EXAMEN EN COMMISSION
Lors de la réunion commune de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois et de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le mardi 8 juillet 2014, sous la présidence de M. David Assouline, Président, il a été procédé à l'examen du rapport d'information sur le bilan de la mise en oeuvre de la « loi Carle » du 28 octobre 2009.
M. David Assouline , président de la commission sénatoriale du contrôle de l'application des lois . - Nous sommes réunis cet après-midi pour examiner le rapport d'information de MM. Jacques-Bernard Magner et Jacques Legendre sur le bilan d'application de la « loi Carle », qui tend à garantir la parité de financement entre les écoles publiques et privées accueillant des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence.
Ce bilan d'information, réalisé avec le concours de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, avait été inscrit à notre programme d'activité pour 2014 en octobre 2013 sur la proposition de Jacques-Bernard Magner, en accord avec la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.
Toutefois, s'agissant d'un sujet sensible pour les communes, il avait été décidé que les rapporteurs ne présenteraient pas leurs conclusions avant le deuxième trimestre 2014, pour ne pas risquer d'interférer avec les élections municipales de mars 2014.
Du coup, ce rapport n'a pu être porté à notre ordre du jour pendant la session ordinaire.
Comme tous les élus locaux le savent, le principe de parité du financement entre l'enseignement public et l'enseignement privé est au coeur de la loi Carle, mais ce texte et le décret pris pour son application ont pu donner lieu à quelques divergences d'interprétation.
C'est pourquoi il nous paraissait important de faire un bilan d'application d'une loi qui a suscité beaucoup de réactions au moment de sa promulgation, mais dont la mise en oeuvre semble réunir un certain consensus.
M. Jacques Legendre , rapporteur - Nous avons mené, avec Jacques-Bernard Magner, le contrôle de l'application de la loi du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées, que j'appellerai par commodité la loi Carle, dans un esprit consensuel et attentif aux réactions des élus de terrain.
Nous nous sommes concentrés sur les effets concrets de la loi sans revenir sur les débats, parfois vifs, qui avaient précédé son adoption.
Je vais brièvement présenter, dans un souci de clarté, les dispositions assez techniques et complexes de la loi, avant de dresser un premier bilan de son application. Jacques-Bernard Magner reviendra ensuite sur les quelques ambiguïtés et difficultés d'interprétation qui nous ont été signalées.
La loi Carle comprend trois articles. Le coeur du dispositif est contenu dans l'article premier, tandis que l'article 2 prévoit une voie de règlement des litiges par le préfet et que l'article 3 abroge les dispositions préexistantes sur le même sujet, dont le fameux « amendement Charasse ».
L'article premier inscrit dans le code de l'éducation un régime juridique propre au financement de la scolarisation des élèves non-résidents dans des écoles privées, analogue à celui qui était valable pour l'enseignement public depuis les premières lois de décentralisation.
Il convient de délimiter précisément son champ d'application :
- ne sont concernées que les classes privées faisant l'objet d'un contrat d'association avec l'État, à l'exclusion des classes sous contrat simple, envers lesquelles les communes n'ont aucune obligation financière ;
- ne sont concernées que les classes élémentaires, à l'exclusion des classes maternelles, qui n'appartiennent pas à la scolarité obligatoire et n'ouvrent aucune obligation de financement pour les communes, comme l'a établi la jurisprudence du Conseil d'État.
Le principe central régissant le financement à la charge de la commune de résidence est que sa contribution ne constitue une dépense obligatoire que lorsqu'une contribution similaire aurait été due au titre de la scolarisation d'un élève dans une école publique de la commune d'accueil. Il s'agit donc d'un corollaire du principe de parité inscrit dans la loi Debré de 1959.
En conséquence, la contribution de la commune de résidence n'est obligatoire que dans quatre cas limitativement énumérés :
- l'absence de capacités d'accueil suffisantes dans une école publique de la commune de résidence ;
- les contraintes dues aux obligations professionnelles des parents, lorsque la commune de résidence n'assure pas directement ou indirectement la restauration et la garde des enfants ;
- l'inscription d'un frère ou d'une soeur dans un établissement scolaire de la commune d'accueil ;
- l'existence de raisons médicales.
