D. LA CONSTRUCTION D'UN FUTUR SOUHAITABLE
Dominique ROUSSET
Peut-être l'opinion a-t-elle bénéficié de la pédagogie mise en oeuvre par les experts, voire par les politiques ?
Hugues de JOUVENEL
Comme vient de le rappeler Jean-Michel Charpin, l'exploration des futurs possibles n'a d'intérêt que si elle débouche sur la construction d'un futur souhaitable. Cependant, cette exploration nécessite un périmètre de réflexion étendu au monde alors même que la construction d'un futur souhaitable, dès lors que l'Etat n'est pas maître du monde, doit être menée au niveau de l'Etat en tenant compte de ses marges de manoeuvre particulières.
Par ailleurs, si nos contemporains montrent une plus grande intelligence du futur, tenons compte de cette évolution, donnons-leur des informations justes et non édulcorées. Le rapport de Yannick Moreau souligne à juste titre la crise de confiance, notamment vis-à-vis des instances publiques nationales. Je crois que ce discrédit tient aux discours erronés qu'elles produisent, au manque de visibilité de leurs ambitions et à la diffusion de projets irréalisables. L'Etat doit se placer à l'écoute de la société.
Dominique ROUSSET
Qui pointez-vous du doigt ? Les politiques portent-ils une part de responsabilité ?
Hugues de JOUVENEL
Il ne s'agit pas d'accuser qui que ce soit. Prenons l'exemple de la réforme des retraites, que je considère comme essentielle. Le rapport élaboré par Jean-Michel Charpin était fondé sur l'hypothèse de l'Insee selon laquelle la population active allait commencer à diminuer à partir de 2006 en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom et de l'arrivée sur le marché du travail des générations creuses du baby-krack . Cette vision des choses m'a toujours semblé erronée en raison des indicateurs choisis : celui de l'indice de fécondité plutôt que celui du nombre de naissances par année, celui du taux de chômage au lieu de celui du taux d'emploi. Je n'entends ici mettre en cause ni Jean-Michel Charpin ni l'Insee. Mais j'estime important que l'on travaille davantage sur les indicateurs, les données et leur interprétation car ils jouent un rôle majeur dans la représentation que nous forgeons de la réalité et donc, pour une part, du futur. En outre, reconnaissons que nous avons beaucoup de mal à prendre en considération les variables dites « molles » alors qu'elles jouent un rôle déterminant. Plutôt que d'élaborer des prévisions très précises, inéluctablement fausses, sur une période de quarante ou cinquante ans, j'estime qu'il aurait été plus efficace d'élaborer des scénarios permettant de mieux représenter, certes de manière plus grossière, l'éventail des futurs possibles.
Jean-Pierre RAFFARIN
Des difficultés se présentent certes, mais c'est bien le rapport du COR qui a permis d'enclencher la réforme de 2003. En effet, dans les débats du COR, j'ai identifié des positions communes chez les partenaires sociaux. Ce travail d'analyse et d'expression de la volonté politique a permis de définir une voie. Lionel Jospin avait engagé cette démarche, mais le COR a favorisé la construction du chemin à suivre. La réforme passera, j'en suis sûr, par la prospective, tout comme la réforme des retraites a été menée par la prospective. Ces consensus ont été bâtis sur des analyses. La maîtrise des dépenses publiques, par exemple, comprend deux volets principaux : l'éducation nationale et la dépense sociale de santé. Pour traiter cet enjeu, une approche telle que celle suivie par le COR s'avère le seul gage d'efficacité. La réflexion sur le moyen terme et la préparation de plans d'action doivent s'organiser au sein de lieux dédiés. Sans ce travail préalable, aucun consensus ne sera trouvé en aval. Je crois enfin qu'il n'est plus utile de déterminer si les Français sont trop jacobins ou trop girondins. En revanche, il convient maintenant de décider que l'Etat et les territoires assument leurs missions respectives, ainsi que de permettre la création de lieux de discussion.
Hugues de JOUVENEL
Monsieur Raffarin, reconnaissez que si votre réforme allait dans le bon sens, elle s'avérait tout à fait insuffisante.
Jean-Pierre RAFFARIN
Certes, mais vous conviendrez qu'un sujet d'une telle envergure ne peut être traité qu'en plusieurs étapes. De même, l'éducation nationale et le système de santé seront réformés sur le long terme ; il est dès lors nécessaire d'accorder toute son importance à la prospective, qui donne précisément un sens aux étapes. Le COR a tracé une ligne directrice ; le choix du rythme revient ensuite au gouvernement.
Joël BOURDIN
Jean-Michel Charpin a rappelé que le taux d'actualisation utilisé par le CGP était aujourd'hui dépassé ; effectivement, nous ne somme plus dans le même contexte économique. En outre, la prospective est liée à l'évaluation du présent puisqu'elle repose sur des scénarios, eux-mêmes bâtis sur des évolutions récentes. Le CGP effectuait à ce propos non seulement de la prospective, mais de l'évaluation. Réfléchir à des scénarios globaux cohérents constitue déjà un pas dans la planification.