B. EVALUATION ET PARTICIPATION

Dominique ROUSSET

Pierre-Alain Schieb, quels sont les critères d'une planification réussie ?

Pierre-Alain SCHIEB

L'OCDE, avec trente-quatre pays membres et une fonction prospective développée depuis 1975, bénéficie d'un regard pointu sur la situation des autres pays. Planification et prospective stratégique ont été abordées de manière indifférenciée, mais elles doivent être distinguées. Cette précision faite, je citerai des solutions intéressantes en termes de mécanismes institutionnels. Le Premier ministre finlandais, lors qu'il prononce son discours de l'Union, doit présenter une vision de la Finlande à quinze ans. Il ne s'agit certes pas d'un engagement, mais ce point révèle la prise en compte, par un homme politique élu de premier plan, de la dimension de moyen terme. Une commission permanente sur l'avenir existe aussi au niveau parlementaire.

Par ailleurs, un retour du besoin d'inscription dans le long terme à travers les politiques de science et de technologie se fait jour. La Cour des comptes américaine exerce aussi une nouvelle prérogative d'appréciation des politiques à long terme. Des mécanismes institutionnels existent donc afin de réintégrer le long terme dans les politiques publiques.

Les réussites plus récentes concernent des domaines plus restreints, les secteurs d'activité notamment. Le Danemark a mis en oeuvre des politiques de sciences et de technologies, la Suisse a déployé des politiques sur le financement et la planification à long terme des infrastructures. Il n'existe pas de formule magique, mais des initiatives intéressantes.

Ce renouveau créatif en matière de prospective se trouve lié par ailleurs à la levée de certains tabous tels que la politique industrielle, l'incitation concrète aux initiatives technologiques. Un certain degré de liberté gagnerait à être rétabli afin que les économies de l'OCDE se trouvent en mesure de retrouver le chemin de la croissance.

Dominique ROUSSET

L'appréciation préventive que vous évoquez manque-t-elle à la France ? Jean-Pierre Raffarin pourra s'exprimer sur cette question. Avant cela, Pierre-Alain Schieb, pourquoi le Danemark constitue-t-il un bon exemple ?

Pierre-Alain SCHIEB

Le caractère inclusif et participatif des procédures au Danemark mérite d'être cité. Les politiques de sciences et de technologies intègrent l'analyse du long terme, le point de vue des experts et de la population ainsi que l'engagement des ministres. Dans l'expression « contrat de plan » réside le mot contrat, qui implique une coopération. L'ensemble des pays nordiques manifeste cette caractéristique. Pourquoi des petits pays tels que ceux-ci parviennent-ils à créer des mécanismes participatifs et une culture du consensus ?

Dominique ROUSSET

Vous citez fréquemment l'exemple de Singapour.

Pierre-Alain SCHIEB

Certes, mais Singapour étant une ville-Etat, l'inclusion de tous les décideurs s'avère plus aisée.

Jean-Pierre RAFFARIN

La logique du consensus ne me semble pas forcément liée à la taille, mais aux mécanismes. L'existence de lieux où les consensus peuvent se préparer paraît essentielle. Le CESE devrait à ce propos bénéficier d'un rôle plus important. Nous devons travailler, au niveau national comme au niveau régional, sur l'ingénierie du consensus. Or la construction du consensus nécessite des lieux dédiés et des outils tels que les contrats de plan Etat-région. La réflexion sur les méthodes de construction du consensus, notamment par la participation de la société civile, doit être menée.

Joël BOURDIN

Je ne pense pas qu'il existe une corrélation entre la taille d'un pays et la réussite de la concertation. Le CGP, qui réunissait différentes catégories de personnes, a permis d'aboutir à des résultats satisfaisants.

Dominique ROUSSET

Hugues de Jouvenel, comment décririez-vous l'utilité de la prospective ?

