II. LES AUTRES PAYS SOUS PROGRAMME D'ASSISTANCE

A. LES SORTIES DE PROGRAMME ESPAGNOLE ET PORTUGAISE

1. L'Espagne : le double défi de l'emploi et de la consolidation budgétaire

En dépit d'une troisième réforme en quatre ans de son secteur bancaire adoptée, en février 2012, l'Espagne a été contrainte de solliciter, le 9 juin 2012, une aide de 100 milliards d'euros auprès de l'Union européenne afin de répondre aux besoins de recapitalisation des établissements financiers locaux, fragilisés par l'effondrement du marché immobilier. Le prêt européen venait avant tout relayer l'État espagnol déjà confronté à des difficultés économiques et budgétaires sévères. Le Fonds de sauvetage local, le FROB, ne disposait plus, en juin 2012, que de 9 milliards d'euros. Le plan d'aide impliquait une restructuration du secteur. Il était placé sous la surveillance d'un quartet, réunissant membres de la Commission, de la Banque centrale européenne, de l'Autorité bancaire européenne et du Fonds monétaire international. Aucun plan d'ajustement macroéconomique n'était demandé en contrepartie, tant le problème est considéré comme circonscrit au niveau bancaire. Le gouvernement s'est simplement engagé à observer les recommandations budgétaires et macro-économiques adressées au pays dans le cadre du semestre européen. Bien qu'octroyé par le mécanisme de sauvetage européen (FESF puis MES), le plan diffère donc des aides versées à la Grèce, à l'Irlande, au Portugal et à Chypre.

L'Espagne est sortie de ce programme d'assistance le 29 novembre 2013. Le total des versements effectués s'est in fine élevé à 41,3 milliards d'euros. Cette somme devra être remboursée d'ici 2027. Huit banques ont été concernées. Elles ont vue en contrepartie leurs bilans réduits de 40 à 60 % par rapport à 2010. Elles ont dû, dans le même temps, recentrer leurs activités sur les prêts aux PME et aux particuliers, en abandonnant leurs activités liées à la promotion immobilière. 45 milliards d'euros de créances douteuses ont été parallèlement transférées à la société de gestion des actifs ( Sareb ), « bad bank » gérée par l'État. Les autorités espagnoles n'ont pas souhaité solliciter de fonds supplémentaires. Cette assistance a permis aux établissements bancaires espagnols d'afficher des taux de solvabilité au-dessus des exigences minimales réglementaires. Dans le même temps, conformément au mémorandum d'accord signé avec la Commission européenne et la Banque centrale européenne, l'arsenal législatif a été renforcé en vue de prévenir toute dérive et les outils de financement non-bancaire aux PME ont été développés. Cette sortie rapide du plan d'aide ne saurait toutefois occulter les difficultés que rencontrent encore le secteur bancaire. Les créances douteuses représentent plus de 12 % des encours alors que le crédit à l'économie réelle est toujours difficile, PME et grandes entreprises peinant à obtenir des financements. La Sareb est, quant à elle, confrontée à des difficultés pour valoriser les actifs dont elle dispose dans un contexte de crise durable du marché immobilier.

Les difficultés macro-économiques du pays restent prégnantes, en dépit d'une relative amélioration depuis le début de l'exercice 2014. À l'excédent commercial constaté fin 2013 devrait correspondre une relance de l'activité, certes limitée - 0,5 % du PIB - en 2014, après une contraction du PIB estimée à 1,4 % du PIB en 2012 et en 2013. Le chômage s'est stabilisé mais à un niveau qui reste un des plus élevés de la zone euro : 26,5 %. Les indicateurs budgétaires demeurent négatifs. Le déficit public devrait être ramené à 5,9 % du PIB en 2014 contre 6,8 % l'année précédente. L'Espagne a bénéficié d'une modification de sa trajectoire budgétaire le 29 mai 2013, avec le report à 2016 de l'objectif d'un déficit public inférieur à 3 % du PIB (4,1 % en 2015 puis 2,7 % l'année suivante). Reste que le déficit public escompté à la fin de l'exercice 2014 est déjà supérieur à l'objectif fixé : 5,5 % du PIB. Le poids de l'économie souterraine qui freine les réformes fiscales mises en place - le manque à gagner est estimé entre 6 et 8 % du PIB - et les déficits constatés au sein de certaines communautés autonomes fragilisent tout effort de consolidation budgétaire. La dette publique qui représentait 93 % du PIB fin 2013 devrait dépasser les 100 % en 2015.

