AUDITION DE M. FRANÇOIS PÉROL, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE DU GROUPE BPCE
(mardi 16 juillet 2013)
L'audition a eu lieu à huis clos.
AUDITION DE M. HERVÉ FALCIANI, ANCIEN CADRE INFORMATICIEN DE LA BANQUE HSBC
M. François Pillet . - Monsieur Hervé Falciani, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « Je le jure ».
M. Hervé Falciani. - Je le jure.
M. François Pillet . - Je vous en remercie.
Mes chers collègues, puisqu'il s'agit d'un sujet dont nous connaissons un certain nombre de contours, je vous propose de laisser directement le rapporteur interroger Monsieur Hervé Falciani. Nous aurons ainsi davantage de temps pour échanger.
M. Eric Bocquet. - Je vous remercie, Monsieur le Président. Je remercie également Monsieur Falciani d'avoir accepté notre invitation. Vous avez été auditionné hier par l'Assemblée nationale, démontrant les nombreuses sollicitations dont vous faites l'objet depuis le début de cette « affaire HSBC ». Vous le savez, cette commission a trait particulièrement au rôle des banques et des acteurs financiers dans l'évasion fiscale. Face à l'immensité et à la complexité de cette thématique, nous poursuivons nos travaux démarrés lors d'une première commission l'année dernière. Notre objectif est de formuler des propositions concrètes afin de sortir de la situation actuelle. Je me félicite par ailleurs que ce sujet soit régulièrement évoqué dans les médias.
Monsieur Falciani, ma première question porte sur les fichiers révélés. Comment y avez-vous eu accès ? Dans quelles conditions avez-vous soupçonné que des documents HSBC contenaient des preuves de transferts illicites ?
M. Hervé Falciani. - Je vous remercie de me recevoir et de me donner l'occasion de partager ces éléments qui relèvent de la préservation de nos intérêts fondamentaux.
Afin d'avancer vers la justice de manière consistante, j'ai récolté un ensemble de preuves à même de supporter ce que je souhaitais dénoncer au plus haut niveau. J'ai entrepris cette démarche en constatant que l'une des plus grandes banques mondiales, dont la mission première était de protéger l'intérêt de ses clients, avait en réalité pour seule intention de se soustraire à ses obligations. Sa logique de contournement se traduisait par des manquements en termes de régulation et de contrôle du coeur de l'activité bancaire d'aujourd'hui : les outils informatiques.
J'ai pu récolter des preuves par l'intermédiaire de personnes ayant accès à des fichiers que je ne pouvais moi-même consulter. Je rappelle que lorsque j'ai quitté HSBC, j'étais en charge des analyses techniques au sein du département des projets stratégiques. Ces projets devaient permettre à la banque de s'adapter aux réglementations et aux tentatives de régulation. Pendant des années, j'ai été témoin de son évolution, non pas vers un renforcement du contrôle des opérations qui avaient lieu en son sein, mais vers la soustraction à ses responsabilités.
M. Eric Bocquet. - Vous évoquez « nos intérêts fondamentaux » : quels étaient les vôtres ? Pourriez-vous également nous expliquer vos fonctions exactes et le déroulement de votre carrière au sein d'HSBC ? Je salue par ailleurs votre attitude. Quels éléments vous ont mené à agir ainsi ?
M. Hervé Falciani. - Je suis né à Monaco, où mon père exerçait au sein d'une banque privée. J'associais alors ces banques à la préservation des biens de personnes. La situation des clients de l'époque était souvent singulière. Nombre d'entre eux se partageaient entre plusieurs pays en raison de leur activité professionnelle ou avaient quitté leur pays pour cause de guerre civile. Ils mettaient alors leurs biens en sécurité, à Monaco notamment.
Lorsque je rejoins HSBC en 2000, j'intègre le service de recherche et développement local de l'antenne monégasque. Dans la continuité de ma vision de protection des biens, mon ambition est de doter la banque d'outils informatiques permettant un meilleur contrôle des opérations bancaires. Dans le même temps, je souhaite participer à la réflexion sur la traçabilité des biens. Pourtant, je m'aperçois rapidement que la volonté réelle de la banque est d'élaborer des systèmes moins performants en termes de sécurité et de contrôle. J'ai participé à des projets allant à l'opposé de la protection des intérêts du client. Des gestionnaires présentant un risque pour la réputation de la banque sont invités à quitter leur fonction avant même que la réputation de l'établissement ne soit mise à mal. Les outils d'analyse et de suivi des opérations permettent de dédouaner la banque. Elle ne l'aide pas à agir en tant qu'acteur responsable de la place financière.
M. Eric Bocquet. - Veuillez m'excuser de revenir sur ce point, Monsieur Falciani, mais quel élément vous décide à exploiter ces fichiers ?
