AUDITION DE M. FRÉDÉRIC IANNUCCI, DIRECTEUR EN CHARGE DE LA DIRECTION NATIONALE DES ENQUÊTES FISCALES
M. François Pillet , président. - Monsieur le Directeur, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité en vous rappelant les dispositions du code pénal en cas de faux témoignage... Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
M. Frédéric Iannucci. - Je le jure.
M. François Pillet , président. - Je vous invite à nous présenter vos réflexions et suggestions...
M. Frédéric Iannucci. - Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur, Madame la sénatrice, quelques propos introductifs pour essayer d'aborder une partie des différents sujets qui figurent dans le questionnaire transmis par votre commission.
La Direction nationale d'enquêtes fiscales (DNEF) est une direction à compétence nationale de la direction générale des finances publiques (DGFiP). Elle est basée à Pantin et comprend environ 400 agents. Elle intervient en matière de recherche et de collecte du renseignement fiscal, et effectue des enquêtes pour détecter les fraudes les plus importantes.
Son objet principal est d'alimenter, à partir de ses recherches et enquêtes, les autres services de la DGFiP en propositions de vérifications ou de contrôles, qu'il s'agisse des directions nationales, comme la Direction des vérifications nationales et internationales (DVNI) et la Direction nationale de vérification des situations fiscales (DNVSF), mais également les Directions interrégionales de contrôle fiscal ou les brigades départementales de contrôle.
C'est le seul service de la DGFiP habilité à mettre en oeuvre des procédures de visite domiciliaire et de saisie, conformément à l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, sur autorisation du juge judiciaire.
La DNEF n'effectue elle-même qu'un nombre limité de vérifications de comptabilités d'entreprises, essentiellement pour lutter contre la fraude internationale en matière de TVA - « carrousels TVA » - ou fraude à la TVA sur les moyens de transport et les véhicules d'occasion notamment. Elle est dans ce domaine la correspondante pour la France du réseau Eurofisc, qui échange entre pays membres de l'Union européenne des données relatives à la TVA. Elle procède à un certain nombre de demandes d'assistance administrative auprès d'autres Etats et répond aux demandes d'assistance administrative provenant de ces Etats.
Trois sources de programmation se combinent :
- Nous développons beaucoup l'analyse « risque », qui repose sur le croisement de bases de données ou d'informations issues de l'assistance administrative internationale et vise à identifier, par des requêtes informatiques, des incohérences et des ruptures de comportement.
- La seconde source concerne la recherche de renseignements, qui repose sur la mobilisation et la fiscalisation d'informations externes, en provenance d'autres services en charge de la lutte contre la fraude -police, gendarmerie, justice, affaires sociales, TRACFIN, Etats étrangers- ou de sources complètement extérieures -aviseurs.
- Enfin, la mobilisation des informations existantes repose sur l'exploitation des faits constatés ou d'informations transmises par les services gestionnaires ou vérificateurs.
La DNEF est placée sous l'autorité du service du contrôle fiscal de la DGFiP, qui assure une mission de pilotage et de coordination des différents services de recherche et de contrôle, en particulier de l'activité des trois directions nationales.
Pour répondre par avance à l'une des questions qui m'ont été adressées par votre commission, je précise que la DNEF n'a aucun contact direct avec le ministre ou son cabinet, sauf si le ministre nous fait l'honneur de sa visite à Pantin, comme il l'a fait en juin dernier. Elle rend compte de son action à sa direction générale.
Sur les sujets en lien avec la commission d'enquête, la DNEF a engagé plusieurs actions spécifiques ces dernières années pour identifier des avoirs détenus à l'étranger auprès d'établissements financiers.
Nous avons lancé une opération de droit de communication auprès des banques et établissements financiers, en application de l'article L. 96 A du livre des procédures fiscales.
Ce droit de communication est intervenu en deux vagues, tout d'abord en novembre 2010 auprès de 449 banques pour leur demander de nous indiquer les transferts de capitaux d'un montant supérieur à 15 000 €, effectués sur certaines périodes, à destination d'une quinzaine de pays non coopératifs ou pratiquant le secret bancaire.
Nous avons identifié 8 000 contribuables, dont 1 200 ayant réalisé un virement sur un compte à l'étranger présumé leur appartenir. Ils ont fait l'objet d'un contrôle sur pièces de leur dossier fiscal et, pour certains, de contrôles plus lourds, actuellement en cours d'achèvement.
La deuxième vague a eu lieu en février 2012, auprès de 775 banques, en vue de compléter les informations reçues précédemment et de couvrir une période plus récente, sur des informations relatives aux années 2009 à 2011, en modifiant légèrement les seuils de virement et les pays ciblés. Cela a permis d'identifier un peu plus de 1 100 personnes physiques, résidant en France et présumées avoir réalisé des virements sur un compte à l'étranger leur appartenant, ce qui n'est pas en soi interdit mais qui, dans certains cas, peut permettre de déceler des comptes non déclarés.
La DNEF s'est par ailleurs mobilisée sur plusieurs affaires, d'ampleurs différentes, qui ont conduit à l'identification de comptes non déclarés à l'étranger.
La plus importante est l'affaire HSBC. Vous avez auditionné récemment M. Falciani à ce sujet.
