3. Redonner du sens et de la souplesse au dispositif de la délégation

La délégation de compétence en matière d'aides à la pierre est, sans doute, un mode de gestion qui doit d'être valorisé ne serait-ce que pour conforter le dialogue indispensable entre les administrations de l'Etat déconcentré et les collectivités territoriales sur la question de l'habitat.

C'est en premier lieu, l 'Etat lui-même qu'il faudrait convaincre de cette nécessité car il exprime souvent peu d'empressement à valoriser la délégation. A cet égard, la réponse du ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement annexée au récent rapport de la Cour des comptes sur les aides à la pierre 20 ( * ) , mérite d'être citée, tant elle témoigne du scepticisme de l'administration centrale .

« Sur les très bons résultats obtenus en termes de programmation par les délégataires, si l'implication des délégataires est réelle, je souhaite toutefois appeler l'attention sur les éléments suivants qui y apportent quelques nuances :

- ces résultats sont aussi la conséquence des financements importants de l'État dans le cadre du plan de cohésion sociale et du plan de relance ;

- la progression n'est pas majoritairement due aux zones sous délégations, mais plutôt à une augmentation du poids des délégataires ;

- la production en zone très tendue (zone A) reste majoritairement financée en territoires non délégués ;

- l'augmentation forte des objectifs des délégataires ne s'est pas toujours traduite par des financements effectifs, avec certains résultats parfois très en-deçà des objectifs ;

- la priorité aux logements très sociaux a été donnée avant tout par la loi DALO en 2007 ;

- si les aides apportées par les collectivités territoriales sont globalement plus importantes en territoires délégués qu'en territoires non délégués, ce constat général laisse place à des disparités très importantes entre territoires et ce n'est pas le seul engagement des délégataires qui a permis les progrès, mais sans doute, plus généralement, celui des collectivités territoriales ;

- l'exercice de programmation des aides de l'État est identique que les territoires soient délégués ou non, les objectifs étant définis en commun dans les conventions . »

a) Faire des délégations de compétence un critère de performance

Votre rapporteur spécial a été amené à constater les lacunes et parfois l'absence d'informations concernant le bilan des délégations.

Les données disponibles sont le plus souvent extraites d'enquêtes réalisées par le biais des associations de collectivités délégataires ou celui des bailleurs sociaux. L'Etat, pourtant partie des conventions et délégant ses compétences, est absent des bilans de la première génération des conventions.

Ce déficit d'intérêt de la part de l'Etat peut être illustré par deux exemples.

En 2004, à l'unanimité et avec l'accord du Gouvernement, le Sénat avait inscrit dans la loi d'obligation pour celui-ci de « présenter, au moment du dépôt du projet de loi de finances , le tableau des dotations notifiées aux préfets de région et de leur répartition intrarégionale effectuée par les préfets ». Elle devait permettre de mesurer l'impact des délégations sur la répartition des aides à la pierre. A ce jour, cette obligation de l'article L. 301-3 du CCH n'est pas respectée .

D'autre part, comme il a été observé plus haut, aucun objectif ou indicateur de performance du PAP « Ville et logement » ne distingue ses résultats en fonction du mode de gestion .

Il serait pourtant souhaitable d'intégrer le critère délégation dans le suivi de la performance des aides à la pierre et en particulier dans les indicateurs du programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement » qui mesurent le respect des objectifs de production de logements et le recentrage des aides, soit les indicateurs suivants :

- indicateur 1.2 : Pourcentage de logements locatifs sociaux financés (en PLUS, PLAI) et agréés (en PLS) par zone ;

- indicateur 1.3 : Pourcentage de logements privés conventionnés par l'ANAH par zone ;

- indicateur 2.1 : Pourcentage de logements locatifs sociaux financés dans les communes soumises à l'article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain (loi SRU) par rapport à leur objectif annuel moyen sur la période triennale par tranches.

Le même effort devrait être demandé à l'ANAH dont les indicateurs nationaux de performance actuels ne distinguent pas la nature des gestionnaires, Etat ou collectivités territoriales délégataires.

b) Répondre au « désenchantement » en ouvrant des choix aux délégataires

Selon une enquête menée en 2010 par le réseau des acteurs de l'habitat, « les collectivités locales expriment un certain « désenchantement » 21 ( * ) par rapport à la délégation, qui a certes permis une forte en montée en puissance de leur rôle en tant que chef de file mais qui est aujourd'hui, selon elles « en panne ». Pour certains acteurs nationaux (FNAR 22 ( * ) , Villes et banlieues), l'Etat n'a guère été le « stratège » qu'on attendait, et « avec la délégation des aides à la pierre, il n'a fait que résoudre son propre problème : se désengager en misant sur la montée en régime budgétaire des collectivités délégataires ... ».

« Bon nombre d'acteurs locaux pensaient que l'étape suivant la délégation était naturellement d'aller vers plus de décentralisation. Au lieu de cela, ils font le constat que les interventions de l'Etat sont à la fois plus nombreuses et plus tatillonnes . »

Pour attirer de nouveaux candidats à la délégation et convaincre les délégataires actuels de renouveler leur engagement, l'Etat doit renforcer l'attrait de ce mode de gestion.

Pour cela, il convient de redonner de la souplesse à la délégation dont nombre d'élus locaux critiquent la rigidité.

Sans aller jusqu'à prôner l'idée d'une décentralisation sous la forme d'un transfert de la compétence logement, que ni l'Etat ni les collectivités ne souhaitent au demeurant, votre rapporteur spécial suggère ainsi une plus large ouverture des choix au profit du délégataire.

Elle pourrait prendre la forme du renoncement au caractère systématiquement global des conventions et d'une dissociation de la délégation entre logement locatif social et parc privé.