M. Hervé Falciani. - Dès mon arrivée, un projet est mis en place à Monaco. Il permet de révéler les malversations d'un gestionnaire au détriment des clients. Stephen Troth sera ainsi confondu. Dans ce cadre, je participe à des programmes européens au sein de la direction établie à Genève. Je collabore par exemple au projet EDMS relatif à la gestion électronique des documents. Officiellement, le système doit conserver une version numérique des fichiers. En réalité, il nous est demandé de substituer à un système fiable, un système permettant de modifier les données. Ces dernières ne sont en effet plus enregistrées sur des supports inaltérables tels que les disques optiques. Je prends alors conscience que nous entrons dans une nouvelle ère, dans laquelle il devient possible d'agir sur les éléments qui attestent du patrimoine d'un client.
M. Eric Bocquet. - Est-ce ce que vous entendez par « malversations » ?
M. Hervé Falciani. - Il s'agit effectivement de malversations. Je réalise le décalage entre l'action et l'intention affichée. Avant d'être lanceur d'alerte, j'ai tenté d'oeuvrer de l'intérieur afin de redresser la barre. Dans le cadre de ce projet, et avec la participation de consultants IBM, nous réalisons un rapport attestant des manquements et des risques sécuritaires qu'implique le remplacement de l'ancien système. C'est dans ce contexte que je continue mon avancée au sein de la banque, d'analyste technique à head of technical analyst . J'ai organisé un colloque international sur la sécurisation des passages d'ordre ; il s'agit de l'une des dernières actions que j'ai menées en interne en vue d'assainir le fonctionnement d'HSBC. Jusqu'à la fin, même si je savais que je ne pourrais rien réaliser de probant depuis l'intérieur de la banque, j'ai continué à alerter les responsables. J'ai tenté de lutter contre ces agissements. Depuis, nous avons tous été témoins des conséquences des manquements de régulation de l'outil informatique.
Suite à leur arrestation pour blanchiment d'argent issu du trafic de drogue, les frères Elmaleh ont mis en cause HSBC. La banque a fermé le département dans lequel officiaient les personnes incriminées et a demandé aux clients de clôturer leurs comptes. Elle aurait dû chercher à savoir si certains de ses clients étaient répréhensibles ou si des employés étaient complices. Encore une fois, au lieu d'aider à l'efficacité financière et à la probité des opérations, la banque entre dans une démarche d'évitement. Chaque dérive dont je suis témoin m'incite à prendre des risques afin d'amener la justice à s'intéresser à ces agissements.
Malgré mes sollicitations, les autorités suisses ne sont pas intervenues. J'ai donc contacté les autorités françaises et appelé la brigade de la police judiciaire contre la haute délinquance financière. C'est elle qui me met en relation avec l'Administration fiscale. J'insiste sur le contact préalable de la justice suisse. Pour que ces éléments de preuves soient à disposition de la justice française, j'ai reçu le soutien logistique des services de renseignements. Je le répète, mon poste au sein d'HSBC ne me donnait pas accès aux informations sensibles. Après avoir été sécurisées, les données ont été remises à la justice. Des agents des services secrets de renseignements nous ont fourni le support logistique. Une des limites diplomatiques réside dans l'absence d'alternative aux renseignements lorsqu'il s'agit de transparence et d'opacité. Nous devons acter leur utilité. Il faut comprendre que l'observation mutuelle entre alliés peut être réalisée pour d'excellentes raisons.
Je n'ai pas tenté de faire parvenir les documents aux médias. Je différencie en effet l'étalage public et la transparence nécessaire à la préservation de notre intérêt général. Seules des personnes mal intentionnées ont un intérêt à l'absence de transparence.
M. François Pillet. - Avez-vous toujours des contacts personnels avec des salariés disposant d'informations mais n'ayant pas accepté de les communiquer ?
M. Hervé Falciani. - Je connais effectivement différentes personnes qui seraient à même d'apporter des éclaircissements. Le plus difficile n'est pas de connaître leur existence mais bien de savoir comment leur permettre de communiquer sans risques.
M. François Pillet. - Avez-vous toujours des contacts avec ces personnes ?
M. Hervé Falciani. - Oui, et je continue d'avoir des informations sur l'évolution du système. Je sais que d'autres pays s'équipent de systèmes de renseignements leur permettant de conserver une vision à jour de ce qu'il se passe.
M. Eric Bocquet. - Je comprends mal les éléments vous ayant conduit à avoir de forts soupçons quant au contenu de fichiers auxquels vous n'aviez pas accès.
M. Hervé Falciani. - J'ai bénéficié de l'aide de personnes en interne afin d'accéder à ces documents. Afin de m'assurer que ces preuves seraient uniquement à disposition de la justice, j'ai dû recourir à des expertises pour sécuriser et transporter ces informations. Il faut distinguer l'obtention et la mise à disposition. C'est sur ce dernier point que j'ai bénéficié de l'aide des services de renseignements. Ils ne sont, à ma connaissance, pas intervenus dans l'obtention. Leur intervention faisait suite à une demande de ma part. Je me suis en effet trouvé dans une situation inextricable, sans savoir comment faire parvenir à la justice des informations sécurisées. J'ai alors alerté les services d'Etat à même de m'aider dans ma démarche. Aujourd'hui, malgré l'aide factuelle qu'elles m'ont apportée, je n'ai toujours pas l'assurance de la réelle identité de ces personnes.