2. Portugal : une politique de rigueur encadrée par le Tribunal constitutionnel
a) Une trajectoire budgétaire révisée...

Le Portugal a bénéficié en mai 2011 d'une assistance financière de l'Union européenne et du FMI de 78 milliards d'euros. Comme pour l'Irlande, l'Eurogroupe a approuvé, le 12 avril 2013, l'allongement de 7 ans de la maturité des prêts qui lui ont été accordés. La maturité moyenne des prêts octroyés passe donc de 12,5 à 19,5 ans. Ce nouvel échéancier doit permettre au Portugal d'accéder plus facilement au marché des capitaux, après sa sortie du plan d'aide internationale, le 17 mai 2014. Lisbonne devrait être confronté à des opérations importantes en matière de refinancement de sa dette entre 2016 et 2021. Le rendement de la dette à 10 ans était supérieur à 6,6 %, avant l'annonce de cette prolongation, soit un taux équivalent à celui enregistré début 2011, quelques mois avant l'octroi de l'aide internationale. Pour son retour sur le marché à long terme le 7 mai 2013, le Trésor portugais a pu placer 3 milliards d'euros de bons à 10 ans au taux de 5,67 % alors même que le contexte budgétaire n'était pas favorable. Confirmant cette tendance positive, une émission de titres à 10 ans d'une valeur de 3 milliards d'euros menée le 11 février 2014 a pu être accomplie avec un taux proche de 5 %. Le Portugal a également remboursé une obligation de 5,6 milliards d'euros le 23 septembre 2013, soulignant ainsi qu'il disposait désormais des provisions financières nécessaires et lui permettant de réduire son endettement public de 3 points. Une opération d'échanges de titres menée le 3 décembre 2013, a permis, par ailleurs, de réduire les besoins de financement du pays d'environ 25 % pour 2014 et 2015. Par ailleurs, comme l'Irlande, le Portugal sort du plan d'aide sans requérir une ligne de crédit de précaution auprès du Mécanisme européen de stabilité.

Le Portugal a dans le même temps enregistré en 2013 son premier excédent externe depuis 20 ans. En témoigne ainsi l'augmentation nette des ventes de produits portugais à l'étranger : + 9,8 % en un an. La stabilité financière retrouvée du pays comme les réformes structurelles qu'il a su faire aboutir contrastent de fait avec ces difficultés à respecter la trajectoire budgétaire et à relancer l'activité.

Initialement évaluée à 1 % du PIB, la contraction de l'activité du Portugal a atteint 2,3 % en 2013. Le Portugal avait déjà enregistré un recul de son PIB de 3,2 % en 2012 et de 1,6 % l'année précédente. Une hausse de l'activité de 1,2 % est néanmoins espérée en 2014. Le chômage atteint 15,4 % de la population active, atteignant 35 % chez les moins de 25 ans. L'évolution de l'emploi semble malgré tout sur une dynamique plutôt favorable, le taux de chômage frôlant les 18 % début 2013. La principale inquiétude tient à la persistance à haut niveau du taux de chômage structurel, qui s'établit à 12 %. Ce chiffre induit une nouvelle politique destinée à intégrer les chômeurs les plus qualifiées, en constante augmentation, au sein d'une économie désormais de plus en plus tournée vers l'extérieur.

Compte tenu de ce contexte défavorable, les autorités portugaises ont obtenu en mars 2013 un report de leurs objectifs budgétaires. Alors que la trajectoire préalablement définie tablait sur un déficit public atteignant 4,5 % du PIB en 2013 puis 2,5 % en 2014, un délai d'un an supplémentaire a été accordé pour parvenir en dessous du seuil de 3 %. Le nouveau calendrier prévoit un déficit public de 5,5 % en 2013 puis de 4 % en 2014. Le déficit public avait atteint 6,4 % du PIB en 2012. Une première révision de cette trajectoire avait été obtenue en septembre 2012. Il s'est in fine établi à 4,9 % du PIB.

La dette publique atteint, quant à elle, 127,8 % du PIB en 2013. Elle pourrait dépasser 130 % du PIB en 2014 avant de commencer à décroître en 2015. La faiblesse de la croissance fragilise à terme toute poursuite de cette réduction voire sa stabilisation. La sortie du plan d'aide devrait en effet coïncider avec une augmentation de cet endettement, à la faveur du retour sur les marchés. Selon des économistes, une stabilisation sur les deux prochains exercices implique une croissance de 1,7 % du PIB en 2014 puis de 2,49 % en 2015 couplée à des excédents budgétaires de 3,37 % du PIB en 2014 et 2,48 % en 2015 ainsi que des taux d'intérêts tournant autour de 3,5 %. Ce qui semble, en l'état actuel de l'économie du pays, irréaliste. L'excédent primaire attendu en 2014 est ainsi estimé à 0,4 % du PIB. Le Portugal dispose néanmoins de réserves de liquidités estimées à 15 milliards d'euros qui devraient lui permettre de faire face à ses besoins de financement pour 2014.

