B. LA PAC, LA POLITIQUE DE LA PÊCHE ET LA POLITIQUE DE COHÉSION : LE DOUBLE ENJEU DE L'EFFICACITÉ ET DE LA SIMPLIFICATION
1. La politique agricole commune (PAC)
Le Sénat a beaucoup travaillé sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) avant son adoption 39 ( * ) . Avec l'entrée en vigueur de cette réforme, la commission des affaires européennes a décidé de mettre en place un groupe de suivi, commun avec la commission des affaires économiques. Ce groupe se prononcera en particulier sur l'évaluation à mi-parcours de réforme et sur les perspectives de la PAC, qui doit évoluer profondément.
La simplification de la PAC demeure toutefois un objectif prioritaire. Il en va de la crédibilité même de cette politique aux yeux de nos agriculteurs. On doit donc se féliciter que le nouveau commissaire chargé de l'agriculture et du développement durable, Phil Hogan, ait fait de la simplification une des toutes premières priorités de l'Union européenne pour 2015. Ce thème n'est pas nouveau puisqu'un premier plan d'action sur la simplification avait été publié en 2006. Toutefois l'ampleur de la précédente réforme n'a pas contribué à simplifier un processus qui demeure d'une grande complexité.
Le développement des actes délégués et d'exécution, qui fixent les modalités détaillées de mise en oeuvre de la PAC réformée, a contribué à cette complexité. À travers ces actes, la Commission européenne a eu tendance à imposer des conditions supplémentaires qui ne résultaient pas des textes législatifs, tout particulièrement en ce qui concerne les mesures de verdissement. Votre commission des affaires européennes avait eu l'occasion de dénoncer ces recours abusifs aux actes délégués 40 ( * ) .
Comme l'ont fait valoir MM. Michel Dantin et Jean-Paul Denanot, députés européens, la prise en compte de 28 réalités nationales différentes contribue aussi à la complexité. La programmation 2007-2013 avait été conçue en 2002-2003 donc pour une Europe à quinze États membres. La programmation actuelle est donc la première à avoir été élaborée pour 28 États membres. En outre, doit aussi être pris en compte la propension des administrations nationales, en particulier en France, à en rajouter dans la complexité des procédures. Donner plus de liberté d'adaptation aux réalités locales serait donc une voie salutaire pour rendre la PAC à la fois plus efficace et mieux comprise par ses principaux destinataires.
La Commission a identifié plusieurs domaines dans lesquels les règles pourraient être simplifiées :
• l'ensemble des nouvelles propositions ou des propositions en cours d'examen devraient avoir des effets en termes de simplification ;
• les règlements de la Commission mettant en oeuvre l'organisation commune des marchés (OCM) devraient être révisés afin d'en réduire le nombre ;
• un réexamen des règles relatives aux zones d'intérêt écologique dans le cadre du régime des paiements directs devrait avoir lieu après la première année d'application ;
• les règles relatives aux indications géographiques devraient être soigneusement examinées pour s'assurer qu'elles sont aussi efficaces et simples que possible.
Un grand nombre d'États membres ont également indiqué que le verdissement de la PAC devrait figurer au nombre des domaines à simplifier en priorité.
Actuellement, la Commission européenne consulte les États membres, afin de recueillir des informations sur la mise en oeuvre de la nouvelle PAC et voir dans quels secteurs les règles peuvent être simplifiées dans un avenir proche. Elle entend accorder la priorité aux secteurs qui préoccupent le plus les agriculteurs et dans lesquels une réduction des charges administratives sera la plus bénéfique. Le groupe de suivi de vos deux commissions apportera sa contribution à cet exercice de simplification.
Une première discussion sur la simplification a eu lieu durant la session du Conseil réunissant les ministres de l'agriculture et de la pêche les 15 et 16 décembre 2014. La Commission a également présenté les principaux éléments de son plan d'action pour la simplification de la PAC.
