TRAVAUX DE LA COMMISSION

Réunie le mercredi 8 juin 2011 sous la présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission a entendu une communication de M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial, sur les participations transférées au Fonds stratégique d'investissement (FSI).

M. Jean Arthuis , président . - Nous entendons Jean-Pierre Fourcade sur les participations transférées au FSI, qui proviennent de l'Etat et de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Après un démarrage un peu difficile, le FSI est aujourd'hui une institution qui fonctionne bien mais qui requiert quelques ajustements. Je formulerai cinq principales observations au gré des transparents qui vous seront projetés.

Le FSI est tout d'abord un outil original et qui a démontré son utilité. Il ne s'est pas transformé en « infirmerie de campagne » en 2009 et 2010 et a joué son rôle de renforcement de la compétitivité des entreprises. Est-il pour autant un fonds souverain ? Les actionnaires et dirigeants du Fonds estiment que c'est le cas, mais pour la commission des finances, il paraît difficile de le considérer comme tel lorsqu'on a un déficit budgétaire de 7 % du PIB et 1 500 milliards d'euros de dette publique ! C'est ma première observation.

Ainsi que le rappelle la nouvelle lettre de mission assignée au directeur général du FSI, adressée le 9 mai dernier et d'ailleurs concomitante avec ma mission de contrôle, le FSI est un investisseur avisé soucieux de l'intérêt collectif, minoritaire et de long terme. Il intervient en fonds propres et quasi-fonds propres auprès d'entreprises de toutes dimensions, pour contribuer à leur développement lorsqu'elles sont en bonne position concurrentielle, accompagner leur transformation dans la mondialisation ou renforcer et arrimer leur actionnariat de long terme.

Ce fonds a été doté de 20 milliards d'euros et est détenu à 51 % par la CDC et à 49 % par l'Etat. De manière originale, cette dotation a été constituée par 14 milliards d'euros d'apports de titres cotés ou non et 6 milliards d'euros d'apports en numéraire, dont une fraction de 3,6 milliards n'est pas encore libérée, ce qui illustre la difficulté de trouver des fonds propres pour ce fonds. L'Etat a apporté trois participations, pour un montant de 6,86 milliards d'euros, dans Aéroports de Paris, France Télécom et STX France Cruise, mais le FSI n'est pour l'heure pas en mesure de les céder. Là réside donc ma deuxième observation : le Fonds a « démarré doucement » et est contraint par un certain manque de liquidité lié aux apports reçus de l'Etat et à la fraction non libérée de l'apport en numéraire. Les apports de la CDC ont été plus variés, avec vingt participations cotées et onze participations dans des structures non cotées, essentiellement des fonds de capital-investissement. Les participations cotées sont plus liquides et le FSI en a d'ailleurs cédé certaines d'entre elles en 2010.

La gouvernance du Fonds est assez sophistiquée mais m'apparaît efficace. Elle comprend un conseil d'administration, auquel participent les deux actionnaires et trois administrateurs indépendants issus du secteur privé, et un comité d'orientation stratégique (COS) auquel sont notamment représentées les organisations syndicales. Le secrétaire général de la CGT m'a d'ailleurs récemment confié qu'il attachait beaucoup d'importance à ce comité, qui est présidé par une personnalité marquante, Jean-François Dehecq. Les rapports élaborés par le COS en 2009 et 2010 m'ont ainsi été très utiles. Le FSI est également une structure assez légère, dont le coût est modéré. Elle emploie cinquante-sept collaborateurs et ses charges d'exploitation s'élèvent à environ 20 millions d'euros, ce qui représente, en incluant les honoraires externes, seulement 0,3 % des actifs sous gestion.

