PREMIÈRE PARTIE - LES CONSÉQUENCES POUR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DE LA RÉVISION GÉNÉRALE DES POLITIQUES PUBLIQUES
A priori , les collectivités territoriales ne pourraient que se féliciter d'un processus qui a notamment produit la refonte des services déconcentrés.
Le Sénat, depuis plus de dix ans, dénonce la résistance de l'Etat jacobin à tirer les conséquences de la décentralisation initiée en 1982.
A l'occasion de la dernière réforme des collectivités territoriales, le rapporteur de la commission des lois, notre collègue, Jean-Patrick Courtois, rappelait que « la décentralisation, conçue dès son origine comme un moyen de rapprocher les décisions des citoyens et de promouvoir une organisation plus efficace des services publics, doit en effet s'accompagner d'un relatif effacement de l'Etat, appelé à se concentrer sur ses missions régaliennes » 4 ( * ) .
Il faut aussi que l'organisation de l'Etat réponde aux besoins de proximité des collectivités territoriales dans leur dialogue mutuel et de sécurité juridique dans la mise en oeuvre de leurs compétences.
La RGPP permet-elle de satisfaire ces impératifs ?
Pour répondre à cette question, il faut à la fois examiner le cadre général dans lequel cette réforme a été conçue et évaluer dans quelle mesure sa mise en oeuvre peut avoir des répercussions sur le fonctionnement des collectivités territoriales et l'accomplissement de leurs missions.
CHAPITRE I - LE CADRE GÉNÉRAL DE LA RÉVISION GÉNÉRALE DES POLITIQUES PUBLIQUES
La RGPP se présente comme une réflexion globale -depuis longtemps attendue- sur la place, les missions et les actions de l'Etat.
Peut-elle néanmoins être conçue sans que soient associés à la démarche les autres acteurs qui concourent également à la mise en oeuvre des politiques publiques, au premier rang desquels s'imposent les collectivités territoriales ?
I. DES OBJECTIFS AMBITIEUX
« Equité, continuité, rigueur, équilibre, voilà les principes au service de cette réforme d'ampleur » déclarait son rapporteur général, M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, lors de son audition par la mission d'information le 16 février 2011.
Lancée le 20 juin 2007, la révision générale des politiques publiques (RGPP) est présentée comme une « démarche radicalement nouvelle » et globale de modernisation de l'Etat.
A. UNE ADAPTATION DES MISSIONS, DE L'ORGANISATION ET DU FORMAT DE L'ETAT
Le projet « Service public 2012 » qui concerne l'ensemble des ministères, passe par six axes de modernisation :
1. adapter les missions de l'Etat aux défis du XXIème siècle ;
2. améliorer les services pour les citoyens et les entreprises -la mise en place de la direction générale des finances publiques (DGFiP) s'inscrit dans cet objectif- ;
3. moderniser et simplifier l'Etat dans son organisation et ses processus (c'est notamment la réforme de l'administration territoriale de l'Etat) ;
4. valoriser le travail et le parcours des agents (par la création d'un droit effectif à la mobilité dans la fonction publique et la révision du contenu des concours) ;
5. responsabiliser par la culture du résultat ;
6. rétablir l'équilibre des comptes publics et garantir le bon usage de chaque euro, axe dans lequel s'inscrit le principe du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
C'est donc dans ce cadre que prend place la RéATE (réforme de l'administration territoriale de l'Etat). Met-elle un terme au débat sur la place nouvelle de l'Etat décentralisé ?
1. Des missions à redéfinir dans le nouveau contexte issu de la décentralisation
La répartition des pouvoirs a profondément évolué avec l'intervention de la décentralisation. Mais l'Etat central en a difficilement tiré les conséquences.
a) Une réforme inaboutie
Si le processus résulte de la loi du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, notre Constitution le proclame depuis 2003 : la République française est décentralisée.
