AUDITION DE M. JEAN PEYRELEVADE, ANCIEN PRÉSIDENT DU CRÉDIT LYONNAIS

(mercredi 12 juin 2013)

M. François Pillet, président . - Nous allons poursuivre les auditions de notre commission d'enquête par celle de Jean Peyrelevade, banquier d'affaires et ancien président du Crédit Lyonnais. Monsieur le Président, l'usage juridique tient à ce que vous prêtiez serment de dire la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « je le jure ».

M. Jean Peyrelevade, ancien président du Crédit Lyonnais . - Je le jure.

M. François Pillet . - Je vous remercie. Nous allons procéder de la manière suivante. Vous disposerez de dix minutes pour effectuer un exposé liminaire sur le sujet qui nous intéresse. Le rapporteur de la commission, Eric Bocquet, vous posera ensuite une première série de questions suivies de celles des sénateurs de la commission. Le rapporteur clôturera le débat. Vous avez la parole.

M. Jean Peyrelevade . - Je vais commencer par une très courte introduction qui pourra paraître légèrement subversive. J'ai vécu de très nombreuses années au coeur du système financier. J'ai donc été amené à réfléchir aux conditions et aux contraintes d'exercice de ce métier.

Tout d'abord, je souhaite revenir sur des règles de comportement importantes. Dans une organisation de vie collective, des règles sont établies et inscrites dans les lois et les règlements. La règle établie et reconnue collectivement, je n'ai aucune hésitation sur le fait qu'elle doive être respectée dans toutes ses dimensions. En revanche, je ne crois pas qu'il y ait lieu de considérer qu'existe à côté de la loi une morale collective ayant pour conséquence que certains actes légalement autorisés soient moralement condamnables. Il est certes possible pour chacun d'avoir une morale personnelle, qui ne peut cependant être la base du jugement du comportement d'autrui.

J'aimerais citer deux exemples.

J'ai écrit en 1974 un livre intitulé L'économie de spéculation. De mon point de vue, la spéculation est inutile et nocive. Ce regard personnel sur la spéculation n'est pas partagé par tous. Il n'y a aujourd'hui rien qui condamne collectivement des comportements spéculatifs. Je ne peux donc pas dans l'exercice de mon métier refuser de considérer l'action des spéculateurs. Ma morale personnelle ne l'emporte pas sur le jugement collectif tel qu'il est exprimé.

J'en viens à mon deuxième exemple. J'ai constaté à mon arrivée au Crédit Lyonnais que certains conseillers commerciaux avaient une relation commerciale très particulière avec des personnes âgées. Leur dévouement était tel que certains d'entre eux devenaient bénéficiaires d'assurance-vie. Cela était absolument contraire à ma morale personnelle. Je ne pouvais cependant pas sanctionner les personnes en question. Rien dans le règlement intérieur ne me le permettait. J'ai donc changé le règlement intérieur, en respectant le formalisme nécessaire.

Le présent sujet est plein de ces zones intermédiaires entre morale personnelle et jugement collectif. Ce qui conduit à des condamnations radicales qui ne sont pas fondées en l'état actuel des textes.

J'en viens donc au coeur du sujet.

Il n'existe pas de liste des paradis fiscaux. En tant que président de banque, j'ai besoin d'une liste définie. Que signifie « paradis fiscal » ? Il existe plusieurs caractéristiques : le refus de la communication des données fiscales, un niveau de fiscalité très bas, une faible transparence et une faible reconnaissance des règles de régulation communément acceptées. Un paradis fiscal est caractérisé par l'une et/ou l'autre de ces différentes caractéristiques.

L'encouragement à la fraude fiscale est absolument condamnable dans ma morale personnelle et le jugement collectif commence à le condamner également. Je m'en réjouis. Il est intolérable qu'un pays voisin de la France fabrique sa prospérité sur le viol de la souveraineté fiscale de la France. Au début des années 2000, les Etats-Unis ont exigé que toutes les banques leur communiquent le nom des résidents américains ayant un compte dans celles-ci, sous peine de se voir enlever leur licence d'exploitation aux Etats-Unis. La fraude fiscale étant condamnée depuis longtemps à l'intérieur même du territoire français, je n'ai jamais favorisé cette pratique dans les banques que j'ai dirigées.

Je pense que la transparence devrait être très fortement renforcée dans l'ensemble des opérations bancaires et financières. Il existe une exigence de connaissance du client. Les banquiers internationaux dépendent les uns des autres. La transparence ne peut progresser qu'à travers la progression de règles communes planétaires. La réflexion doit porter sur les cas légitimes de protection de l'anonymat. Je ne tranche pas la question. J'ai toutefois toujours préféré la transparence à l'obscurité.