Les ministres ont en outre tenu un débat d'orientation sur la simplification de la PAC durant la session du Conseil « Agriculture et pêche » du 16 mars 2015. Au cours du débat, les ministres ont abordé des questions liées à la réforme de la PAC mise en oeuvre récemment et ont déterminé les domaines à simplifier en priorité. Les questions les plus importantes qui ont été mises en exergue sont les mesures de verdissement et les contrôles.
Le Conseil a adopté, le 11 mai, des conclusions sur la simplification de la politique agricole commune (PAC). Il rappelle notamment les engagements pris par la Commission de réexaminer les dispositions relatives au verdissement à l'issue de la première année de leur mise en oeuvre. Pour le Conseil, la mise en oeuvre de la PAC devrait davantage tenir compte des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Il s'agit de rendre la législation européenne plus aisément compréhensible et applicable sur le terrain. La transparence et la sécurité juridique doivent être renforcées. Il faut aussi tenir compte des particularités nationales et régionales et réduire les lourdeurs administratives.
Le Conseil relève que l'année 2015 sera la première année au cours de laquelle la PAC sera intégralement mise en oeuvre. Ce sera donc une année difficile pour les agriculteurs et les administrations nationales, notamment pour ce qui est de l'application des nouveaux régimes de paiements directs et des nouvelles mesures en faveur du développement rural. Les conclusions soulignent, en conséquence, qu'« une certaine flexibilité, compatible avec le cadre juridique, serait (...) souhaitable au cours de la première année de mise en oeuvre de la PAC ».
Le commissaire Phil Hogan, a présenté au Conseil Agriculture, une première série de mesures visant à simplifier les règles de verdissement des aides directes. Ces mesures seront applicables pour les aides directes 2015.
2. La politique de la pêche
En juillet 2012, le Sénat a adopté une résolution européenne sur la réforme de la politique commune de la pêche 41 ( * ) . Il avait notamment plaidé pour une amélioration de la connaissance de l'état des stocks halieutiques et pour une gouvernance régionalisée des règles de la politique commune. Le Sénat avait soutenu le principe d'une réduction progressive des rejets en mer à travers la mise en place d'instruments de pêche plus sélectifs dans le cadre de plans pluriannuels de gestion. Il avait souhaité que la politique commune reconnaisse les spécificités de la petite pêche et de la pêche côtière et que la définition européenne de la pêche artisanale soit moins restrictive. Il avait par ailleurs émis des réserves sur les missions du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP).
L'entretien avec M. Alain Cadec, président de la commission des pêches du Parlement européen, a permis à la délégation de faire un point sur l'application de cette réforme. Elle a ainsi constaté pour le déplorer le retard de la France dans la mise en oeuvre du FEAMP. Aucun crédit n'a à ce jour été débloqué. Le gouvernement doit prendre la mesure de cette situation et prendre les décisions nécessaires pour que ce fonds européen bénéficie pleinement à notre pays.
Par ailleurs, la délégation s'est inquiétée des projets de la Commission européenne concernant la gestion du bar, sachant que 4/5 è des bars pêchés dans l'Union européenne le sont en France. La Commission européenne envisagerait d'augmenter la taille minimale de 36 cm à 42 cm. Si l'on peut souscrire à l'objectif de préservation de l'espèce, un compromis réaliste doit toutefois être recherché.
3. La politique de cohésion
a) Le nouveau cadre 2014-2020
Le 1 er janvier 2014 a marqué le début de la nouvelle programmation 2014-2020 de la politique européenne de cohésion économique, sociale et environnementale. Près de 352 milliards d'euros y seront consacrés au profit des 28 États membres pour le cofinancement européen de projets qui s'inscrivent dans la Stratégie Europe 2020. La gestion de ces fonds s'accompagnera en France de plusieurs nouveautés introduites au niveau européen et national. Il s'agit de la signature d'accords de partenariat thématiques avec les États membres (1), la classification des régions (2) et le transfert à ces dernières de la gestion des fonds européens (3)
(1) Les accords de partenariat
Comme elle l'a fait avec l'ensemble des États membres, la Commission européenne a conclu avec la France un accord de partenariat 42 ( * ) définissant pour notre pays les grandes orientations de la programmation 2014-2020 de la politique de cohésion et la nature des interventions des fonds européens structurels et d'investissements (FESI) : le FEDER (fonds européen de développement régional), le FSE (fonds social européen), le FEADER (fonds européen agricole pour le développement rural), et le FEAMP (fonds européen pour les affaires maritimes et, la pêche).