Ce dossier a mobilisé sur une très longue période une part importante des moyens de la DNEF. M. Eckert, rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a fait un point précis et actualisé sur le traitement de ce dossier par les services de Bercy en juillet dernier. Ce rapport a été établi à partir de l'ensemble des données auxquelles M. Eckert a pu avoir accès conformément à son pouvoir de contrôle sur pièces et sur place. Je suis à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.
La DNEF a reçu l'ensemble de données informatiques réparties dans de multiples fichiers transmis par M. Falciani et a travaillé en partie en liaison avec lui sur le décryptage de cette masse de données qui, contrairement à ce qui a été souvent présenté, n'était pas une liste achevée de contribuables, à l'origine, mais des données qu'il a fallu retraiter de manière assez complexe pour identifier les résidents français détenant des comptes à l'étranger.
La DNEF a fait un nombre important de propositions en matière de vérifications de contrôles, qui ont été traitées par les directions nationales de contrôle dont vous avez auditionné les responsables.
Des informations relatives à des comptes à l'étranger ont été fournies par d'autres Etats, comme dans l'affaire dite du Lichtenstein. Fin 2007 et début 2008, les autorités britanniques, puis les autorités allemandes, ont transmis à la France des documents contenant une liste de 200 noms, regroupés en 64 groupes familiaux. Ces dossiers ont fait l'objet de procédures de contrôles. Les autorités allemandes et britanniques nous transmettent régulièrement des informations nominatives sur des détentions de compte à l'étranger.
L'autre affaire célèbre est celle de l'Union des banques suisses (UBS). Une instruction judiciaire est en cours pour démarchage bancaire et financier illicite et blanchiment de fraude fiscale en bande organisée. Le secret de l'instruction ne me permet pas d'être plus disert sur notre activité. L'administration fiscale s'est constituée partie civile, et collabore régulièrement avec la justice dans cette affaire. Elle tirera les conséquences fiscales qui s'imposent si l'instance établit que des contribuables français ont ouvert et détiennent des comptes non déclarés à l'étranger.
Le dernier élément récent qui nous amène à procéder à des investigations est la publication par un consortium international de journalistes d'investigation de bases de données, plus de 2,5 millions de documents divers concernant 120 000 sociétés offshore -l'affaire « Offshore Leaks ».
L'enjeu est pour nous d'avoir connaissance des liens avec des personnes domiciliées en France. Il ne semblerait pas y en avoir énormément en première analyse. Cette base de données est très intéressante car elle indique les liens entre des personnes et des structures situées dans des pays à fiscalité privilégiée, mais elle ne donne pas de références sur les comptes bancaires ou les montants financiers. C'est important pour corroborer les informations ou nous mettre sur certaines pistes, mais cela ne permettra pas d'avoir l'équivalent des informations fournies par M. Falciani, par exemple.
Suite à ces différentes opérations, et notamment l'affaire HSBC, la DNEF a mis en place en 2010, après avis de la Commission nationale informatique et liberté (CNIL), un fichier EVAFISC qui a pour objectif de recenser les informations laissant présumer la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Ce fichier a vocation à collecter toutes les informations dont nous pouvons disposer à l'occasion des différents contrôles. Il est à la disposition des autres services de la DGFiP et est également consulté par les services de police, de gendarmerie ou parfois les douanes. Ce fichier contenait, au 30 juin 2013, environ 9 000 noms de personnes physiques. Il s'agit de présomption de détention comptes bancaires à l'étranger et non pas toujours d'éléments certifiés.
Pour conclure, ces propos introductifs, je voudrais mentionner deux points.
Grâce à l'action du législateur -et le projet de loi de lutte contre la fraude en est une nouvelle démonstration- l'administration dispose de moyens juridiques renforcés vis-à-vis des acteurs établis sur le sol national, et en particulier vis-à-vis des banques. Notre action est par nature beaucoup plus limitée vis-à-vis d'organismes situés à l'étranger. Un dispositif généralisé d'échanges spontanés ou automatiques d'information est seul en mesure de lever une partie importante de ces contraintes.
Il convient de bien distinguer l'action de l'administration fiscale de celle des autorités judiciaires, même si notre action est de plus en plus coordonnée. Notre action vise avant tout à appréhender des sommes qui ont échappé à l'impôt. Celle du juge a un spectre plus large.
L'administration a bien entendu la possibilité de proposer des poursuites pénales, ce qu'elle fait pour les fraudes les plus graves, y compris en amont de tout contrôle, en recourant à la police fiscale.
Nous utilisons le plus possible la notion de complicité de fraude fiscale, afin que le juge puisse poursuivre toutes les personnes qui aident ou assistent le contribuable dans la commission de l'infraction elle-même, mais l'établissement d'éventuelles complicités nécessite de réaliser des investigations judiciaires lourdes pour établir leur rôle de facilitateur de la fraude fiscale. Lorsque nous saisissons le juge, nous prenons le soin de viser l'auteur présumé des infractions et ses complices. Nous appelons systématiquement l'attention des parquets sur ce sujet au moment du dépôt de plaintes pour fraude fiscale et, en qualité de partie civile, au cours de la procédure judiciaire.