En revanche, les modes d'intervention sont beaucoup plus complexes. Le FSI investit en direct dans des entreprises, mais aussi de manière indirecte, dans des fonds, à travers deux principaux canaux :

- des fonds spécialisés qu'il a contribué à créer et qu'il cofinance avec des partenaires publics ou privés, en particulier dans une logique de filière. Il finance ainsi les fonds de modernisation des équipementiers automobile de rang 1 et 2, Innobio et le Fonds Bois ;

- le programme généraliste FSI France Investissement, hérité de la CDC et géré par CDC Entreprises, dans le cadre duquel il investit aujourd'hui dans 191 fonds nationaux et régionaux. La CDC justifie cette organisation par un principe de subsidiarité, et entre janvier 2009 et mars 2011, ces fonds partenaires sont entrés au capital d'environ 670 entreprises, pour environ un milliard d'euros.

Sur la même période, le FSI a investi au total 3,82 milliards d'euros, dont, outre les fonds que j'ai mentionnés, 2,4 milliards d'euros en direct dans 42 entreprises (en incluant le Fonds de co-investissement direct), et 419 millions d'euros dans 86 entreprises au travers des fonds spécialisés. L'effet a été très important dans le secteur de la sous-traitance automobile, mais plus limité dans la filière bois. L'objectif d'engagements pour 2011 est d'environ deux milliards d'euros, dont un gros investissement de près de 700 millions d'euros dans STMicroélectronics.

La crise a suscité un afflux de demandes et le Fonds a ainsi reçu près de deux mille dossiers en 2009 et 2010, dont peu ont été traités par prospection directe. Le FSI a conclu un partenariat avec le fonds souverain Mubadala, mais qui n'a pour l'instant donné lieu à aucun co-investissement. Ceci conforte mon constat sur la distinction entre le FSI et les fonds souverains tels qu'on les entend habituellement.

La situation financière du FSI est tout à fait convenable. Au 31 décembre 2010, la valeur nette comptable des titres était de 16,4 milliards d'euros, ce qui témoigne d'une bonne valorisation des actifs, le total de bilan de 21,8 milliards d'euros et le résultat net de 646 millions d'euros.

J'en viens ici à ma troisième observation : une fraction de 60 % de ce résultat, soit 387 millions d'euros, a été distribuée aux deux actionnaires, alors qu'au même moment le Gouvernement annonçait un renforcement des moyens du Fonds, au travers d'un prêt du fonds d'épargne de la CDC. Un tel niveau de dividende me paraît incohérent, même s'il vient abonder le budget de l'Etat en recettes non fiscales. Il aurait été préférable, durant les premières années d'existence du Fonds, de conserver une plus grande part de ces profits plutôt que de mobiliser des ressources d'emprunt issues de la collecte de l'épargne réglementée.

L'augmentation des moyens du FSI est en tout cas nécessaire à terme, compte tenu du repositionnement en cours. Les dirigeants du Fonds souhaitent logiquement qu'elle provienne en priorité de la libération du capital non encore versé.

Néanmoins le Fonds fonctionne plutôt bien. La nouvelle lettre de mission précise que le FSI doit être prioritairement orienté vers les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les PME, sans exclure la consolidation ou la protection du capital de grandes entreprises, et le rapport d'activité pour 2010 - au demeurant excellent - expose clairement les axes d'investissement du FSI.

S'agissant à présent des ajustements, je constate tout d'abord que l'Etat se veut un actionnaire « normal ». Le FSI n'est ni aux ordres du politique, comme on l'a vu avec le dossier Heuliez, ni totalement autonome, car il demeure à la disposition des pouvoirs publics. Une des difficultés, qui tend cependant à s'apaiser, a trait au fait que la Caisse des dépôts, qui aide déjà un grand nombre de PME, joue un jeu un peu compliqué en étant à la fois actionnaire principal du Fonds, co-investisseur et co-gestionnaire.

C'est ma quatrième observation : tout le monde s'occupe des PME ! On trouve ainsi le FSI, la CDC, le Programme d'investissements d'avenir et Oséo, qui intervient en bas de bilan et entretient des rapports parfois conflictuels avec le Fonds. Cet édifice d'une grande complexité témoigne d'une politique industrielle active, mais le FSI reste un outil de taille modeste. Je relève aussi que sa notoriété auprès des chefs d'entreprises est nettement inférieure à celle de CDC Entreprises et d'Oséo. Il importe donc de faire émerger la marque « FSI » et de renforcer sa visibilité en région.