M. François Pillet. - Les pièces vous ont-elles été fournies anonymement ?
M. Hervé Falciani. - J'ai eu deux rôles : l'acheminement des éléments vers la justice et la vérification de leur consistance. J'ai obtenu tous les documents par l'intermédiaire de personnes que je connaissais. Après m'être assuré de leur intégrité, j'ai bénéficié de l'assistance des services de renseignements afin de les mettre à disposition de la justice.
M. Eric Bocquet. - Avez-vous pris le temps d'analyser une partie des fichiers avant de vous en saisir ? Le cas échéant, qu'en avez-vous retenu ? Des noms ou des montants d'encours ont-ils particulièrement retenu votre attention ?
M. Hervé Falciani. - Je ne me suis en aucun cas intéressé aux opérations bancaires ou aux noms figurant dans ces documents. J'ai tenu à récupérer l'intégralité des systèmes montrant la permissivité de la banque. Ces systèmes contiennent effectivement les noms des clients. Cependant, mon unique objectif était de récupérer les éléments explicatifs du fonctionnement de la banque. J'ai transmis tous les documents en l'état afin que personne ne puisse attaquer leur authenticité. Je ne me suis en aucun intéressé aux listes de noms.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Le Ministre des Finances de l'époque avait déclaré ne pas pouvoir utiliser la liste de noms qu'il avait à sa disposition puisque cette dernière avait été « volée » et illégalement fournie à la justice. Les mécanismes de transmission sont-ils, de votre point de vue, illégaux ? Vous évoquez par ailleurs les systèmes de compétences au service de projets stratégiques. Nous réfléchissons à la manière dont les Etats pourraient organiser leur riposte devant l'évasion fiscale. La mise en place d'une task forc e travaillant sur des projets stratégiques de lutte contre l'évasion fiscale vous semble-t-elle pertinente ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces projets stratégiques ?
M. Hervé Falciani. - En réponse à votre première question relative aux procédures judiciaires, je tiens à souligner que les services de renseignements ont permis la transmission des informations à la justice française par la justice suisse. Il s'agit là d'une première. Les demandes de saisies et de scellés de la commission rogatoire internationale ont permis à la France de récupérer ces informations. La transmission ne saurait se réaliser de manière plus directe et naturelle. Les déclarations d'un ministre évoquant des données volées constituent une manipulation ainsi qu'une entrave. Aujourd'hui encore, aucun jugement n'a été prononcé dans cette affaire. Un vol de données n'a jamais été évoqué. De mon point de vue de citoyen et de témoin, un élu qui prétend cela alors même qu'il doit soutenir les lois, agit à l'encontre de nos intérêts propres. Ce ministre a par la suite brandi une liste de noms ; il aurait pu n'en parler qu'un an plus tard, laissant ainsi le temps aux institutions judiciaires d'enquêter sans que les personnes visées ne soient alertées. De nombreuses obstructions ont eu lieu au plus haut niveau. Il a été demandé que les scellés soient retournés à la Suisse. Judiciairement, il s'agit d'une destruction de preuves. Ces preuves constituent par ailleurs une première dans la lutte contre l'opacité financière et l'évasion fiscale.
En réponse à votre seconde question, sachez que je trouve extrêmement important de lutter contre les différentes menaces. Je le disais, certaines personnes, au lieu de participer à la lutte contre la délinquance financière, prennent soin d'éviter toute exposition aux risques. Nous manquons d'autorités de substitution à ces acteurs. Il me semble primordial d'adopter la même dynamique d'adaptation de nos défenses que celle adoptée par les banques. Dans ce cadre, la constitution d'équipes comparables à celles d'un département de projets stratégiques me semble nécessaire. L'Espagne a mis en place un tel système autour du parquet anti-corruption. Ces équipes réuniraient un ensemble de compétences capables de récupérer des informations et de les analyser. Elles connaîtraient le métier ainsi que les opportunités offertes aux banques. L'évolution réglementaire est selon moi leur principale opportunité. Les banques se servent des tentatives d'entraves à leurs agissements afin de proposer un service d'évitement. En connaissant leur stratégie de contournement, nous pourrions prévoir un plan d'actions qui la contrecarrerait. Actuellement, ces services sont mis en place avant même l'application des réglementations.
M. Eric Bocquet. - Qui a formulé la commission rogatoire ayant permis de récupérer les fichiers ?
M. Hervé Falciani. - La commission rogatoire a été demandée par la justice suisse. Je n'ai pas quitté Genève avec les preuves que je souhaitais remettre à la justice française ; je les ai récupérées une fois en France. Lorsque la commission rogatoire s'exécute, les éléments sont saisis à mon domicile. Les scellés sont effectués par la gendarmerie nationale et directement transmis au parquet.
M. Eric Bocquet. - Sont-ils transmis par les services secrets ?
M. Hervé Falciani. - Non, les documents sont transmis directement suite à l'exécution de la commission rogatoire, sous la tutelle de la Suisse. Lorsqu'ils parviennent à la justice française, j'alerte le procureur Eric de Montgolfier sur l'intérêt de ces informations pour la préservation de nos intérêts fondamentaux. Je lui ai conseillé de ne pas les transmettre à la Suisse sans les regarder, contrairement à ce que cette dernière demandait. Grâce à son action, les preuves ont pu parvenir à la justice française.