Par ailleurs, en matière d'escroquerie, nous sommes amenés à porter plainte fréquemment, notamment en matière de lutte contre les carrousels de TVA, et en matière de blanchiment, à informer les autorités judiciaires ou TRACFIN.
M. François Pillet , président. - Merci.
La parole est au rapporteur...
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Quels sont les critères de programmation de vos contrôles au sein de la DNEF ? Quel outil d'analyse experte utilisez-vous ?
M. Frédéric Iannucci. - Les méthodes de programmation reposent sur trois sources. L'analyse risque monte en puissance depuis quelques années. Elle consiste à détecter le plus tôt possible les comportements de nature à laisser présumer des fraudes.
Cela repose par exemple sur l'analyse de l'évolution d'une société. Une société qui change souvent de forme sociale ou brusquement d'activité peut ainsi donner des indices laissant présumer sa participation à certains types de fraudes. Historiquement, pour la DNEF, l'enjeu financier le plus important concerne la TVA. Cela a été le point de départ de la mise en place de ces outils d'analyse risque. L'analyse risque est de plus en plus importante, quand la CNIL nous en donne l'autorisation. Nous n'avons en effet, à ce jour, pas encore reçu celle de croiser les données relatives à l'impôt sur le revenu avec celles relatives aux impôts professionnels.
La seconde source de programmation réside dans les contacts avec d'autres services de l'Etat, notre partenaire privilégié étant les douanes, avec lesquelles nous avons des conventions, des échanges d'agents et des transmissions d'informations régulières. TRACFIN est également un partenaire quotidien. La justice est une source d'alimentation importante des dossiers. Des agents de la DNEF sont en poste au sein du Palais de justice de Paris, afin d'essayer de regarder dans les dossiers judiciaires ce qui peut nous intéresser, en plus des transmissions effectuées par les magistrats. Nous sommes aussi en contact régulier avec les services de police et de gendarmerie.
La troisième source de programmation, ce sont les informations purement fiscales, à partir de celles qui nous remontent des services gestionnaires, qui identifient des éléments anormaux dans le comportement fiscal du contribuable, qu'il soit personne physique ou morale.
Nous utilisons un outil qui s'appelle SAS, qui permet de faire de l'analyse de données, ainsi que différents logiciels plus pointus pour essayer d'écrire des environnements fiscaux, établir les liens entre différentes personnes ou structures par des schémas.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Vous êtes amenés à avoir des contacts avec les pays étrangers. Comment se passent les relations avec les banques suisses ou luxembourgeoises ?
M. Frédéric Iannucci. - Mon service a des relations avec les administrations fiscales étrangères, mais nous n'avons pas de relations directes avec les banques étrangères.
En cas de demande d'assistance administrative, l'administration centrale effectue la démarche ; le pays y répond plus ou moins bien, et plus ou moins vite.
Depuis 2011, grâce à Eurofisc, les pays membres s'échangent spontanément un nombre important d'informations sur les sociétés, dont elles cotent le risque, en confrontant leur expérience et leurs données.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - A quel moment la DNEF a-elle été saisie officiellement de l'affaire HSBC ?
M. Frédéric Iannucci. - Vous faites référence à une période à laquelle je n'étais pas en fonction. L'autorité judiciaire a transmis officiellement les informations à la DGFiP en juillet 2009, ce qui a constitué la base de nos travaux.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Vous n'êtes donc pas intervenus avant cette date ?
M. Frédéric Iannucci. - M. Eckert explique très bien les différentes étapes : M. Falciani a antérieurement pris contact avec la DNEF. C'est à la suite des perquisitions faites sur commission rogatoire suisse que les données ont pu être utilisées officiellement et servir de base aux procédures fiscales.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Le Parisien, dans son édition du 8 septembre, faisait état d'une hausse assez spectaculaire des saisies de liquide par les douanes. Avez-vous été informés de ces éléments ? Quel est votre commentaire à ce sujet ?
M. Frédéric Iannucci. - La Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) nous a informés de ces éléments. Nous sommes en contact afin d'exploiter au mieux ces informations, qui concernent à la fois les mouvements de fonds déclarés et ceux non déclarés de la France vers l'étranger et de l'étranger vers la France.
Nous avons eu une réunion de concertation la semaine dernière pour étudier la nature de l'information dont disposaient les douanes, et la manière dont elle pourrait être exploitée fiscalement.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Quel est le niveau des enjeux fiscaux impliqués en général dans les affaires que vous avez évoquées ?
M. Frédéric Iannucci. - C'est assez difficile à dire. Les affaires sont très différentes les unes des autres. Dans l'affaire HSBC, le montant des droits et pénalités issus des redressements atteignait, en juin, 186 millions d'euros. Il a dû progresser depuis. Ce sont des sommes conséquentes. Dans d'autres affaires, le montant peut être plus réduit. Il n'y a pas de règle générale. Cela dépend de la qualité de l'information, du caractère récent ou non de celle-ci. Nous avons parfois des listes, mais avec des éléments incomplets, des noms sans les adresses, des comptes sans les noms. C'est un travail minutieux, sans avoir toujours la garantie de pouvoir exploiter toutes les informations.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - La DNEF a-t-elle collaboré avec M. Falciani pour exploiter les données HSBC ?