Notre collègue René Garrec, rapporteur pour le Sénat de la révision du 28 mars 2003, y voyait l'opportunité « d'engager une véritable réforme de l'Etat » 5 ( * ) . Le Premier ministre, notre collègue Jean-Pierre Raffarin, appelait d'ailleurs, le 29 octobre 2002, en présentant la réforme devant la Haute assemblée, une France « à trois dimensions engagée dans un grand espace européen, avec (...) un Etat républicain qui tient sa place et qui est là où les Français l'attendent, qui ne cherche pas à se disperser mais qui, au contraire, recentré sur des missions fondamentales, assume ses responsabilités, une République de proximité sur les territoires, qui prend des décisions accessibles aux citoyens, et dont l'identité est reconnue » 6 ( * ) .
Si l'on se retourne sur ces 30 dernières années, quels bouleversements considérables a connu notre « vieux » pays jacobin !
Ouvert en 1982, l'acte I de la décentralisation a fondamentalement changé la donne en consacrant le principe de libre administration des collectivités territoriales qui échappaient, de ce fait, à la tutelle de l'Etat incarné localement par les préfets. Autrefois également exécutif local, le représentant de l'Etat est désormais recentré sur sa fonction de dépositaire de l'autorité de l'Etat dans sa circonscription de compétence : aux termes de l'article 72, alinéa 6, de la Constitution du 4 octobre 1958, « Dans les collectivités territoriales de la République, (...) représentant de chacun des membres du Gouvernement, (il) a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ».
Parallèlement, les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983 ont opéré les premiers transferts de compétences de l'Etat aux collectivités.
Concrétisant l'acte II de la décentralisation en leur transférant de nouvelles compétences, la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales se présentait, « favorisant sa réorganisation », comme « un levier essentiel de la réforme de l'Etat » : « loin de remettre en cause le rôle de l'Etat, l'approfondissement de la décentralisation lui permettra de mieux exercer ses missions essentielles, non seulement ses missions républicaines mais aussi ses missions qui concourent à la cohésion nationale en veillant à la solidarité entre les citoyens et entre les territoires » 7 ( * ) . Tout était dit !
Cependant, force est malheureusement de constater qu'après le dernier grand transfert opéré dans ce cadre -celui des parcs de l'équipement aux départements 8 ( * ) - certains secteurs étaient toujours en proie à des habitudes centralisatrices de co-gestion Etat-collectivités. Soit, comme le relevait le rapport d'étape de la mission temporaire du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales, que l'Etat « y ait conservé quelques compétences, soit que les administrations déconcentrées antérieurement compétentes aient conservé tout ou partie de leurs effectifs » 9 ( * ) . Le secteur social illustre parfaitement le premier cas avec le fonds d'insertion professionnelle des jeunes créé en 2004 parallèlement au fonds d'aide aux jeunes des départements 10 ( * ) . Un autre exemple, dénoncé par la Cour des comptes 11 ( * ) , concerne la politique de l'apprentissage, compétence régionale depuis 1983, écornée par l'Etat par le biais du fonds national de développement et de modernisation de l'apprentissage qu'il gère en application de la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale. Le président de l'Association des régions de France (ARF), M. Alain Rousset, a dénoncé, devant votre mission, l'inefficience et le coût de ces pratiques alors que l'Etat « ne dispos(e) pas des moyens matériels et financiers suffisants » 12 ( * ) pour les assumer.
Le processus initié en 2007 devrait logiquement mettre un terme à ces incohérences puisque l'Etat s'est engagé dans un processus d'évaluation de ses missions.
* 4 Cf. rapport n° 169 (2009-2010).
* 5 Cf. rapport n° 27 (2002-2003) de M. René Garrec.
* 6 Cf. débat Sénat, séance du 29 octobre 2002.
* 7 Cf. exposé des motifs du projet de loi n° 4 (2003-2004) relatif aux responsabilités locales.
* 8 Cf. loi n° 2009-1291 du 26 octobre 2009.
* 9 Cf. rapport d'étape n° 264 (2008-2009) de M. Yves Krattinger et Mme Jacqueline Gourault.
* 10 Le fonds d'aide aux jeunes des départements attribue aux personnes en difficulté de 18 à 25 ans des aides favorisant leur insertion sociale et professionnelle. Le fonds d'insertion professionnelle des jeunes finance des actions de prise en charge comme une aide au permis de conduire, la prospection d'entreprises ...
* 11 « La conduite par l'Etat de la décentralisation » (octobre 2009)
* 12 Cf audition du 13 avril 2011.