3. Une crise de la zone euro toujours pas résolue
a) Une crise de confiance, qui a atteint son paroxysme au second semestre 2011
Fondamentalement, la crise de la dette est une crise de confiance, qui suscite des augmentations autoréalisatrices, c'est-à-dire auto-entretenues, des taux d'intérêt des Etats concernés : les investisseurs, doutant de la solvabilité d'un Etat, lui imposent des taux d'intérêt plus élevés, ce qui accroît leurs doutes sur sa solvabilité, et renforce le phénomène. Si l'on exclut le cas de la Grèce, c'est ce phénomène qui a porté les taux d'intérêt du Portugal et de l'Irlande à des niveaux insoutenables, et les a obligés à recourir à l'aide du FMI et du Fonds européen de stabilité financière (FESF).
L'enjeu désormais est d'éviter que la défiance s'étende à l'Espagne et à l'Italie. En effet, si ces Etats se trouvaient dans l'impossibilité de se financer sur les marchés, aucun fonds financé par les Etats ne serait assez « grand » pour les empêcher de faire défaut.
Ce scénario « catastrophe » a pu sembler, au second semestre 2011, risquer de se réaliser. En effet, plusieurs phénomènes ont alimenté la défiance des marchés :
- décision du Conseil européen, le 21 juillet 2011, de provoquer le défaut de la Grèce, avec des pertes pour le secteur privé, alors qu'il existait de fortes incertitudes sur la solidité des banques ;
- volonté de l'Allemagne de faire systématiquement subir des pertes aux acteurs privés (Eurogroupe, 28 novembre 2010 ; cette position n'a été officiellement abandonnée que lors du sommet franco-allemand du 5 décembre 2011) ;
- absence de « pare-feux » suffisants ;
- dégradation de la notation souveraine des Etats-Unis par Standard & Poor's le 5 août 2011 ;
- cercle vicieux entre crise de la dette souveraine et difficultés de financement des banques.
b) Un retour de la confiance, permis par un « contrat implicite » entre les Etats et la BCE sur la gouvernance de la zone euro
La crise du second semestre 2011 a pris fin, grâce à l'adoption d'un « contrat implicite » sur la gouvernance de la zone euro, aux termes duquel, schématiquement, les « mauvais élèves » s'engagent à réduire leur déficit, en échange de quoi la BCE et l'Allemagne acceptent de les aider.
Ce « contrat implicite » apparaît clairement quand on examine la chronologie des principales décisions de l'automne 2011 :
- le 1 er décembre 2011, Mario Draghi a déclaré, devant le Parlement européen : « Ce dont d'après moi notre union économique et monétaire a besoin, c'est d'un nouveau pacte budgétaire ( fiscal compact ). (...) D'autres éléments pourraient suivre, mais l'ordre importe » 44 ( * ) ;
- = lors du sommet franco-allemand du 5 décembre 2011, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont annoncé leur intention d'adopter d'ici mars 2012 un nouveau traité impliquant, selon les termes du Président de la République, « une règle d'or renforcée et harmonisée au niveau européen pour que tous les budgets des 17 comportent une disposition constitutionnelle qui permette aux cours constitutionnelles nationales de vérifier que le budget national va vers le retour à l'équilibre » ;
- c'est alors que la BCE a réalisé, en décembre 2011 et en février 2012, ses deux opérations de « LTRO » 45 ( * ) à trois ans, pour des montants de respectivement 489 et 530 milliards d'euros, mettant fin à la grave crise de confiance qui, au second semestre 2011, avait mis en péril la capacité de l'Espagne et de l'Italie à se financer sur les marchés, suscitant ainsi un risque de crise économique majeure.
Les chefs d'Etat et de gouvernement ont ensuite signé au début du mois de mars 2012 le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance dans l'UEM (dit « TSCG »). Ce traité n'a toutefois pas été ratifié à ce stade. Votre rapporteure générale considère, comme le candidat socialiste à l'élection présidentielle, qu'il devra concilier discipline budgétaire et mesures en faveur de la croissance, cette combinaison étant la seule pleinement susceptible de rétablir la confiance.