M. Frédéric Iannucci. - La DNEF a été en contact téléphoniquement avec M. Falciani en 2009. Il nous a beaucoup aidés à décrypter et à mettre en relation les différentes données d'un fichier qui était d'une taille volumineuse, avec des tables de correspondance entre des séries de chiffres et de codes. C'est grâce à son intervention que nous avons pu exploiter une partie des informations et extraire une liste des contribuables.
Nous avons été également en contact avec lui à son retour d'Espagne. Il nous a à nouveau informés de modalités de traitement complémentaires qui pourraient être appliquées aux informations qu'il nous avait fournies.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Ces contacts sont-ils toujours en cours.
M. Frédéric Iannucci. - Nous avons été en contact au mois de juillet, et devons avoir d'autres contacts, s'il le veut bien...
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Tout un débat a eu lieu sur la façon, dont ces documents sont sortis de Suisse. Avez-vous été associés aux démarches qui ont permis à ces documents de quitter ce pays ?
M. Frédéric Iannucci. - Je ne vois pas à quoi vous faites allusion. M. Falciani a amené ces documents en France. Le juge nous les a ensuite transmis officiellement. Nous ne sommes bien entendu pas allés les chercher en Suisse.
L'origine des documents constitue un sujet qui peut freiner notre action, si le juge considère que l'origine des documents annule la procédure fiscale.
Un arrêt de la Cour de cassation a invalidé une procédure de saisie fiscale au motif de l'illégalité de l'origine des informations, quand bien même elles auraient été transmises par le juge, d'où l'intérêt de la disposition figurant dans le projet de loi de lutte contre la fraude, qui permet d'utiliser officiellement des informations transmises par le juge, l'assistance administrative ou un droit de communication.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Indépendamment des auditions que nous organisons, nous adressons des questionnaires à des entreprises, notamment à des banques, au sujet de comptes non déclarés. L'une d'elles -une banque suisse en l'occurrence- nous a retourné ledit document, en nous répondant qu'elle a déjà signalé à TRACFIN des transactions effectuées par des personnes politiquement ou médiatiquement exposées, en précisant : « Depuis 2007, notre établissement a effectué trois signalements à TRACFIN relatifs à des personnes politiquement exposées ». Trois dates sont citées : mars 2011, juillet 2012, et avril 2013. Disposez-vous d'éléments qui corroborent ces informations ?
M. Frédéric Iannucci. - TRACFIN nous transmet régulièrement des signalements qui transitent par l'administration centrale de la DGFiP. Nous en avons reçu 165 en 2012. Je ne puis dire de manière abrupte si l'un d'eux correspond à ceux que vous a signalés la banque.
Par nature, certains signalements peuvent concerner des personnalités sensibles et exposées. Il faudrait que nous puissions voir avec vous, dans un cadre bilatéral, à partir des faits constatés, si l'on retrouve ces éléments, le secret fiscal ne me permettant pas, en tout état de cause, de parler de dossiers nominatifs devant votre commission en formation plénière.
M. François Pillet , président. - Les banques sont-elles toujours exemptes de critiques dans les transferts de fonds que vous jugez douteux ?
M. Frédéric Iannucci. - Du point de vue fiscal, je n'ai pas à porter d'appréciations sur l'attitude générale des banques, que je ne veux pas stigmatiser. Nous avons, vis-à-vis des banques situées en France, des moyens d'investigation et de vérification très élaborés, et je ne peux vous signaler de comportement particulièrement anormal. En revanche, parmi les établissements bancaires étrangers, il peut y avoir tous les cas de figure, mais cela relève des instructions judiciaires en cours pour savoir si ceux-ci sont complices de fraudes, s'ils ont démarché leurs clients pour les inciter à faire de la fraude fiscale. L'administration fiscale ne dispose pas de tous les éléments d'information, d'analyse ou d'investigations qui lui permettent de rentrer sur le terrain de la recherche de complicité pour l'accomplissement de la fraude fiscale.
Nous regardons concrètement si nous parvenons à appréhender des sommes qui ont échappé à l'impôt et à faire payer les contribuables. S'il apparaissait qu'un établissement bancaire lui-même fraude l'impôt, il ferait bien entendu l'objet d'une vérification. La DVNI vérifie régulièrement les banques et réalise des redressements pour irrégularité au regard de la gestion fiscale, mais nous n'avons pas directement d'éléments pour apprécier l'honorabilité générale des établissements bancaires étrangers.
M. François Pillet , président. - Votre réponse est parfaitement claire au regard des banques françaises.
Mme Nathalie Goulet . - J'aimerais que vous donniez quelques détails sur le service fiscal du palais de justice. J'ai été avocat durant une quinzaine d'années. Il existait alors un service fiscal à qui l'on payait un timbre pour enregistrer les affaires. S'agit-il de celui-ci ?
Par ailleurs, vous avez évoqué de la CNIL et sa réticence à vouloir croiser des fichiers, ce que l'on comprend très bien. Le Gouvernement, le Parlement et le Sénat ayant toutefois fait de la fraude et de la lutte contre les réseaux un vrai sujet, quelles seraient vos préconisations pour que la CNIL, sous certaines conditions, puisse vous autoriser à croiser ces fichiers ?
D'autre part, recevez-vous des dénonciations ? Si c'est le cas, dans quelle quantité ?