Dans ce cadre et sur cette période 2014-2020, la France pourra bénéficier d'un total de 26,7 milliards d'euros qui se décompose de la façon suivante :
- au titre de la cohésion stricto sensu (FSE+FEDER) : 14,4 Mds €
(6 Mds €+ 8,4 Mds €)
- au titre de la PAC : 11,3 Mds € (FEADER)
- au titre de la politique commune de la pêche et de la politique maritime intégrée : 588 M € (FEAMP)
Ces financements, venant en complément des ressources nationales, devront répondre à trois enjeux, favoriser cinq orientations et se concentrer sur onze thématiques.
Les priorités européennes pour les fonds européens structurels et d'investissements en 2014-2020 Les 3 enjeux : - la compétitivité de l'économie et de l'emploi ; - la transition énergétique et écologique et de la gestion durable des ressources ; - égalité des territoires et égalité des changes. Les 5 orientations : - la compétitivité des PME - l'emploi des jeunes - l'inclusion sociale - la transition vers une économie bas-carbone - la protection environnement et du patrimoine Les 11 objectifs thématiques (OT) : La croissance intelligente : - 1. recherche, développement technologique et innovation - 2. accessibilité, usage et qualité des TIC - 3. compétitivité des PME et secteur agricole (FEADER) et pêche (FEAMP) La croissance durable : - 4. mutations vers une économie bas carbone dans tous les secteurs - 5. adaptation au changement climatique - 6 protéger l'environnement et promouvoir l'efficacité des ressources - 7. transport durable et fin des goulets d'étranglement La croissance inclusive : - 8. emploi et mobilité du travail - 9. inclusion sociale et lutte contre la pauvreté - 10. éducation et formation au long de la vie - 11. capacité institutionnelle et administration publique efficace. |
Concrètement, les règlements européens imposent aux États de concentrer une part importante de leurs crédits FEDER et FSE sur quelques priorités. Le FEDER doit intervenir sur les quatre premiers objectifs ; le FSE, au choix parmi les objectifs liés à l'emploi (8, 9 et 10) - dont au niveau national, 20 % de l'enveloppe FSE dédiée à l'inclusion sociale (objectif 9). Les programmes de coopération territoriale européenne (CTE : massifs montagneux, bassins fluviaux) doivent concentrer 80 % de leur enveloppe - 1,1 Md € - sur un maximum de quatre objectifs.
En France, l'intervention des FESI devrait être répartie de manière équilibrée entre les trois piliers de la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente (OT 1, 2 et 3), durable (OT 4, 5 et 6) et inclusive (OT 8, 9 et 10) ;
- les FESI seront mobilisés de manière importante sur les OT 3 et 6, et de manière équilibrée sur les OT 8, 9 et 10 ;
- le FEDER sera mobilisé fortement sur l'OT 1 ;
- Conformément à la logique d'intervention du FEAMP, le FEAMP en France sera mobilisé sur les OT 3, 4, 6 et 8.
(2) Une nouvelle classification des régions
La classification des régions, opérée en fonction de leur niveau de développement, détermine le niveau de cofinancement des projets apportés par les fonds européens. Sont ainsi définies :
- les régions les moins développées - dont le PIB par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne européenne ; pour la France, exclusivement les collectivités ultramarines. Le cofinancement Union européenne/financements nationaux atteindra 85 %. (Guadeloupe-St Martin, Guyane, Martinique, La Réunion) ;
- les régions en transition dont le PIB/habitant est supérieur à 75 % mais inférieur à 90 % de la moyenne Union européenne. Le cofinancement FESI pourra atteindre 60 % ; (Nord Pas-de-Calais, Picardie, Basse-Normandie, Lorraine, Franche-Comté, Poitou-Charentes, Limousin, Auvergne, Languedoc-Roussillon, Corse) ;
- et les régions les plus développées Leur PIB/habitant y est supérieur à 90 % de la moyenne Union européenne. Le cofinancement FESI peut y atteindre 50 %. (Haute-Normandie, Bretagne, Pays-de-la-Loire, Ile-de-France, Champagne-Ardenne, Alsace, Centre, Bourgogne, Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte-D'azur, Aquitaine, Midi-Pyrénées).