Hugues de JOUVENEL

Je remercie en premier lieu les délégations à la prospective du Sénat et du CESE d'avoir pris l'initiative de cette réunion en vue de réintroduire la dimension du temps long dans la vie publique.

Je voudrais ensuite faire deux remarques sur l'échange qui vient de s'instaurer. D'abord, je voudrais insister sur le fait que, si nous avons besoin de réhabiliter le temps long dans l'élaboration des politiques publiques, on ne saurait faire l'impasse sur la nécessaire articulation entre le court, le moyen et le long termes. Ce dernier, s'il est indispensable, doit permettre de donner du sens et de la cohérence aux actions à court et moyen termes. Au demeurant, suivant la nature des questions à traiter, la dimension du temps est nécessairement différente.

Ma deuxième remarque est relative aux échelles géographiques. On ne saurait en effet considérer que la prise en compte du long terme relève plus ou moins de la dimension des pays. La réhabilitation du temps long est nécessaire à toutes les échelles géographiques, aussi bien au niveau local que national et global.

J'en viens maintenant à votre question. Je pense qu'il est tout à fait essentiel, lorsque l'on parle de l'avenir, de bien distinguer l'avenir comme territoire à explorer et l'avenir comme territoire à construire. S'agissant de l'avenir comme territoire à explorer, la première question est de savoir comment nous représenter la situation actuelle en faisant le tri entre les faits à caractère purement conjoncturels et ceux que nous estimons révélateurs de tendances plus ou moins lourdes et émergentes. Ceci correspond à ce que nous appelons la veille prospective dont l'objectif est en quelque sorte d'identifier correctement les germes d'avenirs possibles. Partant de là, il convient ensuite de tenter d'explorer ce qui peut advenir. Telle est la vocation de la prospective dite exploratoire qui doit s'efforcer de tenir compte des facteurs éventuels de discontinuité et de rupture. Cette prospective exploratoire n'a évidemment aucune prétention à prédire l'avenir. Son utilité principale est d'essayer de discerner les enjeux à moyen et à long termes auxquels nous risquons d'être confrontés avant qu'il ne soit trop tard et que ceux qui ont vocation à agir en stratèges soient réduits à une fonction de pompier, acculés à la seule gestion des urgences.

Vient ensuite la question de l'avenir comme territoire à construire, donc de la représentation que se forgent les acteurs, et les élus en premier lieu, de l'avenir souhaitable et réalisable, donc du projet qu'ils s'assignent, celle donc des finalités. Vient aussi la question des marges de manoeuvre dont dispose l'Etat, marges de manoeuvre qui seront d'autant plus grandes que ses responsables sauront faire preuve de prévoyance et qu'ils auront su souder les acteurs autour d'une vision partagée. Vient enfin la question du compte à rebours, donc des actions à entreprendre, par qui, quand et comment, pour atteindre cet objectif.

Je terminerai par une remarque concernant la différence entre prévision et prospective qui me paraît d'autant plus importante qu'elle me semble négligée dans le rapport de Yannick Moreau. La prévision repose sur l'extrapolation des tendances observées dans le passé. La méthode la plus couramment utilisée est celle des modèles de simulation qui suppose que, toutes choses demeurant égales par ailleurs, le système se reproduit indéfiniment à l'identique sans qu'il y ait de discontinuité et de rupture et les prévisions ainsi établies sont très dépendantes du choix des hypothèses d'entrée. La prospective s'efforce en revanche de prendre en compte ces facteurs de discontinuité et de rupture, y compris ceux résultant des êtres humains et des acteurs sociaux qui, fort heureusement, ne sont pas des robots et ne fonctionnent pas de manière répétitive et rationnelle.

Enfin, je regrette que Yannick Moreau oppose la prospective du présent à la prospective disons « classique » car les deux démarches sont très complémentaires. Elles ont du reste toutes les deux en commun de s'attacher à la construction du futur en tenant compte des forces vives de la société.

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