B. LE RÔLE STRUCTURANT DU TRAVAIL

Fabienne KELLER , rapporteure

François Roux, vous dirigez une organisation professionnelle représentant les agences d'emploi. Vous connaissez très bien l'univers du travail fractionné et des contrats d'intérim, qui concernent souvent les habitants des quartiers difficiles.

François ROUX

Je suis toujours heureux de promouvoir le travail par rapport à l'inactivité qui, malheureusement, est beaucoup plus porteuse de précarité que l'intérim.

En France, deux millions de personnes passent chaque année par l'intérim, ce qui équivaut à environ 500 000 équivalents temps plein (ETP), soit 3 % de la population active.

La situation actuelle est marquée par une augmentation du chômage et une diminution corrélative de l'intérim. Certains aspects sont néanmoins plus positifs. Tout d'abord, environ 20 % des intérimaires le sont par choix, ce qui représente entre 120 000 et 140 000 personnes qui ont choisi l'intérim comme mode d'exercice de leur métier. Les motivations des intérimaires sont différentes : certains recherchent une intégration vers un emploi stable et durable, avec un CDI ; d'autres, des revenus immédiats, pour échapper au non-emploi et au chômage.

Par ailleurs, l'intérim présente des vertus en matière de formation. Les jeunes des quartiers sensibles sont malheureusement souvent en rupture. L'intérim leur offre la possibilité de suivre une formation en alternance, au travers de contrats de professionnalisation et de contrats d'apprentissage.

La relation au travail joue un rôle fondamental dans l'estime de soi des parents, mais aussi dans l'image qu'elle projette sur les enfants. La relation au travail fait partie de la culture familiale. Les situations d'exclusion ont un effet déstructurant au sein de la famille. Il est bien sûr préférable d'avoir un emploi en intérim que de ne pas avoir d'emploi du tout.

En outre, conformément au mandat qui nous a été confié par l'accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013, nous négocions actuellement la création d'un CDI dans l'intérim, qui permettra aux intérimaires d'avoir des perspectives, d'entretenir des relations différentes avec les bailleurs sociaux, les bailleurs privés et les banquiers. Nous négocions également une méthode visant à créer un allongement des périodes d'emploi. La durée moyenne des missions est en effet trop basse en France. Nous allons tout faire pour conclure un accord d'ici à la fin du mois de juin sur ces deux points.

Je tiens à souligner que le statut social de l'intérimaire en France est de loin le plus avancé en Europe. Ce constat est d'ailleurs partagé par les syndicats.

Dans les Zus, le travail sur le plan Banlieues engagé sous le précédent gouvernement s'est heurté à un premier problème juridique, puisque la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité) a reproché à l'exécutif d'utiliser l'adresse comme un critère discriminant.

Dans un contexte où les jeunes des quartiers difficiles rejettent le système social et institutionnel, représenté par l'ANPE devenue Pôle emploi, nos agences se distinguent du système institutionnel et parviennent à les toucher davantage. En outre, les deux cents entreprises de travail temporaire d'insertion (ETTI) en France accomplissent un travail remarquable pour identifier et accompagner les jeunes concernés.

L'intérim constitue donc un facteur d'intégration dans le monde du travail, d'autant qu'il privilégie la gestion des parcours des personnes. En effet, la sécurité de l'emploi aujourd'hui renvoie beaucoup plus à la notion d'employabilité qu'à un statut juridique précis. Le CDI, en dépit de son image sacralisée, est en réalité peu protecteur. Les investissements en matière de formation sont par conséquent fondamentaux.

Fabienne KELLER , rapporteure

Votre secteur est une réalité forte dans les quartiers sensibles, mais aussi pour la jeunesse aujourd'hui. Comme vous nous l'aviez rappelé en une autre occasion, l'âge moyen des personnes en contrat d'intérim aujourd'hui s'élève à vingt-neuf ans. Je cède à présent la parole à Bertrand Castagné, vice-président et président de la commission sociale de la fédération des entreprises de propreté.

Bertrand CASTAGNÉ

Je représente une profession, la propreté, qui est souvent stigmatisée, puisqu'elle concentre tous les sujets qui fâchent : travail au noir, emploi de salariés en situation irrégulière, temps partiel... Bref, à l'instar du secteur de la sécurité, nous sommes souvent cités comme les mauvais élèves.

Je souhaite vous présenter une autre image de ce secteur, qui emploie environ 450 000 salariés, représente 15 000 entreprises en France et contribue à la création de plus de 15 000 emplois non délocalisables par an. Ces emplois ne disparaîtront pas, ils sont donc l'avenir. Nos gouvernants devraient s'y intéresser davantage.

Notre profession intègre une part importante de personnes sur des emplois non qualifiés. Il nous revient donc de qualifier ces personnes, quel que soit leur âge ou leur éventuel handicap, social ou physique. Nous avons un besoin de ressources permanentes pour pourvoir les postes dans des métiers dont l'image n'est pas très attractive.

Notre profession est concernée par les horaires décalés. Dans notre profession, les horaires de nos salariés sont définis par les donneurs d'ordre dans les cahiers des charges. Nous sommes contraints de nous y conformer. Nous travaillons beaucoup sur la sensibilisation des donneurs d'ordre publics - qui constituent 40 % de notre chiffre d'affaires - et privés à ce sujet afin de faire évoluer les pratiques.

Dans le secteur privé, la situation est plus facile. Depuis plusieurs années, la prestation s'effectue de plus en plus en journée, pour éviter la fragmentation du temps de travail et les horaires atypiques, qui participent à la non-reconnaissance du métier. Toutefois, les Français sont réticents à l'égard du changement. Modifier les habitudes par rapport aux horaires de nettoyage n'est pas toujours bien accepté. Nous avons donc développé une boîte à outils pour faciliter ce changement.

Le phénomène des multiemployeurs est aujourd'hui très prégnant Il convient donc de faire preuve de prudence dans les changements d'horaires. De nombreux salariés se sont adaptés et n'accepteraient pas forcément une modification de leurs horaires. Les syndicats du secteur nous interpellent souvent à ce propos. La « révolution » de l'organisation du travail ne doit pas entraîner des suppressions d'emplois. Le sujet est donc complexe.

Dans les pays nordiques, la prestation de nettoyage intervient en journée. Il est donc possible de procéder à ce changement en termes d'organisation, en minimisant les nuisances et en adaptant la prestation aux activités de l'entreprise. Dans le secteur hospitalier par exemple, le nettoyage des blocs opératoires ou des chambres de patients se fait d'ailleurs en journée, alors qu'il s'agit précisément d'un milieu hyper-contraint.

Aujourd'hui, la situation de l'emploi est très grave. Comme l'a souligné François Roux, dans ce type de contexte, l'important est non pas le type de contrat mais le fait d'avoir un emploi. Il est préférable d'entrer dans la vie en entreprise, d'apprendre ou de réapprendre la vie professionnelle, plutôt que de rester dans un système d'assistanat.

À mon sens, il convient de redonner aux jeunes le goût du travail. Nous sommes responsables de la vision que nous donnons de certains métiers peu qualifiés. Nous devons changer notre discours à leur égard.

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