N° 342
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 février 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à la prospective (1) sur l' avenir de la planification stratégique ,
Par M. Joël BOURDIN,
Sénateur.
Cette délégation est composée de : M. Joël Bourdin, président ; Mme Natacha Bouchart, MM. Vincent Capo-Canellas, Yvon Collin, Mme Évelyne Didier, M. Alain Fouché, Mme Fabienne Keller, MM. Ronan Kerdraon et Yannick Vaugrenard, vice-présidents ; MM. Gérard Bailly et Jean Desessard, secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, MM. Jean-Paul Amoudry, Pierre André, Claude Bérit-Débat, Pierre Bernard-Reymond, François Calvet, Alain Chatillon, Jean-Pierre Chevènement, Mmes Cécile Cukierman, Marie-Hélène des Esgaulx, MM. Marc Daunis, Philippe Esnol, Mmes Samia Ghali, Françoise Laurent-Perrigot, MM. Philippe Leroy, Michel Magras, Jean-François Mayet, Jean-Jacques Mirassou, Aymeri de Montesquiou, Robert Navarro, Mme Renée Nicoux, MM. Philippe Paul, Jean-Pierre Plancade et Jean-Pierre Sueur. |
AVANT-PROPOS
Le 5 décembre 2012, la délégation à la prospective a conduit une opération, jusqu'alors inédite, de collaboration avec une structure similaire créée, un an après elle, au sein du Conseil économique social et environnemental (CESE). Cette manifestation commune a pris la forme d'une réunion conjointe organisée par les présidents des deux délégations, respectivement Joël Bourdin et Jean-Paul Bailly, sur le thème de l'avenir de la planification stratégique , et placée sous le haut patronage des présidents des deux assemblées, Jean-Pierre Bel pour le Sénat et Jean-Paul Delevoye pour le CESE.
Le choix de ce sujet de réflexion n'était pas anodin. Voici quelques temps déjà, et notamment sous l'impulsion de l'ancien Premier ministre et vice-président du Sénat, Jean-Pierre Raffarin, les sénateurs membres de la délégation à la prospective s'interrogeaient sur les structures de prévision et de perspective à long terme dont disposent les pouvoirs publics pour préparer l'avenir de notre pays.
De nombreux observateurs faisaient valoir, en effet, que la suppression, un peu précipitée somme toute, du Commissariat général du Plan en 2006 risquait d'avoir affecté notre capacité à préparer le futur. Certes, cette structure avait été remplacée par une autre, le centre d'analyse stratégique (CAS), qui produit régulièrement des documents et études intéressants mais dont on pouvait se demander s'ils n'étaient pas établis sur des bases un peu différentes et, partant, moins globales et moins empreintes de concertation qu'elles ne l'étaient auparavant.
Ce constat a donc conduit à envisager de croiser les regards du Sénat et du CESE sur l'utilité d'inventer une nouvelle planification stratégique, qui sache s'inscrire dans le cadre mondialisé qui est désormais celui de notre société d'aujourd'hui, et sur les outils à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins.
Il faut croire que cette approche était visionnaire à l'époque puisque, six semaines après cette décision, le nouveau Gouvernement issu des élections présidentielles puis législatives de 2012 a, à son tour, mis ce sujet sur la table. Au cours de la Grande conférence sociale tenue au Palais d'Iéna les 9 et 10 juillet 2012, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, annonçait, en clôture, son souhait de créer un nouveau lieu de dialogue, de réflexion prospective et d'expertise sur les politiques publiques , ouvert à l'ensemble des acteurs sociaux. Le 12 septembre, il confiait à une mission, présidée par Yannick Moreau, présidente de section au conseil d'Etat et ancienne présidente du conseil d'orientation des retraites (COR), le soin de réfléchir à la nature et aux compétences de ce nouveau commissariat.
On signalera également que dans le cadre du rapport qu'il a établi en novembre dernier, à la demande du Gouvernement, sur le thème de la compétitivité de l'industrie française, Louis Gallois était parvenu à la même conclusion de l'intérêt d'une structure de ce type. Sa troisième proposition préconise ainsi de « créer un commissariat à la prospective, lieu d'expertise et de dialogue social » et d'« accompagner chaque loi de finances d'un rapport sur la situation de l'appareil productif fondé sur les travaux du commissariat ».
C'est donc dans un contexte parfaitement en phase avec l'actualité que s'est tenue cette réunion commune dont le bien-fondé semble attesté si l'on en juge par l'affluence record et la présence très nombreuse du public autorisé à y participer.