Passée la crise, beaucoup moins de dossiers sont transmis au Fonds. Celui-ci a donc engagé, sur instruction de ses actionnaires, un travail d'étude des filières pour identifier leurs difficultés et les entreprises les plus dynamiques.

Ma dernière observation concerne l'intégration de la démarche d'investissement socialement responsable (ISR), tant par le FSI que par l'Agence des participations de l'Etat (APE). Une grille d'analyse fondée sur plusieurs critères a été mise en place par le Fonds et un conseiller social recruté en 2010, ce qui va dans le bon sens, mais il faut aller plus loin en matière de promotion des bonnes pratiques de gouvernance et de politiques de rémunération responsables dans les entreprises dont le FSI ou l'Etat est un actionnaire de référence. Les représentants des deux instances m'ont assuré que de tels principes étaient bien mis en oeuvre, mais si on considère ce qui se passe dans les entreprises, ces interventions me paraissent encore timides sur le plan social.

Au plan régional, la lettre de mission du 9 mai dernier souligne que le FSI doit jouer un rôle actif « de structuration des filières sectorielles et du tissu économique régional » et qu'il serait « utile de renforcer la coordination entre l'ensemble des acteurs publics du financement des PME en région, notamment entre le FSI et Oséo », ce qui correspond à mes souhaits. Le Fonds a engagé des études de filières, mais le vrai problème est bien que les chefs d'entreprises sachent, au plan local, que le FSI existe, a une vocation stratégique et n'est pas un simple « sous-produit » de la CDC. Après avoir affirmé sa singularité, le FSI doit donc conquérir une visibilité auprès des acteurs économiques.

M. Jean Arthuis , président . - Qualifier le FSI de fonds souverain peut paraître abusif, dans un pays qui se caractérise surtout le poids de ses dettes souveraines... Par ailleurs, je crois que lorsque le concours de la puissance publique est apporté via des prises de participations du FSI, cela doit impliquer que les dirigeants et mandataires sociaux respectent des règles déontologiques strictes, en particulier s'agissant des rémunérations.

Mme Nicole Bricq . - Je remercie le rapporteur de ses travaux, qui constituent un point d'étape utile. Les débats que nous avions eus en séance, à l'initiative notamment de notre collègue Nathalie Goulet, avaient trahi certaines inquiétudes, notamment au niveau local, sur les modes d'intervention du Fonds.

Pour ma part, j'ai assisté à la naissance du FSI, qui a suscité beaucoup de débats, parfois heurtés, entre l'Etat et la Caisse des dépôts. Au demeurant, des difficultés subsistent et la coexistence de ces deux actionnaires n'est pas toujours paisible ! Par ailleurs, je persiste à me demander ce que l'on met derrière le « S » de FSI : en quoi ses prises de participations sont-elles stratégiques ? Dans certains cas concrets, le Fonds n'a-t-il pas subi des pressions politiques ?

M. Jean Arthuis , président . - Le politique serait donc antinomique du stratégique ! Ce serait inquiétant...

Mme Nicole Bricq . - La création du FSI aura néanmoins incité la CDC à opérer une revue de l'ensemble de ses participations et interventions dans les PME et à les rationaliser. Le rapporteur estime que l'articulation des financements demeure complexe, ce qui est exact, mais elle l'est moins qu'auparavant. Le représentant de la CDC en région fait véritablement figure d'interlocuteur unique.

Enfin, à titre personnel, je reproche au FSI de privilégier une intervention par filière un peu classique et colbertiste, et de ne pas s'intéresser suffisamment au développement des réseaux d'entreprises. Plus généralement, s'agissant de la conduite de la politique industrielle, une clarification de l'articulation du FSI et de l'Agence des participations de l'Etat serait bienvenue.

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - L'approche par réseaux peut être complémentaire de l'approche par filières et les actionnaires ont récemment invité le FSI à mieux fédérer les actions à destination du tissu industriel régional.