Pour calculer le montant de la contribution obligatoire, il est tenu compte :
- des ressources de la commune de résidence ;
- du nombre d'élèves de la commune de résidence scolarisés dans la commune d'accueil ;
- du coût moyen par élève calculé sur la base des dépenses de fonctionnement de l'ensemble des écoles publiques de la commune d'accueil.
Est également fixé un plafond de contribution équivalent au coût moyen de l'élève d'une école publique de la commune de résidence.
En dehors des cas de contribution obligatoire, la loi Carle laisse aux communes de résidence la faculté de participer volontairement aux frais de fonctionnement de l'établissement privé d'une autre commune. Comme dans le cas de la contribution obligatoire, le montant de la contribution facultative de la commune de résidence ne peut pas excéder le coût de la scolarisation d'un élève dans une de ses propres écoles publiques.
Par ailleurs, l'article 2 de la loi Carle introduit une nouvelle procédure de règlement des litiges financiers entre les communes et les écoles privées. Cette procédure spécifique porte sur toutes les contributions obligatoires des communes, si bien qu'elle concerne aussi bien les élèves résidents que non-résidents. Elle prévoit qu'en cas de litige, le montant de la contribution obligatoire est fixé par le préfet qui statue dans les trois mois suivant sa saisine par la plus diligente des parties, qu'il s'agisse de la commune ou de l'établissement privé.
Cette procédure spécifique ne se retrouve pas à l'identique dans l'enseignement public. Tout d'abord, les différends dans le public ne font pas intervenir l'école qui ne possède pas la personnalité juridique, contrairement à l'établissement privé. Ensuite, en cas de désaccord entre les deux communes, le préfet statue sur la contribution de chacune d'entre elles, alors que dans l'enseignement privé, il ne fixe que la contribution obligatoire de la commune de résidence. Enfin, le préfet n'intervient qu'après avis du conseil départemental de l'éducation nationale (CDEN), lorsque l'école d'accueil est publique.
Une fois définie la contribution due par la commune de résidence à l'école privée, pour en assurer le paiement effectif, le préfet est invité par la circulaire d'application du 15 février 2012 à utiliser les procédures d'inscription d'office et de mandatement d'office, plutôt que le déféré préfectoral.
Le calcul exact de la participation financière est un sujet complexe, largement laissé ouvert par la loi Carle. Les préfectures interrogent fréquemment la direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l'intérieur à ce propos.
Tant que le Conseil d'État n'est pas saisi de contentieux liés aux forfaits dus au titre de la loi Carle, il faut extrapoler à partir de ses décisions sur le calcul du forfait de base pour les élèves du privé et sur la contribution due au titre d'élèves non-résidents scolarisés dans une école publique.
Avant le vote de la loi Carle, le Conseil d'État s'est en effet prononcé sur le dispositif analogue qui était valable pour les élèves non-résidents dans l'enseignement public. Il a considéré que pour la répartition des charges entre la commune de résidence et la commune d'accueil, il fallait partir des frais effectivement supportés par la commune d'accueil pour assurer le fonctionnement des écoles, mêmes si elles n'ont pas un caractère obligatoire, dès lors qu'elles ne résultent pas de décisions illégales.
Cette jurisprudence Commune de Port d'Envaux de 2004 a été précisée dans le cas du forfait de base dû aux écoles privées, de sorte que les dépenses de la commune exposées dans les classes élémentaires publiques qui se rapportent à des activités scolaires, même s'il ne s'agit pas de dépenses obligatoires, doivent être prises en compte pour le calcul de la participation de la commune aux dépenses de fonctionnement des classes privées sous contrat d'association. Cette décision Commune de Clermont-Ferrand c/ OGEC Fénelon de 2011 concerne par exemple les dépenses relatives au transport des élèves lors des activités scolaires, à la médecine scolaire, à la rémunération d'intervenants lors des séances d'activités physiques et sportives et aux classes de découverte.
Il convient de remarquer que la nomenclature comptable utilisée par les communes n'est pas opposable aux établissements privés. Seul importe que les dépenses en cause soient véritablement des charges ordinaires ou des investissements. La seule inscription en section de fonctionnement ou d'investissement d'une dépense engagée par la commune d'accueil au profit de ses écoles publiques ne saurait justifier son intégration ou son exclusion respectivement dans le calcul de la contribution de la commune de résidence, conformément à une décision Fédération UNSA de 2010.
