2. L'importance des petites structures dans l'innovation
Le rôle joué dans l'innovation par les petites structures est très important. Certaines sont du reste créées pour faciliter l'innovation : c'est le cas des start-up et des spin-off. Mais ces deux cas de figure correspondent aux premiers pas des innovateurs. L'enjeu est clairement de leur permettre de devenir des PME.
Les PME sont, de l'avis de nombreux observateurs, beaucoup plus innovantes que les grandes entreprises, ce qui a nécessairement des implications sur la manière de concevoir le soutien à l'innovation.
C'est notamment l'avis du Comité Richelieu qui considère que l'innovation provient essentiellement des petites structures, pas des grands groupes. En conséquence, cette association a mis en place il y a six ans le pacte PME, afin d'élaborer des guides de bonnes pratiques entre les grands groupes et les PME innovantes françaises et faciliter leur rapprochement.
Le Comité Richelieu propose maintenant de créer un statut de l'entreprise innovante, qu'on nomme EIC, pour entreprise d'innovation et de croissance. Cette idée innovante permettrait d'institutionnaliser dans le paysage français l'entreprise innovante, pour permettre de simplifier les procédures et faciliter l'aide à ces entreprises. Ce statut doit englober les start-up , les PME et les Entreprises de taille intermédiaire (ETI).
Pour M. Christophe Lecante, président de la commission Innovation du Comité Richelieu il faut distinguer PME et start-up . Contrairement à des start-up qui se créent, les PME ont l'accès au marché, la connaissance et le savoir-faire de la mise en oeuvre industrielle des projets. Elles disposent malgré tout d'un peu de fonds propres, et surtout d'une certaine visibilité de la part des grands groupes. Les PME ont donc un rôle de courroie de transmission dans le dispositif de l'innovation.
Or, le rôle des PME est largement sous représenté dans ce dispositif, alors qu'elles représentent plus de 50 % des dépenses internes de R&D, 21 % pour les PME indépendantes et les ETI. En matière de financement, les PME ne représentent pourtant que 23 % des subsides du crédit impôt recherche, et 28 % seulement des aides publiques à l'innovation.
Pour M. Vincent Charlet, directeur de Futuris, il y a deux univers distincts : les grands groupes, les PMI. Les grands groupes sont sur des produits matures : ils innovent, mais en calculant soigneusement leur risque afin de ne pas faire de paris aventureux, même s'il y a des exceptions, comme la société Michelin. Les PMI raisonnent différemment et acceptent de prendre plus de risques.
C'est également l'avis de M. Christian Tidona, biologiste devenu entrepreneur, qui a créé plusieurs start-up , travaille pour des entreprises familiales et des spécialistes du venture capital . C'est pourquoi il a proposé au ministère fédéral allemand de la science qui l'avait contacté en 2007 pour déterminer les règles de fonctionnement d'un cluster , d'établir une égalité absolue entre petites et grandes entreprises pour obtenir des fonds du cluster : la moitié serait réservée aux petites entreprises.
Pour M. Stéphane Distinguin, fondateur de FaberNovel, les grandes entreprises ne savent pas gérer les compétences, surtout à partir d'un certain âge. C'est un gâchis énorme. Ces personnes plus âgées mais compétentes pourraient accompagner les start-up , comme le font les business angels dans le domaine financier. En outre, les grandes entreprises ne jouent pas leur rôle de rachat d'autres entreprises. Or c'est essentiel si les investisseurs veulent récupérer les sommes qu'ils ont investies. Le problème n'est pas dans l'argent qu'on investit, mais l'argent qu'on récupère à la fin.
Pour M. Albert Ollivier, responsable financement des PME et de l'innovation au pôle de compétitivité mondial « finance innovation » , l'innovation est plus riche dans les PME, parce qu'elle est plus libre. Le problème des grands groupes, c'est que leurs dépenses en matière de recherche, même si elles sont élevées, ne sont pas toujours aussi productives que dans des entreprises plus petites.
Pour M. Michel Cosnard, président d'ALLISTENE (Alliance des sciences et technologies du numérique), « c'est majoritairement par le biais de petites structures de recherche que s'opère le transfert de la recherche publique vers l'industrie - petites entreprises dont certaines prospèrent de manière vertigineuse : voyez ce qu'il est advenu de Google dont le chiffre d'affaires est passé en dix ans de zéro à 40 milliards de dollars... C'est un secteur où la création passe pour beaucoup par la création d'entreprises qui sont parfois consolidées chez de grands acteurs. Ainsi, plusieurs entreprises de l'INRIA ou de l'Institut Télécom sont maintenant intégrées chez le premier éditeur européen de logiciels, Dassault Systèmes » .