Enfin, faut-il mettre au crédit de la coopération internationale le blocage d'une somme supérieure à un million d'euros, relative à un transfert de fonds de Bernard Tapie, du Danemark en direction d'un autre pays, sujet dont la presse s'est fait récemment l'écho ? Ce serait là le signe que les administrations et les institutions judiciaires fonctionnent bien au niveau européen. Ce serait là une bonne nouvelle...
M. Frédéric Iannucci. - Sur la dernière question, j'avoue ma totale incompétence sur l'affaire Tapie. Je ne connais pas les éléments que vous évoquez.
S'agissant du premier point, il existe un bureau de liaison de la DNEF au sein du tribunal de grande instance de Paris et du tribunal de commerce. Les agents de la DNEF gèrent les liaisons entre la DNEF et ces tribunaux. Il s'agit d'un rôle administratif et d'un rôle d'analyse. Les magistrats sont très ouverts et nous avons accès aux dossiers. Nous pouvons donc, grâce aux agents en poste au palais de justice, obtenir un certain nombre d'informations utiles du point de vue fiscal. C'est un bureau de liaison qui facilite les relations entre l'autorité judiciaire et l'administration fiscale. Il nous arrive de demander à un juge d'avoir accès à des instructions en cours, ou à des procès-verbaux, en application des textes législatifs.
En ce qui concerne la CNIL, je n'ai pas fait état de réticence de sa part, mais la CNIL se livre à un examen technique approfondi des demandes, dans un souci légitime de protection des données. Ce sont des dossiers dont l'examen nécessite un certain temps. Au fur à mesure que nous progressons dans les sujets d'analyse risque, de croisements de données, la CNIL pose un certain nombre de questions auxquelles nous répondons. Je n'identifie pas de blocage de la part de cette autorité administrative indépendante. Nous sommes toutefois dans un univers très juridique. Toutes nos procédures répondent à des conditions très strictes, sous le contrôle du juge et chaque acteur vérifie scrupuleusement les possibilités techniques et juridiques d'utilisation des différentes données.
S'agissant des informations extérieures, un certain nombre de personnes viennent nous voir pour nous livrer des informations de nature fiscale, sur des motivations diverses, mais non financières puisque nous ne rémunérons par les aviseurs, contrairement à d'autres services de l'Etat. Dans le meilleur des cas, cela peut être par esprit civique, dans le pire avec des motivations que vous pouvez imaginer... Nous prenons le plus grand soin de nous assurer de la fiabilité des informations qui nous sont transmises et vérifions que nous ne sommes pas instrumentalisés par la personne qui nous contacte. Nous effectuons un travail de fiabilisation de la source, comme dans le cadre de l'affaire HSBC, afin de déterminer dans quelle mesure les informations sont utiles et exploitables.
Je ne puis quantifier, par rapport à l'ensemble des propositions de contrôles que nous faisons, la part relative à ces informations. Elles ne suffisent pas toujours à elles seules, et il nous faut les recouper par d'autres éléments. Nous ne déclenchons pas des opérations lourdes de contrôle à chaque lettre de dénonciation signée que nous recevons. Nous essayons de recouper les informations, de mesurer les enjeux et d'en vérifier la pertinence.
Certaines sources peuvent être importantes, comme dans l'affaire HSBC, avec les risques inhérents à ce genre d'informations, qui peuvent parfois être motivées par de la malveillance ou par une certaine volonté de nuire.
M. Yvon Collin . - Comment s'effectue la coordination avec votre direction des enquêtes déclenchées par les douanes, TRACFIN ou autres ?
Par ailleurs, quels sont les taux de poursuites pénales pour fraude fiscale dans la masse des affaires traitées par votre direction ?
M. Frédéric Iannucci. - La coordination avec les autres organismes se fait selon un cadre juridique spécifique pour chacun d'eux.
Il existe un protocole entre la DNEF et la DNRED, qui prévoit des échanges d'informations spontanés, des réunions sur des dossiers particuliers, afin de coordonner notre action. L'analyse des mouvements des fonds nous occupe conjointement. Deux agents de la DNEF sont détachés au sein de la DNRED. Ils aident celle-ci à réaliser des extractions de nos applications informatiques sur des personnes. Un agent de la DNRED est en poste au sein de la DNEF, afin de nous aider dans nos travaux.
La coopération avec la DNRED est ancienne et solide, et se fortifie par la transmission régulière de bulletins d'informations entre les deux services.
Le partenariat de TRACFIN avec la DGFiP fonctionne depuis 2009 en matière fiscale. La branche de la DGFiP ayant une activité bancaire réalise quant à elle depuis longtemps des déclarations de soupçon auprès de TRACFIN. TRACFIN nous envoie de son côté des fiches de signalement. Nous en avons reçu plus de 500 depuis 2009, et 165 en 2012. Nous essayons de notre côté d'établir des notes d'information pour aider TRACFIN dans l'exercice de ses missions. Les informations de TRACFIN sont très précieuses et donnent lieu à un nombre important de vérifications et de contrôles.
Les relations avec l'autorité judiciaire sont bien encadrées par les textes. Les juges sont très sensibles à l'aspect fiscal, et nous transmettent bien volontiers, et spontanément, un nombre important d'informations de qualité.