Quelle que soit la position de fond que chacun peut défendre sur le principe même de la parité de financement entre l'école publique et l'école privée, il est indéniable que la sécurité juridique des communes et des écoles privées a été renforcée par la loi Carle.
Les associations de maires, comme les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale, les parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL), le secrétariat général de l'enseignement catholique (SGEC) et les inspections générales constatent que les relations sur le terrain sont apaisées et que les tensions antérieures se sont largement dissipées.
Le nombre de contentieux est extrêmement faible. L'action positive des préfets et des sous-préfets, qui ont réalisé un travail important de médiation en amont, doit être saluée à cet égard. La possibilité de recourir à la procédure de mandatement d'office a été très efficace.
Nous nous félicitons de cet épuisement du contentieux ; toutefois, il convient de l'interpréter prudemment.
D'une part, même si le financement des élèves non-résidents dans les écoles privées avait beaucoup inquiété les maires entre 2004 et 2009, le nombre de contentieux portés devant le juge administratif demeurait faible et les appels sur les jugements de première instance étaient encore plus rares.
D'autre part, il convient de relever le peu d'empressement manifesté par les établissements privés pour exiger le paiement du forfait « loi Carle ». Pour l'enseignement privé lui-même, le forfait de base pour les élèves résidents constitue un enjeu autrement plus important à la fois en termes de nombre et de montant des forfaits recouvrés. Les enjeux financiers de la loi Carle sont trop limités pour que les organismes de gestion de l'enseignement catholique (OGEC) engagent le processus d'identification des élèves concernés et déclenchent une opération de recouvrement ou a fortiori un contentieux. C'est ce qui explique que les réclamations soient peu nombreuses.
Néanmoins, même si les établissements privés n'entreprennent pas toujours de réclamer le forfait spécifique de la loi Carle, ils pratiquent parfois une politique d'optimisation de leur recrutement en privilégiant les élèves résidents, c'est-à-dire les élèves systématiquement pris en charge par la commune où ils sont établis. Ceci a été confirmé en audition par notre collègue députée Annie Genevard, en sa qualité de maire de Morteau, bourg centre qui accueille nombre d'élèves des communes avoisinantes.
À cette réserve près, force est de constater que la loi Carle a tout à fait apaisé la situation en stimulant le dialogue local et la conclusion d'accords. La loi a été pacificatrice et les congrès départementaux et nationaux des maires n'abordent plus la question.
Pour répondre à des inquiétudes exprimées notamment par le Comité national d'action laïque (CNAL), nous avons étudié l'évolution de la répartition de la population scolaire entre l'enseignement public et l'enseignement privé.
Aucun flux d'élèves vers le privé n'a été déclenché par la loi Carle. À l'échelon national, le premier degré élémentaire public a connu une croissance légère de 0,78 % de ses effectifs contre une baisse modeste de 0,34 % dans le privé sous contrat. En termes de nombre de classes, le ministère indique une quasi-stabilité dans l'élémentaire public contre une baisse nette dans l'élémentaire privé sous contrat. Il faut donc écarter toute idée d'une déstructuration du réseau national des écoles publiques sous l'effet de la loi Carle.
Les mêmes tendances sont confirmées en se limitant à l'étude de 45 départements ruraux.
Dans sept départements de cette liste seulement, l'évolution de la scolarisation dans le privé est plus favorable que dans le public. Il s'agit de l'Aude, de la Creuse, de la Dordogne, du Gers, de la Haute-Saône, de la Moselle et de l'Yonne. Toutefois, même dans ces départements, on ne peut pas parler de transvasement du public vers le privé car les flux dans le privé sont extrêmement faibles. Les évolutions de la scolarisation dans le public ne sont pas corrélées avec l'évolution dans le privé et ne sont pas dues à l'application de la loi Carle.
Au vu de l'évolution constatée des flux d'élèves depuis 2009, nous estimons que la loi Carle n'a entraîné aucun bouleversement des équilibres entre le public et le privé.
Je cède maintenant la parole à Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner , rapporteur . - Je vais pour ma part me concentrer sur quelques difficultés d'application, issues essentiellement de l'ambiguïté ou du silence des textes réglementaires.
La définition exacte des capacités d'accueil des communes conditionne la portée de la loi Carle, notamment en zone rurale. Plus une définition large est retenue, plus le nombre de communes sortant du champ de l'obligation de financement est important. Deux problèmes se posent : celui du périmètre géographique retenu et celui de la définition du nombre d'élèves par classe au sein du périmètre défini.