Cet après-midi de travail s'organisait en deux temps : d'abord, l'analyse des besoins en souffrance ; ensuite celle des moyens à mettre en oeuvre . Chacun de ces aspects a fait l'objet d'une table ronde dédiée à laquelle étaient conviés de nombreux experts, au premier rang desquels deux anciens Premiers ministres : Jean-Pierre Raffarin, pour la première, Michel Rocard, pour la seconde, qui ont apporté leur participation active et efficace à des débats de très grande qualité.
Pour ces motifs, la délégation à la prospective du Sénat a jugé qu'il serait utile que le compte rendu intégral de ces échanges fasse l'objet d'une publication sous la forme d'un rapport d'information. Cette publication parait d'autant plus justifiée que, précisément la veille de la réunion du 5 décembre dernier, Yannick Moreau remettait au Premier ministre le rapport dont on lui avait confié la charge et qui conclut également à l'opportunité de créer un « commissariat général à la stratégie et à la prospective ». Cette structure devrait être mise en place très prochainement et le document de travail établi par la délégation permettra d'en suivre de près l'installation.
Sans prétendre résumer en quelques mots l'ensemble des observations et préconisations formulées au cours des deux tables rondes, quelques points forts peuvent être soulignés.
Il est ressorti des débats qu'en dépit - ou à cause - de la multitude actuelle de structures de veille, d'analyse et d'évaluation, les décideurs publics ont du mal à disposer de repères de long terme. On évoquait le CAS mais on peut aussi citer notamment le conseil d'analyse économique (CAE), le commissariat général à l'investissement (CGI), la Cour des comptes bien sûr, le COR, le conseil d'orientation pour l'emploi, le Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, la Datar, sans oublier les manifestations ponctuelles qui ont un objet similaire comme les Grenelle de l'environnement ou la Grande conférence sociale. Il en résulte probablement une vision fragmentée des choses et un degré de concertation qui pourrait être amélioré.
La nécessité de penser à moyen et long termes les politiques, plutôt que d'agir dans l'immédiateté, a été résolument affirmée. Certains pays le font mieux que le nôtre : les pays émergents - la Chine par exemple, qu'a évoquée le président Raffarin - mais aussi, au sein de l'OCDE, la Finlande, les Etats-Unis, le Danemark ou la Suède.
La ligne de partage entre la prospective et la prévision a été clairement définie : outre la différence tenant à l'horizon temporel de référence, la prospective repose sur le postulat que le futur n'est pas écrit d'avance mais qu'il doit être construit par tous ses acteurs, dans le cadre des avenirs possibles.
Le futur ne doit pas se penser qu'au niveau national, il relève aussi du niveau des territoires, des départements, des métropoles, des communautés d'agglomération qui semblent actuellement plus résolus à s'engager dans cette démarche.
La planification stratégique à réinventer suppose de laisser davantage de place à la concertation et au dialogue social : les travaux menés dans le domaine économique montrent que performance économique et performance sociale marchent ensemble et favorisent la confiance des citoyens envers l'Etat.
Ceci étant, le rapport de Yannick Moreau préconise de ne pas dédier le futur commissariat au dialogue social : celui-ci aurait plutôt pour vocation de produire un travail concerté, pour une réflexion située en amont du dialogue social, lequel serait à conduire ensuite entre les partenaires sociaux ou entre ceux-ci et l'Etat.
La culture de l'évaluation des politiques publiques reste faible dans notre pays alors qu'elle conditionne une gouvernance transparente et équitable. Sur ce point, certains, et notamment Michel Rocard, très partisan de l'évaluation qu'il avait lui-même promue en son temps, ont mis en garde contre le risque de confier au futur commissariat cette mission d'évaluation qui pourrait faire peser sur lui de trop lourdes responsabilités.
On indiquera toutefois qu'à l'inverse, le rapport Moreau préconise qu'il siège dans les instances d'évaluation pour en être « l'observateur avisé ». Il conviendra donc de suivre attentivement l'installation du futur commissariat et d'examiner la nature et l'ampleur des missions qui lui seront confiées.
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Pour conclure, la délégation à la prospective du Sénat reprend volontiers à son compte les mots subtils du président du CESE, Jean-Paul Delevoye, qui a souligné l'impertinence, nécessaire, dont les délégations à la prospective doivent faire preuve pour savoir sortir des chemins balisés où l'on peut vouloir les contenir.