J'ai eu l'occasion, en juillet, d'avoir une réunion avec des magistrats pour coordonner l'action contre la fraude à la TVA sur les véhicules d'occasion. Les réflexes sont bien ancrés -magistrats, douanes, DGFiP- pour coordonner les actions de vérification d'entreprises identifiées, afin que les services ne se gênent pas entre eux, une perquisition fiscale pouvant par exemple alerter les personnes ciblées judiciairement. Les relations sont donc excellentes avec toutes ces entités.
Les relations avec la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) sont différentes ; nous faisons des propositions de dossiers, qui transitent par notre administration centrale, celle-ci saisissant le procureur pour confier lesdits dossiers à la BNRDF. Nous n'avons donc pas de relations quotidiennes.
Quant aux taux de poursuite pénale, la DNEF effectue directement très peu de vérifications de comptabilités -une centaine par an, sur un secteur très ciblé, celui de la lutte contre la fraude à la TVA en matière internationale. Ces dossiers sont fortement « correctionnalisés ». Nous faisons soit des propositions de poursuites correctionnelles, soit nous portons plainte pour escroquerie. En combinant les deux, en 2012 -de mémoire- nous avons saisi le juge de 38 dossiers.
C'est un taux de poursuites pénales très important, mais la vérification elle-même n'est pas notre activité principale. Ce sont plutôt la DNVSF ou la DVNI qui effectuent les procédures sur les gros dossiers.
M. Michel Bécot . - Combien compte-t-on de poursuites ?
M. Frédéric Iannucci. - Les outils de suivi statistiques ne nous permettent pas d'identifier, à partir des propositions que nous faisons, le taux de poursuites correctionnelles sur l'ensemble des propositions. Au niveau national, on arrive à environ 1 100 propositions de poursuites correctionnelles par an.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - La DNEF connaît-elle le nombre de comptes de particuliers et d'entreprises détenus à l'étranger ?
M. Frédéric Iannucci. - Il faut distinguer la situation des entreprises et celle des particuliers. Pour les entreprises, il n'y a pas d'obligation de déclaration des comptes à l'étranger. Nous ne les connaissons donc pas. Les particuliers ont une obligation déclarative spécifique. En 2011, environ 108 000 foyers fiscaux ont déclaré détenir un compte à l'étranger, étant précisé qu'un foyer peut détenir plusieurs comptes.
Par définition, nous ne connaissons pas le nombre de comptes non déclarés. Néanmoins, le fichier EVAFISC contient des informations concernant environ 9 000 personnes. C'est sans doute un chiffre très éloigné de la réalité !
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Lorsqu'un individu est intercepté à nos frontières avec des centaines de milliers d'euros en liquide, la DNEF est-elle systématiquement amenée à enquêter sur la situation de cet individu ?
M. Frédéric Iannucci. - Les douanes nous transmettent de manière détaillée leurs constatations en matière de transfert de capitaux. Si l'enjeu est important, nous sommes systématiquement amenés à étudier l'environnement fiscal de la personne à l'origine de ces transferts de fonds, notamment le fait de savoir si elle est résidente fiscale en France ou non. Si elle ne l'est pas, cela limite nos possibilités d'action.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Lors d'une audition, M. Bernard Salvat nous a dit : « La DNEF ne prend pas les dossiers des personnalités, uniquement si la Direction générale le lui demande ». Comment expliquer cet assujettissement à l'échelon supérieur ? Existe-t-il des cas où des dossiers sont retenus par la Direction générale ? Si la DNEF n'enquête pas sur ces dossiers, d'autres services peuvent-ils le faire ?
M. Frédéric Iannucci. - Les déclarations de Bernard Salvat, directeur de la DNEF jusqu'en mai dernier, ont été faites dans le cadre d'une autre commission d'enquête, portant sur un événement particulier ayant conduit à la démission d'un membre du Gouvernement. Elles s'inscrivent dans un contexte différent. Vous comprendrez qu'il ne m'appartient pas de les commenter.
J'ai été nommé à la DNEF en mai 2013, et ne peux vous parler que de ce que je connais. Une part importante de l'activité de la DNEF concerne les entreprises, dont les enjeux de fraudes sont souvent majeurs mais, depuis quelques années, la DNEF a développé une activité en direction des personnes physiques, face à un nombre de plus en plus important de sujets patrimoniaux.
Sur ce point, la DNEF dispose d'une entière autonomie dans le choix de ses thèmes d'enquête, et ne demande pas d'autorisation pour s'intéresser à telle ou telle personne physique ou morale. Dans les faits, et en fonction de l'actualité, il arrive que l'administration centrale dispose d'informations qu'elle nous transmet pour enquête, comme par exemple dans le cas des informations de TRACFIN, qui transitent par elle et nous arrivent ensuite.
Pour être tout à fait clair, lorsque la DNEF enquête sur un dossier susceptible d'avoir un retentissement médiatique, elle en informe naturellement son administration centrale, afin que celle-ci puisse, à son tour, en informer le ministre. C'est une pratique ancienne, de bon sens, qui a été rappelée par la « circulaire Baroin » du 2 novembre 2010. Le ministre écrivait : « Vous me tiendrez informé des dossiers susceptibles d'avoir un retentissement médiatique ». L'administration centrale, par ailleurs, est parfois en mesure d'apporter un soutien technique aux directions de contrôle, sur des questions de méthode ou de procédure, l'environnement étant sur ces points très complexe, avec des cas souvent inédits. La DNEF en discute par conséquent avec l'administration centrale, qui exerce un rôle général d'animation et de pilotage afin de bien coordonner l'action des services.