Le seul texte d'application prévu par la loi Carle est un décret déterminant les modalités de prise en compte des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI). La solution retenue dans le décret en Conseil d'État du 9 novembre 2010 vise à gommer une asymétrie dans la prise en compte de l'intercommunalité entre l'enseignement public et l'enseignement privé. La loi Carle ne mentionne pas les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), alors que la disposition du code de l'éducation qui lui servait de modèle et qui s'applique aux élèves non-résidents dans les écoles publiques prévoit que l'EPCI à compétence scolaire se substitue à la commune, mais elle ne mentionne pas les RPI. Pour égaliser les situations, le décret de 2010 prévoit de ne prendre en compte, dans l'appréciation des capacités d'accueil de la commune de résidence, que les RPI organisés dans le cadre d'un EPCI à compétence scolaire.
D'après le ministère de l'éducation nationale, à la date du décret, les RPI concernaient environ 15 000 communes et 11 % des élèves. Une moitié environ des RPI étaient adossés à un EPCI. L'autre moitié ne touchait qu'un peu plus de 3 % des élèves, ce qui paraissait un effectif trop faible pour rigidifier le statut juridique des RPI, aujourd'hui simplement régis par une circulaire de 2003.
Les avis sont très partagés sur la question de savoir si le décret de 2010 respecte la volonté du législateur. Les associations de maires le contestent. Elles sont favorables à une prise en compte de tous les RPI et pas seulement de ceux qui sont adossés à un EPCI.
Les juristes que nous avons auditionnés ne s'accordent pas. Certains considèrent que le pouvoir réglementaire a déformé le texte voté par le Sénat, en vidant de toute substance l'amendement sénatorial qui prévoyait un traitement spécifique des RPI pour tenir compte de la situation des communes rurales. D'autres juristes estiment à l'inverse que le principe de parité entre le public et le privé doit l'emporter, par cohérence avec l'objet même de la loi Carle. C'est aussi la position du Conseil d'État dans son avis du 6 juillet 2010.
Les débats parlementaires eux-mêmes ne permettent pas de trancher sur l'intention du législateur puisqu'en réalité, l'Assemblée nationale et le Sénat ont adopté le même texte dans les mêmes termes mais avec des intentions divergentes. Les débats au Sénat laissent penser que l'esprit de l'amendement sur les RPI était effectivement de les prendre en compte globalement au-delà des seuls EPCI. En revanche, le rapporteur de l'Assemblée nationale, notre collègue Frédéric Reiss, avait clairement indiqué que la disposition adoptée au Sénat devait être restreinte par le pouvoir réglementaire aux seuls RPI adossés à un EPCI à compétence scolaire, afin de respecter le principe de parité. Le texte ayant été adopté conforme à l'Assemblée nationale en première lecture, le débat n'a pu être tranché par une commission mixte paritaire et l'incertitude demeure.
Après avoir déterminé le périmètre géographique de la zone de résidence, il reste encore à apprécier la capacité d'accueil effective dans les classes inscrites dans ce périmètre. C'est source de nouvelles difficultés pratiques.
Faut-il se caler sur le seuil d'ouverture ou de fermeture des classes ? Certains inspecteurs d'académie - directeurs académiques des services de l'éducation nationale (IA-DASEN) n'ont même pas défini de seuils fixes d'ouverture et de fermeture. Lorsqu'ils l'ont fait, les seuils varient entre 20 et 25 élèves avec de grandes variations par zones, pour tenir compte de la viabilité du tissu scolaire ou des contraintes géographiques spécifiques, notamment en zone de montagne. De façon générale, au-delà de l'application de la loi Carle, les associations d'élus souhaitent plus de clarté et de lisibilité dans la définition des seuils d'ouverture et de fermeture des classes.
L'application de la loi Carle pose encore d'autres difficultés, qui ne trouvent pas de réponses dans la circulaire d'application de 2012. C'est le cas par exemple des effets d'un déménagement en cours d'année et des modalités de prise en compte des fratries.
Pour l'enseignement public, l'article L. 212-8 du code de l'éducation accorde à l'enfant le droit au maintien dans l'école de la commune d'accueil jusqu'à la fin du cycle d'études entamé. Cette disposition s'applique en cas de déménagement de la famille en cours d'année avec le maintien de l'inscription de l'enfant dans l'école d'origine. Il n'existe pas de disposition analogue dans le code de l'éducation pour l'enseignement privé.
