3. La délicate adéquation entre objectifs nationaux et action régionale
Les efforts entrepris par le gouvernement central en vue de répondre à la crise et restaurer la crédibilité du pays sur les marchés financiers sont relativisés par la difficulté pour les communautés autonomes de s'affranchir d'une forme d'irresponsabilité financière, marquée notamment par une faible lutte contre le déficit budgétaire et un endettement croissant, la dette des régions représentant 12 % de la dette publique espagnole.
L'agence de notation Moody's a, à ce titre, émis des doutes sur la capacité des autorités espagnoles à parvenir à améliorer durablement la situation des finances publiques, compte tenu des limites du contrôle du gouvernement central sur les finances des régions. En 2010, 9 des 17 communautés autonomes ont dépassé l'objectif de déficit public régional fixé à 2,4 %, dont la Catalogne et les Baléares. Il convient de noter que, compte tenu de la décentralisation, la dépense publique est assumée à 54,8 % par les pouvoirs locaux. Les régions, à deux exceptions près - Pays basque et Navarre - opèrent ces versements par le biais de transferts en provenance de l'État central et non en levant elles-mêmes directement l'impôt.
La question de la dette locale demeure relativement nouvelle en Espagne. Elle s'inscrit dans le cadre de la financiarisation de l'économie espagnole observée ces dernières années. Le gouvernement central dispose d'un instrument d'autorisation de dette sur les marchés en vue de tempérer l'émission de dette régionale. Ce dispositif n'est pas utilisé, au risque de décrédibiliser la position de l'Espagne sur les marchés. L'absence de majorité absolue aux Cortes oblige, en effet, le gouvernement à faire appel aux voix des formations indépendantistes et tempère toute volonté de contrôle plus étroit. La proximité des élections municipales et régionales n'agit pas également en faveur d'un recours à cet instrument.
L'absence de majorité absolue contribue également à fragiliser la cohérence de l'action économique et sociale de l'État. La loi de finances 2011 n'a pu, ainsi, être adoptée qu'au moyen du transfert au pouvoir régional de la gestion des politiques d'emploi de l'agence espagnole pour l'emploi, ce qui signifie notamment la fin de la caisse unique de sécurité sociale et un réel fractionnement de l'espace économique espagnol.
L'Espagne ne peut retrouver une position favorable sur les marchés financiers si elle ne parvient pas à concilier gestions locales et nationale. Une réflexion profonde doit être entreprise à ce sujet au cours des prochains mois, tant elle permettrait au pays de s'affranchir définitivement de la pression des marchés. Il convient de préciser que cette analyse ne condamne pas pour autant la décentralisation espagnole. Les succès du pays basque en matière de financement public de la recherche et développement doivent, à cet égard, servir de référence pour l'action de l'État dans ce domaine.
La réforme du secteur des caisses d'épargne entreprise par le gouvernement doit, dans le même temps, préciser la part du politique dans la gestion des entités réformées. Bras économique des pouvoirs locaux, les caisses n'ont pas su concilier gestion prudentielle et ambitions politiques dans le secteur immobilier. Le décret du 18 février dernier qui assainit le secteur ne saurait avoir de portée sur les marchés s'il ne distingue, dans les futurs organigrammes, ce qui relève de l'action sociale et donc pour partie liée à des motivations politiques et ce qui a trait à la gouvernance économique traditionnelle d'un établissement financier.