Certains pays disposent d'une régulation extrêmement faible. Beaucoup d'opérateurs y ouvrent des filiales. Au nom de quoi puis-je interdire à mes clients d'aller ouvrir un compte dans une place off-shore, où leurs opérations ne seront pas soumises à l'examen attentif d'une autorité régulatrice ? Si l'on désire faire disparaître les points d'ombre du territoire mondial, il faut interdire les transactions financières avec ces zones. Il existera alors un règlement explicite auquel tout le monde se pliera.

Je ferai la même remarque sur le niveau de fiscalité. L'optimisation fiscale est selon moi beaucoup plus importante en volume que la fraude fiscale. La fraude fiscale sert de paravent au problème de l'optimisation fiscale. Tant que les différences de fiscalité existent, au nom de quel jugement peut-on empêcher les agents économiques d'optimiser leur situation ? Il faut donc réduire les différences de fiscalité. A nouveau, nous sommes confrontés à une responsabilité explicite du politique. Les jugements moraux ne donneront pas de résultats. Une taxe supplémentaire à l'échelle nationale ne sera pas non plus efficace, puisqu'il est possible de déplacer les opérations. Beaucoup de sujets, qui d'ailleurs sont souvent de dimension internationale, reposent sur la volonté politique.

Merci de m'avoir écouté.

M. François Pillet . - Je donne la parole à notre rapporteur.

M. Eric Bocquet . - Merci de vos propos introductifs.

J'adhère à l'idée de volonté politique. Vous parlez de prise de conscience collective. Nous sommes effectivement en train de franchir une étape en France, en Europe et dans le monde. La dimension internationale renvoie à la nécessité de travailler ensemble.

Vous avez dirigé un établissement bancaire important. Avez-vous été confronté à cette problématique de l'évasion off-shore ?

M. Jean Peyrelevade . - Bien sûr. Je vous donnerai deux exemples.

J'ai organisé les financements aéronautiques du Crédit Lyonnais et j'ai financé dans ce contexte toutes les exportations d'Airbus entre 1974 et 1981. Nous avons utilisé des plateformes dans les places off-shore pour tirer partie d'avantages fiscaux. Nous les répercutions sur le client final, ce qui était un moyen de baisser les taux d'intérêt et donc le coût du financement et de favoriser les exportations françaises. Cela se pratique toujours sur les exportations d'avions et sur les ventes de bateaux. Certains pays sont spécialisés dans l'immatriculation de bateaux.

Un autre exemple plus récent concerne le Luxembourg. Nous avons besoin dans la vie internationale de structures intermédiaires. Je m'occupe de la restructuration de la SAUR. Les trente banquiers, souvent étrangers, ayant prêté de l'argent à la SAUR doivent être regroupés dans une structure intermédiaire. Il est normal que cette structure soit placée dans un pays où il n'y a pas de frottement fiscal, comme le Luxembourg. Cela découle d'un regard professionnel d'optimisation fiscale. Le but est que le client final paye des taux d'intérêt moins élevés. Les grandes entreprises font en sorte qu'en toute légalité, leurs charges fiscales soient les moins élevées possibles.

M. Eric Bocquet . - Vous disiez ne pas approuver ce genre de pratique d'un point de vue moral. Vous tolérez donc l'optimisation jusqu'à ce qu'elle soit abusive. Où se situe alors la limite de l'acceptable ?

M. Jean Peyrelevade . - Cela relève de ma morale personnelle. Il n'existe pas pour l'instant de jugement collectif sur cette question. Je suis choqué, en tant que citoyen, que Google ne paie pas d'impôts. Je ne condamne pas cependant Google. Le législateur doit changer la loi.

M. Eric Bocquet . - Un lien plus étroit entre la valeur économique et la valeur fiscale ne devrait-il pas être noué ?

M. Jean Peyrelevade . - Je suis tout à fait d'accord avec cela. Toute la presse véhicule l'information selon laquelle les grandes entreprises françaises ne payent que 8 ou 9 % d'impôt sur les sociétés alors que les PME en payent 28 ou 30 %. Ces chiffres n'ont aucune signification à mes yeux, tant que la relation n'est pas faite entre la charge fiscale et le pays de création de valeur. L'INSEE et le fisc sont incapables d'arriver à une vision commune. Les grands patrons ne souhaitent apparemment pas éclairer cette relation, ni d'ailleurs les politiques. La holding est taxée en France. Elle regroupe tous les dividendes produits à l'étranger, sur lesquels des impôts ont déjà été payés dans le pays d'origine, ainsi en sens inverse que la totalité de la dette.