Même si l'on transposait au privé la solution retenue pour le public, il resterait une difficulté de fond : la nouvelle commune de résidence après le déménagement est-elle tenue de contribuer financièrement à la prise en charge de l'enfant dans l'école de la commune d'origine où il demeure inscrit ? Autrement dit, le déménagement en cours d'année avec maintien dans l'école d'origine crée-t-il un cas supplémentaire d'obligation de financement pour la nouvelle commune de résidence ?
Les interprétations du ministère de l'intérieur et du ministère de l'éducation nationale divergent sur ce point.
Le ministère de l'intérieur considère qu'aucune obligation ne pèse sur la nouvelle commune de résidence, même si un accord entre les communes peut être recherché.
En revanche, le ministère de l'éducation nationale estime que le maintien de l'inscription initiale dans la commune d'origine, avant le déménagement, entraîne l'obligation pour la nouvelle commune de résidence, après le déménagement, de financer la continuité du parcours scolaire.
La jurisprudence administrative n'est pas stabilisée, mais dans les quelques cas où des tribunaux se sont prononcés, ils ont plutôt retenu l'interprétation du ministère de l'intérieur. Dans deux arrêts significatifs de janvier 2002, la Cour administrative d'appel de Douai a considéré que :
- l'obligation de financement à la charge de la commune de résidence ne porte que sur les seules années au titre desquelles les cas dérogatoires sont justifiés ;
- le droit au maintien dans l'école d'origine n'entraîne pas de lui-même une obligation de prise en charge financière par la nouvelle commune de résidence.
Pour autant, en réponse à une Question écrite de notre collègue Jean-Pierre Sueur en 2013, le ministère de l'éducation a maintenu son interprétation. L'imprécision des textes réglementaires autorise des lectures équivoques. En attendant une décision claire du Conseil d'État, cette ambiguïté demeure une source d'insécurité juridique pour l'enseignement public comme pour l'enseignement privé.
J'en viens à la question des fratries.
Pour l'enseignement public, l'article R. 212-21 du code de l'éducation dispose que la commune de résidence est tenue de participer financièrement à la scolarisation maternelle ou élémentaire dans une autre commune du frère ou de la soeur d'un enfant inscrit la même année scolaire dans une école publique de ladite commune d'accueil, dans le cas où la scolarisation de l'enfant de référence dans la commune d'accueil est elle-même justifiée par une des dérogations classiques (activité professionnelle des parents, état de santé de l'enfant, capacité d'accueil insuffisante dans la commune de résidence).
Il faut noter que l'inscription simultanée de deux frères ou soeurs n'emporte pas l'application de cette mesure, qui n'est valable qu'en cas d'inscription échelonnée. Elle vaut pour un regroupement de fratrie mais pas pour une inscription groupée de fratrie.
Il n'existe pas de dispositions analogues pour l'enseignement privé et c'est par extrapolation, en recourant au principe de parité, qu'il faudrait interpréter les termes de la loi Carle en matière de prise en compte des fratries. La seule condition restrictive propre au privé serait la limitation aux seules classes élémentaires, sans tenir compte des inscriptions en classes maternelles.
En tout état de cause, le critère de regroupement de la fratrie paraît matériellement très difficile à utiliser pour les établissements privés. Comme le notent les préfectures sondées par la DGCL, il faut que chaque établissement privé concerné fasse la preuve au cas par cas que les aînés en général auraient pu bénéficier d'une dérogation à l'époque de leur inscription. En particulier, pour apprécier les capacités d'accueil au moment de l'inscription de l'aîné, le chef d'établissement doit vérifier les statuts en vigueur à l'époque des éventuels EPCI, ce qui s'apparente à une enquête quasi impossible pour lui.
Nous devons confesser un regret dans l'exercice de la tâche qui nous a été confiée, celui de n'avoir pu disposer que de très peu de données statistiques. Cela a compliqué notre appréciation exacte de la portée du problème et de l'efficacité de la solution.
