2. Une approche micro-keynésienne : la base économique
La théorie de la base, probablement due à Werner Sombart et conçue en 1916 37 ( * ) , énonce que l' économie locale repose sur deux piliers 38 ( * ) :
- le secteur basique , qui permet de capter des revenus provenant de l'extérieur du territoire considéré (revenus extérieurs appelés « bases », ou revenus basiques) ;
- le secteur domestique qui répond à la demande locale de biens et services.
Le secteur basique constitue le moteur de l'économie locale, tandis que le secteur domestique permet la circulation des bases - c'est-à-dire des revenus captés à l'extérieur - au sein du territoire considéré.
Partant de cette théorie, Laurent Davezies distingue quatre types de bases , qui constituent autant de catégories de revenus venant irriguer l'économie des territoires et favoriser leur développement :
- l a base productive privée (22 % des revenus basiques 39 ( * ) )
Cette base, qu'on pourrait appeler base exportatrice, repose sur la vente de biens et services produits localement et exportés. La capacité productive du territoire et ses avantages comparatifs déterminent le poids et la dynamique de cette base productive ;
- l a base résidentielle (45 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des revenus qu'un territoire capte à l'extérieur grâce, cette fois, à des atouts de nature non pas productive, mais résidentielle (aménités, environnement, paysage, cadre de vie, foncier résidentiel...). Cette base comprend d'abord les retraites (environ 50 %), les dépenses des touristes (environ 30 %), puis les revenus des « navetteurs », c'est-à-dire des actifs occupés qui habitent dans le territoire mais travaillent à l'extérieur (environ 20 %) ;
- la base publique (10 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des traitements des fonctionnaires « non navetteurs » ;
- l a base sociale et sanitaire (23 % des revenus basiques)
Elle comprend l'ensemble des revenus de transfert et les remboursements de soins de santé de la sécurité sociale.
Si ces quatre bases sont déterminantes pour les territoires, elles n'ont pas la même nature : la première est liée à la production, tandis que les trois autres sont essentiellement liées à la résidence.
Elles n'ont pas non plus le même poids, la base résidentielle constituant de loin, en moyenne, le premier poste , certain calculs lui attribuant même plus de la moitié des bases.
Le processus de développement ne s'arrête pas là. Une fois les revenus extérieurs identifiés se pose la question de leur circulation dans le territoire, de manière à enclencher un mécanisme keynésien de « multiplicateur » : les revenus dépensés localement suscitent la création d'emplois et de revenus qui sont eux-mêmes, pour partie, injectés dans l'économie locale, etc. C'est là qu'intervient en premier lieu le secteur domestique .
En effet, les bases mesurent, en quelque sorte, le potentiel et la nature du développement local mais, pour que ce dernier se concrétise, elles doivent se diffuser dans le territoire. En outre, l'ensemble des secteurs domestiques, ou « présentiels » (commerces, services de proximité...) ne sont pas seulement induits par le développement, ils sont aussi inducteurs de développement.
Au final, la séquence est donc la suivante : l'apport de revenus extérieurs (productifs ou non) entraîne une hausse des emplois présentiels à condition qu'ils soient dépensés localement, puis la présence de biens et services peut, à son tour, constituer un facteur d'attractivité auprès des populations ou des entreprises.
En quelques décennies, la base résidentielle et, plus généralement, l'ensemble des moteurs non productifs sont devenus des facteurs déterminants pour le développement des territoires . Le développement économique d'un territoire repose toujours, certes, sur des enjeux productifs mais, dans bien des cas, les enjeux résidentiels deviennent prédominants. Comment ces deux types de base se combinent-ils ?
* 37 Economiste et sociologue allemand (1863-1941).
* 38 Nous nous fondons ici, pour partie, sur des contributions de Magali Talandier, maître de conférences à l'université Joseph Fourrier (Grenoble I).
* 39 Les pourcentages moyens donnés pour les quatre bases sont issus des calculs réalisés pour l'Assemblée des communautés de France (ADCF) par Laurent Davezies et Magali Talandier et publiés dans leur rapport « La crise et nos territoires : premiers impacts », Octobre 2010.