B. L'INVESTISSEMENT PUBLIC : PREMIÈRE VICTIME DE LA BAISSE DES DOTATIONS
1. Les dépenses d'investissement et de fonctionnement : principales variables d'ajustement des collectivités territoriales
a) L'investissement, premier levier de compensation : une inquiétude pour les années à venir
La consultation a permis aux élus locaux d'indiquer dans quel domaine ils ont agi en priorité, dans le cadre de l'adoption du budget pour 2015 de leur collectivité, pour compenser la baisse des dotations .
Le tableau suivant retrace les résultats présentés par l'Ifop :
Levier choisi en priorité dans le budget 2015 |
% des collectivités |
Baisse des dépenses d'investissement |
44 |
Baisse des dépenses de fonctionnement |
32 |
Hausse de la fiscalité |
13 |
Hausse de l'endettement |
5 |
Sans réponse |
6 |
La baisse de l'investissement est clairement identifiée comme le premier levier choisi par les collectivités territoriales pour compenser la baisse des dotations de l'État .
Au sein des 44 % de collectivités ayant opté pour cette solution en priorité dans leur budget pour 2015, on observe la prépondérance des communes puisque 45 % d'entre elles sont concernées par ce choix. La baisse de l'investissement constitue l'action prioritaire pour 37 % des départements et pour 35 % des EPCI.
Au total 62 % des collectivités ont eu recours à ce levier de compensation des baisses de dotation .
% par type de collectivité ayant baissé
ses dépenses d'investissement
Source : Ifop
Le fait marquant est l'ampleur des baisses ainsi décidées pour 2015 : un tiers 10 ( * ) des collectivités ont voté une baisse des dépenses d'investissement d'au moins 10 % .
45 % des élus envisagent, à l'horizon 2017, une baisse des dépenses d'investissement encore plus forte qu'entre 2014 et 2015 (cf. présentation Ifop, page 35 ) .
La baisse des investissements est perçue comme le risque le plus important pour les collectivités d'ici à 2017, par plus de sept élus sur dix (72 %).
Ce constat confirme les tendances déjà observées en 2014 et estimées au début de l'année 2015. Comme le rappelait une note de conjoncture sur les finances locales de La Banque Postale d'octobre 2014, la baisse des investissements était de 5 milliards en 2014, passant de 57,8 à 52,8 milliards d'euros, soit une baisse de 8,6 %. En mai 2015, une nouvelle note de conjoncture indique une nouvelle contraction des dépenses d'investissement : celles-ci tomberaient à 48,9 milliards d'euros, soit une diminution de 15,4 % sur deux ans . Le montant des dépenses d'investissement repasserait donc, pour la première fois depuis 2006, sous la barre des 50 milliards d'euros
Le Gouvernement a annoncé plusieurs mesures de soutien à l'investissement : il s'agit de l'accroissement des recettes d'investissement des collectivités qui regroupent l'augmentation des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR), la création de l'aide aux maires bâtisseurs et les dispositions relatives au fonds de compensation de la TVA (FCTVA) 11 ( * ) . Toutefois, comme La Banque Postale l'indique dans la note précitée de mai 2015, elles « ne devraient pas suffire à enrayer le repli prononcé des investissements ».
La même étude indique que les anticipations des fédérations professionnelles confirment ce repli. Ainsi, selon la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) « alors que le recul du chiffre d'affaires des travaux publics lié aux collectivités locales a été de 10% en 2014, dans un contexte de contraction globale de l'activité de 5 %, les perspectives pour 2015 sont encore plus pessimistes . La FNTP anticipe une forte diminution de l'activité des collectivités locales, à hauteur de 12 %, et un baisse totale du chiffre d'affaires de 8 % ».
La Fédération française du bâtiment (FFB) quant à elle, anticipe un net repli de la production liée à la construction de bâtiments administratifs, à hauteur de 15 %.
Lors de la table ronde organisée par vos rapporteurs avec des associations d'élus locaux, plusieurs témoignages particulièrement alarmants ont été entendus.
Ainsi le département du Nord a-t-il été contraint d'adopter un budget dans lequel les dépenses d'investissement chutent de 60 %, passant d'environ 500 millions à moins de 200 millions d'euros . Elles ne devraient pas pouvoir dépasser 130 millions en 2017.
