3. La RGPP dans les services territoriaux du ministère de la justice
« A la Justice, la RGPP n'avait pas pour objectif premier de réduire les effectifs mais plutôt de rationaliser leur répartition. Si elle a surtout concerné les fonctions support, les trois secteurs du ministère que sont le monde judiciaire, l'administration pénitentiaire et la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont été diversement affectés . » 122 ( * )
La réforme emblématique, à la Chancellerie, est celle de la carte judiciaire, vieux serpent de mer.
Mais, parallèlement à celle-ci, la RGPP s'est traduite localement par la réorganisation des services déconcentrés et la rationalisation des établissements.
a) La réorganisation des juridictions et ses implications locales
L'objectif affiché de cette réforme est d'abord d' « assurer une meilleure qualité de la justice en favorisant la collégialité et une meilleure spécialisation des magistrats ». Elle doit aussi permettre de mieux répartir les moyens consacrés aux juridictions.
Dans ce but, un tiers des juridictions ont été regroupées entre 2009 et 2011, impliquant des investissements immobiliers importants, un accompagnement social des personnels et une aide à la réinstallation des avocats concernés : le délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR) a rappelé à votre mission que la révision de la carte judiciaire a entraîné le déplacement de 1.800 agents du ministère de la justice. 123 ( * )
Engagée en juin 2007, la réforme s'est achevée le 31 décembre 2010. Au total, ont été supprimés :
- 23 tribunaux de grande instance sur 181 ;
- 178 tribunaux d'instance sur 473 ;
- 55 tribunaux de commerce sur 239.
En revanche, ont été créés :
- 7 tribunaux d'instance et 7 juridictions de proximité 124 ( * ) ;
- 6 tribunaux de commerce.
La nouvelle carte a été progressivement mise en oeuvre :
- au 1 er janvier 2009 pour les tribunaux de commerce ;
- au 31 décembre 2009 pour les tribunaux d'instance ;
- au 31 décembre 2010 pour les tribunaux de grande instance.
Cette réforme a péché par sa méthode sur le terrain : information tardive et brutale des élus ; insuffisante prise en compte des territoires.
C'est le cas -exemplaire- de la commune de Joigny dans l'Yonne frappée par la fermeture de son tribunal de commerce au 1 er janvier 2009 puis par celle de son tribunal d'instance au 1 er janvier 2010 alors qu'elle avait déjà perdu son commissariat de police en 2004 (52 policiers remplacés par 39 gendarmes) ( cf infra ). |
La réorganisation de l'implantation des juridictions soulève également la question de l'accès territorial à la justice.
Notre collègue Yves Détraigne, rapporteur pour avis de la commission des lois pour la mission Justice , jugeait indispensable, lors de la dernière discussion budgétaire, un effort particulier pour le « développement de l'accès au droit et du réseau judiciaire de proximité » 125 ( * ) .
La diversification de l'implantation des Maisons de la justice et du droit (MJD) s'inscrit dans ce contexte.
L'actualité des Maisons de la justice et du droit (MJD) Résultant d'initiatives individuelles, les premières MJD ont été créées en 1990 pour assurer notamment une présence judiciaire de proximité dans les quartiers en difficulté. Désormais régies par les articles R. 131-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire (COJ), elles sont créées par arrêté du garde des Sceaux. Elles reposent sur un partenariat réunissant le préfet du département, les chefs de juridiction de son ressort, le président du conseil départemental de l'accès au droit, le maire de la commune d'implantation, le bâtonnier de l'ordre des avocats, les associations oeuvrant dans le domaine judiciaire et ... toute autre collectivité « intéressée ». Elles « concourent à la prévention de la délinquance, à l'aide aux victimes et à l'accès au droit. Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à la résolution amiable des litiges peuvent s'y exercer » ( cf art. R.131-1 COJ). Au nombre de 127 réparties au sein de 27 cours d'appel dans 57 départements, elles sont prioritairement implantées dans les zones urbaines sensibles ou à proximité. Mais la fermeture de tribunaux a conduit le Gouvernement à décider de leur implantation dans des territoires ruraux particulièrement éloignés des services judiciaires. Le secrétaire général du ministère de la justice et des libertés, M. Emmanuel Rébeillé-Borgella, l'a confirmé à votre mission lors de son audition le 25 mai 2011 : « le ministère (...) envisage (...) de densifier le réseau des maisons de la justice et du droit dans les communes éloignées d'un tribunal d'instance ou de grande instance », sans nier qu'il s'agit là d'une « compensation insuffisante » de l'éloignement des tribunaux résultant de la nouvelle carte judiciaire. En outre, les collectivités doivent mettre à disposition de la MJD des locaux -et les équiper- ainsi que le personnel d'accueil, autant de charges supplémentaires ! Ce que soulignait M. Yves Sarrand, directeur général des services de la Savoie, membre de l'Association nationale des directeurs généraux et des directeurs généraux adjoints des régions et départements, lors de son audition le 18 mai dernier : « En Savoie, la fermeture du tribunal d'instance de Saint-Jean-de-Maurienne signifie la fin de la présence judiciaire dans la vallée de la Maurienne. L'État propose de créer une maison de la justice et du droit, en partenariat avec les collectivités. Le maire de Saint-Jean met un local à disposition, la Justice assure la formation et la création d'un poste de permanent incombe au département. Conclusion, la collectivité locale « irresponsable » crée un emploi public de plus, quand l'État « vertueux » réduit ses effectifs ! ». |
En 2010, des MJD ont été créées à Chateaubriand (Morbihan), Toul (Meurthe-et-Moselle), Nogent-Le-Rotrou (Eure-et-Loir), Lodève (Hérault) et Briançon (Hautes-Alpes).
