C. DES ÉVALUATIONS QUI PRÉSENTENT UN BILAN COÛT/EFFICIENCE NÉGATIF
1. Pour le Conseil des prélèvements obligatoires : un effet « ambigu » sur l'emploi
Le Conseil des prélèvements obligatoires 63 ( * ) (CPO) considère que l'effet global sur l'emploi de l'exonération des heures supplémentaires est « ambigu » car cette mesure produit des effets contradictoires :
- l'accroissement de la durée du travail incite les entreprises à substituer des heures de travail supplémentaires aux embauches, ce qui a un effet négatif sur l'emploi . Dans un contexte où le chômage est déjà très élevé, la mesure doit donc être considérée comme contre-productive ;
- mais la réduction du coût du travail consécutive à l'exonération est en revanche favorable à l'emploi .
Les simulations effectuées par la direction générale du Trésor montrent que l'impact de cette mesure devrait être faible tant sur l'activité que sur l'emploi et difficile à mettre en évidence à court terme , dès lors que les évolutions conjoncturelles observées depuis la création de la mesure dépassent très largement, du fait de la crise notamment, l'ampleur des effets recherchés à moyen terme.
Par ailleurs, l'application du dispositif d'exonération à la fonction publique de l'Etat démontre dans ce cadre particulier que l'objectif recherché se situe sur le terrain du pouvoir d'achat et en aucun cas de l'amélioration du marché de l'emploi, notamment lorsqu'il s'agit de l'Education nationale.
Application à l'Education nationale des
exonérations fiscale et sociale
Le dispositif applicable à l'Education nationale, notamment en ce qui concerne les « heures supplémentaires années » (HSA) et les « heures supplémentaires effectives » (HSE), est le suivant :
Au total, la dépense afférente aux heures supplémentaires effectuées par les enseignants du second degré s'établit à 1,095 milliard d'euros en 2010-2011. Source : réponse au questionnaire budgétaire (Ministère de l'Education nationale, de la jeunesse et de la vie associative) |
2. Pour le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales : un impact sur le pouvoir d'achat, mais qui bénéficie davantage aux ménages aisés
Si l'effet « emploi » du dispositif n'est pas démontré, le gain de pouvoir d'achat des salariés effectuant des heures supplémentaires apparaît plus certain. Il représentait en moyenne un peu moins de 360 euros par salarié bénéficiaire, répartis entre :
- 108 euros d'économie d'impôt sur le revenu ;
- et 248 euros d'exonération de charges sociales.
La mesure a bénéficié à un large public, 9,4 millions de salariés, mais tandis que la proportion de salariés réalisant des heures supplémentaires est décroissante avec la tranche d'imposition, le gain moyen augmente très nettement dans les déciles supérieurs de niveau de vie. Le dernier décile gagne en moyenne 900 euros de revenu disponible du fait des exonérations contre moins de 300 euros pour chacun des cinq premiers déciles.
Ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous, de fortes disparités existent entre déciles, à l'avantage des tranches les plus élevées : alors qu'en moyenne les ménages gagnent après impôt 41 % de plus par heure supplémentaire réalisée, ce taux atteint 60 % pour les foyers les plus riches.
Répartition des exonérations d'impôts sur le revenu et de cotisations sociales à la charge des salariés par décile de niveau de vie
(en euros)
Décile |
Revenu moyen
|
Gain moyen
|
Gain moyen
|
« effet
croisé »
|
Exonération
|
Taux moyen
|
1 |
663 |
16 |
138 |
-4 |
151 |
30 % |
2 |
847 |
32 |
179 |
-7 |
204 |
32 % |
3 |
892 |
55 |
188 |
-12 |
231 |
35 % |
4 |
930 |
72 |
195 |
-16 |
252 |
37 % |
5 |
1 025 |
82 |
213 |
-18 |
277 |
37 % |
6 |
1 197 |
119 |
245 |
-25 |
339 |
39 % |
7 |
1 360 |
154 |
274 |
-32 |
396 |
41 % |
8 |
1 397 |
174 |
277 |
-35 |
416 |
42 % |
9 |
1 777 |
261 |
348 |
-52 |
557 |
46 % |
10 |
2 406 |
538 |
468 |
-106 |
900 |
60 % |
Total |
1 222 |
137 |
248 |
-28 |
356 |
41 % |
Source : rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales (juin 2011)
En raison de l'augmentation du taux marginal d'imposition en fonction du niveau de revenu, les ménages les plus riches bénéficient d'un avantage fiscal nettement plus important pour une même rémunération d'heure supplémentaire. Les exonérations d'impôt et de charges relatifs aux heures supplémentaires constituent donc un dispositif anti-redistributif .
3. Pour le comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale : un « effet d'aubaine »
Ces critiques sont également largement partagées par le comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale. Ainsi, nos deux collègues députés, Jean-Pierre Gorges et Jean Mallot, rapporteurs, ont-ils mis en évidence un « faisceau d'indices » soulignant que le nombre annuel d'heures supplémentaires n'a pas connu de hausse significative et la durée moyenne effective du travail n'a pas substantiellement augmenté. Ils ajoutent que « l'application du dispositif est marquée par un fort effet d'aubaine, un certain nombre d'heures supplémentaires effectuées mais non déclarées comme telles avant la réforme ayant bénéficié des allègements fiscaux et sociaux » 64 ( * ) .
Sur le plan économique, ils considèrent qu'à moyen et à long terme, cette dépense est peu efficace et qu'elle est « financée par un surcroît de dette publique dont les intérêts correspondant à la dépense annuelle atteignent environ 140 millions d'euros » qui pèsera sur les prélèvements obligatoires futurs. Au final et sous réserve d'une évaluation préalable, ils recommandent la suppression de la partie employeur des exonérations relatives aux heures supplémentaires. L'enjeu financier s'élèverait dans un premier temps à près de 1,3 milliard d'euros, pour mettre fin aux effets d'aubaine les plus marqués, avant d'envisager une suppression plus large du dispositif.
4. Au total, un dispositif dont les inconvénients l'emportent sur les avantages
En octobre 2010, le CPO avait souligné que le Gouvernement évaluait à 0,15 % de croissance du PIB la contribution des heures supplémentaires, soit un effet de 3 milliards d'euros sur la croissance. La direction générale du Trésor a réactualisé cette estimation à + 0,2 % de PIB l'ordre de grandeur de l'impact de la mesure sur l'activité économique (4 milliards d'euros). En tout état de cause, le gain de croissance qui serait engendré par le dispositif demeure inférieur au coût global des exonérations sociales et fiscales. On peut donc considérer qu'il s'agit d'un dispositif inefficace qui mériterait d'être supprimé en tout ou partie .
* 63 Entreprises et « niches » fiscales et sociales : des dispositifs dérogatoires nombreux (octobre 2010).
* 64 Rapport d'information n° 3615 (13 ème législature) sur l'évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l'article premier de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite loi « Tepa ».