DEUXIÈME PARTIE
LE
SERVICE PUBLIC FACE À
LA RÉVISION GÉNÉRALE DES
POLITIQUES PUBLIQUES
CHAPITRE I
DES TERRITOIRES CONFRONTÉS
AU
DÉSENGAGEMENT DE L'ÉTAT
I. LES NOUVELLES CARTES DES SERVICES PUBLICS : UN EFFET CUMULÉ POUR CERTAINS TERRITOIRES
Toutes les cartes réorganisant l'implantation des services publics ne résultent pas de la RGPP. Plusieurs chantiers avaient été préalablement lancés. Mais aujourd'hui, les conséquences territoriales de l'ensemble des cartes sont prises en compte dans le cadre général de la politique de révision des politiques publiques.
Force est de constater que, faute d'une vision d'ensemble, ces restructurations trop souvent aggravent les effets d'un processus qui ne prend pas en compte les réalités des territoires.
A. DES RÉFORMES SOUFFRANT D'UN MANQUE DE VISION D'ENSEMBLE : LA LOGIQUE DES SILOS
Ces réformes répondent, chacune, à une logique d'efficience de l'action publique. Mais elles ont été conçues et mises en oeuvre séparément sans être inscrites dans une vision territoriale d'aménagement. Cette difficulté a, par exemple, été relevée en Provence-Alpes-Côte d'Azur, lors des échanges que les membres de la mission ont eus à la préfecture, la RGPP ayant été conduite au niveau régional « en tuyaux d'orgue ».
Le résultat est là aujourd'hui : certains territoires ont été frappés par les coupes résultant de plusieurs cartes rénovées et par un effet domino, le retrait des services publics a conduit à un affaiblissement de l'emploi privé.
1. La nouvelle carte militaire : des conséquences territoriales douloureuses
a) Un processus de modernisation de la défense engagé dès 2008
Le ministère de la Défense est soumis à un processus de modernisation de ses structures , sous l'effet conjugué de la révision générale des politiques publiques ( RGPP ) et du nouveau contexte géostratégique décrit par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale , remis au Président de la République le 17 juin 2008. La combinaison de ces réformes se traduit par une réduction, d'une part, des effectifs militaires et civils et, d'autre part, des implantations territoriales par le biais de fermetures ou de transferts de sites de défense.
Les principes de la réorganisation et les nouvelles capacités opérationnelles de la défense nationale ont été définis par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 104 ( * ) qui prévoit :
- la rationalisation de l'administration des fonctions ressources humaines, communication, achats, finances et immobilier, qui conduit à la suppression de 54.000 emplois entre 2009 et 2015. Selon M. Christian Piotre, secrétaire général de l'administration du ministère de la défense, 53.400 postes à supprimer ont déjà été identifiés. Il est ainsi prévu de supprimer 18.000 emplois à caractère opérationnel, en raison de l'évolution des armées, de la disparition d'unités ou de matériel obsolète dans le génie, l'artillerie et autres régiments d'appui à la volumétrie ancienne. Le reste des suppressions (opérationnel et administratif confondus) représente à 75 % des fonctions purement administratives sans lien avec l'opérationnel (administration générale et soutien). Cet effort de réduction est réparti entre les trois armées : 26.000 pour l'armée de terre, 16.000 pour l'armée de l'air et 6.000 pour la marine.
- La réorganisation des soutiens des armées : afin de mutualiser les services administratifs et les fonctions support des trois armées jusqu'alors dispersés en de multiples sites, ont été créées une nouvelle entité : les bases de défense interarmées , réparties sur l'ensemble du territoire selon une logique de proximité géographique 105 ( * ) .
- La mise en oeuvre des restructurations territoriales dont l'objectif est l'adaptation des capacités opérationnelles aux nouveaux enjeux géostratégiques décrits par le Livre Blanc et la réduction du coût du fonctionnement du ministère. Cet objectif est à l'origine de la « nouvelle carte militaire ».