Les deux phénomènes jouent en sens inverses. Finalement, personne ne sait quel est le rapport entre le montant de création de valeur produite sur le territoire français et les impôts payés sur ce même territoire.

M. Eric Bocquet . - Une comptabilité pays par pays va tout de même être imposée aux banques. Certains souhaiteraient élargir cette comptabilité à l'ensemble des grands groupes. N'est-ce pas une réponse en matière de transparence et de justice ?

M. Jean Peyrelevade . - Je suis en effet favorable à cette mesure. La comptabilité nationale ne mesure pas la création de valeur à l'étranger. Toutefois, les comptabilités des grandes entreprises ne sont pas nécessairement établies par pays aujourd'hui. Je regrette que l'on ne dispose pas de quatre chiffres simples : la proportion de la valeur ajoutée créée en France et à l'étranger et la proportion des impôts payés en France et à l'étranger.

M. Eric Bocquet . - Je reviens à votre activité de dirigeant d'établissements bancaires. Combien de filiales étaient installées dans des territoires off-shore ? Quelles étaient les raisons de l'existence de ces filiales ? Le recours à des juristes chargés de structurer fiscalement les produits était-il une pratique courante ?

M. Jean Peyrelevade . - Qu'appelez-vous un territoire off-shore ?

M. Eric Bocquet . - La liste française des territoires considérés comme tels n'est toujours pas publiée à la date d'aujourd'hui. Vous en avez toutefois donné des critères assez significatifs.

M. Jean Peyrelevade . - Il est rare de retrouver sur un même territoire les quatre critères cités. Je disposais de filiales en Irlande, à Monaco, au Luxembourg, au Panama, en Suisse. Je ne crois pas avoir eu de filiales aux Bermudes, aux îles Caïman ou au Lichtenstein.

M. Eric Bocquet . - Quel type d'activités y étaient menées ?

M. Jean Peyrelevade . - Cela dépend des territoires. Quand j'étais président du Crédit Lyonnais, je ne pouvais pas inspecter depuis Paris la filiale suisse qui faisait de la gestion de fortune. Le secret bancaire s'opposait à la maison-mère. Je ne pouvais contrôler que l'existence et les moyens techniques du contrôle interne. Je ne pouvais procéder moi-même aux inspections ni avoir le résultat détaillé des inspections.

M. Eric Bocquet . - Avez-vous vécu cela comme un problème ?

M. Jean Peyrelevade . - C'était bien entendu un problème. Cependant, nous n'en tenions pas complètement compte, entrant ainsi en contradiction avec la loi suisse.

Mme. Marie-Hélène des Esgaulx . - Pour BNP Paribas, le chiffre de 300 filiales off-shore a été cité. Les conditions de création de filiales sont-elles aussi draconiennes que celles régissant la création d'une banque ?

M. Jean Peyrelevade . - Cela dépend des réglementations locales. Il est par exemple très difficile et très coûteux de créer une banque en Suisse. Certains pays autorisent à créer des succursales, ce qui est beaucoup moins coûteux.

Mme. Marie-Hélène des Esgaulx . - Je comprends que ces filiales sont créées dans l'intérêt du client. Elles constituent également un avantage pour les banques en termes d'optimisation fiscale.

M. Jean peyrelevade . - Il y a plusieurs motifs de création d'une filiale. Mais les banques ne les créent pas pour leurs besoins propres. Seulement pour ceux de leur clientèle.

Tout d'abord, elle permet d'atteindre une clientèle locale. J'ai par exemple créé une filiale au Maroc destinée à servir la clientèle marocaine. Par ailleurs, une filiale donne accès à un meilleur service pour des motifs légitimes au regard de la législation existante. Une filiale peut être créée en Irlande dans le but de profiter d'un taux d'impôt sur les sociétés particulièrement bas, qui sera répercuté sur les clients. Enfin, la filiale peut avoir pour but de servir une clientèle propre dont vous savez qu'elle se livre à la fraude fiscale. Je n'ai jamais pratiqué cela. De mon point de vue, c'est très condamnable et très minoritaire en volume par rapport à l'optimisation fiscale.

Mme. Marie-Hélène des Esgaulx . - A combien chiffreriez vous le montant minimum d'une transaction pour qu'il soit intéressant de la déplacer dans un paradis fiscal ?