M. Jean Arthuis , président . - Le versement de 60 % de dividendes s'apparente à une pratique d'actionnaire « glouton » que l'on reproche par ailleurs aux investisseurs privés...

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Ce versement est d'autant moins compréhensible que l'on s'apprête à mettre à disposition du Fonds une ligne de crédit de 1,5 milliard d'euros, et que l'ensemble des apports initiaux n'ont pas encore été libérés.

Mme Nicole Bricq . - Le prêt de 1,5 milliard d'euros n'est pas une affaire réglée ! Les fonds d'épargne ne doivent pas servir à tout et n'importe quoi.

M. Albéric de Montgolfier . - Je partage l'avis du rapporteur selon lequel on ne comprend pas grand-chose à l'articulation des différents fonds et outils. Par ailleurs, je m'interroge sur le caractère stratégique de certaines participations directes, dans les vignobles de champagne par exemple, comme cela a été récemment envisagé.

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Il faut distinguer les participations transférées, qui n'avaient pas nécessairement un caractère stratégique, des prises de participation. Sur ce second point, les actionnaires ont demandé au FSI d'affiner sa doctrine d'investissement dans une optique de sélectivité.

M. Jean Arthuis , président . - Le positionnement respectif de l'APE, du FSI et de la CDC n'apparaît pas toujours clairement.

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - L'articulation de l'APE et du FSI est une vraie question, que j'aborde dans le rapport, et le rôle de l'APE dans la conduite de la politique industrielle est un sujet en soi, qui mériterait un rapport entier !

M. Jean Arthuis , président . - Ce pourrait être l'occasion de s'interroger sur la doctrine de l'Etat actionnaire en ce qui concerne la rémunération des dirigeants des entreprises à participations publiques.

M. Philippe Adnot . - Cet effort de clarification est particulièrement bienvenu. Je siège au conseil d'orientation de France Investissement, qui peine aujourd'hui à exercer son effet de levier sur les financements privés compte tenu du durcissement des normes prudentielles. De fait, France Investissement semble se rabattre sur les fonds régionaux, ce qui ne me semble pas de nature à renforcer la dimension stratégique de son action. France Investissement est-il inclus dans le bilan des prises de participation que vous avez évoqué ?

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Absolument.

M. Philippe Adnot . - Par ailleurs, la lettre de mission adressée par les actionnaires du FSI à son directeur général me paraît brouiller sa doctrine. Est-ce renforcer le caractère stratégique du Fonds que de l'encourager à structurer les filières ? N'est-ce pas, au contraire, un facteur de banalisation et ne risque-t-on pas de passer à côté d'un des objectifs initiaux, qui consistait à renforcer notre tissu d'entreprises de taille intermédiaire (ETI) ?

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Cette lettre était nécessaire. Elle assigne d'ailleurs au FSI un objectif de doublement du volume annuel des investissements en direction des ETI, si les conditions de marché le permettent.

M. Philippe Dallier . - Vous diagnostiquez un échec relatif des partenariats avec les fonds souverains étrangers. Est-ce irrémédiable ?

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - Les gestionnaires de fonds souverains avec lesquels j'ai pu m'entretenir sont clairement à la recherche d'emplois pour leurs fonds. Il n'est cependant pas impossible que le caractère public du FSI et son implication de long terme suscitent une certaine méfiance à l'étranger.

M. Joël Bourdin . - Le FSI est-il endetté ?

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - A ce jour, non.

M. Jean Arthuis , président . - La commission remercie vivement le rapporteur spécial de sa communication, qui prend un relief tout particulier car il s'agit vraisemblablement de la dernière.

M. Jean-Pierre Fourcade , rapporteur spécial . - En effet, Monsieur le Président, j'ai décidé de ne pas me représenter lors du prochain renouvellement sénatorial.

(Applaudissements des commissaires)

A l'issue de ce débat, la commission a, à l'unanimité, donné acte de sa communication à M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur spécial, et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.

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