M. Jacques Chiron. - Vous évoquiez un système d'évitement reposant sur des actes considérés comme criminels à l'échelon international. Si j'interprète correctement vos propos, la banque souhaitait éviter de déclarer certains comptes.
M. Hervé Falciani. - La problématique ne concerne malheureusement pas seulement cette banque. Si vous le permettez, je vais reformuler mes propos afin d'être certain de m'être bien exprimé.
Le système financier est, comme un oeuf, constitué d'une coquille ainsi que d'une matière molle. Dans la coquille se concentrent les responsabilités au regard notamment des institutions judiciaires suisses. Elle est constituée des gestionnaires de fortune. Les responsabilités du système financier reposent sur ces quelques individus. Pour des raisons commerciales, la banque leur accorde tous les services qu'ils demandent. S'ils agissent en contradiction avec ce qu'il leur est demandé, ils seront légalement responsables. Or nous ne pouvons pas leur attribuer cette responsabilité si nous ne décelons pas leur activité. Il s'agit là de la problématique de la banque ; sans contrôle auprès de la partie molle, nous ne pourrons que très difficilement restituer aux gestionnaires leurs responsabilités. La démarche est très subtile puisqu'en affinant la coquille et en l'éloignant de la matière molle de l'oeuf, la banque participe à notre incapacité d'action face aux comportements délictueux.
J'évoquais les frères Elmaleh ; j'aurais également pu vous citer l'exemple de Gao Ping, un chef de la mafia chinoise en Espagne. Il utilisait la banque HSBC de Genève pour deux cas de blanchiment. Judiciairement, seuls les intermédiaires seront exposés face à ces pratiques. La banque s'est, jusqu'ici, toujours maintenue hors de toute poursuite. Les réglementations ne permettront pas d'interférer avec ces comportements. Nous devons développer nos aptitudes et mettre en place des actions dynamiques. Il faudra se rapprocher des intermédiaires financiers. Lorsque les Etats-Unis demandent à la Suisse l'échange automatique des noms des clients, celle-ci accepte bon gré mal gré puisqu'elle aura trouvé un mécanisme d'évitement le temps que le processus entre en vigueur. En revanche, lorsque nous demandons à la Suisse de communiquer le nom de ses intermédiaires, nous assistons à une levée de boucliers. Nous arrivons ici à la limite de la coopération. Il ne s'agit pas de gros oeuvre mais d'orfèvrerie. Pour rivaliser avec les banques, nous devons acquérir leurs compétences. Pour ce faire, nous devons construire un environnement permettant à ces compétences de se développer.
M. François Pillet. - Les personnes ayant eu accès aux informations que vous révélez minorent le nombre de comptes incriminés, prétextant des doublons, l'existence de comptes déclarés ou soldés... Estimez-vous crédible que le nombre de départ se trouve ainsi divisé par quatre ou cinq ?
M. Hervé Falciani. - Je ne remettrai jamais en cause le travail de l'administration. Jusqu'ici, nous ne lui avons pas donné les moyens d'effectuer parfaitement sa mission. Or, sans une connaissance parfaite des mécanismes, nous ne pourrons exploiter les preuves à notre disposition. J'ai vécu ce phénomène puisque l'administration fiscale n'était pas en mesure d'étudier l'intégralité de la quantité astronomique d'informations que je lui ai apportées. Plusieurs mois ont été nécessaires afin d'exploiter la partie la plus intéressante, dans le seul cadre de leurs recherches fiscales qui n'épuise pas le problème. L'administration fiscale n'a pas été en mesure d'exploiter certaines informations relatives notamment aux intermédiaires car elle ne connaissait pas leur format de présentation.
Lorsque nous parlons de liste, nous parlons d'extraction, c'est-à-dire d'une prise de vue ciblée de l'organisme. De quels doublons parlons-nous ? Plusieurs centaines de milliers de comptes bancaires sont concernés. Des doublons existent puisqu'une personne peut en détenir plusieurs. Cela ne signifie pas pour autant que les informations sont redondantes. Par ailleurs, si nous ne connaissons pas les produits financiers disponibles, l'évaluation du patrimoine est faussée. Le dépôt fiduciaire consiste par exemple à déléguer la propriété d'un bien. Ainsi, un bien d'un million d'euros délégué pendant quelques mois apparaîtra en négatif. Le premier réflexe lors de l'évaluation des biens sera de soustraire cette somme au total. Or elle doit bien être incluse dans le patrimoine. Le patrimoine d'un client n'est pas un élément intuitif. Il ne peut être établi simplement à partir de quelques informations. Même en disposant de ces données, vous aboutirez à un décalage conséquent si vous n'êtes pas à même de les interpréter correctement.
M. François Pillet. - Comment un client déléguant la propriété de ses biens dans un contexte si occulte peut-il être assuré de récupérer l'intégralité de son argent, sans être lui-même victime de fraude ?