Au cours de son déplacement à Aix-en-Provence, votre mission a pu évaluer les conséquences de la réforme de la carte judiciaire lors de ses rencontres avec les acteurs du monde judiciaire (premier président de la cour d'appel, parquet général et bâtonnier).
La réforme de la carte judiciaire dans le ressort de la cour d'appel d'Aix-en-Provence D ouze juridictions ont été supprimées : quatre tribunaux d'instance (TI), quatre tribunaux de commerce (TC) et quatre conseils des prud'hommes. |
• Mme Catherine Husson-Trochain, première présidente de la cour 126 ( * ) : - la réforme s'est accompagnée de réunions d'information auxquelles les élus ont pu participer ; - la suppression de TI doit s'accompagner de la garantie du maintien d'une « présence juridique » (via les maisons de justice et du droit de nouvelle génération et équipées de bornes interactives, par exemple) ; - au sein d'une juridiction, il est impératif d'avoir une pratique régulière de tous les types de contentieux au risque, dans le cas contraire, de perdre l'expertise nécessaire au traitement de ces affaires. Cet argument justifie le regroupement de certaines juridictions ayant un faible volume d'affaires ; - si la réforme de la carte judiciaire n'avait pas pour objet de « faire » de l'aménagement du territoire, « la RGPP permet de réfléchir sur notre organisation et nos pratiques communes ». Le volet immobilier de la réforme: la Cour a quitté des immeubles mis à disposition par les collectivités territoriales (départements ou communes). Toutefois, ces déménagements n'ont pas permis de dégager des économies à court terme et leurs résultats en la matière à long terme restent encore incertains. |
• Me Claude Lassalle, bâtonnier de l'ordre des avocats à la cour 127 ( * ) : - il existe quatre sites judiciaires éparpillés dans la ville : deux sites pour le tribunal de grande instance, un pour le tribunal d'instance et un pour le conseil de prud'hommes - le futur projet de tribunal de grande instance ne regroupe que les deux sites actuels du TGI (civil et correctionnel). L'Etat et donc les contribuables continueront à verser des loyers importants pour les locaux du conseil de prud'hommes et du TI. |
* 122 Cf. audition de M. Emmanuel Rébeillé-Borgella, secrétaire général du ministère de la justice et des libertés (26 mai 2011).
* 123 Cf. audition du 6 avril 2011.
* 124 Composées de juges non professionnels (anciens avocats, anciens juges, policiers, gendarmes...) ou à défaut de juges du tribunal d'instance, les juridictions de proximité statuant à juge unique sont compétentes pour régler les petits litiges civils (actions personnelles ou mobilières, demandes indéterminées concernant l'exécution d'une obligation et injonction de payer et de faire, d'une valeur de 4.000 euros ou plus) et pénaux (contravention des quatre premières classes). Elles siègent dans l'enceinte du tribunal d'instance.
* 125 Cf. avis n° 116 (2010-2011), tome IV, de M. Yves Détraigne sur les crédits « justice et accès au droit » pour 2011.
* 126 Rencontre avec la délégation de la mission d'information le 23 mai 2011.
* 127 Courrier du 14 juin 2011 adressé à la mission d'information à la suite de sa visite.