En effet, si comme l'a souligné l'ANAH lors de son audition « beaucoup de collectivités ne seraient pas allées sur le privé s'il n'y avait pas eu la délégation globale », aujourd'hui la question ne se pose plus dans les mêmes termes.

Certaines collectivités peuvent souhaiter « réinvestir le parc privé », sans nécessairement prendre à leur charge l'attribution de crédits au parc public locatif, particulièrement dans les zones non tendues où les enjeux sont limités sur le parc public.

On ajoutera que la proximité des habitants et la connaissance des besoins du terrain sont deux atouts des collectivités pour la gestion des aides au secteur privé et qu'elles justifieraient que l'Etat s'appuie sur cette expertise et propose des conventions de délégation exclusivement ciblées sur ce parc.

L'autre élément de souplesse à introduire consisterait à rendre de nouveau possible, pour les collectivités délégataires de l'ensemble des aides à la pierre, la fongibilité , éventuellement sans limitation, entre parc public et parc privé . Celle-ci permettrait, en effet, une meilleure prise en compte des besoins des territoires dans la définition des objectifs et les modalités de mise en place des aides.

Enfin, lors de son déplacement dans le département du Lot , votre rapporteur spécial a pu constater à quel point l'application uniforme d'orientations nationales pouvait être inadaptée aux circonstances locales ; particulièrement lorsque les changements d'orientations décidés au niveau central sont déclinés, avec une certaine brutalité, sur les territoires, et viennent contrarier les efforts déployés précédemment par les collectivités délégataires . C'est ce qui s'est produit notamment lorsque l'ANAH a décidé de réorienter son action des propriétaires bailleurs vers les propriétaires occupants. Dès lors, on peut s'interroger, par exemple, sur le bien-fondé pour l'ANAH de ne mettre en oeuvre qu'un seul modèle, et des priorités uniformes pour l'ensemble du territoire, alors qu'il serait plus pertinent de moduler son intervention en fonction des besoins très différents des zones rurales, urbaines, ou intermédiaires dans les régions à forte pression ou en déclin démographique.

Cette non prise en compte des enjeux locaux est relevée par le président du Conseil général de la Meuse 23 ( * ) :

« L'exercice de la délégation des aides à la pierre se heurte à des contraintes imposées par le cadre national tant pour l'habitat public que l'habitat privé. Si le discours politique et l'esprit de la loi affirment une définition partagée des projets avec formalisation conventionnelle entre l'Etat et le délégataire, les faits illustrent une déclinaison des objectifs et de leurs moyens exercée de façon mathématique du niveau national au niveau régional puis départemental au détriment d'une approche stratégique dédiée à l'aménagement du territoire meusien et de ses caractéristiques rurales.

Il s'agit, par conséquent, d'une approche très urbaine et de quartiers sociaux à forte concentration, très éloignée de la réalité meusienne et même lorraine.

Le bilan des 4 premières années de délégation confirme, par ailleurs, le désengagement de l'Etat sur la question du financement du logement social, notamment sur les territoires ruraux, considérés comme « non prioritaires » par l'Etat car situés en zone non tendue. Cette situation de désengagement fort de l'Etat dans les territoires ruraux cumulée à une remise en cause incessante des règles d'intervention de l'Etat depuis la prise de délégation en 2007 interfèrent sur les enjeux portés par le Département quand il a choisi d'opter pour la délégation de compétence des aides à la pierre, comme levier d'aménagement de son territoire ».

c) Ajuster les délégations à la capacité de l'Etat à tenir ses engagements

Les collectivités délégataires reprochent, sans doute à juste titre, à l'Etat de n'être pas en capacité de tenir des engagements pluriannuels, et de faire peser sur ses partenaires délégataires le risque de porter plus que leur part dans la mise en oeuvre des objectifs des conventions.

Ce point est souligné par le président de la communauté urbaine du Grand Nancy dans sa réponse à la Cour des comptes 24 ( * ) : « une certaine déviance par rapport à l'exercice de cette délégation des aides à la pierre a pu être observée au fil des années.

Alors que les délégations de compétences devaient permettre de mettre en oeuvre une politique de l'habitat traduite dans un document cadre sur une période de 6 années, la pluri annualité des objectifs et des financements n'a jamais pu être appliquée. Au contraire, les objectifs ont été revus chaque année aboutissant à un écart entre les objectifs de la convention et la consolidation des objectifs annuels tant en quantité qu'en nature des produits logements ».

Votre rapporteur général suggère en conséquence que la durée des conventions de délégations soit ajustée en fonction de celle des autres engagements de l'Etat dans le domaine du logement . La programmation des finances publiques, dont dépend le montant des aides à la pierre est établie sur une période glissante de trois années. La définition des enveloppes des emplois de la participation des employeurs à l'effort de construction, qui finance l'ANAH, s'effectue sur une durée de trois ans.

Comme il est peu probable qu'on assiste à un allongement de la durée de ces engagements financiers, il serait envisageable d'adopter le rythme des trois années glissantes pour les délégations d'aides à la pierre.


* 20 Rapport public thématique « Les aides à la pierre : l'expérience des délégations de l'Etat aux intercommunalités et aux départements ». Mai 2011.

* 21 « L'évolution des politiques locales de l'habitat et des coopérations entre les acteurs dans un contexte en plein renouvellement : enquête sur dix territoires » Rapport d'étude - 16 septembre 2010 - Réseau des acteurs de l'habitat.

* 22 Fédération Nationale des Associations Régionales d'organismes d'habitat social.

* 23 Réponses des collectivités au rapport public thématique de la Cour des comptes précité.

* 24 Id.

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