aujourd'hui concerne cet exercice, il est caractérisé par une baisse des dotations de 216 millions d'euros. La dotation globale de fonctionnement (DGF) est passée, en seulement quelques années, d'un niveau de 1,3 milliard d'euros à 975 millions d'euros. Parallèlement, la péréquation a crû de 70 millions d'euros. Nous avons donc dû compenser un différentiel de 286 millions d'euros sur 8 milliards d'euros de budget de fonctionnement. Enfin, le contexte est également marqué par une hausse des dépenses inéluctables, telles la masse salariale ou les dépenses sociales, qui ont augmenté globalement de 70 millions d'euros.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Vous tenez donc un raisonnement global concernant non seulement le budget de la ville mais aussi celui du département ?
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - Tout à fait : nous avons fusionné les deux budgets pour l'adoption par le Conseil de Paris, tout en respectant les deux normes comptables.
Pour faire face à ces défis, nous avons prévu un plan d'économies de 130 millions d'euros en 2015, et avons opté pour une hausse de certaines recettes : 40 millions d'euros provenant d'une augmentation de la taxe de séjour, 15 millions d'euros issus d'une hausse de la part de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires, et 50 millions d'euros provenant de la hausse des droits de stationnement. Enfin, nous avons modifié quelques grilles tarifaires, ce qui devrait nous rapporter environ 10 millions d'euros. N'oublions pas de signaler une bonne nouvelle puisque la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) devrait rapporter plus que prévu en 2015.
Le contexte financier est très compliqué car il est marqué à la fois par une baisse des dotations, par une hausse de la péréquation pour certaines collectivités, mais aussi par plusieurs facteurs tels que l'incertitude relative aux recettes de la fiscalité économique ou la fiscalité immobilière, ainsi que le caractère inéluctable de certaines dépenses. Dans un tel contexte, je rappelle que les recettes issues du stationnement à Paris ne représentent que 110 millions d'euros en 2015, soit 1,5 % du budget. La question des tarifs de stationnement n'est donc pas un enjeu budgétaire. Le récent pic de pollution que nous avons connu pendant une semaine montre que cette mesure s'inscrit dans la logique de la politique de déplacement qui doit permettre de décourager l'utilisation d'un véhicule thermique personnel dans la zone dense.
Sur 140 000 places de stationnement, on en compte 80 000 pour le stationnement résidentiel. Notre objectif est de faire descendre les voitures dans des ouvrages de la ville en sous-sol afin de dégager l'espace public pour accueillir les visiteurs, notamment les professionnels. Il s'agit là d'une politique de fluidité ambitieuse, à laquelle contribuent déjà plusieurs systèmes tels que les Vélib', Autolib', ou les transports en commun, qui constituent une bonne alternative. D'ailleurs, seuls 40 % des ménages parisiens possèdent un véhicule et la circulation a été réduite de 25 % en dix ans.
Le tarif résident est toujours inférieur à son niveau de 2001. Avec un coût de 1,5 € par jour et de 9 € par semaine de stationnement résident, Paris pratique des tarifs inférieurs à ceux que l'on trouve dans plusieurs grandes villes de France. En outre, ces tarifs s'accompagnent de politiques de services comme par exemple le paiement par smartphone.
Pour résumer, cette politique tarifaire - qui ne constitue pas un enjeu budgétaire - est à rapprocher de la politique de déplacement souhaitée à Paris : il s'agit de passer d'une conception de la voiture que l'on possède à celle de la voiture comme service que l'on utilise.
M. Charles Guené, rapporteur. - Nous vous remercions pour la clarté de cet exposé. Pourriez-vous compléter cette présentation budgétaire en nous indiquant le montant global de la fiscalité économique et celle des ménages, ainsi que les variations prévues entre 2014 et 2015 ? Étant donné que la situation devrait évoluer de la même façon en 2016 et 2017, avez-vous une stratégie pluriannuelle ? Prévoyez-vous de faire à nouveau des économies à la même hauteur ou d'utiliser les mêmes leviers de recettes ?
