III. L'INVESTISSEMENT PUBLIC ET LE REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS EN EUROPE

Dans ses conclusions formulées dans le cadre des consultations réalisées au sein de la zone euro au titre de l'article IV 42 ( * ) , la mission du Fonds monétaire international (FMI) a appelé, en juin dernier, à ce que soit engagé une réflexion tendant à simplifier et renforcer la gouvernance budgétaire européenne ; en effet, selon cette dernière, le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) serait susceptible de décourager l'investissement public , et ce en dépit des modifications apportées à celui-ci au cours des dernières années et, notamment, dans le cadre du « six-pack » 43 ( * ) . Cette remarque fait écho aux préoccupations exprimées par le Président du Conseil italien, Matteo Renzi, et le Président de la République, François Hollande, concernant la nécessité de favoriser l'investissement public et d'utiliser, à cet effet, les « flexibilités » du Pacte de stabilité et de croissance .

À cet égard, donnant suite aux initiatives italienne et française, le Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 a estimé que les « réformes structurelles qui favorisent la croissance et améliorent la viabilité des finances publiques devraient bénéficier d'une attention particulière, y compris par une évaluation appropriée des mesures budgétaires et des réformes structurelles, en utilisant au mieux la flexibilité qu'offrent les règles actuelles du Pacte de stabilité et de croissance » 44 ( * ) ; sur ce point, il convient de rappeler que la Commission doit présenter, d'ici décembre 2014, un rapport sur l'application du cadre de gouvernance de l'Union européenne.

Une solution équilibrée semble, en effet, devoir être trouvée, permettant tout à la fois la poursuite du redressement des comptes publics - condition nécessaire à la crédibilité de la zone euro et, plus largement, de l'Union européenne - et la réalisation des investissements nécessaires au renforcement de la croissance potentielle et à la préservation de l'attractivité économique des pays européens .

A. LE RECUL DE L'INVESTISSEMENT PUBLIC DANS LA ZONE EURO

Or, il semble que jusqu'à présent, les ajustements budgétaires réalisés dans la zone euro se sont faits essentiellement au détriment de l'investissement public . Ceci ne saurait surprendre, dès lors que les dépenses de fonctionnement présentent une certaine inertie et que l'accroissement des prestations sociales dans un contexte de dégradation de la situation économique joue un rôle de stabilisation conjoncturelle.

Ainsi, les données d'Eurostat portant sur la formation brute de capital fixe (FBCF) des administrations publiques - qui ne tient, toutefois, pas compte des dépenses de recherche et développement (R&D), en application des règles dites « SEC 95 » 45 ( * ) , ni des rémunérations des personnels de recherche - font apparaître un net recul de l'investissement public dans la zone euro depuis 2009, la FBCF étant passée de 2,8 % du PIB à 2,1 % entre 2009 et 2013 , comme le font apparaître les graphiques ci-après.

Cette évolution renvoie à une réalité contrastée. Si la part de la FBCF dans le PIB est demeurée à peu près stable pour des pays comme la France ou encore l'Allemagne, celle-ci a reculé dans les États ayant procédé à des ajustements budgétaires de grande ampleur comme l'Italie ou, de manière plus évidente encore, l'Espagne. Ceci se vérifie, en effet, tout particulièrement pour les pays bénéficiant des programmes européens d'assistance financière qui comprennent, outre l'Espagne, la Grèce, l'Irlande, le Portugal et Chypre.

La réduction du poids de l'investissement public dans le PIB est d'autant plus remarquable que la part de la dépense publique dans le PIB de la zone euro a, elle, augmenté au cours de la période - en particulier sous l'effet des plans de relance opérés en Europe à compter de 2009 -, passant de 47,2 % du PIB à 49,8 % entre 2008 et 2013. Il apparaît donc que, dans un contexte de tensions sur les dépenses publiques, la stabilisation budgétaire s'est faite en partie au détriment de la FBCF des administrations publiques.

Si l'on raisonne à un niveau agrégé, il apparaît que le poids des prestations sociales, hors prestations en nature, a crû de 2,0 points entre 2008 et 2013, progressant de 15,9 % du PIB à 17,9 % - ce qui est à attribuer, essentiellement, à la mobilisation des stabilisateurs automatiques, comme l'assurance chômage. Dans un contexte marqué par un recul de la FBCF de 0,5 point de PIB, l'évolution de la part de la dépense publique dans le PIB au cours de la période 2008-2013 - soit + 2,6 points de PIB 46 ( * ) - a donc également résulté de la hausse des autres dépenses des administrations (+ 1,1 point de PIB), comme celles de fonctionnement. Il en ressort que la formation brute de capital fixe (FBCF) constitue la seule grande sous-catégorie de la dépense publique dont la part dans le PIB a reculé au niveau de la zone euro , ce qui fait ressortir la forte pression exercée par les ajustements budgétaires sur l'investissement public dans un contexte de mobilisation des stabilisateurs automatiques.

Pour prendre le cas de l'Espagne, la FBCF a reculé de 4,0 % du PIB en 2008 à 1,5% en 2013 (- 2,5 points), alors que la dépense publique progressait, dans le même temps, de 41,4 % du PIB à 44,8 % (+ 3,4 points), et que les prestations sociales augmentaient de 12,5 % du PIB à 16,6 % (+ 4,1 points) 47 ( * ) . Ainsi, dans le cas particulier d'un pays ayant recouru à l'assistance financière européenne, l'investissement public a supporté la majeure partie de l'ajustement budgétaire , les autres dépenses ayant reculé de 1,8 point de PIB entre 2008 et 2013, soit moins que la FBCF.