Parmi les élèves non-résidents accueillis dans des établissements privés, il est très ardu de déterminer le nombre d'élèves effectivement concernés par la loi Carle. Personne au niveau des communes ou des préfectures ne procède à ce recensement, et encore moins les instances nationales de l'enseignement privé et les directions centrales des ministères. S'y oppose clairement le défaut d'information sur les motifs d'inscription dans les écoles privées. Il faudrait procéder à une enquête auprès des familles pour savoir si elles entrent dans un des cas de figure. Les maires des petites communes rurales n'émettent pas d'avis et ne sont pas informés d'une décision d'inscription. Leurs moyens d'identifier les élèves concernés auprès des autres maires sont aussi limités.
Même s'il n'existe aucune statistique précise qui renseigne sur le nombre d'élèves entrant dans le champ du dispositif, nous nous sommes appuyés sur les estimations de la direction des affaires financières du ministère de l'éducation nationale. Peu d'élèves seraient concernés par la loi Carle et les flux financiers générés seraient d'autant plus difficiles à repérer qu'ils seraient d'ampleur marginale.
Un tiers des élèves scolarisés en primaire dans les établissements de l'enseignement catholique seraient des non-résidents, ce qui représente environ 300 000 élèves. Il faut soustraire les classes maternelles qui ne sont pas concernées par la loi Carle et ne tenir compte que des 200 000 élèves non-résidents scolarisés dans des classes élémentaires privées. Ensuite, il faut encore soustraire de ce total tous les élèves non-résidents qui ne rentrent pas dans un des cas de dépenses obligatoires prévus par la loi de 2009. Le ministère de l'éducation nationale estime au final que 30 000 élèves seulement entrent dans le champ de la loi Carle.
En outre, à partir de données rassemblées et retraitées par la Cour des comptes et d'informations transmises par l'enseignement catholique, le ministère de l'éducation nationale estime le forfait communal moyen à 550 euros par élève. On aboutit ainsi à une estimation financière maximale des flux qui pourraient être générés par l'application intégrale de la loi à 16,5 millions d'euros.
En tout état de cause, les sommes sont trop faibles et trop éparpillées sur des milliers de communes, pour que la direction générale des finances publiques entreprenne de mettre en place un système d'extraction spécifique des données financières relatives à l'application de la loi Carle. Rappelons que les coûts des systèmes d'information dans l'éducation nationale sont déjà colossaux. Il faut veiller à ce que le suivi de la loi Carle et un légitime besoin d'informations ne coûtent finalement pas davantage que la loi Carle elle-même.
M. David Assouline , président . - Vos propos, messieurs les rapporteurs, nous éclairent sur les raisons pour lesquelles votre travail d'analyse est empreint de tant d'harmonie et ne propose guère d'évolution à la loi étudiée. Vous avez toutefois soulevé le problème que constituent les différences d'appréciation juridique entre les ministères de l'intérieur et de l'éducation nationale. À mon sens, c'est le rôle de notre commission d'exiger que ces divergences, qui créent tant d'incompréhensions sur le terrain, soient corrigées. Pourriez-vous intervenir en ce sens auprès des ministères concernés, afin que ce rapport ne se limite pas à la seule information du Parlement ?
Vous avez cité le chiffre de 30 000 élèves concernés par le dispositif de la loi Carle : c'est effectivement fort disproportionné au regard des combats idéologiques qui ont agité notre hémicycle à l'occasion du vote de ce texte. Un tel écart avait déjà été observé lors de l'examen du rapport de nos collègues Corinne Bouchoux et Jean-Claude Lenoir relatif à l'indemnisation des victimes d'essais nucléaires : le dispositif ne pouvait s'appliquer à si peu de gens qu'au final, la loi restait sans effet pratique. Ces exemples nous rappellent combien les études d'impact réalisées en amont sont essentielles à la dédramatisation du débat politique.