Pour son président, membre de l'Assemblée des départements de France (ADF), les problèmes liés à la baisse des dotations de l'État sont immédiats et non pas dans une perspective de moyen terme à deux ou trois ans.
Tous ces éléments confirment les projections réalisées par le cabinet Michel Klopfer dans le tome I des travaux de la Délégation et celles de l'AMF qui estime que l'investissement baissera de 25% d'ici à 2017 au sein du bloc communal, se traduisant par une perte de 60 000 emplois.
Vos rapporteurs sont particulièrement inquiets de cette situation, l'investissement public local représentant 70% de l'investissement public en France selon les estimations de l'Insee.
b) Les dépenses de fonctionnement également en baisse : vers une plus grande responsabilité des collectivités
La baisse des dépenses de fonctionnement figure au deuxième rang des leviers prioritaires (32%) identifiés par les collectivités territoriales interrogées. C'est une priorité pour 41 % des régions, 24 % des départements 32 % des EPCI et des communes.
Au total, 63 % des collectivités ont, en 2015, voté une diminution des dépenses de fonctionnement. Pour près de 40% des collectivités, cette baisse se situe entre 2 et 5%.
36 % des collectivités consultées estiment qu'à l'horizon 2017 elles envisagent une baisse des dépenses de fonctionnement plus forte qu'entre 2014 et 2015 (cf. étude Ifop, page 35).
Au sein des dépenses de fonctionnement il est utile d'identifier les dépenses de personnel, qui constituent non seulement une part importante mais également un enjeu pour les années à venir. Le graphique ci-dessous, extrait du rapport précité de l'Observatoire des finances locales, détaille la répartition des dépenses de fonctionnement.
Comme l'indique l'enquête précitée des associations du bloc communal, les collectivités ont déjà pris des mesures relatives aux dépenses de personnel (non-remplacement des agents, suppression de postes, modification du temps de travail, etc.).
Toutefois, comme le rappelle la même enquête, « l'ensemble des collectivités interrogées indiquent que l'évolution des dépenses de personnel est due aux facteurs exogènes suivants :
- augmentation continue du taux de la cotisation patronale retraites,
- revalorisation des catégories C,
- Suppression du jour de carence,
- GVT, (...). »
Vos rapporteurs estiment que les collectivités territoriales ont, en matière de dépenses de fonctionnement, une responsabilité à assumer et doivent prendre conscience des marges existant dans de nombreux cas. Mais les collectivités territoriales ne peuvent être les seules à assumer des décisions parfois douloureuses, et vos rapporteurs s'inquiètent des récentes annonces du Gouvernement indiquant une prochaine revalorisation des rémunérations des fonctionnaires. L'État ne peut, d'un côté, imposer des diminutions de dépenses très importantes aux collectivités territoriales et, de l'autre, annoncer de nouvelles dépenses donnant l'impression que les économies réalisées par les collectivités sont ainsi « recyclées » pour financer des mesures dépensières au niveau national. |
c) La fiscalité ne risque-t-elle pas d'augmenter plus fortement à terme ?
La hausse de la fiscalité est une priorité, en 2015, pour seulement 13% des collectivités interrogées et concerne surtout les EPCI (17%) et les communes (14%).
Au total, près d'un tiers des collectivités ont augmenté leur fiscalité en 2015, globalement inférieure à 6 %.
Parmi les mesures envisagées à l'horizon 2017, les collectivités indiquent une hausse de la fiscalité plus forte qu'entre 2014 et 2015 pour 22 % d'entre elles, tandis que 27 % projettent une hausse identique à celle qui vient d'être décidée.
Vos rapporteurs pensent que la hausse de la fiscalité est certainement sous-estimée. Cette hypothèse a d'ailleurs été évoquée par le rapporteur général du budget dans le rapport n° 55 du 29 octobre 2014 fait au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 :
« On peut penser que les collectivités territoriales peuvent espérer, en 2017, de l'ordre de 10,7 milliards d'euros de recettes supplémentaires par rapport à 2014, par simple effet d'augmentation des bases . Certes, cette estimation repose sur un calcul conventionnel et pêche probablement par optimisme, dans la mesure où l'évolution des DMTO sur les dernières années a globalement été très dynamique. De même le produit de CVAE connait des évolutions très irrégulières qui fragilisent l'estimation du présent tableau.