Il semble que les marchés considèrent désormais que la BCE jouerait, en cas de nécessité, le rôle de « prêteur en dernier ressort » des Etats. Ainsi, lors de son audition au Sénat par la commission des finances et la délégation à la prospective le 8 février 2012, Gilles Moëc, chef économiste à la Deutsche Bank, a déclaré : « Que peut faire la BCE si tout échoue, c'est-à-dire si, après les premiers effets positifs de la LTRO à trois ans, on retombe dans certaines ornières politiques en Italie ou en Espagne ? Alors le SMP doit être l'arme de dernier ressort. Sans aucun doute, la BCE n'a aucun intérêt à pré-annoncer une intervention massive pour acheter des obligations d'État, mais les marchés fonctionnent sur la conviction implicite que la BCE « ferait le métier » et relancerait le SMP, en cas de crise majeure ».
C'est la BCE, et non les « pare-feux » se finançant essentiellement sur les marchés et par conséquent fragiles en cas de crise grave ( cf . encadré ci-après), qui constitue le véritable « filet de sécurité » pour la zone euro.
Rappels sur les pare-feux Les besoins de financement (déficit + tombées de dette) en trois ans : |
• Irlande, Portugal, Espagne : 600 Mds € ; Belgique : 200 Mds € ; Italie : 800 Mds €. |
• Citigroup (janvier 2011) : 2 000 Mds € pour pouvoir aider « l'Italie, la Belgique et la France ». Des fonds dont les capacités de prêt disponibles pourraient passer prochainement d'environ 600 Mds € à plus de 1 000 Mds € |
• Capacités actuelles : environ 300 Mds € disponibles pour le FESF/MES (en raison d'engagements d'environ 200 Mds €)* + environ 300 Mds € pour le FMI = environ 600 Mds €. |
• Capacités prochaines : environ 500 Mds € pour le FESF/MES* + environ 600 Mds € pour le FMI** si ses ressources sont accrues de 300 Mds € (objectif de 466 Mds €, dont 200 Mds € déjà promis par l'UE) = 1 100 Mds €. * Le traité relatif au MES fixait un plafond de 500 Mds € pour l'encours de prêts de l'ensemble FESF+MES. Comme le FESF a déjà engagé environ 200 Mds €, cela correspondait à une capacité de prêt disponible de 300 Mds €. Lors de sa réunion du 30 mars 2012, l'Eurogroupe a décidé de porter la capacité de prêt de l'ensemble FESF+MES à 700 Mds €, ce qui, compte tenu des 200 Mds € déjà engagés, correspond à une capacité de prêt disponible de 500 Mds €. Le chiffre de 800 Mds €, parfois avancé, correspond aux 700 Mds €, majorés de sommes déjà payées : 49 Mds € pour le MESF et 53 Mds € pour les prêts bilatéraux à la Grèce. ** Le FMI disposait, à la fin de l'année 2011, d'une capacité de prêt d'environ 390 Mds $ (soit 303 Mds €), compte tenu des prêts déjà accordés. Il estimait alors avoir besoin de pouvoir prêter 500 Mds $ supplémentaires, ce qui impliquait de nouvelles ressources de 600 Mds $ (soit 466 Mds €). Dans un communiqué du 19 décembre 2011, les dix-sept Etats membres de la zone euro se sont engagés à augmenter leurs contributions bilatérales au financement du FMI de 150 Mds €. Les autres Etats de l'UE se sont engagés à apporter 50 Mds €. A la suite notamment du refus des Etats-Unis d'accroître leur contribution, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, a suggéré le 12 avril 2012 que les besoins du FMI pourraient être revus à la baisse. Un accord doit être trouvé d'ici la réunion du G20 en juin 2012. FESF : Fonds européen de stabilité financière. FMI : Fonds monétaire international. MES : Mécanisme européen de stabilité. MESF : Mécanisme européen de stabilisation financière. Si le FMI se finance par la création monétaire des Etats membres, les autres fonds se financent par émissions obligataires. |
Il serait politiquement plus responsable que les Etats sortent la banque centrale de la situation ambiguë dans laquelle, à mandat inchangé, elle se trouve et, pour refinancer les Etats en difficulté, dotent le MES d'une force de frappe suffisante et du statut bancaire qui lui permettrait de se refinancer auprès de la BCE.
