N° 593
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la révision des valeurs locatives professionnelles et commerciales ,
Par MM. François MARC et Pierre JARLIER,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc, Mmes Michèle André, Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mme Fabienne Keller, MM. Gérard Miquel, Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; M. Philippe Dallier, Mme Frédérique Espagnac, MM. Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Mme Nicole Bricq, MM. Jean-Pierre Caffet, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Jean Germain, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Marc Massion, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung. |
Mesdames, Messieurs,
Par la loi de finances rectificative pour 2010, a été prise la décision d'engager une nouvelle procédure de révision des valeurs locatives cadastrales, limitée aux seuls locaux professionnels et commerciaux.
A l'issue d'une année d'expérimentation, un rapport d'évaluation a été présenté au Parlement. Il démontrait la capacité de l'administration à généraliser à l'ensemble du territoire national les opérations de révision, mais il mettait en évidence, également, la nécessité de quelques aménagements au dispositif législatif voté en décembre 2010.
Le débat sur ces adaptations n'a pas eu lieu en raison du calendrier électoral du premier semestre de l'année 2012. Ce retard risquait de porter préjudice au principe même de la révision de valeurs locatives dont chacun s'accorde pourtant à souligner l'obsolescence et l'injustice.
Votre commission des finances a donc décidé de se saisir du sujet, afin de disposer, dès la rentrée parlementaire suivant les élections législatives, de propositions de modifications qui permettront, dans les meilleurs, délais, la reprise du calendrier de révision, incluant la généralisation des opérations à l'ensemble des départements, l'application des nouvelles bases professionnelles et, dans une seconde étape, l'extension aux locaux d'habitation.
I. LA RÉVISION DES VALEURS LOCATIVES EST TENUE EN ÉCHEC DEPUIS TROP LONGTEMPS
A. LES VALEURS LOCATIVES AU COEUR DES FINANCES LOCALES
1. Une assiette de la fiscalité locale
La fiscalité locale française est très largement appuyée sur une assiette immobilière.
Les valeurs locatives cadastrales (VLC) servent d'assiette aux impôts directs locaux qu'ils soient anciens ou récemment institués. Elles participent ainsi au calcul de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), et non bâties, à celui de la taxe d'habitation (TH) pour les locaux d'habitation, et à celui de la cotisation foncière des entreprises (CFE), comme elles entraient partiellement dans l'assiette de la taxe professionnelle, pour les locaux professionnels.
Au total, la fiscalité assise sur les valeurs immobilières représente donc environ 50 % des recettes fiscales de l'ensemble des collectivités territoriales, et 73 % de l'assiette fiscale des impôts locaux, selon une répartition détaillée dans le tableau suivant.
Produits de la fiscalité locale sur assiette immobilière
(en millions d'euros, chiffres 2011)
Communes |
Groupements à fiscalité propre |
Départements |
Régions |
Total |
|
Taxe d'habitation |
12 886,26 |
5 753,04 |
18 639,30 |
||
Taxe sur le foncier bâti |
14 276,66 |
769,16 |
10 953,40 |
25 999,22 |
|
Taxe sur le foncier non bâti |
778,38 |
177,43 |
955,81 |
||
Cotisation foncière des entreprises |
1 460,58 |
4 832,58 |
6 293,17 |
Source : DGFiP
Ces valeurs locatives ont aussi un impact direct sur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ( TEOM ), la taxe sur les friches commerciales et, enfin, sur la répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
La TEOM est en effet, une taxe facultative assise sur les mêmes bases que la taxe foncière ; son produit représente 5 891 millions d'euros en 2011.
La taxe sur les friches commerciales, prévue à l'article 1530 du CGI est également une taxe facultative dont l'assiette est constituée par le revenu net servant de base à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Son application est extrêmement limitée et le montant de recettes perçu est inférieur à 0,5 million d'euros.
Enfin, s'agissant de la CVAE, les règles fixées par l'article 1586 octies précisent que « lorsqu'un contribuable dispose de locaux ou emploie des salariés exerçant leur activité plus de trois mois dans plusieurs communes, la valeur ajoutée qu'il produit est imposée dans chacune de ces communes et répartie entre elles au prorata, pour le tiers, des valeurs locatives des immobilisations imposées à la cotisation foncière des entreprises et, pour les deux tiers, de l'effectif qui y est employé . »
Dans ce cas, les valeurs locatives sont un critère de redistribution de l'impôt, en application du principe de territorialité, mais elles n'influent pas sur le produit global de l'imposition qui a pour assiette la valeur ajoutée 1 ( * ) .
