C. DONNER DU SENS À L'UNION
ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE
EN DÉVELOPPANT SA DIMENSION
SOCIALE
La crise s'est traduite par une explosion du chômage qui a entraîné une augmentation sensible des dépenses d'indemnisation. Dans les pays les plus vulnérables, les autorités ont été parfois contraintes de diminuer d'autres dépenses sociales ou les dépenses d'éducation et de formation, qui préparent pourtant l'avenir. La crise a creusé les divergences entre les modèles sociaux les plus généreux et les plus efficaces et les autres, pour simplifier, entre ceux de l'Europe du Nord et ceux de l'Europe de l'Est et du Sud. Comme le note le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, « l'Europe ne parvient plus à s'imposer comme une source de prospérité partagée » 19 ( * ) .
Même dans les États membres les plus avancés, l'Union européenne apparaît trop souvent aux yeux des opinions publiques comme le vecteur d'une mise en concurrence des modèles sociaux nationaux, voire d'une menace pour ceux-ci. Le risque d'un rejet de la monnaie unique et du projet qu'elle porte est réel.
Dès lors, la construction européenne , pour regagner en légitimité, a besoin de projets qui apportent des réponses aux difficultés des citoyens dans des domaines qui les concernent au plus près . De ce point de vue, donner une dimension sociale à cette construction indéniablement technocratique, voire parfois obscure qu'est l'UEM est nécessaire. Cette ambition est d'autant plus délicate à concrétiser que les questions sociales relèvent essentiellement de la compétence des États membres.
C'est pourquoi votre rapporteur suggère que la réflexion en cours sur l'approfondissement de la gouvernance de l'UEM soit mise à profit pour avancer vers la mise en oeuvre d'une assurance chômage au niveau européen , qui aurait le mérite d'offrir une solution concrète à des millions de chômeurs en leur démontrant que l'Europe peut apporter des réponses à leurs difficultés .
1. Intégrer les politiques sociales et d'emploi dans le semestre européen
Certes, les États membres, aux termes des traités, demeurent largement compétents en matière sociale et ne semblent guère enclins à des transferts de compétences. Néanmoins, « les politiques sociales peuvent contribuer de manière significative au fonctionnement optimal de la zone euro », comme le note Notre Europe - Institut Jacques Delors 20 ( * ) . Du reste, les modèles sociaux nationaux sont d'une grande diversité. C'est pourquoi, selon la même source, « le renforcement de la dimension sociale de l'UEM devrait se borner à ce qui est strictement nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de la zone euro. Les mesures prises à l'échelle de l'UEM devraient permettre une cohabitation des différents modèles sociaux reflétant les préférences nationales ».
Des mesures en matière d'emploi et de politique sociale peuvent permettre de compenser des conséquences potentiellement négatives de l'union monétaire sur les politiques sociales nationales, en particulier le risque de concurrence des normes sociales entre États membres et celui de démantèlement de dispositifs sociaux au profit d'ajustements économiques dans les pays les plus vulnérables. Comme l'a indiqué le commissaire européen à l'emploi et aux affaires sociales, Laszlo Andor, en février 2013, l'emploi et les progrès sociaux ne doivent pas être « perçus comme de simples variables résiduelles du processus d'ajustement macroéconomique ».
Aussi est-il opportun que la dimension sociale soit intégrée à tous les aspects de l'UEM. C'est le sens de la communication qu'a présentée la Commission le 2 octobre dernier lorsqu'elle propose de renforcer la politique sociale et celle de l'emploi sur la base d'un tableau d'indicateurs de manière à déceler le plus tôt possible les déséquilibres sociaux susceptibles de perturber la stabilité de l'UEM.
Il convient néanmoins de s'interroger sur l'opportunité de compléter les indicateurs retenus par la Commission. Sans doute une réflexion est-elle nécessaire pour améliorer le tableau de bord, en particulier en précisant le contenu des indicateurs relatifs au chômage et à la pauvreté (celle des femmes et des enfants par exemple).
Votre rapporteur considère que, pour mieux intégrer la dimension sociale au semestre européen prévu au titre de la gouvernance de l'UEM, l'instrument de convergence et de compétitivité et la procédure de coordination préalable des projets de grandes réformes des politiques économiques proposés par la Commission doivent aussi concerner les questions sociales et d'emploi . Il est nécessaire que les incitations financières prévues par l'ICC puissent également porter sur la mise en oeuvre des réformes permettant d'atteindre les objectifs sociaux préalablement définis et de réduire les déséquilibres constatés à partir du tableau de bord d'indicateurs sociaux.
Par ailleurs, la dimension sociale pourrait être davantage prise en compte en améliorant la gouvernance de l'UEM , en particulier dans deux directions :
- d'une part, prendre davantage en compte les questions sociales et d'emploi dans les discussions des instances décisionnaires de la zone euro , c'est-à-dire prévoir des réunions de l'Eurogroupe avec les ministres compétents en la matière. La contribution franco-allemande du 30 mai 2013 évoque d'ailleurs « la possibilité pour le sommet de la zone euro de mandater d'autres ministres de la zone euro, par exemple les ministres de l'emploi et des affaires sociales » ;
- d'autre part, renforcer le dialogue social en accordant une place plus large aux partenaires sociaux européens et nationaux dans le cadre du semestre européen en les consultant lors des grandes étapes de la procédure (examen annuel de la croissance, recommandations adressées aux États membres, etc.).