M. Hervé Falciani. - L'un des premiers éléments de compréhension transmis par mon père est que la banque est l'abnégation de la confiance. Chaque opération doit être visée et supervisée afin qu'une personne malintentionnée ne puisse détourner des biens. Lorsque mon père me transmettait ses connaissances, les supports ne pouvaient être effacés. Désormais, l'informatique permet des disparitions. Lorsque nous parlons de secret, nous revenons notamment aux fonds en déshérence. Ces derniers ne sont pas spécifiques à la Suisse ou aux autres Etats imposant un secret bancaire exigeant. Leur évaluation en France permet d'imaginer ce qu'il peut se produire derrière le mur du secteur bancaire suisse.
M. Eric Bocquet. - Vous disiez avoir quitté la Suisse sans les documents. Qui vous a aidé au transfert de ces données ? Les services secrets ont-ils eu un rôle concret dans cette opération ? Par ailleurs, dans quelles conditions la justice suisse vous a-t-elle identifié comme étant en possession de ces informations ? Enfin, quels ont été vos interlocuteurs au sein du Ministère des Finances français ? Un témoin a fait état de tractations au sein des services fiscaux. Pourriez-vous nous préciser leur objet ?
M. Hervé Falciani. - Je ne suis pas certain de bien comprendre votre dernière question.
M. Eric Bocquet. - Le juge de Montgolfier, que nous avons auditionné l'année dernière, faisait état de cette situation.
M. Hervé Falciani. - Je vais vous indiquer ce qui s'est passé entre mon départ de Suisse et le moment où j'ai commencé à travailler avec l'administration fiscale.
J'ai effectivement quitté la Suisse sans emporter d'informations avec moi. Les services de renseignements ont travaillé à la sécurisation des données afin qu'elles soient disponibles depuis n'importe quel pays. Nous évitons ainsi le risque qu'elles disparaissent avec moi. Les services de renseignements ont également organisé la perquisition suisse en France. Une fois les données perquisitionnées, donc à disposition de la justice française, j'ai simplement apporté mes éclaircissements quant à la nature des informations. Même les personnes les plus expertes dans ce domaine ne pourraient exploiter efficacement les documents tels quels. Lorsque j'ai fourni ces données, je ne disposais d'aucune information sur les compétences des agents. Ces derniers sont revenus vers moi en reconnaissant ne pas être en mesure d'exploiter le contenu des documents. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à travailler avec eux.
Les seules tractations que j'ai connues afféraient à l'organisation de séances de travail. Tout au long de ces années, j'ai gracieusement et volontairement apporté ma contribution à l'administration fiscale et à la justice. Ma seule limite était le temps qui m'était imparti pour réaliser cette tâche. Nous avons été victimes d'un certain nombre d'obstructions ; tout a en effet été organisé afin que je ne puisse apporter toute mon aide dans l'explication des mécanismes ou dans la mise en place d'une défense à la hauteur des menaces reçues. Aujourd'hui, les intentions sont différentes. Je suis certain que nous parviendrons à redresser la barre.
M. François Pillet. - Vous avez incontestablement une expertise très précieuse, donc monnayable. L'Etat français vous a-t-il proposé de vous indemniser pour cette expertise ?
M. Hervé Falciani. - L'Etat ne m'a jamais proposé de rémunération. J'ai gracieusement offert mon aide qui n'a été acceptée que dans des domaines limités. Nous cherchons un moyen afin que je puisse continuer cette lutte qui est devenue un engagement personnel et familial.
M. François Pillet. - Comment expliquez-vous les blocages qui vous sont opposés malgré votre expertise ?
M. Eric Bocquet. - Vous dites en substance qu'« on » ne vous a pas aidé. Qui nommez-vous par ce pronom ?
M. Hervé Falciani. - Je vais évoquer l'exemple le plus emblématique : le précédent Président de la République. Ce dernier prétend que les paradis fiscaux n'ont plus cours. Or sa seule action concrète dont je puisse témoigner a été de laisser le Panama continuer ses agissements. Le précédent gouvernement et son représentant ont mené une action afin de favoriser les dérives du Panama dans la gestion des patrimoines immobiliers. La présidence de Monsieur Sarkozy a été néfaste pour nos intérêts généraux. Au regard de ma connaissance des moyens de lutte nécessaires, je ne peux faire état d'une aide allant dans ce sens.
M. François Pillet. - Est-il exact que vous n'avez pas pu rencontrer Monsieur Cahuzac lorsque vous avez souhaité lui remettre des informations ?
M. Hervé Falciani. - Je vous le confirme. Cette lutte dépasse les visions politiques puisqu'elle touche l'intérêt général. Le pire est de laisser faire et de ne pas apporter son aide. De réelles actions contre une telle menace nécessitent un engagement. L'enjeu annuel s'élève à plusieurs dizaines de milliards d'euros. Un tel enjeu requiert un investissement qui ne peut être réalisé a minima . Je suis heureux de constater qu'un changement intervient dans l'administration. Si nous maintenons cet effort, nous pourrons enfin nous doter d'une défense adaptée à la menace.
M. Eric Bocquet. - Monsieur Falciani, pouvez-vous préciser ce que vous entendez par « actions contre » ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d'opérations ?