L'impact sur la CVAE se révèle donc marginal, comme l'a souligné François Baroin, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en réponse à un questionnaire adressé dans le cadre de la mission commune d'information sur la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale.
Les effets, pour les contribuables de la CVAE, de la révision des valeurs locatives Les valeurs locatives n'interviennent pas dans le calcul du montant de la CVAE due. Néanmoins, la révision des valeurs locatives aura un impact sur la répartition et sur le montant de la CVAE due par les redevables qui disposent de plusieurs établissements. Dès lors que les effets de la révision diffèrent selon le marché locatif local, elle aura un impact sur la répartition de la valeur ajoutée entre les différents établissements dont disposent les contribuables. Par suite, le montant de la CVAE nette due par les redevables qui disposent de plusieurs établissements pourra également être modifié par la révision. En effet, pour déterminer la CVAE dont ils sont redevables les contribuables doivent répartir la valeur ajoutée qu'ils ont produite entre les différents établissements dont ils disposent au prorata du foncier et des effectifs. Ils tiennent compte ensuite des exonérations applicables localement. Exemple : Un contribuable dispose de deux établissements, situés sur le territoire de deux communes différentes. L'établissement situé sur le territoire de la commune A bénéficie d'une exonération totale de CVAE. La valeur ajoutée produite par le contribuable s'élève au total à 100 000 €. Compte tenu des effectifs et des valeurs locatives de chacun de ces deux établissements, 40 % de cette valeur ajoutée est localisée sur le territoire de la commune A, 60 % sur le territoire de la commune B. Avant la révision, la CVAE due par ce contribuable s'élève à : 100 000 x 60 % x 1 % = 600 € (par simplification, un taux de CVAE de 1 % a été retenu) La révision se traduit par une augmentation plus importante de la valeur locative des locaux situés sur le territoire de la commune A que de celle située sur le territoire de la commune B. Après la révision, 50 % de sa valeur ajoutée est localisée sur le territoire de la commune A et 50 % sur le territoire de la commune B. Après la révision, la CVAE due par le contribuable s'élève donc à 500 €. Source : ministère de l'économie |
2. Un élément de calcul des dotations aux collectivités territoriales
Si la valeur cadastrale est un élément déterminant de la fiscalité locale, elle est aussi, de manière indirecte, un facteur du calcul des dotations de l'Etat aux collectivités et des prélèvements et attributions des nouveaux fonds de péréquation récemment institués.
La répartition des dotations et les attributions font, en effet, appel à la notion de potentiel financier , puisque la part fiscale de ce potentiel calcule la richesse d'une collectivité en appliquant, pour chaque impôt, un taux national moyen à une assiette foncière réelle. On notera qu'en conséquence, ce mode de calcul favorise les collectivités dont l'assiette foncière est sous-estimée en faisant apparaître un potentiel inférieur à la réalité de leurs bases.
Plusieurs instruments de péréquation entre collectivités sont impactés par ce mécanisme du potentiel financier : l'ensemble des dotations de péréquation dite verticale 2 ( * ) (dotation de solidarité urbaine, dotation de solidarité rurale et dotation nationale de péréquation pour le bloc communal, dotation de péréquation urbaine et dotation de fonctionnement minimale pour les départements, dotation de péréquation régionale), et, parmi les fonds de péréquation horizontaux, le Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), le Fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF), les fonds de péréquation de la CVAE.
Un autre mécanisme utilisé pour la péréquation au sein du bloc communal fait intervenir les bases cadastrales : il s'agit de la notion d'effort fiscal qui traduit le degré de sollicitation du contribuable local, et qui est égal au rapport entre le produit de la TH, des deux taxes foncières, de la TEOM ou de la redevance pour enlèvement des ordures ménagères et le potentiel fiscal correspondant à ces trois taxes.
Ce critère est un des éléments d'attribution de la dotation nationale de péréquation et des attributions du FPIC.
* 1 En conséquence, les valeurs locatives utilisées pour la redistribution de la CVAE seront les valeurs brutes révisées et ne feront pas intervenir le coefficient de neutralisation décrit infra.
* 2 La péréquation verticale consiste en une modulation des concours de l'État aux collectivités destinée à avantager les collectivités initialement les moins dotées.