Depuis mon entrée en fonction, seule période sur laquelle je puisse apporter un témoignage direct, il ne m'a jamais été demandé de renoncer à des investigations sur des dossiers de personnalités. Il m'est arrivé de prendre l'initiative de telles recherches. Les pratiques de l'administration sont claires et transparentes, même si elles alimentent souvent beaucoup de questions à l'extérieur.
Je n'ai jamais eu, dans mes fonctions ou dans des fonctions antérieures, en matière de contrôle fiscal, d'instructions me demandant de ne pas traiter tel ou tel dossier, ou de traiter expressément une personne sans motif valable.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - La DNEF a-t-elle été amenée à travailler sur le dossier concernant l'ancien ministre du budget, qui a été amené à démissionner ?
M. Frédéric Iannucci. - Les éléments concernant le rôle de la DNEF dans cette affaire ont été expliqués de manière très détaillée dans le cadre de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Je n'ai pas d'éléments particuliers à ce sujet.
Un point pouvait concerner la DNEF, sur des faits remontant à 2001 dans une brigade située à Bordeaux, mais ces éléments n'ont eu, sur le fond, aucune influence sur les faits reprochés récemment à l'ancien ministre du budget.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - S'agissant des entreprises bancaires ou financières, la DNEF a-t-elle eu l'occasion de constater des cas de blanchiment ou de fraudes fiscales réalisées pour compte propre, des cas de complicité de fraude fiscale, ou des cas d'évasion des capitaux pouvant laisser supposer une préparation en vue d'éventuelles fraudes ?
M. Frédéric Iannucci. - Certaines notions relèvent davantage selon moi du monde judiciaire, comme le blanchiment de fraude fiscale, qui constitue une construction prétorienne, suite à un arrêt de la Cour de cassation de 2008, voire les notions de complicité. D'après nos éléments, l'ampleur de certains procédés peut laisser supposer que la banque n'est pas complètement étrangère à quelques mécanismes. L'administration fiscale ne recherche toutefois pas d'éléments intentionnels qui caractérisent des infractions pénales autres que fiscales, mais des sommes soustraites à l'impôt. Nous nous attaquons donc en priorité aux contribuables, que ce soit la personne physique qui détient le compte, ou la banque elle-même si la banque fraude vis-à-vis de ses obligations fiscales.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Pourriez-vous décrire ces mécanismes ? Quel constat avez-vous été amené à dresser, à travers les enquêtes que vous menez sur les dossiers que vous venez d'évoquer ?
M. Frédéric Iannucci. - Les données transmises concernant la banque HSBC étaient assez complètes -identification des comptes, montants- et comportaient une traçabilité des échanges entre la banque et ses clients. Ces éléments sont maintenant portés à l'appréciation des juges d'instruction qui mènent les enquêtes, pour voir s'il existe des notions de complicité dans différents domaines.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Je suppose qu'il est pour vous important de comprendre comment ces comptes non déclarés sont alimentés...
M. Frédéric Iannucci. - Dans l'affaire HSBC, pour une grande partie des cas, il s'agissait de comptes assez anciens. Différentes étapes, dans notre histoire récente, ont suscité des phénomènes d'ouvertures de comptes à l'étranger. Beaucoup de comptes étaient d'origine familiale, hérités au fil des générations, et d'autres alimentés plus récemment par d'autres sources, mais que nous ne sommes pas toujours en mesure d'identifier de manière précise, sauf si nous avons des renseignements extérieurs de la part d'informateurs.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Menez-vous des recherches pour parvenir à ces réponses ?
M. Frédéric Iannucci. - Le juge judiciaire mène des investigations poussées pour établir la réalisation ou non d'infractions visées par le code pénal. Nous ne sommes pas, quant à nous, dans un rôle de juge d'instruction. Nous essayons d'appréhender des sommes qui ont échappé à l'impôt.
M. Yvon Collin . - Votre direction peut-elle consulter directement TRACFIN pour s'assurer de l'existence ou de l'absence de signalement ?
Par ailleurs, lorsqu'une enquête établit qu'un signalement aurait dû être effectué par TRACFIN, ce constat emporte-t-il des suites ?
M. Frédéric Iannucci. - Les relations avec TRACFIN sont définies de manière précise par les textes. Les dispositions du code monétaire et financier ne prévoient pas la possibilité, pour la DGFiP, de solliciter TRACFIN pour s'assurer de l'existence ou de l'absence d'un signalement. Le système repose sur l'envoi par TRACFIN, de sa propre initiative, des informations, soit à la DGFiP, soit à l'autorité judiciaire.