De plus, il faut préciser que ces impositions ne couvrent pas l'intégralité des ressources des collectivités ; elles représentent néanmoins plus de 50 % des recettes hors concours de l'État et plus de 80 % des recettes fiscales, c'est-à-dire des ressources dynamiques.
Cependant, comparée aux 21,4 milliards d'euros de hausse des recettes hors concours de l'État [montant jugé nécessaire pour compenser la baisse des concours financiers de l'État par la commission des finances du Sénat, selon les calculs retraçant les hypothèses d'évolution des recettes des collectivités territoriales entre 2014 et 2017] , cette estimation permet d'alimenter la crainte que la baisse des dotations ne se traduise en fait :
- par un effondrement de l'investissement local , dans des proportions bien supérieures aux chiffres du Gouvernement ;(...)
- par une augmentation de la pression fiscale , le Gouvernement venant ponctionner indirectement le contribuable local, sous couvert d'avoir desserré l'étau sur le contribuable national en diminuant les dotations qu'il verse aux collectivités locales ;
- et par une augmentation de la dette des collectivités et donc de la dette publique dans son ensemble.
Sur le fondement de ce constat, votre rapporteur a souhaité des précisions du Gouvernement, qui viennent confirmer ses craintes.
Ainsi, la hausse spontanée des recettes fiscales des collectivités - par simple progression des bases - serait effectivement de 10 milliards d'euros sur la période ; les recettes supplémentaires proviendraient d'une hausse des taux (5,3 milliards d'euros supplémentaires) et d'une augmentation du produit des « autres ressources » (tarifs des services publics locaux par exemple) du même montant environ . »
Étant donné que les autres leviers de compensation de la baisse des dotations (dépenses d'investissement et de fonctionnement) sont d'ores et déjà très sollicités, vos rapporteurs craignent donc, comme plusieurs représentants d'associations d'élus locaux, que les taux de fiscalité ne soient fortement revus à la hausse pour que les collectivités puissent s'en sortir financièrement.
L'endettement semble écarté des mesures prises dans le cadre du budget pour 2015 puisque seules 5 % des collectivités interrogées ont identifié ce levier comme prioritaire, et 14% seulement l'ont augmenté. Notons qu'à l'horizon 2017, 20 % d'entre elles envisagent une hausse plus forte qu'entre 2014 et 2015 et 22 % une hausse identique .
2. Les conséquences pour les collectivités
a) Les équipements et l'urbanisme, premier secteur touché
39 % des collectivités estiment que le risque le plus important est un désengagement dans certains secteurs . Les communes sont les plus concernées par cette inquiétude (40 %).
Interrogées sur les secteurs les plus touchés par la nouvelle situation financière d'ici 2017, les élus ont identifié très clairement celui des équipements et de l'urbanisme, à hauteur de 71 %, selon la répartition suivante :
Les projets affectés concernent par exemple des travaux de voirie, des rénovations de bâtiments, etc. Ce constat rejoint ainsi le témoignage de la FNTP évoqué plus haut.
Sont ensuite concernées les subventions aux associations (à hauteur de 45 %), qui vont diminuer de manière uniforme dans toutes les collectivités comme l'indique le graphique ci-après :
Une diminution aussi importante dans toutes les collectivités laisse présager une situation difficile pour tous les projets qui bénéficient de financements croisés. Parmi les exemples cités figurent les projets culturels, la vie sportive, etc.
Enfin le troisième poste de dépenses le plus contraint est celui des services administratifs et des personnels (32 %). Le graphique ci-après met en évidence l'effort particulier des régions en la matière :
Suivent ensuite le développement économique (22 %) et la culture (14 %). Seuls environ 10 % ont évoqué l'éducation ou les services sociaux.
b) Fusions et mutualisations : quelles perspectives?
Les collectivités consultées n'envisagent pas, en majorité, un projet de fusion qui permettrait de préserver les dotations (« non » à 61 %).
