b) Contrôler les opérations de concentration avec discernement
La seconde menace qu'une application uniforme du droit de la concurrence fait peser sur le modèle économique de la coopération agricole est liée au contrôle des concentrations . Lors de récentes opérations notifiées à l'Autorité de la concurrence, celle-ci a en effet exigé des engagements de cession d'actifs ou des modifications du statut des coopératives concernées. Or, on peut se demander si ces exigences ne témoignent pas d'une certaine méconnaissance du fonctionnement du droit coopératif. Il semblerait que le juge français des concentrations soit plus exigeant que les instances homologues dans d'autres pays européens - alors même que les coopératives agricoles françaises ne sont pas parmi les plus grandes 35 ( * ) .
Deux points apparaissent problématiques :
- le premier concerne la définition du périmètre des marchés pertinents 36 ( * ) par l'Autorité de la concurrence. Il faut veiller à cet égard à harmoniser la définition de ces marchés au niveau européen pour ne pas que les coopératives françaises soient bridées dans leur développement en raison d'une approche trop restrictive du régulateur national ;
- le second concerne le bouleversement de la relation entre les coopératives et leurs adhérents . Dans une affaire récente, pour prévenir les effets congloméraux d'une opération de fusion, l'Autorité de la concurrence a en effet demandé à une coopérative de modifier ses statuts de manière à réduire pour les coopérateurs la part d'approvisionnement obligatoire en produits d'agrofournitures par le biais de la coopérative 37 ( * ) . Cette jurisprudence a été confirmée dans une décision ultérieure 38 ( * ) . Pourtant, des obligations d'approvisionnement ou de livraison ne s'imposent aux coopérateurs que si ces derniers en ont décidé ainsi. Il s'agit en effet de stipulations figurant dans les statuts - statuts démocratiquement votés par ailleurs, en vertu du principe coopératif de libre adhésion - aucun agriculteur n'est forcé d'adhérer à une coopérative : son adhésion est volontaire et n'a qu'une durée déterminée (connue au moment de l'engagement). S'ingérer de la sorte dans la relation contractuelle entre les coopérateurs et leur coopérative est non seulement discutable du point de vue des principes mais introduit aussi une menace pour le modèle économique coopératif agricole, puisque l'existence d'un lien entre l'obligation d'approvisionnement et l'obligation de collecte contribue à la compétitivité de ce modèle.
* 35 Une seule coopérative française figure parmi les dix premières coopératives agricoles européennes selon Coop de France.
* 36 La notion de marché pertinent est utilisée pour apprécier le pouvoir de marché d'une entreprise, c'est-à-dire sa capacité à augmenter ses prix au-delà du prix concurrentiel, sans que la baisse des ventes qui en résulte annule la hausse des profits escomptés. La délimitation d'un marché pertinent est une opération complexe, qui suppose d'apprécier la substituabilité des biens qui s'y échangent et dont les résultats ne sont pas toujours indiscutables.
* 37 Décision 11-DCC-150 du 10/10/11relative à la prise de contrôle exclusif de la coopérative Elle-et-Vire par le groupe coopératif Agrial.
NB : Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroitre son pouvoir de marché. Certaines concentrations conglomérales peuvent produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu'elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats es éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents.
* 38 Décision 12-DCC-42 du 26/03/12 relative à la fusion entre la coopérative Champagne Céréales et la coopérative Nouricia.