Extraits du référé de la Cour des
Comptes concernant
En ce qui concerne l'organisation, la Cour observe que la réforme doit surmonter certains écueils pour parvenir à concilier qualité du soutien et économie de moyens . L'expérimentation conduite à partir de 2009 ne s'est certes pas traduite par une dégradation significative des soutiens, mais la valeur ajoutée de la nouvelle organisation en termes de recentrage sur l'opérationnel et de gains de mutualisation n'a pas été démontrée. Malgré le renforcement de leurs prérogatives, les commandants des bases de défense ne disposent pas de suffisamment de moyens d'action, pour assumer pleinement le rôle essentiel qui leur est assigné. Ils n'ont pas d'autorité hiérarchique sur les multiples structures nouvelles de soutien qui se déploient au profit des bases de défense. Leur capacité d'arbitrage est limitée par la constitution d'échelons intermédiaires, les états-majors de soutien de la défense, s'instituant en instance d'appel pour les formations soutenues. Les budgets de fonctionnement réduits dont ils sont responsables offrent des perspectives de mutualisation limitées, en raison de la trop faible taille des bases de défense, dont les périmètres ont parfois été définis selon des critères relevant davantage de l'aménagement du territoire que des nécessités de la défense nationale . Ainsi 14 bases sur 51 en métropole soutiennent moins de 3.000 personnels. [...] Pour limiter ces insuffisances, la Cour recommande de réduire le nombre de bases de défenses à une vingtaine en métropole , de supprimer les états-majors de soutien de la défense et de renforcer le rôle des commandants de base de défense, au-delà de ce qui a été réalisé dans l'instruction du 17 décembre 2010, en leur donnant autorité hiérarchique sur l'ensemble des soutiens. Si la réforme ne surmonte pas ces écueils d'organisation, les possibilités de réduction d'emplois liées à la mise en oeuvre des bases de défense ne seront pas pleinement au rendez-vous. Le risque que la réduction de 54.000 emplois prévue pour la mission « Défense » sur la période 2008-2015 soit alors obtenue aux dépens du format opérationnel retenu en 2008 par le Livre blanc ne serait alors pas négligeable. [...] L'état-major des armées prévoit de fixer, courant 2011, les effectifs cibles à horizon 2015 de chaque groupement de soutien de base de défense. Cette démarche paraît essentielle pour donner une visibilité suffisante aux commandants de base de défense, afin qu'ils puissent anticiper l'évolution de leur organisation et l'accompagnement de leur personnel. Elle devrait aussi mettre en évidence le caractère non viable des bases de défense les plus petites. Par ailleurs, l'objectif global de réduction de 54.000 emplois implique de supprimer 3.500 postes qui n'ont pas encore pu être identifiés au début de l'année 2011. [...] La Cour recommande que l'exercice de définition des effectifs cibles à horizon 2015 de la chaîne des bases de défense soit conduit avec volontarisme pour aboutir à un effectif cible inférieur aux 25.000 personnels actuellement envisagés, de manière à éviter que les 3.500 postes à supprimer non identifiés à ce jour ne soient pris sur l'opérationnel. La mise en oeuvre d'une réforme aussi importante et des réductions d'emplois qui l'accompagnent aurait nécessité la mise en place, dès 2008, d'un dispositif robuste de suivi des économies et des surcoûts. La Cour considère que l'absence d'un tel dispositif constitue une carence grave et relève que l'ampleur des incertitudes pesant sur le bilan financier des réformes conduit à s'interroger sur le montant et le calendrier des économies qui seront in fine réalisées. Plus de deux ans après le début de l'expérimentation, le ministère rencontre des difficultés pour établir un bilan financier de la réforme des bases de défense. Cette observation vaut pour l'ensemble des autres réformes engagées depuis 2008. Malgré les actions entreprises dans le cadre du projet « Aramis » de renforcement de la fonction financière du ministère, aucun chiffrage fiable des économies engendrées par chacune des réformes, au sein de chaque programme budgétaire, n'est disponible pour les années passées. La dernière estimation communiquée à la Cour en janvier 2011, qui présente une économie nette globale cumulée de 6,7 milliards d'euros sur la période 2008-2015 pour l'ensemble des réformes, résulte de prévisions : |
• très optimistes, notamment en matière de recettes exceptionnelles immobilières estimées à 1,2 milliard d'euros |
• difficiles à fiabiliser ; ainsi, un changement de méthode d'estimation des économies du titre 2 visant à mieux prendre en compte les effets du «glissement vieillesse technicité » a conduit à réévaluer de 0,5 milliard d'euros le montant estimé de l'économie sur ce poste de dépenses. Ainsi, sans que le dispositif des réformes ait évolué, l'estimation des économies effectuées par le ministère est passée de 4,9 milliards d'euros en juillet 2010 à 6,7 milliards d'euros en janvier 2011, traduisant une volatilité importante dans les chiffres présentés. En outre, l'examen détaillé de ces estimations met en évidence des incertitudes significatives. [...] |
* 104 Loi n° 2009-928 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense.
* 105 Il était initialement prévu la création de 90 bases de défense. Suite aux résultats positifs de l'expérimentation de 11 bases de défense en 2009 et de 7 nouvelles en 2010, le Gouvernement a fixé à 51 le nombre définitif de bases de défense en métropole et 7 Outre-mer. Elles ont été généralisées le 1 er janvier 2011, deux ans plus tôt que prévu initialement.
* 106 Référé n° 60366 adressé le 7 mars 2011 au ministre de la défense et des anciens combattants.