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - Parmi les éléments chiffrés que je peux vous donner figure la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dont la recette s'élève à 1,402 milliard d'euros. Cette cotisation est complexe à appréhender car elle connaît des variations inexplicables, qui peuvent découler de phénomènes d'optimisation de la part des entreprises, notamment des banques et des assurances. On a eu en 2013 une augmentation de 190 millions d'euros, puis en 2014 une baisse de 190 millions d'euros et, en 2015, à nouveau une hausse de 170 millions d'euros. On observe donc une variation particulière de la CVAE, non liée au cycle économique, et qui soulève des difficultés pour nos projections pluriannuelles.
Les taxes foncières rapportent 988 millions d'euros, la taxe d'habitation 750 millions d'euros, la contribution foncière des entreprises environ 310 millions d'euros et les droits de mutation rapportent 1,120 milliard d'euros.
Au total, la fiscalité locale, avec les fiscalités directes et indirectes, rapporte environ 5,473 milliards d'euros en 2015, pour une hausse qui était de 7 % d'une année sur l'autre. Il faut préciser que nous n'avons pas joué sur les taux, du fait de l'engagement de ne pas augmenter les taux de la fiscalité directe locale entre 2014 et 2020. Ces taux ont très peu augmenté depuis 2001, avec seulement deux hausses entre 2008 et 2009.
Concernant les projections pluriannuelles, nous ne savons pas encore comment seront construits les budgets 2016 et 2017. Sans doute faudra-t-il continuer à faire des économies. Cela peut être difficile, même si nous avons mis en place une stratégie ne prévoyant aucune création nette d'emplois, en dehors des ouvertures d'équipements qui sont compensées par des redéploiements. Cependant, cet exercice a des limites puisque la masse salariale dépend de facteurs exogènes, tels que la revalorisation des catégories C, les salaires minimum, le point de la fonction publique et les cotisations employeurs.
Les péréquations représentent un budget nouveau, créé il y a trois ans et se situant à un niveau important. En effet, les fonds de péréquation pour la Ville de Paris sont de 450 millions d'euros. Même si nous pouvons espérer une amélioration de la situation économique et donc une baisse des dépenses sociales, je constate une forte inertie, notamment avec une allocation personnalisée d'autonomie (APA), une prestation de compensation du handicap (PCH) et un revenu de solidarité active (RSA) qui continuent de progresser.
Nos leviers sont limités car nous avons déjà utilisé les dispositifs légaux relatifs aux taxes de séjour et sur les résidences secondaires, et nous ne pouvons aller au-delà de ce que permet le Code général des impôts.
En revanche, nous attendons un certain nombre de mesures de la part de l'État, notamment en matière de normes comptables. Je pense aux amortissements des subventions d'équipement qui pèsent sur les dépenses de fonctionnement alors que ces contributions servent à financer de l'investissement - ordures ménagères ou transports avec le syndicat des transports d'Île-de-France (STIF). Cette règle mériterait à mon sens d'être corrigée, ce qui permettrait de disposer d'autres leviers.
Nous souhaitons également avoir plus de visibilité sur l'évolution des dotations. En outre, cet exercice rencontre des limites dès lors qu'il ne s'accompagne pas d'une réforme des finances locales. Dotations et fiscalité sont deux sujets qu'il faut traiter conjointement. Il me semble nécessaire de stabiliser les dotations et d'arrêter les hausses importantes de péréquation. Pour ce qui concerne la Ville de Paris, il faudrait en tous cas orienter les péréquations vers la métropole.
Nous demandons également le retour des prêts à taux zéro, puisque l'État a annoncé la volonté de relancer l'investissement. Or l'investissement des collectivités territoriales correspond à 70% de l'investissement public en France, qui crée, à Paris, 30 000 emplois directs et indirects. Il est essentiel de pouvoir continuer à investir, et nous demandons d'être aidés sur ce point.
Ainsi, comme vous pouvez le constater, nous expertisons toutes les pistes, en dépenses comme en recettes, pour pouvoir construire les budgets de 2016 et 2017.
M. Philippe Dallier, rapporteur. - Nous sommes tous inquiets, au-delà de nos étiquettes politiques, de la difficulté qu'ont rencontrée les collectivités locales à équilibrer leurs dépenses pour 2015. Cette situation risque de se reproduire en 2016 et en 2017.
