3. Le rôle des entreprises
Les entreprises ont également beaucoup de mal à suivre le mouvement.
Ainsi, Marc Giget nous a exposé la situation actuelle dans le domaine de la musique : aucun fabricant de clavicorde n'est devenu fabricant d'épinette, aucun fabricant d'épinette n'est devenu fabricant de clavecin, aucun fabricant de clavecin n'est devenu fabricant de piano ; et pratiquement aucun fabricant de piano classique n'est devenu fabricant de piano électronique.
Il a également pris l'exemple tristement évident de la société Kodak, qui n'a jamais réussi le passage de l'argentique au numérique. Lorsque le capteur CCD a été inventé, 8 000 chercheurs travaillaient sur les films et les pigments chez Kodak, qui détenait environ 10 000 brevets et faisait tourner 200 usines chimiques.
Il nous a également été donné d'autre exemples : Lip était leader mondial dans le secteur de la montre, mais il a depuis été remplacé par Swatch ; Swissair était la compagnie aérienne la plus riche d'Europe, mais aujourd'hui, Easyjet domine le marché suisse ; Manufrance a disparu corps et bien, mais le groupe Decathlon-Oxylane pèse maintenant plus lourd...
Ce phénomène a été conceptualisé et porte un nom : l'aveuglement du leader.
Cet aveuglement du leader, c'est ce qui donne l'avantage au nouvel entrant, c'est ce qui explique que l'innovation a principalement lieu dans les petites structures qui se doivent d'être plus compétitives, plus performantes, mais surtout plus au fait des dernières évolutions technico-scientifiques et plus proches de l'individu, qui constituera à terme son marché.
Ainsi, cette accélération du monde nous oblige, nous Européens, nous Français, à ne pas descendre du train en marche. L'objectif doit être de parvenir à intégrer ces évolutions rapides de la technologie et de la population. Refuser d'innover, ça n'est pas faire du sur-place, c'est reculer.
Mais que constate-t-on aujourd'hui ? Aucun des vingt-cinq produits de haute technologie les plus vendus en France n'est conçu ni fabriqué en France, ce qui indique bien la capacité défaillante de nos entreprises à répondre aux besoins de la société française, alors que 40 % des produits les plus utilisés par la génération antérieure étaient conçus et fabriqués dans notre pays.
Cette accumulation massive, cet accroissement rapide des connaissances nous place devant un autre défi : celui de combiner savoirs et talents, par l'interdisciplinarité notamment. Il est extrêmement difficile de combiner l'ensemble de ces paramètres, qui se sont emboîtés au cours du temps dans une dynamique toujours plus irrésistible.
Contrairement à la définition souvent donnée, nous ne pensons pas que l'innovation soit la valorisation de la recherche. Cette définition est effet purement « capitalistique » et focalisée sur les gains économiques et ne place pas l'Homme au centre du mouvement.
Toute innovation n'a d'intérêt que si elle fait avancer la société. Nos concitoyens voient de moins en moins en quoi tout ce foisonnement d'activité scientifique améliore leur condition : ils ont plutôt l'impression que les choses se dégradent.
Si l'innovation est en effet, et nous le verrons, moteur de la croissance, elle consiste aussi à mettre la connaissance au service de la société par la réalisation d'une synthèse créative du meilleur état des connaissances.
La valorisation de la recherche constitue une vision purement en termes de marché et de gain. La mise au service de la société, c'est rattacher l'innovation à la notion de progrès comme amélioration de la condition de vie humaine. Ce glissement sémantique permet de réincarner le processus d'innovation, et peut servir à relancer la dynamique de notre système de recherche et d'innovation en détruisant le mur artificiel créé entre la production de connaissance « pour le bien de l'humanité » et sa valorisation « pour le bien du marché ».
Nous prônons la mise au service de la société des connaissances pour « le mieux-être du citoyen », dans un mouvement unique, et non en deux temps comme est conçu le système actuel.