D'une manière générale, la gouvernance globale de la zone euro n'est pas satisfaisante. Elle paraît résulter de rapports de forces entre Etats et institutions et ne permet pas de prendre des décisions avec la réactivité qui serait nécessaire. C'est cette impression qu'il n'y a pas véritablement de « pilote dans l'avion » susceptible de définir et de faire appliquer une stratégie claire et cohérente - et non, contrairement à ce qu'affirment certains membres du Gouvernement, l'éventualité d'une alternance démocratique en France en mai et juin prochains - qui constitue vraisemblablement la principale cause de la défiance à moyen terme vis-à-vis de la zone euro.
A plus long terme, le principal problème de la zone euro est qu'elle est une construction « bancale ». L'intégration des politiques budgétaires est désormais considérablement renforcée alors que les politiques économiques et fiscales relèvent en quasi-totalité de la compétence des Etats. Or, l'un des problèmes essentiels de la zone euro est que, du fait de l'impossibilité de dévaluer leur monnaie, certains Etats (Espagne, Portugal, Grèce) ont un déficit extérieur très important (de l'ordre de 10 points de PIB) qui, s'il se maintenait, susciterait des crises d'endettement à répétition. Aucun dispositif de stabilité, même impliquant la BCE, ne serait perçu comme crédible, puisque c'est l'existence même de la zone euro qui serait remise en question. Malheureusement, le dispositif de surveillance des déséquilibres macroéconomiques mis en place dans le cadre du « Six-pack » ne paraît pas à la hauteur des enjeux. Plus fondamentalement, on peut se demander comment les Etats ayant un déséquilibre extérieur important peuvent restaurer leur compétitivité si leurs partenaires mènent une politique analogue au même moment. C'est pourquoi pour surmonter cette faiblesse structurelle de la zone euro, la discipline budgétaire doit être complétée par des initiatives de nature à dynamiser la croissance et à coordonner les politiques macro-économiques.
c) L'aléa des finances publiques espagnoles
Dans ce contexte, la situation de l'Espagne est préoccupante.
Si le respect de l'objectif fixé pour 2011 aurait vraisemblablement entraîné une récession, le « dérapage » de 2011 provient en quasi-totalité du fait que l'Espagne n'a pas fait les efforts demandés, en laissant notamment les finances de ses communautés autonomes déraper.
Le 27 février 2012, le gouvernement espagnol issu des élections de novembre 2011 a indiqué que le déficit de 2011, qui aurait dû être de 6 points de PIB selon le programme de stabilité 2011-2014 d'avril 2011, avait en réalité été de 8,5 points de PIB. A l'issue du conseil européen du début du mois de mars 2012, le Premier ministre espagnol, Mariano Rajoy, a annoncé que le budget 2012 serait bâti avec un objectif de déficit de 5,8 points de PIB, contre 4,4 points selon le programme de stabilité 2011-2014, l'objectif de 3 points de PIB en 2013 demeurant inchangé.
Finalement, le 12 mars l'Eurogroupe a fixé la trajectoire de solde à 5,3 points de PIB en 2012 et 3 points de PIB en 2013.
La trajectoire de solde public de l'Espagne : prévision et exécution
(en points de PIB)
Source : Commission européenne, documents indiqués
• Le mauvais résultat de 2011 s'explique par les effets de la moindre croissance, mais aussi par la politique de finances publiques effectivement menée , et en particulier par l'absence de maîtrise des finances des communautés autonomes .
Il paraît toutefois difficile de faire abstraction du contexte économique et social de l'Espagne. Un pays sortant d'une récession majeure ayant porté son taux de chômage à plus de 20 % voit nécessairement la consolidation de ses finances publiques rendue très difficile.
Certes, le fait que le solde de 2011 ne se soit amélioré que de 0,7 point de PIB, et non 3,2 points comme prévu, s'explique en partie par la faible croissance. En effet, la croissance du PIB a été de seulement 0,7 %, contre une prévision de 1,3 %, comme le montre le graphique ci-après.
La croissance du PIB espagnol : prévision et exécution
(en %)
* Consensus Forecasts, 10 avril 2012.
Source : Commission européenne, documents indiqués
Toutefois un écart de 0,7 point n'aurait dû dégrader le solde que d'environ 0,5 point de PIB 46 ( * ) .
Concrètement, sur les 2,5 points de déficit supplémentaires, 1,6 point proviennent des communautés autonomes.