L'étude Klopfer accompagnant le premier volume de notre rapport a montré que, d'ici 2016-2017, les deux tiers des communes de plus de 10 000 habitants vont se trouver dans une situation financière difficile du fait de la baisse de la DGF. Pour y remédier, il est possible de faire des économies en fonctionnement, ce que vous avez commencé à faire, ou encore d'augmenter les recettes. Mais si la Ville de Paris peut jouer sur les tarifs de stationnement et sur la taxe de séjour, beaucoup d'autres communes n'ont pas cette possibilité.
Concernant le risque de la baisse de l'investissement des collectivités locales, vous demandez une aide de l'État, avec par exemple un retour du taux zéro. Dans les hypothèses présentées, envisagez-vous de réduire en volume les investissements de la Ville de Paris ou pensez-vous pouvoir tenir le programme envisagé avec une progression ou une stabilisation de ces investissements ?
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - C'est effectivement un sujet très important. La Ville de Paris disposait auparavant d'une épargne de gestion élevée, qui diminue très fortement dans notre budget de 2015. En effet, en 2014, l'épargne brute était de 580 millions d'euros. Les recettes réelles d'investissement s'élevaient à 685 millions d'euros. Cela nous donnait une capacité de financement des investissements de 1,266 milliard d'euros. Or, comme nos investissements s'élevaient à 1,530 milliard, nous avions une capacité d'autofinancement de 83 %. En moyenne, la Ville de Paris a ainsi financé 80 % des investissements par l'épargne ou par les recettes d'investissement.
En 2015, ce n'est plus du tout le cas, puisque nous passons à une épargne brute de 350 millions d'euros, ce qui traduit directement la situation que vous décrivez. En effet, dès lors que nous n'augmentons pas les impôts directs locaux et que les dotations baissent, il reste deux choix : soit la dette, soit l'investissement.
La Maire de Paris a fait très clairement le choix de ne pas toucher à l'investissement. Elle a ainsi annoncé un programme d'investissement de 10 milliards d'euros, ce qui nous permet de rester dans la situation de la précédente mandature, avec près de 1,6 milliard d'investissement par an. Mais ce choix va se traduire par une progression de l'endettement de la Ville de Paris. Il est vrai que cet endettement était jusqu'ici très faible en comparaison d'autres collectivités. Nous progresserons dans la même proportion que durant les précédentes mandatures, mais avec une dette de départ d'environ 4 milliards d'euros.
Nous ne pouvons pas toucher à l'investissement, non seulement parce qu'il s'agit d'un des engagements pris devant les Parisiens, mais aussi parce que l'investissement finance logements et transports -ce qui est indispensable dans une métropole dense. L'investissement est également un levier de développement économique, d'attractivité de la Ville de Paris. En outre, il permet de créer des emplois et de maintenir l'activité de nos entreprises, notamment dans le BTP, donc au-delà de la ville.
À partir de là, le choix a été très clair. Le curseur sur lequel nous allons jouer ne sera ni l'impôt, ni la réduction de l'investissement. Nous allons utiliser la marge qui est la nôtre en épargne brute et assumer une hausse maîtrise de l'endettement. Cela traduit la réalité financière dans laquelle nous sommes placés. Le choix de la Maire de Paris est de faire porter l'effort sur le fonctionnement et de ne pas toucher aux investissements, voire de les accélérer.
M. Jacques Mézard, rapporteur. - J'ai été rassuré sur la situation financière de la Ville de Paris. Ce que vous nous avez exposé est clair : il y a une baisse des dotations, pas d'augmentation des taux, et vous maintenez l'investissement. Vous arrivez finalement à tenir votre budget sans grande difficulté du fait d'une augmentation de la recette fiscale sans augmentation des taux de 7 %, c'est-à-dire environ 400 millions d'euros, alors que la baisse des dotations ne représente que 60 % de cela. Après ce constat, nous envions votre situation, malgré la volatilité de la CVAE. Je rappelle d'ailleurs qu'en 2010 on nous avait promis une augmentation annuelle de 4% du rendement de cette cotisation. Dans ce contexte, que pensez-vous de la hausse de péréquation à venir ?
M. Charles Guené, rapporteur. - C'est une question importante et vous nous avez indiqué que vous souhaitiez orienter la péréquation vers la métropole.