Pourtant, des incitations législatives 12 ( * ) existent pour encourager un tel mouvement. Au cours des trois premières années suivant leur création, les communes nouvelles créées au plus tard le 1 er janvier 2016 et regroupant une population inférieure ou égale à 10 000 habitants, perçoivent une dotation forfaitaire au moins égale à la somme des dotations perçues par chacune des anciennes communes l'année précédant la création de la commune nouvelle.
Si les projets de fusion doivent permettre d'éviter un émiettement des collectivités, la Délégation constate 13 ( * ) toutefois que de tels projets sont souvent portés par des collectivités bien organisées et ayant agi avec un objectif d'optimisation des ressources. Malheureusement, les communes les plus petites ou fragiles financièrement, qui devraient être les premières visées par les mesures incitatives, ne sont pas nécessairement les premières à fusionner. Ainsi est-il nécessaire d'évaluer avec prudence la valeur ajoutée des fusions dont un certain nombre résulte en réalité d'un effet d'aubaine.
Les élus locaux interrogés sont en revanche davantage enclins à envisager des mesures de mutualisation. En effet, 67 % des collectivités seraient favorables à une telle option , 34 % ayant déjà engagé des mesures de cet ordre. Il s'agit de l'une des recommandations de la Cour des comptes dans son rapport précité relatif aux finances publiques locales.
La Cour décrit le cadre juridique favorable à la mutualisation en rappelant les possibilités de mises à disposition de services, de services communs, de mise en commun de moyens et précisant les évolutions opérées avec la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM). Elle ajoute que « en dépit de son encouragement par le législateur depuis dix ans, la mutualisation n'a pas encore produit un impact financier visible. Il convient de poursuivre et d'intensifier cette démarche qui devrait privilégier la mutualisation « descendante » et généraliser la mutualisation des fonctions « support » ».
En tout état de cause, les économies générées par la mutualisation sont extrêmement difficiles à évaluer et n'apparaissent qu'au bout d'une certaine durée. L'accélération de la mutualisation ne peut en aucun cas constituer une solution à la situation financière des collectivités territoriales et devra, si elle est confirmée, s'accompagner d'une évaluation chiffrée rigoureuse .
3. Les attentes des élus locaux
La consultation a prévu une question sur les attentes prioritaires des élus locaux à l'égard de l'État.
Les attentes prioritaires à l'égard de l'État |
% des collectivités |
Nouveau calendrier pour étaler la baisse |
26 |
Simplification de la fiscalité |
22 |
DGF entièrement péréquatrice |
22 |
Territorialisation de la DGF |
9 |
Autres réponses |
10 |
Sans réponses |
11 |
Comme l'indique le tableau ci-dessus, les réponses permettent d'identifier les attentes suivantes :
- un nouveau calendrier pour étaler dans le temps la baisse des dotations (26 %). Cette attente est la seule partagée dans des proportions similaires à la fois par les communes, les EPCI et les départements (les régions étant moins concernées) ;
- une simplification de la fiscalité (22 %), principalement demandée par les régions et les communes ;
- une DGF entièrement péréquatrice (22 %), pour les EPCI et les communes surtout ;
- une territorialisation de la DGF (9 %).
* 10 21% ont indiqué avoir décidé d'une baisse de 10% ; 12% ont opté pour une baisse supérieure à 10%.
* 11 Comme le rappelle votre rapporteur M. Charles Guené dans le rapport n° 108 sur le projet de loi de finances pour 2015 fait au nom de la commission des finances, le taux forfaitaire du FCTVA a ainsi été porté à 16,404 %, ce qui représente une hausse du montant du fonds de 5 % environ. Cette disposition représenterait une moindre recette pour l'État de 26 millions d'euros en 2015 et 246 millions d'euros à partir de 2017 (à rythme de remboursement inchangé).
Par ailleurs, le FCTVA a été exclu du champ de l'enveloppe normée, afin d'éviter que son dynamisme ne pèse sur le montant des autres concours de l'État aux collectivités territoriales - ceux-ci augmentent ainsi de 166 millions d'euros en 2015 par rapport à la version initiale du projet de loi de finances.
* 12 Loi de finances pour 2014 puis loi n°2015-292 du 16 mars 2015.
* 13 Cf. annexe 1, compte rendu de la réunion du 9 juillet 2015.