Évolution de l'investissement public dans la zone euro

(en % du PIB)

* Composition variable : moyenne de l'ensemble des États membres de la zone euro au cours de l'année considérée

Évolution de l'investissement public dans les pays bénéficiaires des programmes européens d'assistance financière

(en % du PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données d'Eurostat)

Évolution de la part des dépenses publiques
des pays de la zone euro dans le PIB

(en % du PIB)

* Composition variable : moyenne de l'ensemble des États membres de la zone euro au cours de l'année considérée

Évolution de la part des dépenses publiques des pays bénéficiaires des programmes européens d'assistance financière dans le PIB

(en % du PIB)

L'évolution du système européen de comptes nationaux

À l'occasion de la sortie des comptes nationaux le 14 mai dernier, l'Insee a mis en application, pour la première fois, le nouveau système européen de comptes nationaux, dit « SEC 2010 » -, qui constitue la déclinaison européenne 48 ( * ) des nouvelles normes de comptabilité nationale édictées par le système de comptes nationaux (SCN 2008), sous l'égide de l'Organisation des Nations unies (ONU). Cette évolution des comptes nationaux a eu pour conséquence une révision du niveau de certains agrégats macroéconomiques, comme le produit intérieur brut (PIB) ou encore l'investissement, ainsi que de certains ratio - à l'instar, notamment, du déficit public en points de PIB. Ainsi, les modifications apportées ont abouti à une révision du PIB de l'année 2010 de + 3,2 % 49 ( * ) , soit + 61,8 milliards d'euros (cf. infra , la révision des grands agrégats pour l'année 2010).

Quels sont les principaux changements apportés par le nouveau système de comptes nationaux ? Tout d'abord, celui-ci retient une définition élargie des actifs et de l'investissement , qui intègrent désormais les activités de recherche et développement (R&D), les bases de données et les systèmes d'armes militaires (véhicules, sous-marins, blindés, etc.), désormais comptabilisés en formation brute de capital fixe (FBCF) et non plus en consommation intermédiaire. Ceci a, notamment, pour effet de relever le niveau des valeurs ajoutées des différents secteurs institutionnels - et donc du PIB 50 ( * ) .

En outre, des innovations ont été introduites pour améliorer la description de l'activité des sociétés financières , notamment des entreprises d'assurance. Aussi, l'activité des entreprises de réassurance, jusqu'alors consolidée avec celle des assureurs directs, est désormais décrite séparément. Toutefois, cette évolution est sans incidence sur le PIB, ce qui n'est pas le cas de la nouvelle mesure de la production de services d'assurance-dommage et du changement du périmètre des sociétés financières qui intègre, dorénavant, toutes les holdings.

Les échanges extérieurs sont également modifiés par l'application du critère de transfert de propriété . La description des échanges extérieurs n'est plus fondée sur l'observation des flux physiques à la frontière des pays par les Douanes, mais sur la notion de transfert de propriété. Cela a pour conséquence de modifier l'enregistrement comptable du travail à façon et du négoce international.

Quelques modifications du SEC 2010 affectent le compte des administrations publiques (APU) . La principale d'entre elles consiste à enregistrer les crédits d'impôts restituables non plus en moindres recettes, mais en dépenses. De même, le traitement des soultes que les entreprises publiques versent aux APU en cas de transfert à celles-ci de leurs engagements vis-à-vis de leurs salariés en matière de retraite est modifié - celles-ci ne seront plus comptabilisées en une seule fois, mais étalées sur la durée de versement des pensions - et le périmètre des APU évolue à la marge.

La révision des grands agrégats pour l'année 2010

Source : Insee (15 mai 2014)


* 42 L'article IV des statuts du Fonds monétaire international (FMI) stipule que ce dernier « exerce une ferme surveillance sur les politiques de change des États membres et adopte des principes spécifiques pour guider les États membres en ce qui concerne ces politiques » ; en pratique, cette surveillance comprend des missions annuelles du FMI réalisées dans les pays concernés, durant lesquelles de nombreuses questions économiques sont abordées (situation macroéconomique, finances publiques, réformes structurelles, situation du secteur bancaire et financier, etc.).

* 43 Les apports du « six-pack » à la gouvernance économique et financière de l'Union économique et monétaire (UEM) sont présentés et analysés par votre rapporteur général dans le tome I du rapport portant sur le projet de loi de finances pour 2014 (cf. rapport général n° 156 (2013-2014) sur le projet de loi de finances pour 2014 fait par François Marc au nom de la commission des finances du Sénat).

* 44 Conclusions du Conseil européen des 26 et 27 juin 2014 (EUCO 79/14).

* 45 Le système européen de comptes nationaux actuel, dit « SEC 95 », sera remplacé, au cours du second semestre 2014, par un nouveau système dit « SEC 2010 ». Les principales évolutions induites par ce changement de système - dont la comptabilisation des dépenses de recherche et développement (R&D) dans la FBCF - sont décrites dans l'encadré ci-après portant sur l'évolution du système européen de comptes nationaux.

* 46 Entre 2008 et 2013, la part de la dépense publique dans le PIB au sein de la zone euro est passée de 47,2 % à 49,8 %.

* 47 Ces évolutions sont également imputables au recul du PIB en Espagne au cours de la période.

* 48 Cf. règlement (UE) n° 549/2013 du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux dans l'Union européenne.

* 49 Il convient de préciser qu'outre le passage au SEC 2010, des améliorations méthodologiques ou de sources ont également eu une incidence sur le PIB.

* 50 Afin de bien comprendre ce mécanisme, il convient de rappeler que le PIB est égal à la somme des valeurs ajoutées des différents secteurs institutionnels et que, pour les unités marchandes par exemple, la valeur ajoutée est obtenue en soustrayant à la production les consommations intermédiaires.

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