B. LE CHAMP EXCLUSIF DES LOIS DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
L'article 45 du règlement du Sénat prévoit que « la commission des affaires sociales examine la recevabilité des amendements déposés au regard de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale », article qui définit le domaine exclusif (obligatoire et facultatif) des lois de financement de la sécurité sociale 206 ( * ) .
Néanmoins, votre commission des finances peut également être amenée à prendre en considération ces données pour l'examen de la recevabilité organique des amendements déposés en projet de loi de finances : une lecture croisée de l'article 34 de la LOLF (définition du domaine des lois de finances) et de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale conduit en effet à déclarer irrecevable tout amendement déposé en projet de loi de finances qui entrerait dans le champ exclusif des lois de financement.
Le champ exclusif des lois de financement est défini à l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. Ne peuvent ainsi résulter que d'une disposition de la loi de financement ( et non d'une loi de finances ) :
• la détermination des conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale , soit en application du I de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale :
- les objectifs de dépenses des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement ;
- les prévisions de recettes de ces mêmes structures ;
- les modalités d'emploi des excédents ou de couverture de déficits de ces régimes et de leurs fonds de financement ;
- leurs plafonds d'emprunt ;
- l'objectif d'amortissement de la dette sociale.
La difficulté est ici d'apprécier le seuil à partir duquel un amendement est considéré comme modifiant les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale . La question ne se pose néanmoins que pour les amendements modifiant les prévisions de recettes des organismes de sécurité sociale, ceux portant sur les autres ensembles seraient en effet pour l'essentiel déclarés irrecevables au regard de l'article 40 de la Constitution, s'ils créent ou aggravent une charge publique.
• l'« affectation, totale ou partielle, d'une recette exclusive des régimes obligatoires de base de sécurité sociale , des organismes concourant à leur financement, à l'amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit ou des organismes finançant et gérant des dépenses relevant de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie , à toute autre personne morale » 207 ( * ) .
Ainsi, par exemple, tout amendement déposé en seconde partie de la loi de finances prévoyant l'affectation d'une fraction de CSG aux départements serait irrecevable : même si la CSG est considérée par le Conseil constitutionnel comme une « imposition de toute nature », son produit est aujourd'hui intégralement versé aux organismes de sécurité sociale. Par ailleurs, l'article 34 de la LOLF qui définit le champ facultatif des lois de finances mentionne certes les impositions de toute nature, mais évoque uniquement les dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement de ces contributions, et non celles relatives à leur affectation (cf . supra ). Quant à l'article 36 de la LOLF, il ne porte que sur l'affectation totale ou partielle, à une autre personne morale, d'une ressource établie au profit de l'Etat.
• la création ou la modification des mesures de réduction ou d'exonération de cotisations de sécurité sociale non compensées aux régimes obligatoires de base , en application du IV de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
La mise en place de la prime de partage de la valeur ajoutée, exonérée de cotisations sociales sans compensation pour la sécurité sociale, a ainsi nécessité un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale 208 ( * ) .
Ce principe n'a néanmoins pas toujours été strictement appliqué. Des dispositions tendant à créer des exonérations de cotisations sociales non compensées ont pu être introduites dans divers textes faisant ensuite l'objet d'une disposition expresse de non-compensation dans la plus proche loi de financement. Chaque année, l'annexe 5 au PLFSS dresse une liste des mesures non compensées mises en place depuis la loi organique du 2 août 2005 209 ( * ) .
Tableau n° 7 : Mesures d'exonérations de cotisations sociales non compensées mises en place depuis 2005
Intitulé de la mesure |
Support législatif ayant créé ou modifié la mesure |
Non compensation en LFSS pour 2006 (article 17) |
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Bonus exceptionnel 1 000 euros |
LFSS pour 2006 |
Non compensation en LFSS pour 2007 (article 31) |
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Contrat de transition professionnelle (expérimentation) |
Ordonnance du 13 avril 2006 relative à l'expérimentation du contrat de transition professionnelle |
Franchise de cotisations et contributions de sécurité sociale concernant les stagiaires |
Loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances |
Extension de l'ACCRE à de nouveaux publics |
LFSS pour 2007 |
Non compensation en LFSS pour 2008 (article 24) |
|
Attributions gratuites d'actions |
LFI pour 2005 |
Modification du régime d'assurance maladie des enseignants du privé |
LFSS pour 2005 |
Exonération de toutes cotisations et contributions de l'abondement de l'employeur ou du comité d'entreprise au chèque emploi service universel |
Loi du 26 juillet 2005 relative au développement des services à la personne et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale |
Exonération relative aux arbitres |
Loi du 23 octobre 2006 portant diverses dispositions relatives aux arbitres |
Nombreuses mesures relatives à la participation financière (supplément d'intéressement et de participation, intéressement de projet...) |
Loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié |
Non compensation en LFSS pour 2009 (article 26) |
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Remise gracieuse de matériel informatique |
LFI pour 2008 |
Indemnités versées en cas de rupture conventionnelle |
Loi du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail |
Possibilité donnée au salarié d'affecter à un PERCO ou à un régime de retraite supplémentaire les sommes issues de la monétisation des droits inscrits sur un compte épargne temps |
Loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail |
Stagiaire auprès d'une entreprise agricole |
LFSS pour 2009 |
Prime transport |
LFSS pour 2009 |
Prime exceptionnelle de 1 000 euros |
Loi du 8 février 2008 pour le pouvoir d'achat |
Prime exceptionnelle de 1 500 euros |
Loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail |
Non compensation en LFSS pour 2010 (article 25) |
|
Bonus exceptionnel en outre-mer |
Loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer |
Non compensation en LFRSS pour 2011 (article 1 er ) |
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Prime accordée en contrepartie du versement de dividendes |
Loi du 28 juillet 2011 de financement rectificative de la sécurité sociale |
Non compensation en LFSS pour 2012 (article 13) |
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Exonération pour l'emploi des salariés intervenant auprès des familles qui bénéficient d'aides sociales des CAF et des conseils généraux |
LFSS pour 2012 |
Source : annexe 5 au PLFSS pour 2013
A cet égard, le cas des « allègements généraux » doit être précisé. Avant 2011, les pertes de recettes pour la sécurité sociale résultant des allègements de charges sur les bas salaires étaient compensées par l'Etat par le biais d'un « panier fiscal ». La loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 a supprimé ce principe de compensation et a affecté de façon définitive à la sécurité sociale le panier de recettes fiscales antérieur 210 ( * ) . Par conséquent, les allègements généraux ne peuvent plus faire l'objet d'aménagement dans une loi de finances . Ainsi a été déclaré irrecevable un amendement au projet de loi de finances pour 2012 prévoyant la suppression des allègements généraux.
* 206 A l'Assemblée nationale, cette compétence revient à la commission des finances.
* 207 Cf. III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale.
* 208 Loi n° 2011-894 du 28 juillet 2011 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011 .
* 209 Loi organique n° 2005-881 du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale .
* 210 L'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, qui pose le principe général de compensation intégrale des pertes de recettes pour la sécurité sociale résultant de mesures d'exonérations de cotisations sociales, exclut explicitement les allègements généraux (article L. 241-13 du code de la sécurité sociale).