M. Jean Peyrelevade . - Cela dépend de l'agent économique. Le particulier, qui trouve toujours que ses impôts sont trop élevés, est très vite tenté. J'ai connu un citoyen français qui, après avoir passé plusieurs années à l'étranger, continuait à y encaisser des revenus manifestement non déclarés. Il est venu me voir pour me demander de l'aider à les rapatrier en France. La tentation apparaît à partir de quelques centaines de milliers d'euros. Les sociétés ne font pas d'optimisation fiscale avant que le montant des transactions n'atteigne plusieurs millions d'euros.

M. Roland du Luart . - Je pense que l'optimisation fiscale est légitime si la croissance de l'entreprise est mise en péril par l'excès d'impôt. Une harmonisation fiscale est quoi qu'il en soit nécessaire en Europe.

Par ailleurs, des propos diffamants ont été tenus l'année dernière sur des entreprises du CAC 40. Il leur a été reproché de conserver des avoirs à l'étranger plutôt que de les faire fructifier en France. Je ne trouve pas illégitime qu'un groupe comme Total, qui ne produit que 8 % de sa valeur ajoutée en France, paye ses impôts dans les pays où il crée sa valeur ajoutée.

L'augmentation considérable de la fiscalité n'a pas engendré l'augmentation attendue des recettes fiscales. Selon la formule, « trop d'impôt tue l'impôt ».

M. Jean Peyrelevade . - Je partage cette approche. Le politique doit s'attaquer au problème de l'évasion fiscale. L'optimisation fiscale est inéluctable tant que l'harmonisation fiscale n'est pas atteinte. Les pouvoirs politiques français successifs n'ont jamais attaqué sérieusement ce problème car tous savent que le taux français diminuerait dans l'hypothèse d'une harmonisation fiscale.

Par ailleurs, au fur et à mesure que la discipline fiscale de chaque pays se renforcera, ce seront désormais les activités elles-mêmes qui se déplaceront. Toutes les entreprises du CAC 40 disposent de plans pour le déménagement de leur siège social. Un exemple est le régime des résidents non domiciliés à Londres. J'ai essayé à plusieurs reprises d'attirer l'attention des politiques sur cette question. Les avantages sont effectivement énormes. Votre revenu et votre patrimoine ne sont plus imposés nulle part, sauf à Londres sur vos revenus britanniques uniquement.

M. Jean-Yves Leconte . - L'une des motivations de la création de filiales ne peut-elle être d'optimiser les exigences des différentes supervisions bancaires en mutualisant les fonds propres par exemple, participant ainsi à la fragilisation du système bancaire global ?

Par ailleurs, vous avez indiqué que certaines entreprises n'ont pas de comptabilité par pays. Elles sont pourtant cotées. L'exigence de transparence pourrait être défendue par les marchés également. Les investisseurs n'ont-ils pas intérêt à savoir où est créée la valeur ajoutée ? Ne peut-on limiter les outils de transfert, comme les dividendes ou les facturations de prestations ? Enfin, j'aimerais aborder la question des prix de transfert. Comment mieux contrôler les transferts de la création de valeur d'un pays à l'autre ?

M. Jean Peyrelevade . - Si les niveaux de fiscalité sont harmonisés, le problème du prix de transfert disparaît. La question des brevets est d'ailleurs très intéressante. Certains pays ne fiscalisent pas les redevances des brevets. Les portefeuilles de brevets peuvent donc être placés dans ces pays. Si les niveaux de fiscalité sont très différents, l'activité elle-même se déplacera.

En tant que législateur, il est normal que vous soyez attaché au périmètre du pays. Toutefois, une grande entreprise ne raisonne pas ainsi. Total, par exemple, raisonne par métiers : production, exploration, raffinerie, chimie. Le groupe s'intéresse avant tout à la performance de chacun des métiers. La situation géographique est un problème second par rapport à la bonne santé de telle ou telle branche de Total. La notion de pays n'est pas cohérente pour agréger les données du groupe. Il répondra donc aux demandes explicites du régulateur mais ne le fera pas de manière spontanée.

La comptabilité d'une filiale faisant des opérations bancaires sur la totalité de l'Afrique n'est pas décomposée par pays. Les groupes ne pratiquent pas spontanément la comptabilité analytique par pays.

Le pays n'est pas une notion adaptée à la structure actuelle des échanges tels qu'ils se produisent dans le monde. Il faut organiser la rencontre entre des autorités fiscales nationales et des opérateurs économiques qui n'ont pas les mêmes critères de jugement. Les groupes ne sont pas attachés à un territoire pour des raisons économiques, mais pour des raisons politiques. Les entreprises opèrent un jugement froid sur leur situation géographique.

L'entreprise peut faire des métiers complètement différents. Elle sera consolidée en branches différentes à l'intérieur du groupe.