Il convient néanmoins de reconnaître que ces mesures, aussi légitimes et nécessaires soient-elles, ne présentent qu'une portée limitée pour les opinions publiques européennes. Il est nécessaire d'aller plus loin en proposant un projet plus ambitieux , à la fois par son envergure et par le « service rendu » aux citoyens européens afin de renverser la perception - fausse - que la monnaie unique est la cause de la dégradation de la situation sociale en Europe, alors qu'elle peut être une solution.
2. Pour une assurance chômage au niveau européen
Si la zone euro, et l'Union européenne dans son ensemble, doit poursuivre dans la voie de l'union bancaire et la création, à terme, d'un budget propre, ces objectifs ne sauraient, à eux seuls, se révéler suffisamment mobilisateurs pour des opinions publiques de plus en plus tentées, à l'approche des élections européennes de mai 2014, par des discours populistes alimentant l'euroscepticisme, voire l'europhobie. Les termes mêmes d' « union bancaire », de « capacité budgétaire », de « budget de la zone euro » comportent une dimension technocratique indéniable susceptible de susciter la méfiance des citoyens européens.
C'est pourquoi votre rapporteur est persuadé que le dispositif permettant d'approfondir l'UEM doit revêtir une visibilité forte de manière à lui donner du sens auprès des opinions publiques . Il est indispensable que l'Union européenne n'apparaisse pas uniquement comme une entité abstraite prescriptrice de contraintes et synonyme d'austérité et de surveillance. Elle doit aussi présenter des avantages concrets et immédiatement tangibles pour les ressortissants des États membres. Comme l'a dit le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, lors de la L e COSAC, à Vilnius, les 28 et 29 octobre 2013, « il ne s'agit pas seulement d'avoir des idées, des dispositions juridiques et des politiques européennes. Il faut que ces idées, ces dispositions, ces politiques répondent aux attentes des peuples ».
De ce point de vue, votre rapporteur soutient l'idée que la dimension assurantielle de la capacité budgétaire à mettre en place au niveau de la zone euro , et éventuellement à d'autres États membres de la zone euro sur une base facultative, prenne la forme d'une assurance chômage .
Cette solution présente en effet plusieurs avantages :
- elle concourrait à remplir l'objectif de stabilisation macroéconomique dévolu à la capacité budgétaire et, à terme, au budget de la zone euro : en effet, les dépenses liées au chômage sont particulièrement cycliques. Selon la Direction générale du Trésor, « l'insertion des prestations chômage dans le budget de la zone euro pourrait se faire sous la forme d'un socle commun à la zone euro sur lequel se rajouteraient des dispositifs nationaux spécifiques. Un socle de dépenses actives de l'emploi (formation, aide aux services publics de l'emploi et soutien à la mobilité) pourrait également être envisagé » ;
- ce faisant, elle contribuerait à réduire la tendance à faire des politiques sociales les variables d'ajustement des efforts macroéconomiques en cas de choc asymétrique ;
- elle offrirait une visibilité forte auprès des citoyens européens qui percevraient immédiatement les avantages sociaux de la zone euro.
Notre Europe - Institut Jacques Delors a réfléchi aux principales caractéristiques qui pourraient être celles d'un système d'assurance chômage au niveau européen.
Les principales caractéristiques
« Premièrement, il devrait disposer d'un mécanisme de déclenchement lié à un indicateur économique comme le taux de chômage de courte durée. Une augmentation donnée de cet indicateur économique, indépendamment de la valeur de départ, entraînerait un transfert budgétaire. Ainsi, tant un pays où le taux de chômage de courte durée est plus faible comme celui où il est plus élevé pourront bénéficier d'un transfert s'ils sont touchés par le chômage conjoncturel. « Deuxièmement, les transferts aux États membres devraient être alloués aux dépenses d'indemnisation du chômage, sur la base de dispositions communes, du principe de conditionnalité et de normes minimales, telles que l'existence de politiques actives du marché du travail. Le fait d'allouer ces fonds aux systèmes d'assurance chômage est justifié par leurs effets stabilisateurs anticonjoncturels indéniables, non seulement parce que le chômage réagit rapidement aux cycles économiques mais aussi parce que les bénéficiaires des indemnités chômage contribuent davantage à la demande globale dans l'économie réelle, par le biais de leur consommation ou des investissements qu'ils réalisent pour entreprendre. « Troisièmement, ce mécanisme devrait être conçu de manière à éviter deux problèmes : (i) d'importants transferts à sens unique, du Nord au Sud, par exemple, sachant qu'un système unilatéral ne serait pas viable et mettrait gravement à mal l'intégration ; (ii) un aléa moral, si les mécanismes automatiques de l'UEM remplaçaient la consolidation budgétaire et les réformes structurelles. Il est donc important que les transferts s'accompagnent d'une conditionnalité stricte, portant sur des politiques de l'emploi actives et fortes, des éléments en lien avec l'employabilité et la mise en oeuvre de réformes structurelles ». Source : Notre Europe - Institut Jacques Delors, Une dimension sociale pour l'UEM : pourquoi et comment ? , septembre 2013 |
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En fonction de ces différents éléments, votre rapporteur suggère à la commission la proposition de résolution qui suit :
* 19 Note d'introduction au débat national Quelle France dans 10 ans ?, septembre 2013.
* 20 Une dimension sociale pour l'UEM : pourquoi et comment ? , septembre 2013.