M. Hervé Falciani. - Les exemples sont nombreux. Les Etats-Unis sont un acteur phare de la lutte contre l'évasion fiscale. Ils ont cherché à mettre la pression sur les acteurs en révélant les mécanismes en place. Ils ont ainsi pu obtenir des informations. Ils ont également mis en place des réglementations telles que le qualified intermediary. Ce dernier permettait de taxer les ressortissants américains sur la base de l'origine des produits. Dans ce cadre, la banque agissait en percepteur pour les Etats-Unis. L'Europe a tenté de mettre en place ce système avec l' European Savings Directive . Seulement, la réglementation prévoyait de ne taxer que les personnes physiques et non les personnes morales. Les banques ont alors identifié les personnes pour lesquelles il se trouvait intéressant d'abriter leurs avoirs derrière une structure légale ou pouvant bénéficier de montages tels que les dépôts fiduciaires. Ces personnes devaient incontestablement modifier la nature de leurs avoirs afin d'éviter la taxation. Ainsi, les banques fournissent un service, payant certes, mais permettant aux personnes pénalisées de ne pas se soumettre à la loi. Nous sommes bien là dans une logique de contournement et de saisie d'opportunité commerciale.
M. Eric Bocquet. - Quelles ont été vos démarches en France afin de faire connaître ces fichiers ? Un récent rapport de l'Assemblée nationale fait état de votre déconvenue après que la DNIFF vous ait orienté vers le Ministère de l'Economie et des Finances. Quelles étaient les raisons de cette déconvenue ? Avez-vous été protégé dans l'intervalle ? Ce même rapport indique que vous regrettez le manque d'approfondissement de l'exploitation informatique. Est-ce exact ? Quelles lacunes identifiez-vous sur ce sujet ?
M. Hervé Falciani. - J'ai constaté un problème au niveau réglementaire. Nous avons en effet besoin de lanceurs d'alertes puisque la protection des témoins n'est pas satisfaisante. Nous touchons là à des lacunes dans la démocratie ainsi que dans la justice. J'aurais souhaité m'adresser directement à la justice, sans passer par une commission rogatoire internationale, mais la France ne le permet pas. Malgré la dangerosité avérée de HSBC, dont je rappelle qu'elle a déjà été condamnée à hauteur de 1,9 milliard de dollars, je ne pouvais pas transmettre ces informations à la justice française depuis la Suisse, à moins d'être dans le cadre d'une enquête déjà ouverte. J'ai été en contact avec l'administration fiscale probablement car il n'existe pas d'arsenal judiciaire permettant d'agir autrement. Des pays frontaliers tels que l'Espagne disposent d'un système sans ces lacunes. Je regrette sincèrement ce constat.
Concernant les moyens d'exploiter les données de manière plus proactive, je crois que nous devons être capables d'acquérir une connaissance et de l'enrichir. Je regrette que le précédent gouvernement n'ait pas pris les mesures nécessaires. Je suis optimiste sur le fait qu'ensemble, grâce à vous, nous arriverons à proposer des moyens d'avancer.
M. Eric Bocquet. - L'année dernière, nous avions auditionné Monsieur Parini, alors responsable de la DGFIP. Il nous avait confié ne pas avoir pu exploiter l'ensemble des fichiers. Que pensez-vous de cette appréciation ? Avez-vous été associé à ces travaux ?
M. Hervé Falciani. - J'ai récemment recontacté les agents de l'administration fiscale avec lesquels j'ai commencé à collaborer il y a cinq ans. Je leur ai demandé si, rétrospectivement, ils referaient cette aventure, démarrée dans la chambre d'un hôtel niçois. A ce moment-là, rien n'était prévu pour assurer notre sécurité ou celle du traitement des informations. Des personnes courageuses de l'administration fiscale ont participé à ce travail, à leurs dépens. Sans d'autres mécanismes parallèles, je ne m'y serais personnellement pas soumis. Il ne revient pas aux agents mais à leur hiérarchie de réunir les moyens nécessaires aux traitements de ces informations.
M. François Pillet. - Vous dites que la France ne dispose pas des moyens de l'Espagne. L'administration fiscale peut pourtant porter plainte. Le parquet peut directement ouvrir une enquête et éventuellement susciter une instruction pour blanchiment de fraude fiscale. Les pouvoirs des enquêteurs français ne sont certainement pas moindres que ceux des enquêteurs espagnols. Je comprends mal votre réserve et votre critique du système juridique.
M. Hervé Falciani. - Lorsqu'en 2008, j'entre en contact avec la police judiciaire, j'exerce encore au sein de HSBC. On me dit alors : « Nous ne pourrons pas utiliser vos informations dans un cadre judiciaire puisque nous ne pouvons attester de leur origine ; elles nous serviront de renseignements ». On me met alors en contact avec l'administration fiscale.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - En cas de fraude fiscale, l'administration est considérée comme compétente, sauf si cette dernière saisit la justice.
M. Hervé Falciani. - Nous nous situons avant cette problématique. Si je me présente en tant que témoin afin de dénoncer certains faits, je n'engage que ma parole. En revanche, si je fournis des éléments de preuves dont je ne peux attester l'origine, je peux être poursuivi pour recel. Il faut modifier ce régime.