Ce dépassement a été d'autant plus mal perçu que le gouvernement espagnol avait encore indiqué, à la fin de l'année 2011, que l'objectif de 6 points de PIB serait respecté.
• L'Espagne a donc placé ses partenaires dans une situation difficile.
D'un côté, il n'était pas possible de maintenir inchangé l'objectif de solde de 2012, à moins d'imposer un effort politiquement et économiquement impossible. De l'autre, il n'était pas non plus envisageable d'accroître cet objectif 2012 à hauteur du « dérapage » de 2011, à moins de vider le pacte de stabilité de toute portée.
L'objectif de solde de -5,3 points de PIB fixé par l'Eurogroupe le 12 mars 2012 correspond à une amélioration de 3,2 points par rapport à 2011, égale à celle qui aurait dû être observée en 2011.
L'Espagne s'est donc placée dans une situation délicate, où il doit réaliser un effort d'ajustement considérable en 2012, année où le PIB de la zone euro devrait reculer de 0,4 %. Selon le consensus des conjoncturistes, il en résulterait une diminution du PIB espagnol de 1,6 % en 2012 (pour un déficit public supérieur d'environ 0,5 point à celui actuellement prévu) 47 ( * ) . Un recul du PIB plus important ne peut être exclu.
• Le cas espagnol montre qu'il est important, pour un Etat, de calibrer ses efforts de manière réaliste.
Ainsi, la prime de risque par rapport à l'Allemagne pour les emprunts à dix ans est actuellement de l'ordre de 420 points de base, ce qui est proche de son maximum historique du 22 novembre 2011 (468 points de base). Si le taux lui-même n'atteint pas son maximum de l'automne 2011 (près de 7 %, contre un peu moins de 6 % aujourd'hui), cette évolution n'en est pas moins préoccupante, pour la soutenabilité des finances publiques espagnoles, et donc pour la zone euro dans son ensemble.
Les taux d'intérêt sur la dette publique espagnole
Source : Natixis
• Au total, même si d'autres aléas ne peuvent être écartés - comme un nouveau rebondissement de la crise grecque, un « atterrissage brutal » de l'économie chinoise, ou une forte augmentation du prix du pétrole consécutive à une crise avec l'Iran -, l'Espagne semble constituer le principal risque de reprise de la crise de la zone euro en 2012.
Actuellement, les taux d'intérêt sur la dette publique espagnole, bien qu'en augmentation, demeurent soutenables, parce que les deux opérations de refinancement à trois ans réalisées en décembre 2011 et en février 2012 par la BCE ont incité les banques espagnoles à acquérir ou à conserver des titres de dette publique espagnole. Ce mécanisme ne fonctionnerait plus si les banques espagnoles se remettaient à craindre un défaut de leur Etat.
Par ailleurs, on ne peut écarter le risque que se réenclenche le cercle vicieux entre une défiance des investisseurs vis-à-vis des banques espagnoles et leur défiance vis-à-vis des administrations publiques espagnoles.
Le seul acteur susceptible d'empêcher un défaut de l'Espagne serait alors la BCE, qui devrait acheter massivement des titres de dette publique espagnole sur le marché secondaire. Toutefois elle ne l'accepterait pas sans contreparties en matière de réduction du déficit. Or, la réduction par l'Espagne de son déficit public serait socialement encore plus douloureuse qu'elle ne l'est déjà, comme on l'a vu ci-avant.
Des turbulences sur les marchés financiers, et le cas échéant sur l'économie réelle, ne peuvent donc être exclues.
Après une adjudication à court terme plutôt rassurante, malgré des taux en hausse, le mardi 17 avril, l'Espagne devra bientôt affronter un véritable « test », lors de l'émission d'obligations à 3 et 5 ans prévue le jeudi 19 avril.
* 44 Traduction par la commission des finances.
* 45 « Longer-term refinancing opérations », opérations de refinancement à plus long terme.
* 46 Les dépenses des administrations publiques espagnoles étant de l'ordre de 45 points de PIB, une croissance inférieure de 0,7 point augmente le ratio dépenses/PIB d'environ 0,3 point. L'impact sur l'élasticité des recettes publiques au PIB conduit à légèrement accroître ce chiffre.
* 47 Consensus Forecasts, 10 avril 2012.