b) ... et contrariée par le Tribunal constitutionnel

Le rejet par le Tribunal constitutionnel, en avril 2013, d'une partie du budget 2013 a rendu plus délicate la poursuite de ces objectifs. Cette décision fait suite à une première censure l'année précédente qui visait la suppression des treizième et quatorzième mois des fonctionnaires, inscrite dans le budget 2012. L'effort de consolidation budgétaire 2013 portait sur 5,3 milliards d'euros, dont 4 milliards au titre des hausses d'impôts. Des députés socialistes avaient saisi le Tribunal constitutionnel pour contester la suppression du quatorzième mois de salaire versé aux retraités et aux fonctionnaires, la création d'une taxe de solidarité sur les retraites dépassant 1 350 euros par mois ou les prélèvements visant les allocations chômage ou maladie. Ces dispositions ont été invalidées par le Tribunal constitutionnel. Ce recours est venu mettre fin au consensus politique autour du programme d'ajustement économique mis en place depuis l'octroi de l'aide internationale. La décision du Tribunal constitutionnel fait également suite aux réserves formulées par le président de la République, Anibal Cavaco Silva, qui avait contesté la répartition de l'effort fiscal demandé. Le juge a suivi le même raisonnement en estimant le budget 2013 discriminatoire.

De fait, pour pouvoir répondre à la trajectoire révisée, le gouvernement a dû annoncer le gel de dépenses publiques non essentielles et la mise en place d'un nouveau plan de rigueur. Le dispositif prévoit le report de l'âge du départ à la retraite à taux plein de 65 à 66 ans, les départs volontaires de 30 000 fonctionnaires sur les 700 000 que compte le pays et l'allongement de leur temps de travail de 35 à 40 heures. 4,8 milliards d'euros d'économie étaient ainsi attendues d'ici à 2015, permettant de compenser les conséquences financières de la censure de la Cour constitutionnelle. Les mesures visant le départ des fonctionnaires ont cependant été invalidées par les juges suprêmes le 29 août 2013, rendant plus aigües les difficultés politiques que traverse le pays depuis juillet 2013. La coalition au pouvoir, qui réunit le parti social-démocrate (centre droit) du Premier ministre Pedro Passos Coelho et le parti conservateur CDS-PP a été fragilisée par des dissensions importantes conduisant à la démission des ministres des finances et des affaires étrangères. Le président de la République a jugé notamment probable la tenue d'élections anticipées après la sortie du plan d'aide, le scrutin étant en principe prévu à l'automne 2015. Ces difficultés font écho à la lassitude de plus en plus affirmée de l'opinion publique à l'égard des mesures d'austérité.

Le Tribunal constitutionnel a, par ailleurs, invalidé une mesure dans une vaste réforme du Code du travail, adoptée en concertation avec la troïka. La décision du 25 septembre 2013 censure une disposition permettant à l'employeur d'invoquer la « non-adaptation » d'un salarié à un poste de travail pour justifier son licenciement. La Commission européenne s'est interrogée, le 15 octobre 2013, sur une éventuelle partialité des juges et, au-delà, sur les risques sur la stabilité financière du pays que faisaient peser ces décisions sur le pays. Elles fragilisent en effet la position du Portugal sur les marchés financiers, en remettant régulièrement en question la stratégie budgétaire du gouvernement, lequel est conduit à trouver des mesures alternatives dans l'urgence. Ces réserves ont été relayées par le Fonds monétaire international en février 2014, après une nouvelle décision en décembre 2013 visant la convergence des régimes public et privés de retraite qui devait rapporter 700 millions d'euros à l'État.

C'est à l'aune de ces événements que le gouvernement portugais a demandé en septembre 2013 un ajustement de la trajectoire en 2014, avec un nouvel objectif de déficit public établi à 4,5 % au lieu des 4 % prévus. Cette nouvelle modification ne lui a pas été accordée.

Le budget 2014 devait, dans ces conditions, poursuivre l'effort de consolidation, en prévoyant notamment des réductions de salaires comprises entre 2,5 et 12,5 % pour les fonctionnaires, dès lors que leur rémunération dépasse 675 euros. Les pensions de réversion sont placées sous condition de ressources, alors qu'un prélèvement social de 5 % sur les prestations maladie et de 6 % sur les allocations chômage devait être institué. Les compléments de retraite dans les entreprises publiques sont également suspendus. Le Tribunal constitutionnel a, une nouvelle fois, invalidé les dispositions visant les rémunérations des fonctionnaires, les prestations sociales et les pensions de réversion, le 30 mai 2014.

Cette décision n'est pas sans incidence sur la sortie définitive du programme d'aide internationale. La durée du contrôle de la troïka pourrait se voir en conséquence prolongée, dans l'attente de la mise en place d'un budget alternatif, devant permettre de respecter la trajectoire retenue pour les finances publiques. Ce nouveau budget pourrait intégrer une nouvelle hausse des impôts et de la TVA (déjà fixée à 23 %), le gel de dépenses ou l'anticipation de mesures prévues pour 2015. Une nouvelle décision du Tribunal est par ailleurs entendue en ce qui concerne les prélèvements sur les pensions de retraites inclus dans le budget rectificatif qui a été adopté le 11 mars 2014.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page