M. Eric Bocquet. - Des banques françaises figuraient-elles parmi les personnes morales concernées par ces données ? Un rapport de l'Assemblée nationale cite certaines d'entre elles. Je vous pose la même question pour des entreprises non financières, des personnalités connues, notamment des personnalités politiques de premier plan.
M. Hervé Falciani. - Ma véritable expertise se trouve dans les mécanismes d'adaptation de la banque. Sur des données relevant des clients et des intermédiaires de la banque, ma contribution se limite au rappel du fonctionnement de la banque. La myriade d'intermédiaires avec lesquels elle travaille a nécessité que nous réunissions les efforts de différents ministères et de différents Etats.
L' intermediate banking , qui amène une banque à détenir des avoirs dans d'autres établissements, établit un maillage entre une multitude d'institutions financières. Sans n'avoir jamais consulté aucune liste, je ne peux imaginer que cette banque suisse ne soit pas en relation avec des banques françaises. Le fait que HSBC soit cliente d'établissements français peut nous exposer à un risque. Nous devons surveiller ces éléments. Les relations entre les banques françaises et suisses peuvent s'avérer dangereuses compte tenu de la présence de comptes miroirs ou nostro-loro . Les maillages sont répartis entre plusieurs banques. Une banque espagnole peut par exemple avoir un compte dans des banques françaises et suisses. Ainsi, sans avoir de comptes déclarés en Suisse, la banque française bénéficiera d'un circuit s'achevant à Genève. Il existe deux manières de concrétiser les relations entre les banques : les comptes et les transactions. La complexité des moyens de communication et des relations existantes montre le niveau du défi.
Concernant les noms de ministres potentiellement présents sur les listes, je crois qu'il ne faut pas présumer qu'un homme politique soit plus bête qu'un autre : il ne déclarera pas nécessairement son compte en nom propre. De nombreux moyens d'intermédiation permettent d'être rétribué de façon indirecte. Ainsi, vous n'avez aucun intérêt à vous exposer directement en détenant des biens en Suisse. Mieux vous connaîtrez les mécanismes, moins vous serez directement exposé.
M. Eric Bocquet. - De grandes entreprises sont-elles concernées par cette liste HSBC ?
M. Hervé Falciani. - Pour répondre, permettez-moi de revenir sur les logiques d'évitement. Lorsque HSBC voit que la FATCA conduit à des changements dans les déclarations de comptes au Luxembourg, elle cède ses activités de banque privée dans le pays afin de se concentrer sur les clients corporate . Aujourd'hui, le secteur économique se réoriente vers des éléments d'intermédiation.
M. Eric Bocquet. - Notre collègue, Christian Eckert, rapporteur de la commission à l'Assemblée nationale, fait état de centaines de salariés HSBC qui serviraient de prête-noms. Confirmez-vous cet état de fait ?
M. Hervé Falciani. - Certains employés disposent de droit de regard ou de signature. Il est nécessaire de connaître la nature du compte et la raison pour laquelle il procure ces droits. Un employé qui gère un fonds de pension est associé au compte alors que les avoirs ne lui appartiennent pas. Si des milliers d'employés sont concernés, les cas de figure seront nombreux. Encore une fois, la banque fonctionne de manière cloisonnée. Elle évite ainsi de s'exposer directement. Ce que vous dites m'interpelle ; il faudrait examiner ce sujet de plus près. A ce jour, je n'ai pas d'éléments permettant de confirmer ces propos. Je pourrai peut-être vous répondre différemment dans quelques mois.
M. Eric Bocquet. - Pourquoi avez-vous fui vers l'Espagne ?
M. Hervé Falciani. - Le contexte change lorsque Monsieur Hollande accède à la fonction présidentielle. La demande d'entraide judiciaire formulée par l'Amérique avait été refusée pendant des années. Quelques semaines après l'élection, la France reprend la collaboration judiciaire avec les Etats-Unis. A ce titre, je suis entendu à Paris par un procureur américain. On m'indique alors que les mesures nécessaires ne sont pas à même d'être prises. Une partie seulement de l'aide espérée de la justice française sera apportée. Cela relève alors du domaine du magistrat et non de l'exécutif. Je me retrouve à nouveau exposé, sans mesure de protection adéquate. Les personnes qui m'avaient aidé à sécuriser les preuves me proposent différentes options. La solution qui m'apparaît préférable, compte tenu de mes convictions et de mon combat, est de me rendre en Espagne. Je savais que je serais emprisonné. Je devais cependant fuir les menaces auxquelles j'étais exposé le temps que l'entraide et la lutte contre l'opacité financière reprennent.
M. Eric Bocquet. - Quel commentaire pouvez-vous faire sur la situation de Monsieur Pierre Condamin-Gerbier, votre collègue auditionné ici même le 12 juin dernier et que les autorités suisses viennent d'incarcérer ?