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - La fiscalité n'avait pas beaucoup progressé jusque-là. Il est vrai que sur les dernières années on constate une augmentation, liée à l'évolution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et à des effets de glissement de la fiscalité immobilière, mais en réalité elle n'a augmenté que de 0,2 % entre 2012 et 2013, passant de 5,121 milliards à 5,130 milliards et de 0,2 % entre 2013 et 2014, passant de 5,130 milliards à 5,141 milliards.
Au regard de la péréquation, la Ville de Paris est extrêmement solidaire, ce qui me paraît tout à fait légitime, et je remarque d'ailleurs que les métropoles, qui créent des richesses, jouent un rôle analogue à celui de la capitale dans les territoires en redistribuant des revenus. Bien sûr, il faut que la progression de la péréquation soit respectueuse des objectifs de solidarité et qu'elle soit admissible pour toute collectivité. En clair, il ne faudrait pas qu'elle vienne pénaliser le rôle que jouent les métropoles en France. À mon sens, il faut éviter que les baisses de dotation et les hausses de péréquation viennent freiner le rôle moteur exercé par certaines collectivités, en particulier sur l'investissement public local. Avec 70 millions d'euros de plus par an, c'est tout de même très important. Il ne s'agit ni de vous rassurer ni de vous inquiéter, mais je rappelle que les obligations légales positionnent l'épargne brute à Paris autour de 320 millions d'euros. Or, dans le budget 2015, nous sommes à 350 millions d'euros, donc même une ville telle que Paris se rapproche du niveau d'épargne brute minimale.
M. Jean-Marie Bockel, président . - Merci d'avoir bien voulu répondre aux questions des rapporteurs, qui ont souhaité sortir du seul périmètre de la question du stationnement, dans la mesure où leur rapport porte sur le sujet plus large de la baisse des dotations de l'État. Je me tourne maintenant vers nos autres collègues qui ont des questions.
M. Alain Richard. - D'une part, j'aimerais savoir quel est le mécanisme qui produit cette recette supplémentaire, et comment celui-ci évolue par rapport au système des amendes de stationnement et à leur répartition. La Ville de Paris est-elle en mesure, dès l'année 2015, de transformer un système d'amendes de police dont le produit est affecté à l'État, en une recette locale ?
D'autre part, nous sommes un certain nombre ici à avoir en mémoire une intervention du Premier ministre de l'époque, Jean-Marc Ayrault, en 2013, dans laquelle il nous expliquait que la transformation des amendes de police en tarifs municipaux était une des clés du financement du plan de mobilisation régionale pour les transports. La Ville de Paris s'inscrit-elle dans cette démarche ?
M. Georges Labazée. - Les propositions de la Ville de Paris que vous venez de nous exposer, en tant que modèle de gestion du stationnement et des transports, sont-elles transposables à d'autres villes en France ? Dans la même perspective, d'autres villes européennes se sont-elles inspirées des dispositifs que vous avez mis en place dans ce domaine ?
M. René Vandierendonck. - Est-ce que vous nous confirmez ce que votre collègue adjoint au Maire de Paris en charge des transports, des déplacements et de l'espace public, avait officiellement indiqué en décembre dernier, à savoir la candidature de Paris pour faire partie des premières villes qui assureront, dès 2016, la préfiguration du système mis en place à l'initiative de notre collègue Louis Nègre au Sénat, dans le cadre de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM) : la substitution des amendes de stationnement par des redevances « post-stationnement » ?
Vous avez évoqué -et vous êtes dans votre rôle- le prisme financier. Or, la politique de la Ville de Paris semble en réalité davantage motivée par des objectifs d'organisation de la mobilité de ses habitants - politique qui s'articule d'ailleurs avec des décisions du conseil régional, comme en témoignent les dernières mesures concernant le « Pass Navigo » - que par des préoccupations budgétaires. Dès lors, quelles sont dans votre politique, les parts respectives entre les objectifs financiers et les objectifs de mobilité durable ?
