CONCLUSION - PRIMUM NON NOCERE

Au terme de ses travaux, la mission d'information a acquis la conviction que le scandale des prothèses mammaires revêt un caractère plus large que ce que l'opinion en a retenu : l'attention s'est quasi exclusivement portée sur la rupture des implants remplis de gel de silicone et sur les conséquences qui en résultent pour les femmes à qui ils avaient été posés. Cette situation est dramatique mais elle n'est que le signe le plus tangible d'une affaire plus vaste : pourquoi et comment une entreprise qui présentait autant d'anomalies et de manquements graves à la réglementation a-t-elle pu continuer à vendre ses produits pendant tant d'années ?

Poser cette question revient à s'interroger sur les graves lacunes du système européen de contrôle des dispositifs médicaux , notamment les plus critiques. Le scandale PIP démontre également que ces produits ne peuvent plus rester les grands oubliés de la politique de santé . Chaque jour, les dispositifs médicaux les plus complexes contribuent à prolonger l'existence de patients pour lesquels il n'existait pas d'alternative thérapeutique et à améliorer la qualité de vie de beaucoup d'autres. Il est temps de comprendre que les dispositifs médicaux ne constituent pas une sorte de « médicament au rabais » mais bel et bien un outil sanitaire indispensable.

Les investigations de la mission la conduisent à remettre en cause d'autres idées reçues :

- penser que les Etats-Unis constituent un modèle indépassable , tant sont nombreux les aménagements qui permettent d'échapper à la réglementation la plus exigeante. Le nombre de retraits de dispositifs et les difficultés récurrentes rencontrées par des matériels américains illustrent bien cette réalité : les principaux pays appliquent tous plus ou moins le même système de classification en fonction du degré de risque présenté par le produit ;

- croire que l'institution d'une procédure d'autorisation de mise sur le marché pour les dispositifs médicaux les plus risqués permettrait d'éviter toute défaillance à l'avenir relève de la même logique : un dispositif médical ne sera jamais un médicament. En la matière, il est impossible de demander à des volontaires sains de tester les produits, il n'existe pas de placebo, les études cliniques préalables sont difficiles à mettre en oeuvre.

En revanche, force est de constater les graves dangers qui découlent des modalités d'application de la réglementation européenne : le marquage CE ne peut plus dépendre du bon vouloir des fabricants, avec la passivité des organismes notifiés . Ce qui devait rester l'exception - l'assimilation « dûment justifiée » à un produit existant - est devenue la règle. Il est urgent d'inverser cette logique car la volonté de promouvoir l'innovation thérapeutique et d'offrir aux malades toutes les possibilités issues du développement de technologies nouvelles ne doit pas faire oublier le but premier de tout dispositif médical : améliorer l'état de santé du patient.

La première réforme consiste donc à appliquer rigoureusement la réglementation existante , d'autant que la révision des textes communautaires n'entrera en vigueur que dans deux ans au mieux ; la mise en oeuvre des mesures d'harmonisation décidées au niveau international, notamment l'institution d'un système d'identifiant unique, prendra nécessairement du temps. Sans attendre, notre pays peut faire le choix de la sécurité en modifiant en profondeur la réglementation nationale. Car la France se trouve dans une position plus inconfortable que ses principaux partenaires :

- le délai mis à admettre au remboursement les dispositifs médicaux innovants est le plus long de l'Union européenne , de sorte que les patients ne peuvent bénéficier du bon côté de la procédure de certification européenne, sa rapidité. Ainsi, le dispositif Watchman TM dont la mission a eu la démonstration 107 ( * ) , est disponible dans plusieurs pays européens mais pas encore en France. Les patients du nord de la France n'ont pour seule solution que de se le faire implanter en Allemagne ;

- les défaillances des mécanismes d'alerte sont flagrantes . La protection des données personnelles constitue une pierre angulaire de notre système juridique. En matière de santé, elle doit pouvoir être aménagée afin de mettre en place des registres de patients pour chaque spécialité ou acte clairement identifié (prothèse de hanche ou de genou) ;

- l'accès à une information simple et exhaustive reste un objectif à atteindre car la transparence constitue le seul moyen pour restaurer la confiance.

La création d'un portail d'information unique permettra également d'assurer une éducation à la santé , qui devra concerner aussi bien les dispositifs médicaux que les interventions à visée esthétique. Par exemple, qui sait, aujourd'hui, que la prothèse qui lui est implantée a une durée de vie limitée et qu'il sera peut-être nécessaire de procéder à son remplacement ?

On pourrait s'interroger longtemps pour connaître et analyser les motivations et ressorts psychologiques de la demande d'actes ayant pour finalité de parfaire l'apparence de personnes a priori en bonne santé. En tout état de cause, le législateur ne peut assister sans réagir à la multiplication des pratiques à visée esthétique. Il est urgent d'agir dans trois directions :

- définir précisément ce qui relève de la médecine et ce qui appartient à l'esthétique , sans se fonder sur les actes proprement dits car ceux-ci évoluent sans cesse ;

- clarifier les compétences des différentes professions et mettre en place un véritable plan d'action en matière de formation ;

- instituer un véritable parcours de soins esthétiques de nature à alerter les consommateurs sur la nécessaire prudence qui s'impose en la matière.

Il n'existe pas de fatalité à voir se répéter les scandales sanitaires ; il importe seulement de remettre la sécurité au premier rang des priorités de l'action publique en ce domaine.


* 107 Watchman TM est un petit dispositif en forme d'ombrelle implanté à l'entrée de l'auricule afin de l'obturer et d'éviter ainsi le passage d'éventuels caillots dans la circulation artérielle. Il s'adresse aux patients qui ne peuvent suivre un traitement anticoagulant.

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