Mme Marie-Annick Duchêne . - Deux éléments doivent être gardés à l'esprit s'agissant de l'application de la loi Carle : d'abord, l'enseignement privé n'est pas soumis à la sectorisation scolaire ; ensuite, les forfaits dus par les communes lorsque des enfants ne sont pas scolarisés sur leur territoire sont rarement versés aux communes d'accueil. En charge du suivi de ce dossier dans le département des Yvelines, j'ai souvenir, qu'à l'époque de l'adoption de la loi, les combats idéologiques faisaient rage. Pourtant, les forfaits communaux ont rarement été mis en oeuvre tant les élus comprenaient finalement les raisons avancées par les parents pour scolariser leur enfant dans l'enseignement privé hors du territoire de leur commune de résidence. En réalité, ces forfaits sont majoritairement versés lorsque les communes ne se sont pas mises d'accord entre elles en amont. J'avais, pour ma part, demandé au directeur diocésain du département de faire preuve d'indulgence et de compréhension à l'égard des communes rurales qui ne disposaient plus que de quelques classes dans l'enseignement public. Il s'agissait en effet d'éviter que de trop nombreuses inscriptions dans le privé ne conduisent à la fermeture de ces classes. Finalement, les communes riches, où les écoles privées sont nombreuses, assument l'essentiel des frais de scolarisation. Le diocèse des Yvelines n'a pas souhaité passionner le débat et, de ce fait, la guerre scolaire n'a pas eu lieu.
M. Jean-Claude Lenoir . - J'aurai trois observations et deux questions pour nos rapporteurs. Je souhaite tout d'abord les féliciter pour leur travail d'analyse qui nous permettra de mieux répondre à nos interlocuteurs de terrain, bien que les différences d'appréciation juridique soulevées posent toujours question. Ensuite, je constate, à l'instar de notre président David Assouline, que les études d'impact permettent efficacement d'éviter d'envenimer inutilement les débats. Enfin, je souhaite attirer votre attention sur les difficultés que constitue, pour l'avenir, le regroupement des intercommunalités qui conduira de nombreux parents à inscrire leurs enfants dans des établissements privés situés à la frange de leur territoire désormais élargi.
Ma première question concerne les charges prises en compte dans le calcul du forfait dû, par enfant, à la commune d'accueil. Si les investissements ne sont pas pris en compte, qu'en est-il des charges financières liées à ces investissements ?
Ma seconde question porte sur les inégalités trop souvent constatées dans un même département, d'une intercommunalité à l'autre, s'agissant du forfait versé par élève. Avez-vous, dans le cadre de vos travaux, pensé à un système de calcul permettant l'uniformisation ou, à tout le moins, le rapprochement de ces montants ?
M. Michel Le Scouarnec . - Parfois, pour des raisons géographiques, certaines communes scolarisent de nombreux enfants qui ne résident pas sur leur territoire. À titre d'exemple, sur les 1 600 élèves d'Auray, 500, dont 300 scolarisés dans l'enseignement privé, n'habitent pas la ville, ce qui représente une somme importante. Avant mon élection en 1995, la municipalité versait une somme identique pour chaque enfant scolarisé dans le privé, qu'il réside ou non à Auray, alors qu'elle ne participait pas à l'achat de fournitures scolaires dans les établissements publics. J'ai remédié à cette inégalité en prenant en compte, dans le versement des subventions, la commune d'origine des enfants scolarisés dans les différents établissements. Avec les autres maires du canton, nous avons également travaillé à uniformiser les forfaits. Deux communes ont ainsi participé aux frais de scolarité de leurs élèves dans les établissements privés d'Auray, tandis qu'un accord était trouvé pour le versement d'un forfait de 200 à 250 euros pour chaque élève extérieur scolarisé dans une école primaire publique. La situation s'est donc nettement améliorée.
M. Jacques Legendre , rapporteur - Sous réserve de vérification, les remboursements ne concernent que les frais de fonctionnement et en aucun cas les remboursements des intérêts d'emprunts contractés pour des investissements.
M. Jacques-Bernard Magner , rapporteur . - Pour répondre à la question relative aux intercommunalités, j'indique que la compétence scolaire relève souvent de la commune. Toutefois, certaines activités sont en voie de transfert au niveau communautaire, tels les temps d'activités périscolaires (TAP). Il n'existe que quelques rares EPCI ayant la compétence et des regroupements pédagogiques intercommunaux relevant parfois de deux ou trois EPCI différents.
Le montant du forfait est quant à lui soumis à un accord. Lorsque j'étais moi-même adjoint aux affaires scolaires à Clermont-Ferrand, j'avais passé un accord avec l'enseignement diocésain. Le chiffre sur lequel nous nous étions accordés a d'ailleurs fait l'objet d'un litige quelques années plus tard et a été revalorisé pour prendre en compte de nouveaux éléments. Il existe peu de débat au niveau des écoles élémentaires car les relations avec les communes sont généralement bonnes.
À l'issue de ce débat, la publication du rapport est autorisée à l'unanimité.