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - Pour répondre à vos questions, la hausse attendue des recettes de stationnement provient uniquement de la hausse des tarifs résidentiels, des tarifs visiteurs et des tarifs des cars de tourisme. Nous avons agi sur tous les curseurs disponibles. Pour 2015, il n'y a donc pas de prise en compte d'éventuelles réformes, comme celle de la dépénalisation des amendes de stationnement que vous évoquez. Nous n'avons d'ailleurs pas touché aux tarifs des parkings, car la réalité c'est que les parkings résidentiels parisiens, notamment ceux des bailleurs sociaux, ne sont pas complets en raison du faible taux de motorisation des ménages. En agissant uniquement sur ces curseurs, nous devrions atteindre un niveau de recettes de 100 à 110 millions d'euros en 2015, contre 65 millions d'euros en 2014.
La réforme du stationnement à laquelle vous faites référence n'interviendra qu'en octobre 2016, et nous y sommes favorables sous réserve de quelques inquiétudes. On nous dit que deux heures de stationnement maximum seront autorisées au forfait. Je le dis immédiatement : si c'est deux heures, cela ne fonctionnera pas du tout à Paris, où le taux de respect est de 15 % seulement - contre 30 % en moyenne en France -, ce qui implique que 85 % des utilisateurs parisiens ne paient pas le stationnement. Avec seulement 15 % de taux de respect, nous disposons de 100 millions d'euros de recettes. Aussi, imaginez ce qu'il en serait si nous avions des taux de respect identiques à ceux de Londres ou de Madrid, qui avoisinent les 90 %. Je me permets cette précision - un peu en forme de provocation - car je sais que vous allez auditionner juste après moi un représentant d'automobilistes. Ceux-ci - il faut le dire - ne respectent pas, en grande majorité, leurs obligations de paiement liées à l'occupation du domaine public. Cela s'explique par un risque globalement faible d'être verbalisé. Il y a là un vrai sujet et il faut que cette réforme soit dissuasive, c'est-à-dire qu'elle permette d'accroître ce taux de respect. S'agissant du traitement des contentieux, il y a également un problème technique qui ne facilite pas la mise en place de cette réforme.
La réforme évoquée n'est pas seulement une question de recettes financières pour la ville, c'est aussi un enjeu très lourd en matière de libération des places de stationnement, et vous savez à quel point la fluidité est importante pour les personnes venant de l'extérieur de Paris, en particulier pour les professionnels qui ont besoin de trouver des places de stationnement. Nous avons donc besoin, non pas pour des raisons financières, d'optimiser l'utilisation de l'espace public rare car, comparée à d'autres métropoles, Paris est une ville dense et étroite.
S'agissant du modèle parisien comme source d'inspiration, je ne peux que l'espérer car nous avons des objectifs très ambitieux, par exemple en matière de sortie du diesel à l'horizon 2020. Mais, sur tous ces sujets, nous nous inspirons également d'autres villes qui sont en avance, qu'elles soient françaises ou européennes, car toutes sont confrontées en réalité au même problème, celui de la qualité de l'air. Or, si des progrès ont été enregistrés à Paris depuis dix ans, une vraie difficulté subsiste autour des particules fines, en particulier au moment des épisodes de pollution ; ceci constitue un véritable enjeu de santé publique. Je le répète, nous avons tout intérêt, entre collectivités territoriales, à nous nourrir des expériences des uns ou des autres car, en définitive, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés.
(...)
M. Jean-Marie Bockel, président. - Nous vous remercions pour ces éclairages très instructifs, qui ne manqueront pas de nourrir les réflexions de nos collègues.
M. Charles Guené, rapporteur. - J'ajouterai que nous avons essayé, à travers cette audition, de répondre à deux préoccupations qui intéressaient particulièrement nos collègues : d'une part, celle de l'évolution globale des finances locales dans le cadre de la baisse des dotations et, d'autre part, le sujet plus particulier de la hausse des tarifs de stationnement de la Ville de Paris.
M. Julien Bargeton, adjoint à la Maire de Paris, chargé des finances. - C'est effectivement un sujet crucial. La Ville de Paris va être confrontée à 215 millions d'euros de baisse de sa DGF, soit une division par deux, sans compter qu'elle devra gérer 70 millions d'euros de péréquation en plus. C'est un choc énorme et extrêmement dur à soutenir, qui représente près d'un milliard d'euros sur trois ans. Il faut l'admettre, face à ces économies, nous sommes tous en grande difficulté pour construire les budgets à venir.