M. Michel Becot . - Dans le cadre que vous décrivez, il me semble impossible de faire payer l'impôt à ces entreprises sans harmonisation fiscale. Elles peuvent fabriquer en France mais facturer leurs produits à partir d'une filiale située dans un autre pays.

M. Jean Peyrelevade . - Je reviens aux quatre chiffres dont je parlais plus tôt. Supposons que l'on dispose de ces chiffres. Si l'impôt payé en France est plus élevé par rapport à l'impôt payé dans le reste du monde, vous avez entièrement raison. Je suis convaincu que tous les groupes du CAC 40 investissent proportionnellement davantage à l'extérieur de la France pour cette raison.

M. Michel Becot . - L'optimisation fiscale ne me choque pas, à condition qu'elle soit encadrée par des règles légales, acceptables. Sinon, ce n'est plus de l'optimisation.

M. Jean Peyrelevade . - J'appelle « optimisation » le déplacement légal d'écritures dans un premier temps et d'activités dans un deuxième temps. Ce n'est pas de la fraude fiscale.

M. Jacques Chiron . - Nous avons rencontré en Suisse l'Association des banquiers privés suisses. Ils ont remarqué qu'une grande partie de l'argent placé en Suisse est rapatrié en France à un moment donné. Les clients ont besoin de financement pour leur activité propre privée. Je m'interroge sur les montages financiers qui permettent le retour de cet argent en France.

M. Jean Peyrelevade . - Quelqu'un peut sortir de l'argent frauduleusement, comme en Amérique latine auparavant ou en Russie en ce moment, afin d'être complètement défiscalisé. Si cet argent est ensuite nécessaire localement, il est possible d'utiliser une plateforme étrangère pour se prêter son propre argent. C'est autorisé. La balance des paiements du pays concerné n'est pas affectée, mais l'impôt est perdu.

Les banquiers suisses ont basé leur prospérité sur la fraude fiscale. Je ne connais pas de corporatisme plus aigu et plus efficace que celui des banquiers suisses. Pour la première fois, ils sont en train de changer de discours.

M. François Pillet . - Nous allons passer aux derniers échanges avec le rapporteur.

M. Eric Bocquet . - Je voudrais juste citer ce mot d'un ancien parlementaire suisse : « rien ne bouge en Suisse sans l'accord des banques ». Cela conforte ce que vous venez de dire.

J'aimerais revenir sur vos propos concernant la filiale suisse du Crédit Lyonnais, à l'époque où vous le dirigiez. Cette situation de manque de contrôle interne m'interpelle.

Avez-vous eu connaissance de l'existence d'abus de biens sociaux à partir d'une filiale implantée dans un paradis fiscal ?

N'est-ce pas un grand risque financier et donc économique de ne pas pouvoir exercer de contrôle sur la filiale en question ? Ne conviendrait-il pas de faire évoluer cette règle ? Cela nous ramène à la question de la volonté politique et de son expression via la modification de la loi.

M. Jean Peyrelevade . - Le risque devient en effet gigantesque lorsque le manque de transparence est opposé à la maison-mère.

M. Eric Bocquet . - Les autorités de contrôle peuvent-elles jouer un rôle dans ce contexte ?

M. Jean Peyrelevade . - C'est pour moi une autre façon de souligner l'importance de la volonté politique. Il n'y a qu'une façon de faire. Si un pays ne respecte pas les règles de régulation internationales, le régulateur doit intervenir. Il peut interdire aux banques de travailler dans un pays au nom de l'intérêt général et de la stabilité du système financier. Je m'étonne que le régulateur ne soit pas plus ferme sur la question. J'ai pour ma part communiqué les problèmes liés à la Suisse au régulateur français. Il a agi sur le régulateur suisse, et je crois que cela a depuis changé. Sur les éléments de fraude, la loi doit déléguer au régulateur et celui-ci doit prendre ses responsabilités. Toutefois, si on agissait unilatéralement, cela mettrait le système financier français en situation de faiblesse par rapport aux systèmes financiers concurrents.

M. Eric Bocquet . - Un chiffre très frappant nous a été communiqué au moment du débat sur la loi bancaire : 26 % seulement de l'activité des banques françaises est en lien avec l'économie réelle.

M. Jean Peyrelevade . - Je ne vois pas d'où vient ce chiffre. Selon mon expérience, une grande banque française classique produit 80 ou 90 % de sa valeur ajoutée en lien avec l'économie réelle.

M. François Pillet . - Nous vous remercions chaleureusement d'avoir partagé votre expérience.

M. Jean Peyrelevade . - Je vous remercie de m'avoir reçu et écouté.

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