M. Hervé Falciani. - Je ne le connais pas. Je sais cependant qu'il s'est présenté à la justice, devenant ainsi témoin dans des enquêtes françaises en cours. Le fond de la démarche de la justice suisse est d'empêcher une instruction en cours sur le territoire français. C'est un fait, indépendamment de la personne. Je ne connais pas la nature des informations qu'il a transmises mais il est témoin dans une procédure française. Nous ne sommes pas en guerre avec la Suisse. Nous pourrions donc nous attendre à une meilleure collaboration des justices.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. - Vous indiquez ne pas avoir en France toutes les garanties de pouvoir aller au bout de l'exploitation de vos observations. Vous mettez également en exergue le danger que cela représente pour votre personne. Avez-vous choisi de partir en Espagne parce que le mécanisme judiciaire espagnol vous permettait d'aller vers un traitement judiciaire du dossier ou était-ce uniquement lié aux menaces reçues ?
M. Hervé Falciani. - Plusieurs paramètres ont influencé mon choix. La nomination de Monsieur Cahuzac au Ministère du Budget ne me semblait pas favorable. Certaines démarches avaient par ailleurs été menées avec succès par les autorités espagnoles alors qu'elles ne possédaient que peu d'informations. Des personnes de plus haut rang se sont intéressées à ces données. Je rappelle que le représentant de Santander, la banque européenne la plus puissante, a été reconnu coupable d'évasion fiscale de plusieurs centaines de millions d'euros. J'insiste sur le fait que l'évasion fiscale est pratiquée par des dirigeants des plus grandes instances bancaires européennes. Ce point est acquis en Espagne. Je reconnais que je ne m'attendais pas à passer cinq mois en prison. En comparaison, sachez que l'un des frères Elmaleh a été condamné à six mois de prison.
M. Eric Bocquet. - Dans quel pays avez-vous été emprisonné ?
M. Hervé Falciani. - J'ai été emprisonné en Espagne. HSBC a demandé à Interpol mon extradition vers la Suisse au prétexte que je ne m'étais pas rendu disponible pour l'enquête. Je souligne que la justice suisse a toujours eu à sa disposition mon adresse, mon numéro de téléphone ainsi que celui de mes avocats. Je me suis par ailleurs rendu en Suisse en février 2012 suite à une convocation. Nous voyons la gravité de la situation lorsque des représentants de la justice se comportent ainsi. La justice espagnole a rempli son rôle ainsi que ses engagements européens. Elle remplit également son rôle en me permettant d'aider le parquet anti-corruption. Je n'étais pas assuré de pouvoir apporter cette contribution ; je suis ravi d'avoir pu le faire. Je représente une menace pour le bien le plus précieux des banques privées : leur réputation. Le simple fait que vous me receviez ici et que des moyens de lutte soient engagés va affaiblir les menaces à mon encontre.
M. Eric Bocquet. - Vous expliquez que l'exploitation intégrale des systèmes n'a pas été accomplie. Travaillez-vous encore à cette exploitation ? Pensez-vous qu'une autorité indépendante et transparente soit nécessaire pour cette tâche ? Le procureur de Montgolfier évoquait ici même la question de l'intégrité des données : pensez-vous que celle-ci ait été préservée ? Enfin, vous parliez de menaces à votre endroit. De quels types de menaces s'agit-il ? De qui proviennent-elles ?
M. Hervé Falciani. - Aujourd'hui, nous sommes en mesure de nous assurer de l'intégrité des données. Nous pouvons également déterminer si elles ont été tronquées par une quelconque administration. Nous avons en effet transmis les mêmes informations à la justice française et à la justice espagnole. Nous pouvons ainsi les comparer.
M. Eric Bocquet. - La justice suisse a-t-elle également reçu ces données ?
M. Hervé Falciani. - Oui, les informations ont également été transmises à la justice suisse. Un rapport de la justice suisse avance que certaines données auraient été altérées. Sur ce point, nous devons distinguer l'intégrité logique de l'identité matérielle d'une information. Les autorités suisses ont soulevé une modification matérielle de certains fichiers, par ailleurs toujours inexploités. Or ces altérations physiques peuvent révéler une simple copie des fichiers. Elles ne sauraient attester d'une altération logique.
Je souhaite bien sûr poursuivre la lutte et exploiter ces informations. Elles permettent selon moi, d'une part, de révéler le dynamisme de la banque et d'autre part, la diversité des outils dont elle dispose pour contourner les réglementations. Nous devons mettre en place les mécanismes nous permettant de faire face à ces comportements. Je suis optimiste quant à nos chances de réussite.
La menace qui pèse sur moi est tributaire de ces mécanismes. Tant que je resterai un élément unique et marginal dans la lutte contre l'opacité financière, je serai exposé. Lorsqu'une démarche étatique sera mise en place, les risques sur ma personne seront réduits. Je serai peut-être l'un des éléments déterminants dans la constitution d'une force de défense mais nous serons sur un pied d'égalité ; je ne serai plus l'élément déclencheur.
M. Eric Bocquet. - Avez-vous été approché par les autorités de supervision françaises que sont l'AMF et l'ACP ?
M. Hervé Falciani. - Jusqu'à mon retour d'Espagne, en dehors de l'administration fiscale et de la justice, la seule autorité m'ayant approché est Monsieur Arnaud Montebourg.
M. François Pillet. - Monsieur Falciani, je vous remercie pour cette audition.