(3) Les régions gestionnaires des fonds
Par l'article 78 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, l'État a confié la gestion du FEDER, du FEADER et d'une partie du FSE aux conseils régionaux pour 2014-2020, (soit quelques 20,5 Mds €).
L'État reste cependant en charge sous plusieurs aspects, particulièrement :
- d'un programme national FSE pour le volet « emploi » ; (le volet« inclusion » est géré par les conseils départementaux) ;
- du FEAMP, programme national géré par la direction des pêches maritimes du ministère de l'écologie ;
- des mesures de niveau national du FEADER, via le ministère de l'agriculture, ainsi que de deux programmes : « gestion des risques » et « réseau rural national ».
b) Les observations tirées de la mission à Strasbourg
Au-delà des enseignements particuliers liés l'étude du cas spécifique de la région Alsace 43 ( * ) , la délégation a pu mesurer au cours de sa rencontre avec Mme Iskra Mihaylova, présidente de la commission de la politique régionale du Parlement européen à quel point le Parlement européen partageait ses interrogations et celles du groupe de travail mis en place au sein en de notre commission. Les échanges ont ainsi largement porté sur la capacité des administrations à gérer les fonds dans ce nouveau cadre.
Nos interlocuteurs ont confirmé tout l'intérêt que les services de la Commission (la DG Regio) auraient à éditer des guides de bonnes pratiques pour les gestionnaires locaux. Notons toutefois que ceci n'est encore qu'à l'état de demande ou de projet, tout comme la création d'un instrument de « partage des bonnes pratique » entre les 30 régions d'Europe dénommé « Region Peer to Peer » et ce, alors que les nouveaux programmes entrent déjà dans leur deuxième année.
Quant aux initiatives nationales telles que le programme national d'assistance technique Europ'Act ou les charges au sein de l'Association des régions de France (ARF), elles ne semblent pas aujourd'hui suffisante pour sécuriser les niveaux gestionnaires régionaux qui seront d'ici peu, de surcroît, confronté à la problématique de l'élaboration de projets dans le cadre du plan Juncker.
Cet entretien a aussi confirmé que la programmation des fonds européens ne devrait pas être modifiée pour tenir compte de la nouvelle carte des régions françaises alors que la classification de celle-ci en application du critère de PIB a pu changer.
Enfin, il convient de noter qu'à l'occasion d'autres entretiens, la délégation s'est vue confirmer que les dysfonctionnements dans la mise en oeuvre des politiques structurelles européennes sur le terrain pouvaient aussi avoir son origine dans notre pays même comme c'est aujourd'hui visiblement le cas pour les retards accusés dans la mise en oeuvre des FEAMP dans les régions. La délégation juge nécessaire d'expertiser ces dysfonctionnements et d'examiner quelles mesures pourraient être prises pour y remédier.
* 39 Rapport n° 102 (2010-2011) de MM. Jean Bizet, Jean-Paul Emorine, Mmes Bernadette Bourzai et Odette Herviaux, faut au nom de la commission des affaires européennes et de la commission de l'économie : « Redonner du sens à la PAC »
* 40 Rapport n° 322 (2013-2014) de M. Simon Sutour : « La place des actes délégués dans la législation européenne ».
* 41 Proposition de résolution n° 580 (2011-2012) de M. Joël Guerriau et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 6 juin 2012 ; Rapport n° 588 (2011-2012) de M. Joël Guerriau, fait au nom de la commission des affaires européennes ; Rapport n° 615 (2011-2012) de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission des affaires économiques.
* 42 Accord validé le 8 août 2014.
* 43 Cf. I. B du présent rapport.