Par ailleurs, si une banque n'a pas émis de signalement auprès de TRACFIN alors qu'elle aurait dû le faire, et si cela constitue une infraction, nous saisissons le procureur de la République, en application de l'article 40 du code de procédure pénale. Je ne sais si, à l'occasion d'une vérification de comptabilité d'entreprise, le vérificateur est en mesure de vérifier que, sur une transaction particulière, une déclaration de signalement n'a pas été effectuée auprès de TRACFIN. Cela pourrait, si le cas se présente, faire l'objet d'une note d'information de la DGFiP en direction de TRAFCIN, afin de lui signaler le cas.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Etes-vous parfois confronté à des obstacles et, si oui, de quelle nature ? Je pense à des obstacles liés à l'opacité de certaines structures, à des trusts implantés dans certains territoires -fiducie, fondations...
M. Frédéric Iannucci. - Tous les mécanismes aboutissant à opacifier les circuits financiers constituent pour nous des obstacles. Le trust est le montage juridico-économique typique qui nous met en difficulté, puisqu'il y a une sorte de dissociation entre la propriété juridique et la propriété économique. Or, nous ne pouvons taxer que la personne disposant de fonds.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Comment surmontez-vous cette difficulté ?
M. Frédéric Iannucci. - Nous y parvenons grâce au renforcement des obligations déclaratives. L'arsenal législatif prend de plus en plus en compte la situation des trusts. Le législateur français a eu la sagesse de ne pas appliquer la fiducie aux opérations à transmission à titre gratuit. Mais cela repose sur des éléments déclaratifs. Nous retombons là sur les sujets de territorialité de notre action. Nous ne pouvons bien entendu pas aller sur place vérifier la nature de ces entités, qui sont très souples -c'est tout leur intérêt, dans le monde anglo-saxon notamment - et cachent des intérêts difficiles à déceler.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Etes-vous amenés à solliciter l'intervention d'avocats fiscalistes ? Les professions du chiffre collaborent-elles bien ?
M. Frédéric Iannucci. - Il ne s'agit pas exactement d'une relation de collaboration. Nous avons, en interne, des agents formés de manière pointue sur les différents sujets juridiques et fiscaux.
La DGFiP s'intéresse à l'actualité, participe à différents colloques ou séminaires. La DNEF ne demande pas de consultations ponctuelles à des professionnels du droit ou de la fiscalité qui, d'ailleurs risqueraient de nous opposer leur secret professionnel et ne souhaiteraient sans doute pas trahir l'intérêt des clients qu'ils défendent. La déontologie de la profession d'avocat les mettrait je pense quelque peu en porte-à-faux.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - J'imagine que la commercialisation de fiducie par des banques, depuis le Luxembourg ou la Suisse, vous complique la tâche en matière d'investigations...
M. Frédéric Iannucci. - En effet...
M. Éric Bocquet , rapporteur. - La plus grande banque française pratique-t-elle à votre connaissance ce genre de commercialisation ?
M. Frédéric Iannucci. - Je ne peux répondre à cette question. Cette banque ne peut instituer de fiducie sur le territoire national destinée à effectuer des transmissions à titre gratuit, car cela n'est pas autorisé par la loi. Quant à la pratique des banques hors de nos frontières, mes connaissances sont limitées.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Vos enquêtes donnent-elles lieu à publication d'un rapport, qui pourrait nous intéresser ?
M. Frédéric Iannucci. - Comme toute structure administrative, nous rendons compte de notre activité annuelle, mais ces rapports ne sont pas nominatifs. Nous sommes en effet tenus à des règles assez strictes en matière de secret professionnel.
Nous disposons d'éléments quantitatifs sur le nombre de procédures que nous engageons au titre de telle ou disposition législative, sur les montants des droits redressés ou des pénalités, mais nous n'avons pas de bilan annuel qui indique de manière nominative les entreprises ou particuliers ayant fait l'objet de travaux de notre part.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - Un questionnaire en retour d'une banque suisse fait le bilan des déclarations de soupçons effectuées depuis 2004.
En avril 2011, par exemple, cette banque précise que, pour manque de cohérence dans l'opération envisagée, pour un montant de 3 120 880 500 euros, il n'a pas été donné suite à l'ouverture de compte.
Juin 2011 : doute sur une transaction immobilière.
Juillet 2011 : suite à réquisition judiciaire, incohérence dans l'identification du client.
Février 2012 : comportement douteux du client ; 7 800 000 euros ; compte mis sous surveillance accrue.
Juillet 2012 : activité atypique sur le compte ; déclaration globale non liée à une opération particulière ; compte mis sous surveillance accrue.
Mai 2013 -date à laquelle vous êtes arrivé à la DNEF : soupçon de fraude fiscale pour un montant de 30 000 000 euros ; compte mis sous surveillance accrue.
Sans trahir le secret fiscal, cela corrobore-t-il l'information que vous avez. Ce dossier est-il passé entre vos mains ?
M. Frédéric Iannucci. - Je vois mal comment je pourrais répondre sans trahir le secret fiscal. Par nature, ce sont des informations susceptibles de nous parvenir. Je ne peux vous répondre précisément sur les cas évoqués. Je n'ai pas en mémoire tous les cas qui nous sont soumis. Si vous souhaitez, de manière directe, que nous puissions nous rencontrer ou échanger sur ces questions, en application des pouvoirs que vous donne la commission d'enquête, je suis tout à fait disposé à effectuer les recherches correspondant aux cas que vous évoquez.
M. Éric Bocquet , rapporteur. - J'accepte votre proposition !