Pour M. Matthias Fink, qui abordait cette question lors de l'audition publique du 26 mai 2011, l'innovation s'intègre mal à l'échelle de grands groupes aux procédures lourdes. Elle nécessite de passer par la création de start-up . Le système français permet d'aider celles-ci, mais n'offre pas la possibilité aux entreprises d'atteindre ensuite une grande taille. Il manque en France des firmes employant un millier de personnes comme on en trouve en Allemagne et qui font la force de son économie. En France, au-delà d'un effectif de 40 ou 50 personnes et d'une durée de cinq ans, les investisseurs veulent se retirer et revendre leur participation à des groupes, qui, pour la plupart, ne sont pas français.
Aux États-Unis, les chercheurs universitaires peuvent, eux, librement créer des sociétés, se positionner en entrepreneurs et agir sur la conduite de ces entreprises. En France, la loi sur l'innovation et la recherche du 12 juillet 1999 permet aux chercheurs de devenir actionnaires de start-up . « Toutefois, le CNRS interprète mal la loi : il exige des chercheurs fonctionnaires d'obtenir d'un comité de déontologie l'autorisation de participer aux sociétés créées à partir de leurs inventions. Pour que celle-ci soit accordée, il faut que la société ait déjà été constituée par d'autres personnes ». Les chercheurs doivent donc faire appel à des tiers pour créer une société, ce qui les amène à entrer tardivement dans le capital et les empêche de la contrôler, voire même leur interdise d'entrer dans la société.
Il résulte de ces analyses des conséquences importantes : il est probable que les innovations de rupture ne seront pas le fait de très grandes entreprises, qui sont par nature moins aptes à prendre des risques que de petites structures. Il faut en effet accepter l'idée d'échec pour innover, ce qui est peu accepté en France.
Comme le souligne M. Matthias Fink, il faut réfléchir à la façon dont l'État pourrait aider les sociétés ayant le potentiel de devenir de grands acteurs dans leur secteur. « Il convient d'éviter que les sociétés innovantes ne soient constituées qu'avec des capitaux privés. Lorsque l'innovation proposée par une entreprise s'apparente à une rupture technologique, il faut se demander comment l'État pourrait l'aider à s'agrandir ».
Comme le souhaite M. Fornès, président de la commission Recherche et Innovation de Croissance Plus, il serait probablement nécessaire d'augmenter les subventions proposées aux plus petites structures, afin d'augmenter leurs fonds propres et de leur faciliter l'accès aux financements privés. OSEO a certes déjà beaucoup fait pour les PME, notamment en simplifiant ses procédures. Mais son système d'avance remboursable est, lui, plus complexe, non seulement pour l'entreprise elle-même, mais aussi pour OSEO qui est obligée de suivre les dossiers sur une longue durée.
Cet accompagnement va au-delà du financement et de ce que fait une structure comme OSEO, dont le rôle essentiel sera présenté ci-après. Il est particulièrement développé aux Etats-Unis qui s'intéressent à la sponsorisation des jeunes entreprises.
La sponsorisation : l'exemple du CDC innovation Fund Lors de notre déplacement à Atlanta, nous avons appris que les CDC ( Centers for Disease Control ) avaient créé un fonds de l'innovation pour donner des moyens à ceux qui, en interne, présentent des idées nouvelles et leur permettre de prouver l'intérêt de ces idées. Son objectif est triple : identifier systématiquement les nouvelles idées et les tester ; identifier les individus qui vont mettre en cause le statu quo et vont prendre des risques ; faciliter les échanges entre disciplines. Les projets sélectionnés recevront une aide de 100 000 dollars. Leur évaluation se fait sur la base de critères précis : Quel est l'intérêt du projet ? Répond-il à un besoin particulier ? Quel est son impact potentiel ? Quelles leçons doivent être tirées des échecs précédents ? Pour les CDC, la réussite de ces projets dépendra de l'importance des fonds levés, des collaborations engagées, des publications et des brevets, et du nombre de projets développés et reconnus. |