C. ... DONT LE SENS N'EST PAS UNIVOQUE
La reprise démographique observée dans les territoires ruraux ne veut rien dire : les campagnes sont-elle plus attractives ou deviennent-elles des espaces de relégation pour des populations fragiles ?
1. Une sociologie encore particulière
a) Des espaces résidentiels, plutôt ouvriers et comparativement pauvres
• Sur longue période, Martin Vanier,
professeur de géographie et d'aménagement à
l'université Joseph Fourier (Grenoble I) relève
qu'«
on sort d'une époque où la campagne
était exclusivement conçue comme un espace de production
agricole, ce qui n'aura d'ailleurs été qu'une exclusivité
passagère dans son histoire
, disons dans la seconde
moitié du XXème siècle productiviste. Désormais
s'affirme le caractère habitable, résidentiel, des campagnes et,
au fond, il est plutôt rassurant d'occuper le territoire, et par
« habitable » il faut entendre l'ensemble des fonctions par
lesquelles un territoire accueille des ménages, y compris son
économie de services
».
Le monde rural demeure essentiellement résidentiel . Un Français sur quatre est résident d'une commune rurale, mais seul un sur huit y travaille .
• Comme le souligne un rapport récent de
l'inspection générale des affaires sociales (IGAS), le monde
rural est par ailleurs caractérisé par
«
une part élevée d'ouvriers de l'industrie
et d'employés et un déficit de cadres et professions
intellectuelles
».
L'EMPLOI PAR CATÉGORIES SOCIOPROFESSIONNELLES
(CSP)
DANS L'ESPACE RURAL
La part de l'emploi rural dans l'emploi total étant de 17 %, se trouvent donc surreprésentés dans les campagnes :
- les ouvriers (23 % de l'emploi total situé l'espace rural) ;
- les artisans, commerçants et chefs d'entreprise (23 %) ;
- les agriculteurs (59 %).
Se trouvent, en revanche, sous-représentés :
- les professions intermédiaires (13 %) ;
- les cadres et professions intellectuelles supérieures (8 %).
Si les employés (16 %) sont très légèrement sous-représentés, leur dynamique est cependant positive car, parmi les « migrants », leur part excède de 1,2 point celle observée dans la population rurale prise dans son ensemble (tableau infra ).
• Enfin, les zones rurales se
caractérisent, en moyenne, par des
situations de pauvreté
plus fréquentes
, avec un taux de pauvreté (13,7 %)
supérieur de deux points à celui de la France entière
(11,7 %).
Source : IGAS, revenus disponibles localisés 2004 - INSEE-DGI
Les zones de forte pauvreté rurale (en bordeaux) apparaissent globalement plus étendues que les zones de forte pauvreté générale. On constate aussi que la géographie de la pauvreté et celle de l'activité ne sont pas corrélées.
Un découpage par quartiles de revenu confirme, d'une façon générale, la plus forte prégnance de la pauvreté et des classes populaires dans les campagnes, et la rareté relative des foyers français les plus aisés :
DISPERSION DES MÉNAGES PAR QUARTILE DE REVENU ET PAR CATÉGORIE D'ESPACE
Source : Yannick Sencébé, Enquête permanente des conditions de vie (EPCV), exploitation CESAER (1996-2004)
b) Un volant d'inactivité et de pauvreté persistant, mais un lent rééquilibrage socioprofessionnel
D'après l'IGAS, « l'observation de la nature des migrations ne laisse (...) guère planer (...) de doute sur sa médiocre contribution à un « rééquilibrage » de la composition socioprofessionnelle de la population rurale. « L'exode urbain » est pour une grande part une migration de pauvreté ».
Sur la base du tableau suivant, « on voit que les nouveaux arrivants tendent surtout à renforcer les professions faiblement qualifiées déjà dominantes, et notamment les employés. L'importance relative des arrivées de personnes sans activité professionnelle (retraités, mais surtout « autres sans activité ») est à souligner ; ces situations représentent en effet plus de 30 % des nouvelles arrivées d'adultes de 15 à 65 ans (c'est-à-dire « d'âge actif »). L'apport en actifs est limité ».
RÉPARTITION PAR CATÉGORIES
SOCIOPROFESSIONNELLES
DE LA POPULATION RURALE DE 15 À 64
ANS ET DES MIGRANTS DE 15 À 64 ANS DANS L'ESPACE RURAL EN
PROVENANCE D'AUTRES RÉGIONS
Par ailleurs, l'arrivée de retraités tend à renforcer le caractère « d'économie résidentielle » des zones rurales.
Si l'on se cantonne à la population active, un certain rééquilibrage paraît cependant à l'oeuvre , ainsi que le tableau ci-après tend à l'établir :
PART DE CHAQUE CATÉGORIE SOCIOPROFESSIONNELLE PARMI LES ACTIFS FRANÇAIS, RURAUX ET « MIGRANTS » DEPUIS MOINS DE CINQ ANS
Part de chaque CSP |
|||
Dans la population française 29 ( * ) |
Dans la population rurale 30 ( * ) |
Parmi les « migrants » 31 ( * ) |
|
Agriculteurs exploitants |
1,7 % |
6,6 % |
1,2 % |
Artisans, commerçants,
|
5,8 % |
7,6 % |
7,2 % |
Cadres et professions intellectuelles supérieures |
15,1 % |
6,6 % |
12,7 % |
Professions intermédiaires |
24,3 % |
18,6 % |
25,5 % |
Employés |
29,3 % |
28,1 % |
30,5 % |
Ouvriers |
23,8 % |
32,5 % |
23,0 % |
Total |
100 % |
100 % |
100 % |
Source : délégation à la prospective, IGAS, INSEE
On s'aperçoit que, parmi les « migrants », les apports constatés au sein des différentes CSP tendent à rééquilibrer leurs poids respectifs dans la population rurale de manière à nuancer, sans le contredire, le diagnostic global d'une « migration de pauvreté ».
* 29 Recensement de la population de 2009.
* 30 Recensement de la population de 2006.
* 31 Recensement de la population de 2006.